VOLETS OUVERTS VOLETS FERMÉS…
Volets ouverts
carreaux cassés ensoleillés
paroles données promesses échangées
une voix qui se voilait soudain s'est dévoilée
l'autre voix qu'elle caresse connaît ses doux secrets
Volets ouverts
Fou rire d'une école tout entière
éclatant au coin d'une rue
merveilleux cris du ramoneur depuis si longtemps disparu
Volets fermés
toiles à laver usées
rampes d'escaliers à la boule brisée
Volets ouverts punaises oubliées
Volets fermés
le papillon du gaz recommence à siffler
son refrain bleu et blême
et toute la cuisine tremble
de toutes les cicatrices de ses murs de crasse
Volets ouverts
des lilas plein les bras
et brune et blonde et rousse
une chanson pieds nus traverse la maison
comme elle a par ailleurs
traversé les saisons
Volets ouverts
on l'entend de partout
c'est l'air de tout le temps
une voix de cristal
dans un palais de sang
Volets ouverts
la maison se réveille
au grand air du Printemps
Et la plus belle eau de vaisselle
sur le plus sordide des éviers
soudain comme une eau vive
se reprend à chanter
et se met à danser
sur les assiettes ébréchées les fourchettes édentées
Musique de blanc de céruse
et de marc de café
et de bleu de lessive
et de noir de fumée
et de noir animal
et d'appétit coupé
Musique de petite braise à nouveau enflammée
Musique de gros sel et d'écorces d'oranges
Un rempailleur de chaises
dans une flûte à champagne rescapée d'une poubelle
siffle un grand air de rouge
et c'est un air des Iles Fortunées
Volets ouverts
Sorcière la poussière
voltige sur son manche à balai
Volets ouverts
la concierge de sa loge
la regarde voltiger…
p198-199-200
Extrait de Jacques Prévert, Histoires, Le livre de Poche 1525, Gallimard, 1963.