Jules Verne ne cesse de vouloir modifier la vision, trop optimiste à son goût, qu'il a donnée de la science dans ses premiers romans. Il n'y parvient pas. On ne l'écoute plus. S'il appartient toujours aux enfants, les parents formés à sa lecture ont fait leurs l'enthousiasme et les passions de l'écrivain. Devenus adultes, ses premiers lecteurs continueront de justifier toutes leurs décisions, aussi brillantes ou sottes soit-elles, au nom du progrès futur, un credo que l'auteur, à sa manière, a bien contribué à établir.
Chapitre IV, "Le sceptique de la science"
Hetzel, comme tous ceux qui, avec lui, défendront un enseignement laïque, gratuit et obligatoire, est convaincu que la victoire républicaine passera par la définition d'une morale destinée à la jeunesse. Depuis son retour d'exil, il multiplie les publications en direction d'une audience familiale. Pour lui, la morale ne s'arrête pas à l'enseignement de préceptes, comme ceux donnés dans les "compositions nigaudes" de la comtesse de Ségur. Il ne veut pas faire un enfant-roi, mais préparer un citoyen libre. Pour cela, l'enfant doit recevoir les informations nécessaires à une solide connaissance du monde moderne, dans le domaines scientifiques et historiques.
En 1863, la littérature pour jeunesse est encore aux mains de l’Église ; son principal représentant est l'éditeur Mame, à Tours. Hetzel bouillonne, enrage, fustige "ces plumes mercenaires qui font métier d'écrire à la douzaine ces livres sans goût ni parfum, ces livres plats et sans relief, ces livres bêtes" que l'édition religieuse réserve aux enfants.
Chapitre II, "Les voyages extraordinaires"
[à propose de l'éditeur de Jules Verne, Pierre-Jules Hetzel]
R.S. : Comment avez-vous pu faire ce que vous avez fait sans études scientifiques d'aucune sorte ?
J.V. : J'ai eu la chance d'entrer dans le monde à un moment où il existait des dictionnaires sur tous les sujets possibles. Il me suffisait de trouver dans le dictionnaire le sujet sur lequel je cherchais un renseignement, et voilà. Bien sûr, avec mes lectures, j'ai relevé quantité de renseignements, et comme je l'ai dit, j'ai dans la tête des petits bouts d'informations scientifiques. c'est ainsi qu'un jour, dans un café à Paris, alors que je lisais dans "Le Siècle" qu'un homme pouvait voyager autour de la terre en quatre-vingt jours, il m'est immédiatement venu à l'esprit que je pouvais profiter d'une différence de méridien et faire gagner ou perdre à mon voyageur un jour dans son voyage. Mon dénouement était tout trouvé. L'histoire a été écrite longtemps après. Je garde à l'esprit des idées pendant des années - quelquefois dix ou quinze - avant de leur donner forme.
"Témoignages et documents"
[Extrait d'un entretien de Jules Verne avec Robert Sherard]
J.V. : Non, je ne peux pas dire que je sois particulièrement emballé par la science. En vérité, je ne l'ai jamais été : c'est-à-dire, je n'ai jamais suivi d'études scientifiques, ni même fait d'expériences. Mais quand j'étais jeune, j'adorais observer les fonctionnement d'une machine. Mon père avait une maison de campagne à Chantenay, à l'embouchure de la Loire, et à côté il y a l'usine d'Indret qui appartient à l’État. Je ne suis jamais allé à Chantenay sans entrer dans cette usine et regarder els machines fonctionner, debout pendant des heures. Ce goût m'est resté toute la vie et aujourd'hui, j'ai toujours autant de plaisir à regarder une machine à vapeur ou une belle locomotive en marche qu'à contempler un tableau de Raphaël ou du Corrège. Mon intérêt pour les industries a toujours été un trait marquant de mon caractère, aussi marquant, bien entendu, que mon goût pour la littérature dont je parlerai tout à l'heure, et que les plaisirs que me donnent les beaux-arts et que je ressens dans chaque musée ou galerie : oui, je pourrais dire toute galerie d'art, quelle que soit son importance en Europe. Cette usine d'Indret, nos excursions sur la Loire et les vers que je griffonnais constituaient les trois principaux plaisirs et occupations de ma jeunesse.
"Témoignages et documents"
[Extrait d'un entretien de Jules Verne avec Robert Sherard]
Jules Verne travaille obstinément à sa documentation : "Avant de commencer à écrire" mes histoires, je prenais de nombreuses notes puisées à toutes sortes de livres, de journaux, de revues ou de comptes-rendus scientifiques. Son champ d'investigation est fait de toutes les découvertes de son époque. Son action est de leur donner un prolongement futur.
Chapitre II, "Les voyages extraordinaires"
Comment définir l'autorité? Le mot latin autor a donné en français "auteur" et cet autor vient du verbe latin augeo qui veut dire augmenter [...]
Qu'est-ce donc, maintenant, qu'un auteur? Quelqu'un qui augmente: celui qui vous augmente, qui fait grandir le lecteur ou qui enrichit la matière sur laquelle il travaille: l'augmentateur. Jules Verne m'a augmenté. La seule chose que je puisse dire avec autorité sur lui, c'est qu'il a été pour moi un auteur; de la lecture de ses livres, je suis sorti grandi, adulte. Mieux savant et enthousiaste du monde. Jetez par la fenêtre toute œuvre qui ne vous augmente pas. Refusez toute autorité à qui n'augmente rien ni personne. D'où, chez lui, tant de récits où le héros se révolte contre l'autorité abusive, l'impérialisme britannique aux Indes, par exemple.
Malgré les réticences du père autoritaire, ancien ministre d'un régent en fuite, et d'une mère qui murmurait au scandale tout au long des couloirs du manoir danubien, leur fils Aladar reçut leur bénédiction. Ce qui dans cette société n'eut été que la fantaisie passagère d'un fils étudiant, si l'histoire planétaire n'avait rebattu les cartes et pris pour mise le pauvre petit pays qui pesait pois chiche, cette fois s'éternisa. La comtesse Scholl von Scholl accorda à la jeune puéricultrice, secrétaire intermittente, un entretien d'une heure dans son boudoir, suivi d'un déjeuner en famille dans la salle à manger prévue pour trente-huit convives, où ils n'étaient que quatre, le comte, la comtesse, le jeune comte Aladar et sa belle. Violette jubilait, certaine d'avoir obtenu un assentiment familial chaleureux, et toute impressionnée, elle ne voyait rien de ce qui n'était que la levée à contrecœur d'un veto qui, en d'autres temps, aurait scellé son destin devant la porte close du manoir, raccompagnée à la grille du parc donnant sur le Danube par un maître d'hôtel dévoué insensible à ses larmes.
A table, Christian essayait d'engager la conversation sans obtenir d'autre réponse que, J'ai pas envie de parler, ou, J'ai rien à dire. Il ne fallait pas parler du passé, il ne fallait pas évoquer Agathe. Si Christian parlait de la maison, des travaux et des plantations d'arbres, elle disait que cela ne la regardait pas, s'il parlait de musique, elle disait qu'elle ne comprenait pas, s'il parlait des voisins, elle répondait:
- J'ai assez parlé dans ma vie avec les paysans.
- Ah bon, raconte, maman.
- Qu'est-ce que tu veux que je raconte, c'étaient les paysans du village.
- Vous parliez de quoi?
- De rien, des enfants, vous étiez tous ensemble à l'école.
- Ah oui, je me souviens, le fils Magloire.
- Fiche-moi la paix, j'ai pas envie de parler!
Que reste-t-il au plus grand nombre, aussi humble et modeste que soit son exigence, lorsque tout est balayé par l'incertitude, les turpitudes boursières, le chômage produit par les profits inégalement répartis et les convoitises produisant les guerres? Le remède à ce triste spectacle, c'est l'enchantement de ce qui reste sacré. L'émerveillement devant la nature, la vie qu'elle produit. L'enfant qu'on voit grandir. Le plaisir de l'éduquer... Tout cela balayé pour le plus grand nombre ! Certes, la nature aussi à ses dangers. C'est peut-être d'ailleurs la seule fatalité. Mais ceux qui y vivent avec elle, et non contre elle, peuvent conjurer la fatalité. L'humanité l'a démontré.
Distinguons donc la science patente, par exemple la biologie des poissons, chez Nemo, l'astronomie de Black, la géographie ou l'entomologie de Paganel, que tout le monde voit et qui ennuie le lecteur souvent: jamais intéressante parce que l'auteur la recopie sans qu'elle entraine l’œuvre littéraire. Le lecteur se moque qu'il sache par cœur la classification des poissons ou celles des strates de la Terre, copiée chez Boucher de Perthes ou ailleurs. Loin de la science, voilà du pur plagiat, charge pesante pour le texte et non son moteur, d'invention ou d'allure. Le moteur seul passionne, car il entraîne, fait courir de l'avant et donne au récit vent arrière.