Narguer, c’est aussi résister et en matière de résistance rien, jamais, n’est négligeable !
La vie, c’est forcément autre chose. Il lit, s’intéresse à tout, et particulièrement à la France, symbole de liberté avec les grandes dates qui jalonnent son histoire : déclaration des droits de homme, abolition de l’esclavage, Révolution et mise à bas des tyrans, victoire desdreyfusards, sans oublier la Commune de Paris qui fait rêver Lénine et ceux qui, à l’est, construisent un monde qu’ils espèrent nouveau.
Mais la France, pour Michel, c’est le modèle original, le creuset, la matrice : pas question d’aller voir ailleurs. Ce sera là ou nulle part.
Michel est finalement radié de l’ordre des médecins.
Un coup de plus, mais quel coup ! Ces nuits d’études, ces diplômes durement acquis, son rêve de rendre par l’exercice de la médecine ce que ce pays lui avait donné : envolé ! À quoi bon être venu de Roumanie, avoir bravé tant de dangers pour gagner la plus belle démocratie du monde… qui le rejette avec mépris et devient une dictature ?
Arriver de Roumanie, c’est presque un exploit. « Ils sont passés ! » « Passés », c’est partir du Moyen Âge et arriver directement aux Temps modernes ou peu s’en faut. « Passés », malgré toutes les embûches installées devant votre berceau, et celles qui se présentent tous les jours de votre vie. C’est bien difficile à expliquer.
Tenir, toujours le maître mot. Ne jamais mettre un genou à terre sous les assauts conjugués de la terreur, de la fatigue et de la résignation qui touchent parfois même les plus forts.
Un médecin ne peut pas se permettre d’être sale, ni même négligé. Il a vu une photo où l’un de ses confrères, par ailleurs écrivain, apparaissait mal rasé. Il en a été choqué. Pourtant, il a adoré le livre de ce docteur Destouches dit Louis-Ferdinand Céline. Son roman Voyage au bout de la nuit ressemblait à une plongée libre dans la médecine des dispensaires de banlieue, l’horreur de la misère ouvrière, et même une vigoureuse dénonciation du colonialisme.
On ne fait pas l’apprentissage de la liberté, on découvre simplement, ou pas, qu’on en a – enfin ! – l’usage. Aller où bon vous semble, sortir quand l’envie vous en prend, ne pas être confiné dans « une zone », un quartier, un ghetto. Ne pas être arrêté à des barrages volants. Ne pas présenter sans cesse ses papiers, se justifier, demander des autorisations. Ne pas être frappé et insulté par la première brute en uniforme dont vous croisez le chemin…
Comme pour certains autres jeunes médecins – pas tous, hélas –, l’hôpital est un moyen de briser la solitude de l’exercice privé. On ne peut que les en féliciter.
Il ne veut plus de ces amours sans véritable amour. L’amour, c’est forcément autre chose, un engagement complet, une connivence, une osmose, une complicité et une évidence : quelle qu’elle soit, ce sera « elle », la seule, l’unique.Et pour toujours.
La façon dont un homme seul range son appartement en dit toujours assez long sur lui.