Jean Marie Goulemot : L'
amour des bibliothèques
Depuis les salons de Fondation
suisse de la cité universitaire internationale de Paris, devant la
peinture murale du Corbusier,
Olivier Barrot reçoit
Jean-Marie GOULEMOT qui présente son
essai "L'
amour des bibliothèques" (Editions le Seuil).
Jean-Marie GOULEMOT parle de son
amour des bibliothèques et surtout de la lecture. Il explique tout ce que lui a apporté la lecture au cours de sa vie...
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La présence de références cléricales dans le titre constitue une espèce de garantie : elle confirme qu'il s'agit bien d'un ouvrage licencieux qui joue de deux interdits, l'un sexuel et l'autre religieux. De tels titres veulent signifier au lecteur […] qu'ils promettent les plaisirs d'une double ou triple transgression.
C'est dire que le roman au XVIIIè siècle a mauvaise conscience de devoir s'avouer comme fiction, invention et mensonge. La seule façon pour lui de répondre à ses détracteurs, c'est de dissimuler ce qu'il est, de se donner pour la description sans apprêts d'une histoire qui se serait réellement passée. […] A sa manière, tout auteur de roman s'efforce de masquer la fiction qu'il offre au public. […] A en croire leurs auteurs, les romans seraient autant de manuscrits trouvés dans des malles – preuve qu'ils ne visaient pas la publication -, de mémoires authentiques écrits au seuil de la mort par des êtres au destin social ou amoureux digne de l'intérêt du public, ou encore de lettres échangées et dont les liasses ont été découvertes par hasard, dépoussiérées et mises en ordre par l'éditeur, qui n'a pas pu résister au plaisir de les offrir au public.
[...] Enfin n'oublions pas que Fragonard a illustré, entre autres, le Roland furieux de l'Arioste (1474-1533), les Contes de Jean de la Fontaine, le Don Quichotte de Cervantès. Selon son petit-fils Théophile, Fragonard est passé de mode quand il se consacre pleinement au dessin d'illustration. Ce travail a commencé bien avant cette époque de mutation du goût pictural entraîné par le retour à l'antique des années 1780. L"émigration, le règne de la vertu imposé par Robespierre, ont modifié en profondeur le marché. Les polissonneries ne trouveront plus d'acheteurs avant le Directoire. Le goût du plaisir n'est pas absent dans les années révolutionnaires, mais il n'est pas bon de l'exhiber ou d'en tirer gloire. La bourgeoisie triomphante et les révolutionnaires les plus radicaux dénoncent le libertinage comme un vice aristocratique. [...]
Lecture et livres (p. 56)
Le discours du roman pornographique fait figure de hors-sujet. Il suspend le récit et distrait l’intérêt du lecteur. Il lui fait abandonner le monde du désir pour l’introduire dans celui de la compréhension et de la réflexion.
[…] « Mais si la lecture est soupçonnée de pervertir, de manifester des désaccords avec l'ordre et la morale établis, elle est source de plaisir et d'évasion. Cet état de grâce que confère la lecture se traduit par des portraits de lectrices, abondants dans l'oeuvre de Fragonard. Le catalogue Rosenberg en propose de nombreux exemples. Tout d'abord le plus rayonnant peut-être, « La Jeune Liseuse », une belle jeune fille de profil, la tête inclinée vers le livre qu'elle tient de sa main droite, la gauche posée sur la table devant elle, le dos appuyé sur un coussin moelleux, tout vise à rendre l'intensité et le plaisir de lire. Pourtant ses joues sont bien rouges. A quoi rêvent-donc les jeunes filles qui lisent ? » [...]
Lecture et livres (p. 52)
J'ai passé plus de temps à lire en bibliothèque qu'à manger, à fréquenter les cinémas ou les musées, à prendre des vacances au bord de la mer. Et, pour finir ces énumérations comptables, j'ai sans nul doute connu plus de bibliothèques que de femmes.
Parlons maintenant de ce voyage du Moyen-Age à la Restauration, en tous ses modes et tout ses états. (...) On parcourt des déserts, on franchit des fleuves, on se risque dans les ravins, on traverse des forêts. On n'en finit pas de marcher, de naviguer, d'escalader, d'ouvrir de nouvelles pistes ou de chausser les sandales des ancêtres voyageurs. Le voyage est toujours initiatique, semé d'épreuves et peuplé de rêves. Qu'il prouve sa vaillance à la semelle de ses bottes, qu'il voyage à dos de cheval ou de chameau, par terre ou par voie d'eau, avec ou sans le secours de puissances occultes ou d'animaux fabuleux, le voyageur des récits de fondation est un héros. (...) Autant dire qu'il n'est d'humanité que voyageuse, parfois avec un but, toujours ivre de son dépaysement, angoissée de se perdre, et pourtant en quête du monde et de soi-même.
L’histoire du voyage est, en dernière analyse, une histoire du regard.