Ce qui est amusant avec ce texte, c’est que je l’ai découvert il y a une dizaine d’années, alors que j’étais au collège : une amie devait le lire pour sa classe et l’avait amené avec elle pendant les vacances. Le soir, nous en lisions quelques pages. Et je vous avoue qu’à l’époque, je l’ai détesté ! Je ne comprenais pas, l’histoire me semblait loufoque, l’écriture plate, etc. Et maintenant que je l’ai relu, je me demande comment j’ai pu passer à côté à l’époque ! Une preuve encore que la maturité littéraire s’acquiert petit à petit, et que les goûts changent …
Car cette lecture fut un vrai plaisir, et la confirmation que Boris Vian est un auteur incontournable dans la littérature française. Un roman qui n’a pourtant eu aucun succès du vivant de l’auteur, devenant un classique bien après, comme souvent ! (Vian est entré dans La Pléiade en 2010, ce qui est original pour un homme qui semblait faire des pieds de nez à toutes les institutions rigides que compte la société.)
L’histoire prend place aux États-Unis, dans un pays où Vian n’a jamais mis les pieds mais qu’il se fait un plaisir de réinventer pour nous. Un pays où le jazz enchante les soirées dans les clubs et autres cabarets. Ce jazz qui rythme la vie de Colin et de Chloé, nos deux amoureux de L’écume des jours. En quelques pages, Vian campe son petit monde : un univers absurde où évoluent des personnages banals, de Colin, assez riche pour ne pas avoir à travailler, à Chick qui se ruine pour acheter tout ce qui concerne l’œuvre de Jean-Sol Partre dont il est l’admirateur éperdu. Ces deux copains tombent amoureux en même temps de deux belles jeunes filles. Mais rapidement Chloé commence à s’étioler, et les médecins diagnostiquent un nénuphar poussant dans son poumon droit. Colin va alors tout faire pour la sauver alors que son monde s’écroule autour de lui …
"C’est drôle, dit Chick, on a l’impression que le monde s’étrique autour de soi."
Avec une grande poésie, une langue magnifique qu’il maîtrise à la perfection et avec laquelle il joue sans cesse ("L’homme à chandail blanc lui ouvrit une cabine, encaissa le pourboire qui lui servirait pour manger, car il avait l’air d’un menteur."), Boris Vian nous offre une des plus belles histoires d’amour de la littérature. Colin, dans sa fragilité et son amour, ne peut sortir de ma mémoire, et j’ai l’impression de l’entendre encore répondre à quelqu’un qui lui demande à quoi il occupe sa vie : "J’aime Chloé, et c’est assez." Chaque phrase se fait l’écho d’une grande sensibilité et touche en plein cœur, le plus beau étant peut-être la petite souris grise qui nettoie les carreaux jour après jour pour faire entrer le soleil, et finit par demander au chat de la tuer pour ne plus avoir à regarder la tristesse de Colin augmenter jour après jour.
Au-delà de ce thème récurrent de l’amour, Vian en profite pour aborder d’autres aspects de la société qui lui tiennent à cœur. Par exemple, les personnages finissent tous par avoir des problèmes d’argent, Colin doit même travailler pour payer les fleurs qui sauveront Chloé, mais aucun travail n’est valorisant, les travailleurs sont comparés à des machines.
"Ils travaillent pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler."
La religion est également bien écornée : sans argent, l’enterrement est bâclé, l’homme n’est pas respecté. Le Christ lui-même s’anime dans l’église, s’anime et demande à Colin pourquoi il n’a pas donné plus d’argent pour l’enterrement. Le message est clair …
Œuvre surréaliste, magique, incroyable, L’Écume des jours crée un univers aux codes différents du nôtre, mais cohérent en lui-même. En tout cas, elle entre dès à présent dans mon palmarès, dans mes livres à relire encore et encore. Et je ne peux que vous inviter à le découvrir sans tarder …
A écouter : Chloé de Duke Ellington, qui aurait inspiré à Vian un de ses personnages et son histoire …
Lien :
http://missbouquinaix.wordpr..