Ce dernier livre de Jean-Claude Pirotte est un magnifique et douloureux hommage à la littérature et à la vie qu’il va falloir quitter un jour. Il aura jusqu’au bout, sauvé son désir d’écrire et de lire au sein des souffrances, de l’extrême épuisement dû à la progression de son cancer et des traitements éprouvants qu’il a subi.
Les livres ont protégé son enfance, ils l’auront accompagné durant son adolescence, sa longue cavale et jusqu’à la fin.
C’est avec une grande lucidité qu’il nous écrit une dernière fois alors que le suivi de sa maladie l’a contraint à quitter la maison de Saint Léger dans l’Aube où il vivait avec sa compagne pour revenir à Namur, la ville où il est né.
« Partout où il posait son bagage les livres l’entouraient, c’était une famille encombrante dont les membres ne cessaient de proliférer. Or, sans cette famille, il se sentait perdu, incomplet, mutilé.
(…) Aujourd’hui que le cancer l’assigne à résidence dans cette ville où il est né par un caprice du hasard, quelques rangées de livre le rassurent sur son destin. » p 49
Il nous offre au fil des pages un florilège des livres qui l’ont toujours accompagné et lui rappellent des lieux où il a vécu : Lisbonne avec la Ballade de la plage aux chiens de José Cardoso Pires, Joubert « le tant aimé, qu’il convient de relire sans cesse, (…) non pour oublier, mais pour se retrouver » et Nerval et Maurice de Guérin, Montaigne, « La Vigie » de Marcel Arland, Gaston Bachelard, Pablo Neruda, « La Relique » de Henri Thomas, « La Tradition de minuit » de Mac Orlan, le « journal » de Stendhal etc…
La vie ce sont aussi les malades qu’il côtoient à l’hôpital :
« Le partage de la maladie défie le sentiment de solitude. Une humanité affligée, composée de toutes les couches sociales, se défend contre la terreur en partageant une intimité de hasard. Elle s’accorde quelques heures d’oubli des raisons pour lesquelles elle se trouve rassemblée.
(…) Et je vis là quelques moments d’un oubli bienheureux en écoutant cet homme, ou cette femme, parler d’une vie sans fards. Une telle confiance inattendue le bouleverse. L’humanité malade est riche de confidences et d’espoir, alors même que rôde la mort.
(…) Il fait bien partie de la communauté fraternelle des cancéreux » p 70 71
Cet ultime voyage avec un écrivain que l’on aime, désormais disparu est bouleversant mais procure un apaisement et un regain de force pour ne pas se laisser gagner par le pire des cancers celui que Pirotte nomme « le cancer de l’esprit » qui l’avait entraîné, quelques années auparavant, vers « les ténèbres de la dépression »
et « Les métastases de l’esprit devaient avoir inspiré celles du corps. La conscience diffuse d’un autre mal avait soudain réveillé en lui, paradoxalement, l’envie de vivre. »
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Même si la période est passée, voici un joli conte de Noël original. L'auteur dit : "J'ai écrit et illustré ce conte à Joinville-en-Vallage, en exil, à l'approche de la Noël 1976, afin de l'offrir à ma petite fille Emmanuelle, que j'appelle plus souvent Dodie." Il a été imprimé 21 ans plus tard. L'histoire de ce cheval de bois oublié dans une grande maison abandonnée. Un jour le père noël vient lui demander son aide.
Une bonne idée pour offrir un cadeau à ses enfants ou petits-enfants que de raconter comment l'objet que vous offrez arrive dans leurs bras. Papier marron agréable à toucher, genre velin. Mais ce qu'a en plus cet album est la liberté que c'est donné Jean-Claude Pirotte en écrivant où il veut. Envolée la rigidité ! Vraiment à découvrir. Voir la bio de l'auteur, pas banale non plus.
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Ouvrage " miraculé ", sauvé du pilon en décembre 2014- Lu en 2014- puis repris en 2022, et relecture le 10 août 2023, avant de le lui redonner une nouvelle jeunesse, en allant le déposer au kiosque des livres- voyageurs,
dans le square des Poètes !
Comme pour tout ouvrage de Jean- claude Pirotte, se laisser embarquer dans son univers particulier, entre déjantage, poésie, truculence et balade buissonnière, humaine et littéraire !
"Mon histoire avec le Mont Afrique n'a rien d'exemplaire. C'est une histoire décousue, un peu comme ma vie je suppose. (...)
J'ai beau convoquer le romanesque en toute candeur, il n'en fait qu'à sa tête, et souvent il s'échappe quand j'imagine le tenir.Je crains de n'être pas doué. Je dois l'être pour autre chose, la paresse, la fuite, les plaisirs de lecture qui sont une forme de désintéressement, non ? ou plutôt une manière élégante de disparaître à ses propres yeux."
Souvenirs d'enfance, de jeunesse de l'auteur, évocation de visages, de familiers fraternels, piliers de bistrots comme lui, d'amis, de " mauvais garçons " de préférence,dont ce Barnabé réfractaire par caractère, détestant les horloges, en complicité fusionnelle avec sa grand-mère...qui sera dégoûté , enragé contre ses congénères...
...Pirotte se raconte en éternel rebelle, gamin jamais grandi, fasciné très jeune par la mort, et habité par le Romanesque, la fiction, la Littérature...encore et toujours !
Notre poète, non seulement amoureux des femmes, mais aussi de la " dive bouteille " partagée avec les copains...nous fait également croiser ses autres compagnons de route: Perros, Dhôtel, Cingria, Joseph Joubert, etc.
Il est aussi question des femmes, et de la femme aimée, Claire, au loin...et de ce corps déjà souffrant de ce lointain cancer...
Toujours attentive aux écrits de Jean- Claude Pirotte, je l'ai toutefois découvert fort tardivement , dans des circonstances - limites: en le croisant dans les boites de la dernière chance de ma médiathèque où l'équipe sort du fonds, les ouvrages anciens, plus ou jamais empruntés, vendus symboliquement 1 €....
Ce qui fut le cas pour ce pauvre
" Mont- Afrique"....
J'ai ainsi découvert un poète et un style incroyablement musical ou subitement, tombant dans la dérision et les pieds de nez d'un gamin joyeusement indiscipliné !
Le titre semble nous promettre des horizons lointains...nous réalisons
très vite que ce nom géographique n'est qu'un trompe- l'oeil, qu'un miroir aux alouettes, un retour plus de 20 ans après, sur les lieux de l'Enfance ,et des jeunes années du narrateur...période des paradis
perdus évocateurs des moments de bonheurs fugaces...
Difficile de décrire l'univers de Pirotte: comme un Cioran plus "joyeusement désespéré" !...
Un style singulier, merveilleux nous emportant sur les fleuves
" Littérature, bistrots , Camarades , Poésie et mondes fictionnels..." !
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Magnifique texte posthume où si l'ombre et l'approche de la mort s'y profilent, l'auteur célèbre les paysages jurassiens, la nature, le vin et la poésie, ainsi que l'amour de la vie...et de l'amitié !
"J'aime le vin parce qu'il m'est étrange, parce qu'il m'est amilier, parce qu'il incompréhensible et fabuleux. J'aime le vin parce que je ne peux m'empêcher d'aimer les hommes." (p. 46)
Un texte très épuré, où Jean-Claude Pirotte exprime également à plusieurs reprises son admiration pour l'écrivain , Joseph Joubert, dont il découvrit en 1954, un "Choix de pensées"...
Les mots de Pirotte se suffisent à eux-mêmes...il suffit de se laisser bercer par leur musique unique...
"Poète d'une littérature d'ébriété et d'émiettement, Jean-Claude Pirotte a construit sa propre légende, celle d'un errant misérable, tirant tous les diables par la queue,âme sensible et souffrante, enfermée dan un corps malade à qui le tabac et le vin,les livres, la vie fragile des hommes, les étoiles et les paysages, donnaient quelques joies durables et des raisons, sinon d'espérer, du moins supporter -L'épreuve du jour-, pour reprendre le titre d'un de ses premiers et très beaux livres. Maintenant qu'il n'est plus là, il demeure ici.
Et c'est bien l'extraordinaire magie des livres que d'être de vivants tombeaux grâce auxquels, toujours, on peut entendre la voix de celles et ceux dont les yeux sont désormais clos et les bouches muettes. "(p. 11) [Philippe Claudel, septembre 2015]
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Drôle d’été !
Le narrateur a tout quitté, y compris lui-même : « mon projet, c’était l’indifférence, le détachement, l’abêtissement, la prostration, l’évanouissement social, l’abandon, l’annulation de ma personne. Rien à voir avec le suicide ».
Rien que ça !
Hem, ça commençait bien. Voilà notre homme dans la campagne, pas loin de battre la campagne lui-même.
Faut dire qu’avec son projet, il a un sérieux arriéré…
On comprend au fil des pages qu’il a connu un traumatisme profond, et que son amour perdu à la suite de ce traumatisme le tourmente nuit et jour. Cette Hélène le hante, c’est sûr. Et puis il entend continuellement un rire de jeune fille, et entrevoit une silhouette de jeune fille aussi, aux longs cheveux retenus dans une queue de cheval.
Il a élu domicile dans une grange abandonnée, au pied d’une décharge désaffectée, loin de toute civilisation. De temps à autre, il se rend au village, à la petite ville la plus proche, pour renouer avec la non-folie.
Voilà, le mot est lâché : de migraines en hallucinations, sonores et auditives, de raisonnements boiteux en lâchage de phrases insensées, le déséquilibre mental de l’homme flirte effrontément avec la démence.
J’ai très moyennement apprécié ce roman, même si son style poétique est magnifique. Mais ici, très peu pour moi, je n’ai pas accroché à l’histoire, aux élucubrations psychologiques auxquelles il fallait m’accrocher pour tenter de suivre.
Et pourtant, la nature, omniprésente, offre un écrin à cette histoire d’homme seul et malheureux.
Désolée, je n’ai pas eu la force ni la patience de me laisser séduire. Un autre Pirotte m’attend dans ma PAL, peut-être qu’avec celui-là, la magie prendra. Je l’espère, parce que les auteurs belges, en général, me ravissent, à commencer par la fille de celui-ci, Emmanuëlle, dans son roman « Rompre les digues ».
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Ce dernier texte de Jean-Claude Pirotte invite le lecteur
à ce voyage sur la corde raide des plis et replis d’une mort
prévue.
Le vieil homme atteint d’une longue maladie soliloque.
L’écrivain Pirotte passe du " il " premier chapitre au " je"
dès le second chapitre dévoilant ainsi qu'il s'agit d'un auto-
portrait.
Rien de morbide ni de complaisant dans ce livre qui se
donne pour un roman et qui révèle en réalité des passages
philosophico-poétiques sur la souffrance et sur la condition
précaire de l'individu.
Pirotte cite Joseph Joubert :
" En effet, note Joubert, je ressemble en beaucoup
de choses au papillon. Comme lui j'aime la lumière,
comme lui j'y brûle ma vie, comme lui j'ai besoin pour
déployer mes ailes que dans la société il fasse beau
autour de moi et que mon esprit s'y sente environné
et comme pénétré d'une douce température, celle de
l'indulgence. J'ai besoin que les regards de la faveur
luisent sur moi."
Nous trouvons également des réflexions sur le retour
à l’enfance non dénué d'une lucidité certaine.
Jean-Claude Pirotte devient son propre scribe.
" Portrait craché " constitue un Véritable Ode à la littérature.
À noter également le regard justement acerbe de J-C Pirotte
sur notre société, de la place qu’y occupe l’informatique
considéré comme nouveau moyen d’aliénation de l’humain,
de la fascination de l’écran et du clavier dont est victime le
plus grand nombre.
Cette littérature soigne, apaise, désennuie, et permet,
dans la mesure de l'mpossible, de tenir la dragée haute à la
souffrance.
Pirotte cite Joseph Joubert :
" En effet, note Joubert, je ressemble en beaucoup
de choses au papillon. Comme lui j'aime la lumière,
comme lui j'y brûle ma vie, comme lui j'ai besoin pour
déployer mes ailes que dans la société il fasse beau
autour de moi et que mon esprit s'y sente environné
et comme pénétré d'une douce température, celle de
l'indulgence. J'ai besoin que les regards de la faveur
luisent sur moi."
L'humour ‒ glaçant certes ‒ n'est jamais absent :
" L’homme est d’une maigreur que nous qualifierons
d’intéressante, la cortisone l’ayant privé – ou quasiment –
de ses muscles, il reste un squelette bien dessiné, qui
conserve une peau juste un peu fripée aux articulations."
Et le livre s’achève par ces lignes bouleversantes sur le
silence et l’absence car il s’agit alors :
" d’accueillir la mort et en quelque sorte de lui faire place nette ".
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Voilà un recueil de poèmes original, déjà dans sa démarche: Jean-Claude Pirotte a accepté , en 2004, de se prêter au jeu d'une collaboration avec les musées des techniques et cultures comtoises, afin de laisser une trace de ces paysages un peu oubliés, en raison de l'exode rural. La Franche-Comté est une région qu'il a bien connue. Ce qui est particulier aussi, dans l'évocation du village de Fougerolles, c'est le fil conducteur poétique, emblème du lieu....la cerise!
Ce joli petit fruit rouge va en effet apparaître très souvent, ou être suggéré, à travers les textes, par exemple par le biais de l'eau-de-vie qu'on en tire, le kirsch...Comme à son habitude, Jean-Claude Pirotte évoque des amis poètes, ou des auteurs qu'il affectionne.J'ai particulièrement aimé un texte évoquant les baladins d'Apollinaire. Humour et dérision, nostalgie et tendresse se retrouvent ici encore.
" Rue de la Cerisaie pense à Tchekhov
à l'amertume à la douceur des soirs
aux reflets sourds des fruits sur le dressoir"...
Le poète regrette que la campagne comtoise soit à l'abandon; un très beau poème , dont voici un extrait, rend compte de cet amer constat:
" le pays que j'habite est un pays perdu
comme tous les pays que le siècle déserte
avec les vieux clochers les murs qui se délabrent
et les pommiers tordus redevenus sauvages"...
J'ai aimé parcourir les paysages franc-comtois, cueillir la cerise avec le poète, souvenir des étés et de l'enfance, charnue, suave, sensuelle...
" chaque cerisier me rappelle
les maraudes et la lumière
des vergers et le chant du ciel
et le silence des étangs
de Fougerolles au printemps"
Magnifique, non?
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Ce recueil a été écrit peu de temps avant le décès en 2014 de Jean-Claude Pirotte, entre 2010 et 2011. Le mot " mort" y est omniprésent.
Mais qu'on ne se méprenne pas: le poète fait la nique à cette mort prochaine, par l'humour, l'auto-dérision :
" en ouvrant la valise
on n'a trouvé qu'un poème
le corps gisait dans le fossé
sous un buisson de vipérines"...
Cependant, la nostalgie de l'enfance est présente aussi, surtout dans la partie" les ombres d'autrefois", comme toujours dans la poésie de l'auteur, c'est cet aspect que je préfère chez lui:
" pour l'enfant le temps ne passe pas
Il se souviendra pourtant
du tilleul dans la cour d'école
et d'un soleil peint sur un mur"
Il convoque ses amis les poètes comme Jean Follain ou Pierre Morhange, il s'associe avec eux pour célébrer la poésie, tout en gardant un regard humble sur son travail. J'aime cette modestie, cet air de ne pas y toucher. Mais on sent bien comme il est attaché aux mots:
" La nuit quand je pense à la poésie
Je ne peux ne peux pas dormir"
Un recueil où se mêlent légèreté et angoisse, ironie voilée de mélancolie, jeux sur les mots et intensité gravée dans l'instant présent, bientôt perdu...
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Alors que les métastases envahissent peu à peu son corps, Jean-Claude PIROTTE essaie de se frayer un chemin dans le brouillard que fut sa vie. Assis à sa vieille table de travail, il décortique ses notes dans les carnets qu’il noircit d’encre depuis son plus jeune âge. Rebelle, il s’est parfois détourné du droit chemin. Mais à fréquenter les voyous et les livres, il s’est forgé de solides amitiés et des amours littéraires indissolubles. Pourtant, au soir de sa vie, ce qui le taraude, c’est la culpabilité, celle de s’être fourvoyé dans un mariage sans amour, celle de n’avoir pas su veiller sur les êtres dont il était responsable.
Beaucoup de poésie dans ces pages écrites avec la vérité de celui qui se sait condamné. Des souvenirs épars, bons et mauvais, des aveux, qui raniment les vieilles haines, les premiers amours, les amitiés, les passions. Et survolant tout cela, la seule, l’unique, la toujours fidèle littérature : Chardonne, Mac Orlan, Desnos, Dhôtel pour alléger les moments de peine et partager les joies.
S’accusant de tous les maux, PIROTTE ne se laisse rien passer et pourtant, sa vie chaotique sa vie de nomade, n’est-ce pas cela qui a nourri son œuvre, qui a fait de lui le poète, l’écrivain qu’il est?
La vie est un brouillard mais parfois, une lueur vient en éclairer la noirceur et cette lueur, c’est l’écriture.
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J'apprécie beaucoup ce poète belge, décédé en 2014. J'ai déjà cité plusieurs de ses textes sur Babelio mais c'est le premier recueil que je lis de lui, le plus récent, les poèmes s'échelonnant entre 2008 et 2012, donc fort peu de temps avant sa mort. En lisant sa biographie, on peut dire qu'il a eu une vie riche, aventureuse, parsemée de voyages et d'échanges.
Les mots qui me viennent à l'esprit pour qualifier la poésie de Jean-Claude Pirotte sont: générosité, auto-dérision, humour, nostalgie, angoisse...
Générosité de l'homme, qui aime le partage des mots avec d'autres poètes, dont il convoque certains vers dans ses propres textes et à qui il les dédie:
" Toi Paul-Jean, qui fus en Arles
contempler les Aliscams
je t'écoute encore quand
des lointains bords tu me parles"
Auto-dérision et humour, qui semblent exorciser les peurs, notamment celle de la mort:
" Ne bousculez pas la table à poèmes
les vers tomberaient par terre
briser du vers cent ans de malheur
et qui lirait les vers cassés?"
Nostalgie et angoisse, et je trouve que c'est à travers ces thèmes que le poète me touche le plus, les images du passé qu'il magnifie, cette griffe amère de la mort qui l'atteint presque et qu'il pressent, l'enfance qui le hante... Ses mots me poignent, me pénètrent de leur intense émotion.
Et je ne résiste pas à l'envie de vous citer , en guise de conclusion,quelques vers d'un poème que j'ai posté en entier , il y a quelques temps, c'est mon préféré et il fait justement partie de ce recueil, il m'a atteinte au plus profond du coeur:
" Je t'aimerai toujours chantait mon amoureuse
et le vent tournoyait autour des jupons clairs
et la mer se levait dans un grand souffle d'ailes
et les moulins soumis tendaient leurs toiles bleues
le ciel se déversait sur les toits éblouis
le polder était jaune et la mer etait verte"...
Sublime!
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Déniché cet ouvrage en décembre 2014, en fouinant dans le fonds " Littérature " de la Librairie Tschann- Paris - Débuté en 2014 et repris en octobre 2022
"Maintenant que des dizaines de volumes tous précieux l'ont rejoint dans ce logement de la dernière heure sans doute, il se sent à nouveau rassuré, presque euphorique, et les manifestations de la douleur semblent se raréfier, voire disparaître. Que cela se révèle plus tard une illusion ne le contrarie pas.Les livres sont des analgésiques. Il leur attribue ce rôle d'adoucisseurs de la maladie avec une foi de prosélyte. "
Je me permets de débuter par cet extrait des plus explicites de cet ouvrage très particulier, puisqu'il est le dernier de cet auteur, qui se battait vaillamment contre un cancer très agressif, avec déformation faciale, compliquant à l'excès le quotidien le plus élémentaire du peintre- poète ; Boire, se nourrir relevaient de l'exploit journalier de sa volonté..
.C'est sûrement pour cette raison que dans un premier temps j' ai mis de côté ce texte, très éprouvant, à première vue!
En le reprenant, j'ai lu tant d'autres choses : l'Amour de la vie, de l'humour, de la poésie, l'évocation de son enfance, de ses amoureuses, de ses amis...et cet amour fou pour la Littérature....qu'il doit sûrement, en bonne partie, à ce grand-père maternel, épatant, qui le " nourrit " en livres et auteurs les plus éclectiques !
Ce grand-père, quelle belle figure d'intelligence et de gaieté, fâché avec sa fille aînée, la mère de l'écrivain, très belle femme, bourgeoise froide, distante, confiant son fils à des " nounous- mégères " ( selon le qualificatif de l'auteur !)...il tombe malade car on lui interdit de voir son grand-père et on l'empêche de lire !...
Un médecin bienveillant, comprenant les " maltraitances" vécues par ce jeune
garçon, se fâche contre les parents, en établissant une ordonnance peu banale : "des fortifiants, des livres et la présence de son grand-père !..."
Dans cet univers toxique et mal-aimant, les Livres seront vraiment comme une révélation et un bonheur de chaque heure, jusqu'au bout de sa vie... !
Et c'est que nous voulons retenir de ce récit bouleversant: un Ode aux Livres et à la Belle Littérature...qui transportent, subliment tous les malheurs ,tous les chagrins et même la Maladie...!
"Et la lecture prend le pas sur la douleur, on dirait presque qu'elle la maîtrise, sans cesser de l'évoquer par un silence habité. La littérature, que le monde aujourd'hui méprise, est la seule sauvegarde. Il suffit de quelques lignes souveraines et modestes, et le ciel change de couleur. Il y a comme un parfum de résurrection (...)qui réveille les sens et apaise le coeur.Les mots vont bien au-delà d'eux-mêmes, et leurs échos nourrissent l'esprit qui était " en proie aux longs ennuis", et qui s'éveille enfin donnant les images salvatrices. "
Jean-Claude Pirotte rend hommage à de nombreux écrivains, chers à son coeur comme Joubert, Henri Thomas, Prevel, écrivain ami d'Antonin Artaud...
Il ne verse jamais dans la complainte ou l'apitoiement ; il utilise la double utilisation du " Je" et du " Il", la troisième personne comme si il se mettait à distance, comme si il s'observait !
J'enchaîne avec "Mont-Afrique" et attends avec impatience une commande d'un de ses textes plus anciens: " La Pluie à Rethel"...pour poursuivre ma connaissance de cet écrivain- poète et artiste peintre.. rendant merveilleusement..et au centuple ,son amour des mots et de la Littérature. Un " généreux passeur" !...
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Drôle de petit livre. Drôle de très beau petit livre.
Ou si la fuite, l'errance ou une certaine forme de vagabondage étaient le trousseau de clefs qui permet d'ouvrir toutes les portes de l'esprit, des sentiments, des regrets, des remords...
Récit qui oscille entre réalité, imaginaire et même une certaine forme de délire.
Comment se retrouver sauf en allant plus loin, faire d'autres rencontres, découvrir d'autres lieux qui ne sont tous, peut-être, que les acteurs des souvenirs.
Avec une langue gorgée de poésie, l'auteur nous donne d'imaginer, nous aussi, l'itinéraire de cet homme-errant, ses vérités, ses mirages...
N'espérons-nous pas tous regagner" notre combe", finalement ?
Ce livre est un récit à interpréter, chacun, selon nos bagages...
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RÉCITS INCERTAINS
" Provisoirement absente des aîtres " la mort s'est finalement invitée chez Jean-Claude Pirotte.
Ce dernier nous a quitté le 24 mai dernier. Il eu l'élégance de partir le jour anniversaire de la naissance de son illustre confrère, lui aussi, et poète, et peintre, et né à Namur : - Henri Michaux -, a vu le jour (ou la nuit) le 24 mai 1899 -.
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La fort agréable de recevoir il y a quelques jours, dans ma boite aux lettres, en provenance de la cité phocéenne, d'un ami bouquiniste- écrivain…une nouvelle publiée par le Groupement de Libraires L'oeil de la Lettre,en 1992, qui était offerte à l'occasion de « La Fureur de lire » de cette année-là. Nouvelle extraite de « Récits incertains » , paru peu de temps après, aux éditions le Temps qu'il fait »… Comme ma précieuse plaquette était hors-commerce, je la rattache à son recueil définitif et commercialisé…
Le titre, Tio Pepe, fait référence à un célèbre vin espagnol… notre auteur apercevant un café nommé ainsi, y pénètre… sollicite ce fameux breuvage…mais pas de chance, il n'y en a pas. L'appellation du bistrot était dû au précédent propriétaire…Il entre dans ce petit café, observe les clients, se perd dans ses rêveries, songe, réécrit la rencontre de Héraut de Seychelles avec le vieux Buffon, évoque l'écriture et le souhait de rendre par les mots un texte qui ressemblerait à un tableau…Il évoque le Grand Buffon… des digressions éclatées sur l'écriture, le saisissement du présent par les mots, tout en tentant de le rendre aussi lumineux qu'un tableau… On ne s'étonne qu'à moitié puisque notre écrivain-poète était aussi peintre…
« Tio Pepe
J'aimerais bien pourtant que ce que j'écris là soit un peu comme une peinture, avec de l'ombre, des couleurs dans la gamme des terres, terre de Sienne, de Cassel, terre brûlée, terre verte, et quelques personnages repérables non menacés de disparition. »
Merci à l'ami phocéen de m'avoir fait connaitre ce court texte…poétique, mystérieux ,de Jean- Claude Pirotte, qui au fond de ce petit café de province, se perd dans des digressions littéraires , artistiques…et son propre chemin… sa jeunesse qui fuit, ses souvenirs, etc.
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« Ce que je me dis à moi-même
jamais ne passe mes lèvres
de ce que je lis dans les livres
ne naît pas l'oubli de mes peines
or mes peines sont ordinaires
pourquoi résisteraient-elles
à la grâce d'un vol d'oiseaux
sauvages au bord du ciel
Les oiseaux migrateurs sont loin
la peine toujours se réveille
et je ne peux tendre la main
qu'à cette ombre inconnue qui m'appelle »
C'est par ce magnifique poème que débute La boîte à musique de Jean-Claude Pirotte, recueil publié en 2004 au éditions de la table ronde. Cet écrivain, aujourd'hui disparu, qui fut aussi artiste peintre, demeure une des très grandes figures de la poésie francophone.
Jean-Claude Pirotte fait usage de mots simples pour évoquer le passé, l'enfance, les êtres chers et les inconnus, les lieux traversés qui ont marqué son regard, sa sensibilité. Écrivain souvent en mal d'identité, il cherchait confusément à mettre de l'ordre dans sa vie. C'est dans l'écriture, les mots et leur rythme qu'il trouvait un peu d'exactitude existentielle.
« Nous n'avons que le temps d'un poème écrit
à la hâte et nous serons vieux dans l'instant
[…] »
Dans son oeuvre, Jean-Claude Pirotte se livre toujours à la charnière du vécu et de l'écriture. Dans sa poésie, une sensation de douceur affleure, comme si celle-ci était partout présente au monde mais aussi vouée à disparaître.
Écrire comme on parle(rait) à quelqu'un, lire Pirotte, c'est comme prêter l'oreille à une voix fantôme qui hante son souvenir et l'enchante de sa présence.
« quand les soirs gris cendré s'emparent de novembre
et que la lampe est grise et que le coeur est gris
et que vers le couchant les combes se démembrent
entre les longs brouillards qui préparent la nuit
nous gagnons lentement le silence des chambres
où sombrent les secrets des anciens jours de pluie
et l'eau dormante et trouble des miroirs où tremblent
l'ombre des disparus et l'ivoire des lits
nous peuplons nos décors de fantômes et d'âmes
étranges sans savoir qu'ils nous sont fraternels
nous redoutons d'entendre un impossible appel
et craignons de surprendre un reflet qui révèle
cette obscure présence insistante des mânes
dont le souffle nous frôle et l'exil nous alarme »
Pleine d'hommages et de références à des amis poètes (Henri Thomas, Armen Lubin, Jean Follain, André Dhôtel,…), touchante, la poésie de Jean-Claude Pirotte est légère et désespérée. Entre passé et présent, elle célèbre sur un mode mineur les écarts, les interstices, les recoins où se logent les traces du quotidien mais aussi les souvenirs enchantés et les regrets éternels. Elle se garde des excès, n'insiste pas, demeure sincère toujours.
J'apprécie beaucoup cette écriture. Il y a en elle une indéfectibilité, une présence faite d'images et d'impressions fugaces mais qui marquent la sensibilité, même après avoir refermer le livre.
« il y avait toujours des enfants
dans ce petit coin de vent triste
à l'ombre d'un talus très nu
surmonté d'un vieux mur oblique
restait le butoir d'une ancienne voie ferrée
où s'était garée la locomotive imaginaire
de l'enfance et le vent pensif et lent
tournait autour de son fantôme
aujourd'hui je suis revenu voir
si c'est toujours la même souffrance
légère et tendre de s'asseoir
au pied du talus quand le soir descend
je n'ai surpris qu'une petite fille elle danse
toute seule on ne l'attend nulle part
personne ne sait comment elle s'appelle
ni quel dieu lui fit don de ses ailes
(ces lieux abandonnés) »
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Comme l’a déjà fait Jean-Claude Pirotte, il écrit son journal qui commence ici en mars 2010 par une violente vindicte sur Sarkozy, et se termine le 16 juin 2011.
Journal plein de références littéraires mais emprunt d’une grande tristesse et d’une certaine amertume.
Dans sa maison de douane désaffectée au cœur du Jura, il s’exprime avec poésie et nostalgie.
Vieillissant et malade, il est comme désabusé de tout : sa sante, la société, la politique, les poètes d’aujourd’hui, la télévision, ses écrits et ses peintures.
Outre sa grosse colère contre Sarkozy, qu’il ne ménage pas, on sent l’homme dépressif qui n’a plus grand espoir en la vie.
Un livre enrichissant mais pas bien gai.
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Dès les premières pages du recueil "Le très vieux temps" l’écriture de Jean-Claude Pirotte délivre un parfum de désenchantement, d’une irrépressible nostalgie qui déborde toute sa pensée, qui porte en elle tout le poids d’une réalité et d’un temps qui passe, inexorablement.
"Les arrangements avec le temps
ne sont pas de tout repos
il passe et c’est fatigant
de le regarder passant
c’est aussi épuisant
de ne pas le regarder
du reste on ne le voit pas
il passe inaperçu" […]
Pourtant, face à cet accablement, à cette usure de l’être, pas de renoncement ; dans de nombreux vers, il s’agit de chercher, de s’enquérir encore de ce qu’il reste de bonheur à dire, à vivre. L’écriture de Jean-Claude Pirotte se nourrit aussi de la légèreté du rêve, des souvenirs d’enfance, des êtres chers disparus, des amitiés (littéraires) nombreuses, tout ce qui fait l’infime et belle empreinte de nos vies.
"Le très vieux temps c’est aujourd’hui
que se bousculent les images
c’est aujourd’hui que le passé
devient l’ombre de l’avenir
et que le monde délaissé
cherche éperdument à revivre" […]
Dans des paysages perdus, un temps passé, laissés à l’abandon dans la mémoire et l’imaginaire, "l’enfance est là fraîche et vermeille" qui fait toute la poésie de Jean-Claude Pirotte, poignante et sensible.
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Jean-Claude Pirotte est une perle noire.
Profondément enraciné dans l'humain,
ce poète est un habitant de son monde
du monde.
Il sait faire preuve d'une lucidité empreinte
d'humour.
Il manifeste une ironie souvent féroce,
teintée malgré tout de bienveillance.
Jean-Claude Pirotte se trouve être un errant
sachant que le départ de cette terre n'est
jamais bien loin, mais qui à sa façon
« habite poétiquement la terre. »
Il n'oublie pas de jouer avec la couleur bleue :
« et le ciel qui verse du bleu sur les murs
de la pluie bleue comme les corsages
et les soirs bleus comme des yeux d'enfant sage »
À propos de la mort, il signe :
« J'aurai passé ma vie dans les nuages
ma mère me morigéna toujours
j'écrivais des dizains page après page
où l'horreur se combinait à l'amour
où la mort enfin montrait san visage
j'espérais du ciel une pluie d'images
mais de la terre je n'attendais rien
je ne pleurais pas aux enterrements
à l'église je priais comme un chien
fou de rage avide de mauvais sang »
«…
il faut apprendre à désapprendre
la vraie syntaxe est le temps comme il vient
se souvenir meubler l'attente »
et s'inventer le jeu du rien »
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Jean-Claude Pirotte n'a pas son pareil pour vous embarquer en ballade dans les paysages lumineux, d'une douceur mélancolique où ils convoquent tous les auteurs qu'ils aiment, Chardonne, Perros, Dhôtel et vous les fait partager. Et la beauté de son écriture alliée à son oeil de peintre fait que l'on garde longtemps en bouche la saveur de ses textes qui rappelle un vieux cognac ambré.
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Recueil de poèmes a destination des enfants qui est paru peu après la disparition de Jean-Claude Pirotte, comme un ultime message pour raconter la vie, ultimes quatrains de ce poète.
"Je me souviens de mon école...."
et voici les mots qui s'enchaînent pour dire l'essentiel et semble répondre à un questionnement, donnent comme un conseil
devant ton écran tu es séparé
de tous tes copains qui sont mal barrés
il vaut mieux courir au fond des forêts
pas besoin de clic ni de chien d'arrêt
l'enfance, la nature tout semble positif et heureux mais aussi la triste réalité qui rattrape l'enfance
quand les gendarmes sont venus
mon père était à demi-nu
on l'a bouclé dans un charter
et renvoyé vers la misère
Ainsi va la vie et la poésie... Par petites touches le poète nous laisse un joli message
Mais si je vais au paradis
ce sera comme un samedi...
Doux, triste, savoureux.... Agrémenté des peintures de Didier Cros, des animaux et la nature tout en noir et blanc ( surtout noir)
Très belle édition que cet ouvrage chez Motus.
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