Alors le roi appelle Girflet et lui dit : « Allez à ce tertre, où vous trouverez un lac et jetez-y mon épée, car je ne veux pas qu'elle reste en ce royaume, pour que les mauvais héritiers qui y demeureront n'entrent pas en sa possession. — Sire, fait-il, j'obéirai à votre commandement, mais j'aimerais bien mieux, si vous le vouliez, que vous me la donniez. — Je ne le ferai pas, dit le roi, car elle ne serait pas bien employée en vous. Alors Girflet monta sur le tertre, et quand il fut près du lac, il tira l'épée du fourreau et se mit à la regarder. Et elle lui parut si bonne et si belle qu'il pensa que ce serait grand dommage de la jeter en ce lac, comme le roi l'avait commandé, car ainsi elle serait perdue ; mieux vaut qu'il y jette la sienne et dise au roi qu'il lui a obéi ; alors il détache son épée et la jette dans le lac, et il repose l'autre dans l'herbe ; alors il revient auprès du roi, et lui dit : « Sire, j'ai fait votre commandement car j'ai jeté votre épée dans le lac. — Et qu'as-tu vu? demande le roi. — Sire, je n'ai rien vu, qui ne soit bon. — Ha ! fait le roi, tu me tourmentes ; retourne là-bas, et jette-la, car tu ne l'as pas encore fait.»
L’histoire conte que, au moment où il retira la lance, un rayon de soleil passa à travers la plaie, si clairement que Girflet le perçut ; les gens du pays dirent de ce prodige qu’il avait été le signe de la colère de Notre-Seigneur.
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Ainsi le père tua le fils et le fils blessa le père à mort. Quand les hommes du roi Arthur virent leur roi gisant sur le sol. Ils furent accablés par le chagrin à un point difficile à concevoir. « Ah ! Dieu, se lamentaient-ils, pourquoi permettez-vous cette bataille ? » Ils se lancèrent alors contre les hommes de Mordret : ceux-ci en firent autant, et ils reprirent la mêlée mortelle, si bien que, avant la fin de l’après-midi, tous étaient morts, à l’exception de Lucan l’Echanson et de Girflet.