Jean Marie Lustiger
Alain DUHAMEL rencontre pour la deuxième édition de l'émission le
Cardinal Jean-Marie LUSTIGER, archevêque de Paris, dans la salle de réunion de l'archevêché du diocèse de Paris, un dimanche de Pâques. Sont abordés successivement trois thèmes liés au parcours de l'invité : l'Eglise
catholique et les jeunes à propos des Journées Mondiales de la Jeunesse, le pontificat de
Jean-Paul...
« A-t-on le droit d’apposer sur un portail gothique des sculpture moderne ? Une église doit-elle mourir en se figeant sur un monument de son histoire, avant l’écroulement final ? Ou doit-elle continuer à vivre comme elle a vécu, c’est à dire en se transformant ? »
Alain Peyrefitte.
C'est la chose la plus douloureuse que je suis en train d'évoquer : je suis persuadé qu'il y a parmi vous bien des parents qui ont eu la tristesse de voir leurs enfants s'éloigner de la foi. Peut-être s'interrogent-ils sur les raisons et les circonstances qui ont amené un tel éloignement.
Il ne faut pas juger des choses sous une forme de responsabilité personnelle. Aucun de nous ne doit, ce soir ni demain, ressasser : "C'est de ma faute." Après tout, vous n'en savez rien. (...) Ce que vous avez pu faire pour vos enfants, Dieu seul sait quels fruits cela portera dans l'avenir. Mais, globalement, quand la rupture de la foi épouse la rupture des générations, il y a un drame.
Vous me direz : "Nous n'y pouvons rien : c'est ainsi dans la société civile." Réponse : c'est un défi. Prenez-vous par la main, vivez de la foi, aidez-vous les uns les autres, engagez-vous fortement, faites preuve d'initiative. (...) Cela dépend de ce qui est important pour vous. Je vais être très brutal : qu'est-ce qui est le plus important ? D'avoir une promotion dans sa vie professionnelle ou bien de faire en sorte que son foyer ne soit pas détruit, que les enfants aient un père et une mère présents ... ?
La société dans laquelle nous vivons ne nous rend pas la tâche facile. Nous avons à nous poser des questions plus radicales que jadis. (...)
Qui se dérobe ? Est-ce Dieu ou est-ce vous ? Et si les jeunes n'ont pas les témoins qu'il leur faut, est-ce la faute des jeunes ? Ils ne sont pas ce que vous attendiez et ce que nous attendions, c'est vrai. Mais pour eux aussi la vie n'est pas facile. Croyez-vous qu'il soit facile d'avoir une discipline morale et spirituelle dans un univers où l'on est complètement assailli par les sons, les images, les obsessions de la sensibilité ?
Je voudrais pouvoir prendre chacun de vous par la main et vous mener exactement à l'endroit, juste au moment. Je voudrais que vous effaciez tous les bruits, même ces chants que nous avons entendus. Je voudrais que nous fassions silence. Je voudrais que nous nous reposions un peu. Et que nous regardions avec les yeux de la foi ce moment et cet instant. Il n'est pas seulement présent dans notre mémoire comme un souvenir. Aujourd'hui, dans les rumeurs de la ville qui battent les portes de cette cathédrale, il surgit comme un événement nouveau qui nous sollicite, qui nous engage, qui nous saisit.
Oui, je voudrais vous prendre par la main et vous faire oublier que c'est la nuit de Noël. Ne vous donnez pas à vous-mêmes, d'avance, l'idée de ce qu'il faut savoir la nuit de Noël. Mais taisez-vous devant Dieu qui se tait. Acceptez qu'il vous dise quelque chose que vous n'avez jamais entendu. Fermez les yeux pour voir une autre lumière. Acceptez qu'elle vous révèle ce que vous n'avez jamais vu. Alors que vous pensez déjà savoir le secret de cette nuit, admettez que vous ne savez rien encore de ce qui peut vous advenir. Car votre vie est devant vous et Dieu est la vie. Et la vie vient jusqu'à vous. Acceptez la grâce d'être là en cet instant et en ce moment où l'amour se fait si proche, et pourtant se dérobe.
Pour peu que vous ayez des enfants et que ceux-ci n'aient pas été entièrement fidèles à ce que vous avez voulu leur transmettre, pour peu que vous soyez dans un milieu de travail quelconque et que vous ayez une vie sociale normake, vous voyez bien que, croyants, vous êtes souvent seuls et à contre-courant. J'ajoute qu'il faut s'attendre à ce que les chrétiens soient presque obligés de devenir des anticonformistes.
Je crains que beaucoup aujourd'hui ne soient déformés dans leur comportement religieux par l'habitude du « self-service » et les commodités de la « supérette » ou des centres commerciaux. Surtout à Paris où les églises sont nombreuses. Je m'explique : les grandes surfaces offrent les horaires d'ouverture les plus larges, présentent les articles les plus demandés et s'adaptent aux goûts du plus grand nombre. Et cela pour satisfaire, conquérir et conserver leur « pratique » (ce qui signifie « clientèle », consultez votre dictionnaire). De la même façon, d'aucuns s'attendraient à trouver à tout moment dans les églises les articles de consommation religieuse adaptés à la demande de tout un chacun, conformes aux désirs des « pratiquants ». Eh bien, mes amis, cette comparaison est fausse. Les « pratiquants » ne sont pas une « pratique », ni la messe une « prestation » modifiable au gré des indications du « marketing ».
Ceux d'entre vous qui ont l'habitude des problèmes d'urbanisme savent bien qu'on parle d'"équipements collectifs". Parmi les équipements collectifs , il y aura une école, des commerces, une piscine, un stade, c'est-à-dire des lieux prestataires de services, à la disposition du public. Pareillement, il faudrait une église pour répondre aux besoins religieux de la population. La paroisse serait l'équipement qui permet de répondre aux demandes multiples d'un certain public potentiel. On pourrait dire qu'une église marche si, comme un grand magasin, elle est suffisamment bien achalandée et ouverte pour la satisfaction des besoins.
Je ne veux pas poursuivre dans cette direction. Car l'église, la paroisse, ce n'est pas un équipement à la disposition de qui veut bien s'en servir. C'est d'abord la responsabilité que le Christ fait reposer sur vous, en vous demandant, à vous, d'être l'Eglise.
La manière dont le langage religieux, celui de la Bible, celui de l'Eglise, imbibe la culture, l'économie, la politique prouve que nous vivons sur un certain fonds culturel chrétien. J'ai donc du mal à parler de "déchristianisation". Vous savez d'ailleurs que c'est la Révolution française qui a inventé ce mot : il s'agissait de supprimer, en 1793, toute référence chrétienne dans les moeurs, les usages, les répères du temps, etc... On voulait "déchristianiser" la culture française. Cela a échoué parce que c'est impossible, car le christianisme est inscrit au plus profond de notre culture, la culture française.
Cela ne veut pas dire que la foi soit omniprésente, ni la pratique religieuse majoritaire. C'est une autre affaire !
Disons les choses simplement : il faut que vous lisiez l'Evangile ensemble, et pas seulement le dimanche. Il faut que vous vous donniez les moyens de lire la Bible, de prier : c'est une nourriture sans laquelle votre foi va défaillir.
A cette époque, je voulais être médecin. Parce que c'était la meilleure façon de servir les hommes. Mes parents m'avaient appris que, si nous étions considérés comme différents des autres, c'est parce que nous devions être meilleurs et plus justes, que nous devions servir tous les hommes, défendre les pauvres et le malheureux. Et pour "servir les hommes", je ne voyais pas de meilleure manière que d'être médecin. C'était ... enfin, c'était l'hypothèse du moment. Ou alors, grand écrivain, comme Zola, pour défendre les opprimés.
Vous-mêmes, vous êtes porte-parole de Dieu puisque vous êtes chrétiens.