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Citations de Jean-René Augé (5)


Lisette n’a que 7 ans. Et encore…
Elle ne les fera que dans quelques jours…
Sa petite vie derrière elle ne lui a donné à aimer que la rondeur des collines qui entourent Corbère-les-Cabanes et les roches fières de la montagne qui montent dans le ciel. Ah cette montagne !…
On la voit qui s’élève un peu floue dans le lointain avec ses ombres et ses reflets. Elle étale à ses pieds un foulard de chênes, une couverture, plus haut, d’arbres dispersés et de petits buissons, la nudité enfin... Plus haut que ce nu de pierre, la neige brille sous les vapeurs du soleil matinal. Loin de fondre, de rouler sur les pentes, de gonfler les rivières, la voilà qui s’amuse. Sous le feu du soleil, elle devient artiste, miroir, sans qu’un regard de femme ne vienne s’y plonger. Quand le miroir est grand, la beauté se disperse. Du moins le pense-t-on. Mais le penser dans les campagnes au sud de la France, c’est déjà le savoir. Seule une lumière blanche ose s’en approcher. Elle naît de partout, ricoche sur le froid et tombe sur la plaine. Il paraît qu’aux premiers beaux jours, la roche s’illumine. Des centaines d’éclairs viennent vous aveugler. Après, l’habitude s’installe et on ne voit plus rien. Oh ! tout est là…
Pas un seul de ces feux ne s’est vraiment éteint. S’il n’y a plus de neige, il reste le quartz et l’eau sur lesquels la lumière ricoche toujours. Tout est là, mais le regard lui, n’est plus le même. Il faudrait être un étranger. Avoir la chance de tout revoir comme aux premières fois. Et c’est peut-être pour ça qu’ici, on se méfie de ceux qui arrivent d’ailleurs. Les étrangers…
Le printemps n’avait pas été des plus doux. Il y avait vraiment de quoi surprendre et chacun y était allé de sa petite explication. Le froid était resté après bien des années passées durant lesquelles, les vieux, pour une fois d’accord, avaient acquis la certitude que la terre se réchauffait. « La Baratine » était de ceux qui savaient qu’elle allait exploser. Dans un siècle. Deux peut-être. Enfin… Juste le temps pour lui de ne plus être là. Alors, il racontait, lui qui savait, ce qu’il s’était passé. Les guerres qui n’étaient plus des guerres. Les étoiles poubelles. Les expériences dont on ne parlait pas. Et son doigt tremblant se plantait dans le ciel. Il ne vous montrait rien. Il n’accusait personne. Ce doigt dans les nuages, c’était prendre à témoin les anges et le Bon Dieu. S’il avait menti, il ne l’aurait pas fait.
« La Baratine »…
Ce n’était pas son nom. Juan, Pedro, Barthélemy…
Oui. C’est ça… Barthélemy. Mais on avait oublié. Il avait quitté l’Espagne à l’âge de rien du tout sans aller beaucoup plus loin que la frontière et son prénom ne l’avait pas suivi. Ici, au Perthus, il était « La Baratine », du nom de ce bonnet catalan, presque phrygien, qu’il portait encore aujourd’hui. « La Baratine » avait connu deux guerres. La vie d’avant et celle d’après…
Avant, il y avait le chemin qui montait, la chapelle accrochée sur la pente et le banc bien plus haut. Un banc de pierre sur lequel il attendait un dernier jour qui tardait à venir. « Réservé aux anciens combattants ». Et les touristes qui passaient maintenant, regardaient en souriant ce vieillard au bonnet rouge. Assis. Seul. Sur son banc réservé. Avant, il y avait aussi des amis pour s’asseoir avec lui. Il y avait l’alcool. Le vin rouge grenache vieilli en tonneau espagnol qu’ils buvaient en cachette. Il y avait le tabac. Le « gris » sec que le vent dérobait au moindre tremblement. La cigarette roulée qui s’enflammait d’un coup pour s’éteindre aussitôt. Avant…
« La Baratine » compte du bout des yeux, les étés qu’il ne verra jamais. Chaud ou froid, son hiver est toujours là, et quand tout s’arrêtera, il y aura toujours le banc, les escaliers de pierres qui vont de la ville au parking. Il y aura aussi toute une ribambelle d’enfants, garçons et filles, arrière-petits-enfants que trahit déjà une mémoire trop pleine…
Lisette court. Elle a toujours cru qu’arrivée sur les cimes, elle pourrait toucher la lune sans autre effort que de tendre les bras. C’est possible. Elle le sait. « La Baratine » le lui a dit. Elle pense au vieil homme, elle rit, accélère sa course puis s’arrête. Fatiguée, elle n’ira pas plus loin. L’enfant respire. Gourmande. L’air est une sucrerie. Un plaisir parfumé au thym, au laurier, au fenouil, avec un petit quelque chose qui rappelle la résine des pins. Elle ferme les yeux. Elle écoute. Elle sent. Et tout le paysage qu’elle connaît par cœur renaît derrière ses paupières basses. Comme sur un écran…
Le vent est allé chercher, pour la lui ramener, l’odeur piquante, presque gênante de la terre brûlée. Les fumées dansent de l’autre côté de la plaine, bien après Perpignan et des insectes têtus les transpercent. Lisette les devine, jaunes fades, sales, disparaissant au-dessus du brasier, jusqu’à ce que l’averse arrive. Une pluie retenue qui tombe d’un seul coup, un arc-en-ciel et tout qui s’évanouit. Les insectes ressortent du brouillard. On les voit disparaître, à saut de Canadair et revenir plus tard, le ventre bien rempli d’une eau qu’ils iront encore cracher presque inutilement sur les garrigues. Les premiers incendies viennent de naître et il y en aura d’autres.
Ici, le vent et la chaleur n’ont jamais fait très bon ménage. Mais au diable le feu. Tinou ne risque rien. Tinou, c’est un petit lapin blanc qu’elle tient et qui pend ridiculement désarticulé, contre sa jambe. Une peluche borgne qu’elle aime par-dessus tout et qui sent bon le parfum de maman. Ce matin, elle en a pris quelques gouttes. En cachette. Coquette. Sentir bon, c’est déjà être grande…
Ayant repris son souffle, elle revient sur ses pas. Elle n’allait jamais bien loin. La montagne, elle l’escaladera demain et une fois de plus, la lune que lui avait promise « La Baratine » attendra. Le « Canigou », c’est ainsi qu’on appelle ces crocs de roche enneigés qui pointent vers le ciel, est différent à chaque mois de l’année. Le soleil d’aujourd’hui accentue l’ombre de ses vallées, la découpe de ses pierres, oui mais voilà…
La neige est toujours là…
Lisette est debout sur la vigne au-dessus de chez elle et ses bras croisés en berceau inventé balancent lentement.
« Dors Tinou… Endors-toi… »
Mais le lapin cyclope ne ferme pas son oeil. Elle se retourne vers le hameau, maisons éparpillées dans les creux et sur les bosses d’un relief capricieux. Elle, elle habite là. En contrebas. Dans cette maison qui porte, en guise de girouette, un drapeau rouge et jaune ramené du pays de grand-mère et de « La Baratine »… Pluie après pluie, jour après nuit, cette étoffe qui coiffe la cheminée, claque sur elle-même, aussi vite que peut tourner le vent. Et tourner avec lui, c’est lui donner un nom…
Le drapeau vers la mer qui s’étire et qui crie, voilà la tramontane, le souffle qui énerve. Les couleurs qui se lancent à l’assaut de la terre, il y a du marin. L’air poisseux qui côtoie les bateaux s’égare dans les villes. Sous l’un ou sous l’autre, les chênes se mettent à chanter. Les oiseaux effrayés s’échappent de leur nid et leurs ailes pressées se blessent aux branches labyrinthes. Une cloche sonne. Mariage peut-être, et l’écho des ding dong réveille les collines. Le clocher en est si fier qu’il paraît bien plus grand qu’aux jours où l’on ne l’entend pas. Plus loin, dressée sur un chemin qui meurt devant une dernière maison, une tour le regarde. Tous les chemins d’ailleurs finissent de la sorte : devant une maison. Chaque fois la dernière. Le hameau est un cul-de-sac. Une vingtaine de maisons. Pas plus. Des vieilles qui ont connu des temps de belles au bois dormant, avec des herbes et des ronces pour leur barrer la vue et des murs qui s’effritent à force d’être seuls. Des vieilles réveillées par des princes maçons. Et des neuves aussi. Bien plus claires. Bien plus confiantes, sur des terrains si grands qu’elles ne se voient pas…
Plus bas, un camion s’essouffle sur le lacet de la route. Lisette le regarde et lui ne la voit pas. C’est Henri. Le maçon…
Vers midi, les voitures reviennent. Une dizaine pas plus. Ce n’est pas comme à la ville. Elles sont si rares qu’on les remarque plus…
Une branche craque. Lisette sursaute…
L’homme marche lentement. Il descend un sentier qui contourne la vigne. Maladroit, il se tord la cheville sur une motte de terre. Lisette essaie de ne pas rire. Il la regarde. Tant pis, elle rit. Ses cheveux pailles fines agacent ses grands yeux...
Elle est mignonne. Imitation parfaite d’une femme réelle. L’homme sourit…
Elle ressemble à sa mère. Plus douce encore. Plus fragile. Si facile à avoir. Il suffit de la prendre…
L’homme s’approche. L’enfant sourit…
– Tu es tombé en panne, demande-t-elle…
Et en plus…
Elle sent bon…
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José s’est installé un peu plus loin, à l’écart, comme s’il avait été chez lui. On aurait pu croire à un ami de la famille, qui regardait, juste pour le plaisir, quelques photos étalées sur la table.
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Les cahiers de la police aux frontières sont remplis d'histoires comme celle-là, qui finissent ici, dans les foyers ou les hôtels pour "sans papier" de Perpignan...
Le dernier roman de Jean-René Augé, vous entraine à la poursuite de camions qui traversent l'Europe, les remorques pleines de clandestins...
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La déposition de la mère de Lisette, faite dans la nuit, ne lui a rien appris. Une journée banale, racontée sans trop se souvenir, comme si hier, si près, avait été un hier d’il y a longtemps. Elle dort maintenant d’un sommeil de passage qu’un docteur magicien lui a fait rencontrer. Et il cherche. Seul. Dans les tiroirs. Dans les placards. Il s’attarde un peu sur de vieux courriers qui n’ont pas été jetés, il n’en lit que le début. Ne lui demandez pas ce qu’il aimerait trouver, lui-même ne le sait pas…
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Les tiroirs sont comme tous les tiroirs, lourds de papiers inutiles qu’on garde par habitude du « on ne sait jamais ». Des factures d’appareils qui n’existent plus depuis longtemps, mais qui restent là, au milieu des carnets, des adresses, des relevés de compte, des lettres et des photos qui vous racontent toujours un peu. On peut vivre comme on veut, paraître même comme un mensonge, qu’importe, nos vies s’entassent toutes dans le fond des tiroirs. C’est peut-être pour ça que les flics les aiment tant.
Jean-Luc fouille…
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Jean-René Augé
Tout est obscur depuis que tu n’es plus là !
Le dos légèrement courbé derrière le zinc, Marie d’en Paulin me regarde d’un œil attendri. Peu de clients dans le café des Sports à cette heure tardive. Seul dans un coin de la salle, un vieil homme échevelé et pauvrement vêtu sirote son Banyuls. Dehors, une voiture à bras tonne le long du Douy. De loin en loin, on entend les rires rauques de pêcheurs en partance. Un chien roux vient japper un instant près de la porte, puis s’enfuit. Des chats parcourent les ruelles, et se disputent parfois, dans un vacarme de cris, de miaulements et de pleurs. J’aime la quiétude des soirées Catalanes.
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