Dans les Alpes ou le Grand Nord, accroché aux parois du Mali ou saisi dans les cascades d'Ecosse, j'ai découvert la beauté, la grandeur, ma précarité d'homme. J'ai exulté et j'ai eu peur, j'ai apprécié chaque seconde de la vie en me contraignant à ne point trembler quand je côtoyais la mort, toujours si proche, mais toujours si incertaine et si écartée.
Je fais corps intimement, totalement, avec le monde. Je suis une parcelle vivante et pensante de son alchimie compliquée.
Apparemment, nulle flétrissure ici due à la civilisation ou au galop sauvage du progrès. C'est trop loin des terres repérées par les massacreurs de sites. Trop pauvre et rude aussi pour espérer y faire un argent massif et rapide. L'altération de la nature ne semble pas l'obligation première des peuplades intégrées, tout au contraire. L'homme ne se cache pas derrière ses murailles de béton, d'orgueil ou de repli sur soi.
Égoïste, isolé, l'homme ici ne vivrait pas six mois.
Pas plus qu'ils [les Touaregs] ne comprenaient pas notre folle envie d'annexer la face sud, ils n'ont pas compris notre déception de l'abandonner invaincue. Nous avions de l'eau dans nos gourdes, de la nourriture dans nos sacs, des véhicules pour franchir l'Afrique, des tentes où dormir, et surtout, le temps de ne rien faire. Un monde qu'ils ne possèderaient jamais. Ils nous regardaient avec leurs yeux de pitié. J'avais envie de leur dire qu'ils ne pouvaient pas comprendre.
Et puis j'ai vu leurs mains tannées, leurs visage tannés, leurs vêtements qui nous déconcertent. J'ai vu leur fortune, limitée à un chameau, croisé leur regard où, depuis toujours, se lit de la souffrance et une certaine résignation ont allumé cette bougie d'orgueil et je me suis tu.
C'est moi qui ne comprenais rien.
N'allons-nous pas chercher là-haut un pouvoir surnaturel ?
Si physiquement l'humain pouvait vivre dans le silence reclus de l'océan, nul homme mieux que les Touaregs ne saurait dignement peupler le mystère de ce monde-là.
.. Mon salaire se limite le plus souvent à un morceau de saucisson, à un fruit séché, à un regard d'homme heureux d'être grimpé si haut. Mais bon Dieu, que j'aime ce saucisson, ce fruit et ce regard !