Quand j'ai quitté une carrière éphémère de peintre pour me consacrer à corps perdu à ma vocation de potier, j'avais le sentiment de franchir un pas vers le haut, mais j'étais bien le seul à le penser. Ce que je cherchais dans mes toiles, je devais parvenir à le mettre dans un bol.
Je ne conçois pas de création au tour qui n'ait au moins la mémoire d'une fonction. J'aime le bol qui matérialise l'ancien geste des deux mains jointes en demi-sphère pour recueillir l'eau. En le portant à ses lèvres, les mains, les coudes sont symétriques, le regard plonge lentement à l'intérieur lorsque le bol s'incline sur l'axe de la lèvre inférieure pour offrir son contenu. Boire dans un bol est une communion. La tasse, tenue par l'anse entre pouce et index, qui permet au petit doigt de se relever avec distinction et laisse une main libre pour accompagner la conversation, est une mondaine. Le bol est monacal, il peut aussi être royal.
La peinture procède par addition, la sculpture par soustraction; dans le tournage, la forme finie n'a ni plus ni moins de matière que la masse informe prélevée au tas de terre. Le mouvement du tour lui a donné la vie. Ce passage de la matière à la forme n'a rien d'une construction, ni d'une érosion ou d'une destruction.
C'est une naissance.
Partout dans le monde, l'homme est né d'une boule d'argile pétrie par le Créateur.