Les femmes étaient guidées par les émotions, les hommes par la passion. Voilà le fin mot de l'histoire. Oubliés Mars et Vénus, le véritable secret de la différence entre les sexes était là.
Était-il vrai qu'elle avait épousé Charles pour son argent ?
Oui.
Il le savait.
En fait, elle était à peu près sûre qu'il l'en avait aimée davantage.
Pourquoi perdrait-il son énergie à apprendre l'anglais quand, dans un avenir proche, le monde entier parlerait chinois ? lui avait-il expliqué une fois. Cela dit, aujourd'hui, elle avait plutôt l'impression d'entendre un livreur de poulet aux noix de cajou qui aurait loupé l'embranchement vers l'Amérique et élu domicile dans un nouveau pays appelé Quartier chinois.
- Comment ça ? Vous venez vivre à New York ?
- On n'a plus de maison, Jiejie. Nous vivre chez toi.
Qui étaient ces gens restés en Chine ? Cet homme aux cheveux gris qui essayait une F. P. Journe clinquante et demandait si elle était waterproof était-il un de ces étudiants qui s'étaient laissé impressionner par Mao et avaient occupé les terres de la famille Wang ?
A côté, une vieille dame regardait son amie s'extasier quand la vendeuse lui attacha un collier de perles énormes autour du cou. Ces tai-tai qui gloussaient devant de la bimbeloterie étaient-elles ces cruelles écolières des gardes rouges qui avaient sorti ses vieilles tantes de leurs lits et les avaient fait défiler dans les rues, les bras passés dans un joug, un bonnet d'âne enfoncé sur leurs cheveux blancs ?
C'était indiscutable. Charles Wang s'était d'abord fait baiser par l'Histoire et l'Amérique avait terminé le boulot.
Le cas de l'Amérique était pire dans la mesure où, jadis, cette salope inconstante l'adorait.
Ça, c'était la seule Chine.
Les terres incandescentes qui miroitaient autour de lui.
La boue séchée sur la plante de ses pieds et les mouches qui bourdonnaient autour de ses orteils nus.
Les montagnes qui s'élevaient comme dans les peintures à l'encre des anciens maîtres, une gamme de gris à l'infini qui devenaient de plus en plus sombres à mesure que les montagnes reculaient. Charles plongea les mains dans la terre et creusa un trou. Il sortit l'os de son père, poreux et gris, et le laissa tomber au fond avant de reboucher le trou. C'était sans doute son idée depuis le début.
Il cueillit un brin d'herbe, le mit dans sa bouche et le mâcha prudemment. Il avait un goût de légume poivré et ça, c'était la Chine aussi. il lécha un peu de terre qui restait sur son pouce. Elle n'avait pas grand goût, juste un riche goût de terre. Il aurait pu se nourrir de ces éléments, de rien d'autre jusqu'à la fin de sa vie.
Charles Wang en voulait à mort à l'Amérique. A vrai dire, il en voulait à mort à l'Histoire. Si ces sanguinaires de Japonais n'avaient pas envahi la Chine, si un million -un milliard- d'étudiants et de serfs abusés n'avaient pas idolâtré un prof au crâne dégarni qui singeait le délire des Russes sans avoir les moyens de ses promesses, alors Charles ne serait pas planté devant la fenêtre de sa chère maison de Bel Air, un cachet d'aspirine dans une main, à attendre que ces connards de banquiers-banquiers qui jadis s'étaient jetés à genoux, des genoux en marbre de Carrare, pour lui lécher le cul-rappliquent pour le déposséder de sa vie.
Et Saina lui avait fait remarquer qu'elle tenait plus de cette petite sotte de Lydia Bennett d'Orgueil et préjugés, que d'une Juliette de Bel Air.
Charles Wang était furieux contre l'Amérique. A vrai dire il était furieux contre l'Histoire. Si ces sanguinaires de japonais n'avaient pas envahi la Chine, si un million-un milliard - d'étudiants et de serfs abusés n'avaient pas idolâtrés un prof au crâne dégarni qui singeait le délire des Russes sans avoir les moyens de ses promesses, alors Charles ne seraient pas planté devant la fenêtre de sa chère maison de Bel-Air, un cachet d'aspirine dans une main, à attendre que ces,connards de banquiers(...)rappliquent pour le déposséder de sa vie
L’amour vous sauve, à condition d’avoir un soi à sauver.