Si vous aimez la fantasy historique, vous avez certainement déjà entendu parler de Javier Negrete à qui on doit plusieurs romans consacrés à la période antique (« Alexandre le Grand et les aigles de Rome » ; « Seigneurs de l’Olympe »…) mais aussi une tétralogie dans laquelle l’auteur mêle avec maestria fantasy, histoire et science-fiction. Dernier opus de « Chronique de Tramorée », ce cinquième tome (en fait la deuxième partie du quatrième volume) offre une conclusion à l’image de l’ensemble de l’œuvre : pleine de bruit et de fureur, de scènes épiques ou déchirantes, de rebondissements, de révélations et surtout d’humanité. Nos héros et leur monde tout entier sont sur le point d’être détruits par Tubilok qui a repris le pouvoir sur le panthéon divin à l’origine de la création de Tramorée. Heureusement, ils sont plusieurs à faire route vers Agarta, l’envers ou l’intérieur du monde, afin de tenter de déjouer les plans de la terrible divinité. Le problème, c’est qu’Agarta possède ses propres règles et sa propre géographie qui vont s’avérer handicapants pour les protagonistes qui découvrent également avec effarement qu’une armée d’Amazones remontées leur barre le passage jusqu’à leur objectif. Difficile de ne pas ressentir une pointe de nostalgie en refermant cet ultime volume qui a le mérite de ne pas ajouter la frustration à la tristesse. Celui-ci répond en effet de manière très concrète à toutes les interrogations qu’on pouvait avoir concernant la création de la Tramorée, le rôle qu’y jouèrent les différentes « divinités », l’histoire de l’épée de feu et du premier zémalnite, ou encore la nature d’Agarta, du Pratès et de Tartara. Si on devine sans mal que la quête de nos héros sera couronnée de succès, le suspens demeure néanmoins à son comble en ce qui concerne le coût de cette victoire : Qui en paiera le prix ? Va-t-on assister à la disparition de certains personnages ? Ces derniers vont-ils parvenir à mettre de côté leurs inimitiés personnelles pour s’unir face au véritable adversaire ?
Après une transition un peu abrupte lors du troisième tome qui initiait le basculement de la série de la pure fantasy vers de la pure science-fiction, Javier Negrete semble avoir trouvé ici le parfait équilibre entre les deux. Les explications concernant l’origine de Tramorée permettent d’ailleurs de mesurer le degré de construction et l’habilité avec laquelle l’auteur a élaboré son univers au fil des cinq tomes. On repense alors à quantité d’indices disséminés dans les premiers volumes et qui, sur le moment, ont été interprétés comme étant la manifestation d’événements surnaturels alors qu’il s’agissait en réalité de phénomènes purement scientifiques. La juxtaposition de ces deux visions est, dans un premier temps, un peu perturbante, mais on finit par s’y faire et par apprécier la richesse supplémentaire qu’elle apporte à l’univers. C’est d’autant plus facile à appréhender dans ce dernier tome que l’on y retrouve enfin avec plaisir un certain nombre d’ingrédients qui faisaient tout le charme du début de la série (et que l’auteur avait un peu délaissé dans les deux derniers tomes), à commencer par de spectaculaires scènes de combats. S’il n’est pas rare que les romans de fantasy fassent la part belle aux grandes batailles, la série de Javier Negrete est pour sa part portée par un souffle épique qu’il est à mon sens assez difficile d’égaler. Les batailles sont d’autant plus impressionnantes et intéressantes que l’auteur s’inspire pour les mettre en scène de tactiques et d’armements datant de la période antique, et non médiévale comme c’est traditionnellement le cas. Le fracas des combats n’en est que plus grand, et le frisson du lecteur plus intense. Pour ce qui est du volet « science-fiction », l’auteur se perd moins dans de grandes explications techniques concernant le fonctionnement de tel artefact ou les causes scientifiques de la création de telle phénomène, ce qui permet au récit de retrouver toute sa fluidité.
Les personnages jouent évidemment aussi un rôle essentiel dans la qualité de l’ensemble de la série. On retrouve donc avec un plaisir intact les différents protagonistes dont on a suivi l’évolution tout au long des cinq tomes : les guerriers Derguin et Kratos, ou encore les magiciens Linar et Mikhon Tick. L’occasion de mesurer le chemin parcouru par chacun et de repenser avec nostalgie à ce qu’ils étaient avant de subir toutes les transformations que leur ont imposé les épreuves qu’ils ont eu à surmonter. La série est aussi marquée par toute une galerie de personnages secondaires inoubliables qu’on ne quitte pas sans une pointe de regret : le grand et « modeste » Barantan, le sage numériste Ahri, sans oublier le Gourdin, Togul Barok, Kybès… On peut également saluer la qualité et l’importance de la place accordée dans cette chronique aux personnages féminins qui sont nombreuses à jouer un rôle déterminant dans l’histoire de la Tramorée : Tanaquil, fière reine des Atagaïres, Aïdé, fille du précédent chef de la Horde Rouge et désormais compagne de Kratos, mais aussi la courtisane Neerya, la jeune Ariel, l’amazone Baoyim ou bien la belle et manipulatrice nymphe Triane. Les « méchants » de l’histoire sont eux aussi très réussis, certains évoluant de telle manière qu’on ne puisse plus les considérer comme tels, d’autres au contraire se manifestant sur le tard, alors qu’on ne s’y attendait pas. Reste à aborder le sujet de la plume de l’auteur dont la qualité vient rehausser celle de tout le reste : la narration est fluide, les scènes de batailles épiques et les dialogues percutants et bien tournés. On sent aussi énormément l’influence des sources et de la mythologie antiques, que ce soit au niveau des éléments qui composent l’univers (les Amazones, des cités-états dont le fonctionnement rappelle celui des cités grecques, des batailles opposant des phalanges…) que du déroulement même de certains événements qui ne sont pas sans rappeler les meilleures tragédies grecques.
Parmi les séries de fantasy les plus marquantes de ces dernières années, les gens sont prompts à citer (à raison) celles de G. R. R. Martin, de Robin Hobb ou encore de Tad Williams. La « Chronique de Tramorée » de Javier Negrete est sans doute beaucoup moins connue, mais elle mérite à mon sens tout autant de figurer aux côtés de ces géants de la fantasy. Amateurs d’Antiquité, de mythologie, de super-héros, de SF, de scènes de batailles époustouflantes, d’aventures palpitantes et de personnages profondément attachants, précipitez-vous sur ce petit bijou qui vous fera passer de merveilleuses heures de lecture dans un monde à mi-chemin entre un passé fantasmé et un avenir inattendu.
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