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5/5 (sur 1 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris , le 12/02/1888
Mort(e) à : Paris , le 20/05/1919
Biographie :

Jeanne Marais, née Lucienne Marfaing, est une romancière française.

Elle publie "La Carrière amoureuse", son premier roman, en 1911. Suivirent, en 1912, "Nicole courtisane"; en 1913, "La Maison Pascal", les "Trois nuits de Don Juan" , le "Huitième péché" (1914) et enfin "Amitié allemande" (1914), parue moins de deux mois avant la guerre, où est étudié le caractère tudesque et où en est démontré la fausseté.

Ainsi à vingt-six ans, Jeanne Marais avait publié six romans.

Elle a, durant quatre années, collaboré au Petit journal et aux Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche.

Après avoir donné une dizaine de romans spirituels et charmants, et vu s'affirmer sa notoriété, elle s'est donné brusquement la mort à l’âge de trente et un ans. Sa tombe se trouve au Cimetière des Batignolles.

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Source : Wikipedia http://librairie-hugonnard-roche.blogspot.com/2015/06/la-maison-pascal-par-jeanne-marai
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Citations et extraits (7) Ajouter une citation

La maison était équivoque et pimpante.
Plantée au fond d’une avenue déserte, elle dressait trois étages de briques vermeilles où s’entre-bâillaient des persiennes vertes, toujours mi-closes. La façade se décorait, à la manière des habitations méridionales, de bas-reliefs mythologiques : Amour et Vénus de plâtre peinturé, aux couleurs pâlies par la morsure du soleil.
Et, silencieuse, isolée, jolie, riante, — avec ses volets presque fermés qui semblaient, entre leurs rainures vertes, laisser filtrer la lueur de quelque espérance louche. — la Maison rose apparaissait étrangement suspecte et charmante.
Les passants se la désignaient d’un clin d’œil malicieux : sans qu’aucun d’eux pût se vanter d’en avoir franchi le seuil, tous soupçonnaient sa destination impudique.
Il en est de certaines demeures comme de certains visages : leur extérieur est une enseigne et un enseignement.
Cependant, malgré ses murs enluminés derrière lesquels s’abritait un murmure clandestin ; malgré les silhouettes entrevues dans l’ombre d’une fenêtre : figures fardées ; profil d’adolescent imberbe ; main robuste, main masculine aux doigts bagués, aux ongles trop vermillonnés, penchée à l’appui de la croisée ; la Maison continuait à intriguer : son ignominie devinée se rehaussait de mystère…
Car, un soir, trois jeunes gens en gaîté s’étaient décidés à entrer là, après un conciliabule hésitant :
— Bah ! on sait bien ce que c’est.
— Pourtant…
— Une concurrence à celle de la rue Neuve.
— Si nous nous trompions ?
— Allons donc !
Le plus hardi avait poussé le vantail entr’ouvert, écarté les effilés d’une portière bruissante, faite, à la mode de Provence, d’une frange de perles de verroterie enfilées.
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— Monsieur Bertin !… Je parie que mon chapeau n’est pas prêt ?
— Mais si, Madame… Mademoiselle Anaïs ! Descendez à la manutention et voyez si le béguin de Mme la comtesse de Luxeuil est terminé…
— Monsieur Bertin : cette forme ne me va pas du tout !
— C’est la garniture qui vous fait cet effet-là, Madame… À la place du chou de velours, il faudrait un petit nœud de tulle. Mademoiselle Héloïse !
Passez-moi donc la pièce de tulle amarante…
M. Bertin, le célèbre modiste de la rue de la Paix — Aimé Bertin, modes et fourrures — s’empresse autour de ses clientes. C’est la rentrée d’octobre. Les maisons de modes s’apprêtent à lancer les nouveautés de la saison 1912-1913. Les élégantes, de retour à Paris, veulent exhiber les premières ce qu’il sera chic de porter pendant l’automne ; et, par cette fin d’après-midi, les salons illuminés du coquet magasin sont bondés de femmes en toilettes pimpantes, qui jacassent toutes à la fois, sur tous les tons, dans toutes les langues ; ayant l’air — avec leurs robes de toutes les couleurs et leurs jargons discordants — de perruches de tous les pays, réunies en quelque Babel de frivolités.
Voltigeant d’une cliente à l’autre ; décidant les hésitantes ; apaisant les nerveuses ; flattant les grincheuses ; encourageant les enthousiastes qui achèteraient la totalité des marchandises, M. Bertin assiste ses vendeuses, surveille son comptable ; rectifie la courbe d’un fil de laiton ; chiffonne de ses doigts habiles un papillon de mousseline de soie, sous les yeux de l’ouvrière attentive qu’il a fait appeler au magasin ; puis, bondit soudain au comptoir afin d’acquitter une facture ; se prodiguant à droite et à gauche, vif, souple, infatigable, le regard perçant et le geste preste.
Aimé Bertin est un homme entre deux âges : on lui donnerait environ trente-neuf ans ; il en a quarante-huit, en réalité. Svelte, soigné, les traits fins et les cheveux encore blonds, il conserve la jeunesse des hommes actifs dont les affaires sont florissantes. Depuis quinze ans, cet artiste bizarre, que la nature se plut à douer d’un talent essentiellement féminin, dirige avec succès l’une des maisons les mieux achalandées de Paris. C’est lui qui dessine tous ses modèles, qui combine les mélanges de coloris, l’originalité des formes ; sa façon est renommée et copiée : il possède le génie de la fanfreluche ; bref, Aimé Bertin tient le sceptre dans le royaume des futilités.
Ce soir, il constate avec satisfaction l’affluence des clientes.
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— Mon Dieu !… Que j’aimerais à tromper mon mari ! soupira Simone Lestrange d’un air excédé.
C’était une très honnête femme. Dans tous les moments où elle se trouvait seule, livrée à elle-même, Mme Lestrange s’abandonnait aux penchants d’une vertu naturelle. L’esprit chaste et la conscience paisible, cette jolie blonde à chair calme considérait la propreté morale comme un besoin égal à celui des soins corporels.
Mais en présence de son mari, elle éprouvait de fâcheuses tentations : Armand Lestrange étant un de ces époux exaspérants qui décourageraient la fidélité d’une Lucrèce.
Égoïste, fat et maussade, il réservait pour le monde ses amabilités de bellâtre. Dans l’intimité, il se révélait exigeant, d’humeur acariâtre, mécontent de tout, s’emportant pour rien, étalant son encombrante personnalité d’individu personnel ; et sa femme, qui le supportait passivement par dédain des vaines disputes, se soulageait en murmurant in petto avec une rancune d’esclave contre ce maître horripilant :
— Dieu !… Que j’aimerais à tromper mon mari !
Elle avait patienté dix ans avant de souhaiter la revanche d’un adultère. Les souvenirs de ce mariage décevant hantaient sa mémoire, lancinants comme une migraine.
Grande, blonde, bien faite, avec un visage clair, des yeux bleus au regard doux, Simone de Francilly incarnait à dix-huit ans ce type convenu d’ingénuité séduisante tel que le conçoivent les jeunes gens lorsqu’ils décrivent la fiancée idéale.
Sur la plage où sa mère l’exhibait chaque été, les habitués qui remarquaient Simone sans la connaître l’avaient baptisée : « la Jolie Jeune Fille ». Et elle représentait à merveille tout ce que peut évoquer de charmant, de naïf, de frais, de gentiment poncif ce surnom : la Jolie Jeune Fille.
Quant à ceux qui connaissaient Mme de Francilly, ils savaient qu’elle était veuve, riche, et que sa fille, bien dotée, jouirait en plus à sa majorité de l’héritage paternel.
Parmi les villégiaturistes se trouvait un journaliste d’une trentaine d’années, Armand Lestrange, réputé pour sa beauté robuste de gaillard musclé, ses aventures tapageuses et ses opinions bien pensantes de romancier clérical. Il entendit parler de la fortune de Simone, combina le plan d’un beau mariage et s’efforça de subjuguer la jeune fille.
Simone était romanesque et candide. Comme elle avait lu les feuilletons décents qu’il publiait dans la presse catholique, Armand Lestrange fut à ses yeux : l’Écrivain ; il lui apparut dans le prestige de la gloire. Puis, la vie privée d’Armand étant beaucoup moins édifiante que sa littérature pour soutanes, la jeune fille fut séduite aussi par l’attrait irrésistible des conquêtes qu’on prêtait à Lestrange.
Peu soucieuse de la voir épouser un arriviste sans fortune et sans naissance, Mme de Francilly coupa court au flirt de sa fille. Alors Armand Lestrange profita d’une dernière entrevue pour proposer à Simone de l’enlever. Il avait su tabler sur l’imagination exaltée d’une cervelle de dix-huit ans. Simone fut toute secouée d’émotion ; l’audace de l’aventure l’enchanta ; elle ne songea guère au risque encouru puisqu’elle l’ignorait encore : les filles les plus téméraires sont toujours les plus innocentes. D’ailleurs, Armand jugea habile de la respecter. Après le scandale calculé : une nuit passée à l’hôtel d’une localité voisine — nuit de marivaudage sentimental et d’intimité chaste, — Lestrange emmena la jeune fille chez le curé du lieu à qui Simone confessa ingénument la faute qu’elle croyait commise. Le prêtre était abonné au journal de Lestrange : il ne put refuser son intervention à un défenseur de la croix ; et se chargea de négocier délicatement ce mariage devenu nécessaire. Il plaida la cause d’Armand auprès de Mme de Francilly qui s’inclina, la rage au cœur, devant l’irréparable : sa fille s’était sottement compromise.
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— Qu’est-ce donc au juste que Nicole ?
— Mon cher, vous voulez rire !… Comment ! Vous êtes chez elle, et vous demandez qui elle est ?
— Je viens ici pour la première fois… Vous m’avez fait dîner avec des rastas, des viveurs et des hommes d’esprit. J’ai goûté la saveur des vins vieux et celle des jeunes femmes ; mes voisines étalaient généreusement les charmes de leurs corsages décolletés, comme on offre les fruits d’un compotier… Bref, je pourrais me croire dans l’hôtel particulier d’une délicieuse aventurière…
— Ne vous avais-je pas dit que je vous menais souper chez la maîtresse de Paul Bernard, le richissime industriel ?
— Oui, oui… Mais, tout à l’heure, Nicole s’est approchée de moi ; nous avons causé : ses propos n’ont rien de la vulgarité de ton du demi-monde, encore moins de la futilité du monde… Ils dénotent une originalité de vues, une culture déconcertante… Et j’en suis resté tout perplexe.
— Une conversation a suffi pour vous désorienter ? Vous êtes amoureux, mon petit Julien !
— Non, c’est autre chose : j’éprouve la même impression que si j’avais bu du vouvray en le prenant pour du vin de Bordeaux… Il me semble que cette charmante courtisane ne répond pas à son étiquette. Comprenez-vous, Fréminet ? Voilà pourquoi je vous demande : qui est Nicole ?
— Une fille pas bête, une femme exquise, lancée depuis quelques années dans la vie parisienne, et sachant y marquer sa place à part. Jolie, féline, séduisante, elle a une réputation d’esprit qui n’est pas surfaite ; et les lettrés spirituels qui peuplent sa salle à manger ne sont point tenus de lui fabriquer ses mots, afin de payer leur écot. Bernard l’installa, voici cinq ans, dans ce petit hôtel des Champs-Élysées. Au début, quelques Parisiens crurent la reconnaître pour la fille d’un vaudevilliste qui eut son heure de succès : Georges Fripette ; puis, le fameux romancier Jean Claudières se targua d’avoir été son… initiateur. Mais, il y a beau temps que ces potins sont oubliés ! Claudières est mort, et Fripette a disparu, terrant sans doute ses premiers cheveux blancs au fond d’une lointaine province. Que nous importe, d’ailleurs ? Aujourd’hui, Nicole nous apparaît comme une femme charmante chez qui la cuisine est excellente. Ici, on s’amuse beaucoup mieux qu’au restaurant, et ça ne coûte rien : Paul Bernard est le seul commanditaire de la maison.
— Comment se fait-il qu’elle soit plus intelligente, qu’on la sente de plus haute race que la plupart de ses pareilles ?
— Est-ce la seule déclassée qui produise cet effet ? À notre époque — où les femmes refusent de vieillir — une jeune fille qui ne s’est pas mariée ne devient plus une vieille fille : bien souvent, elle reste fille tout court. Supposez une enfant trop libre, élevée au hasard, instruite à sa guise, par un père inconscient et prime-sautier, représentez-vous le milieu d’artistes où elle a poussé, ajoutez à cela la déception d’une première aventure ratée, et vous avez la clé de cette jolie énigme qu’est notre Nicole déroutante, ensorcelante et lettrée… Je suis un peu documenté : j’ai connu son père. Et puis, je fréquente assidûment ses salons. J’adore ce mélange de tous les mondes qui s’appelle le demi-monde. J’entre ici comme dans un magasin de nouveautés, pour avoir la surprise des rencontres, le spectacle d’une exhibition imprévue…
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— Salut, don Juan !
— Voyons, Lorderie, laisse-moi donc tranquille !
— Messieurs, je vous présente mon très cher ami Maxime Fargeau… Critique littéraire de son état et séducteur de profession : les plus belles pensées du monde dans la plus belle tête de Paris…
— Est-il taquin, ce Lorderie !
— Le dilettante de l’antithèse : garçon d’esprit, mais homme de cœur ; confrère — et fraternel… Spirituel comme une femme laide, bien qu’il soit aussi joli qu’un fat imbécile… Figurez-vous Cyrano, avec les traits de Christian… Villemessant, sous le masque de Bel-Ami… Voltaire, idéalisant son sourire simiesque sur la bouche parfaite de don Juan.
— Monsieur Lorderie, tu m’embêtes !
— Don Juan !… C’est le surnom que porte Maxime Fargeau — urbi et orbi — parce que les seules femmes qu’il n’a pas eues sont celles qu’il n’a pas voulues… Et les seules qui ne lui ont point cédé sont celles qui ne l’ont point connu…
— Assez, Lorderie !
— Pour terminer ce portrait garanti ressemblant, j’ajouterai, messieurs, que Maxime Fargeau appartient désormais à l’Écho National, où il s’adjoint à moi pour faire la chronique des livres… Tiens, appuie-toi ça, mon camarade !
Jacques Lorderie, critique littéraire de l’Écho National, saisissait, au hasard, des exemplaires de presse déposés sur une table et les lançait à la tête de Maxime Fargeau qui s’abritait de son mieux contre cette avalanche de bouquins. Les volumes encore empaquetés tournoyaient devant ses yeux et les étiquettes des librairies semblaient rivaliser d’adresse. Il reçut un Plon sur l’épaule et un Ollendorff en plein estomac ; à peine s’était-il garé, qu’un Fasquelle sournois le frappait en traître par derrière.
Maxime ramassa posément chaque projectile, et murmura avec un sourire :
— Voilà la revanche des livres… C’est bien leur tour : j’ai si souvent tapé sur eux !
C’était dans la salle de rédaction du journal. Les deux collaborateurs littéraires avaient envahi les « Informations politiques » : une longue pièce rectangulaire, égayée d’ampoules électriques et de caricatures fichées aux murs par quatre punaises. Trois jeunes gens fumaient, adossés à la cheminée, et plaisantaient avec Fargeau et Lorderie, tandis qu’un vieux rédacteur sexagénaire persistait à travailler, penché sur sa table, méditant les dépêches de l’étranger, sabrant les morasses de deleatur rageurs, et, de temps en temps, grognait dans sa barbe blanche :
— Allons, messieurs, un peu de calme… C’est assourdissant, ce vacarme !
Sur quoi, les autres poussaient des cris d’animaux, que dominait soudain la sonnerie aiguë du téléphone. Par moments, un timbre retentissait ; aussitôt, l’un des jeunes gens se précipitait vers la porte de gauche et pénétrait dans la pièce voisine : le bureau du rédacteur en chef.
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— Qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Marcel d’Arlaud avec stupeur, en commençant de lire la lettre qu’il venait de décacheter.
Sa figure exprima d’abord un étonnement indicible ; puis un sourire retroussa sa moustache ; enfin, il éclata de rire en s’écriant :
— Est-ce l’œuvre d’une farceuse… ou d’une ingénue ?
Il ajouta, ironique et perplexe :
— Est-ce une rouée de ma connaissance qui se moque de moi, ou une naïve inconnue qui ne craint pas que je me moque d’elle ?
Marcel d’Arlaud — le plus spirituel et le plus parisien de nos auteurs dramatiques — dépouillait son courrier matinal : cartons officiels, invitations mondaines, lettres de sollicitations ; le relevé du mois à la Société des Auteurs : le Mariage d’Yvette, sa pièce de la saison continuait de faire le maximum.
Il parcourait cette correspondance banale avec une nonchalance de quadragénaire blasé. Une dernière enveloppe tombait sous ses yeux — papier vergé, adresse rédigée à la machine — quelque prospectus, quelque circulaire sans doute… Il la déchirait négligemment. Or, la lettre qu’il en retirait, si inattendue, si bizarre, si cocasse, lui arrachait ces exclamations de surprise. Il la relut une seconde fois. À cette missive était jointe une photographie que Marcel d’Arlaud examina consciencieusement.
À la fin, il conclut en haussant les épaules :
— Parbleu ! Il s’agit d’une mystification : ce portrait… on dirait que c’est celui de Nelly Rosane !
Nelly Rosane était l’actrice qui interprétait le principal rôle du Mariage d’Yvette.
Il fourra lettre et photo dans sa poche en déclarant :
— On ne prend pas Marcel d’Arlaud au piège de la « réponse à une inconnue »…
L’écrivain se méfiait, d’instinct : riche, célèbre, encore jeune et séduisant, il avait tout pour être détesté. Ses comédies dépassaient couramment la centième : aussi lui reprochait-on d’avoir l’esprit facile. Il ripostait, du tac au tac : « Le propre de l’esprit facile est de déplaire aux sots difficiles. »
Or, ses envieux cherchaient fréquemment à lui jouer des tours.
— Monsieur, l’auto est à la porte.
L’entrée du valet de chambre interrompit ses réflexions. D’Arlaud songea : « C’est vrai : il faut que je passe chez le banquier. » Et, quittant le petit hôtel qu’il habitait, avenue Gourgaud, Marcel se fit conduire à la banque Salmon, rue Laffitte.
Il avait placé une grande partie de ses intérêts chez son ami, le riche financier Henry Salmon. Ce matin, il y venait déposer une quittance de deux mille francs à faire toucher pour son compte.
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Je m’appelle Nicole. Je suis née à Paris, la nuit d’un souper de centième où l’on célébrait le succès d’un vaudeville de papa, Nicolette. Comme mon père se disposait à congratuler directeur, critiques, interprètes et confrères, en un petit discours humoristique, la sage-femme fit irruption dans la salle et lui cria d’une voix claironnante : « M’sieur Fripette, c’est une fille ! »
L’hilarité qui l’accueillit dispensa papa de tout speech, ce qui inspira la pensée suivante à l’auteur de Nicolette et de mes jours : « Cette enfant me rendra heureux : elle signale sa venue au monde en me débarrassant d’une corvée. »
Il ne fallait jurer de rien, monsieur Fripette : cette enfant devait, plus tard, apprendre l’inquiétude à votre âme insouciante de pinson, qui vivait de rires comme l’oiseau de chansons.
Papa me choisit pour marraine une fée de théâtre Eva Renaud, la créatrice de Nicolette, qui me donna le nom de la pièce et voulut, la veille de la cérémonie, parodier le premier sacrement devant mon berceau : le geste bénisseur, psalmodiant un latin baroque, elle trempa ses doigts dans une coupe d’extra-dry et fit couler quelques gouttes du vin blond sur mon front, — ainsi fus-je baptisée, telle la fille de Mme Bovary.
Papa, chaque fois qu’il me rappelle l’incident, affirme : « Cette aspersion profane t’a mis un peu de Champagne dans la tête : c’est ce qui fait que ta gaieté mousse et que ton esprit pétille… »

Je n’ai pas connu maman : elle est morte quand j’étais toute petite. J’ai grandi entre papa et une vieille institutrice qui me reprochait mes idées subversives, et déclarait Molière obscène. Lorsque j’eus quatorze ans, je la fis congédier : elle partit avec soulagement, et je terminai mon instruction en lisant à tort à travers.
Papa est un être léger et charmant qui m’a armée, soignée, chérie : seulement, voilà, il a oublié de m’élever. Son esprit garde une fraîcheur enfantine tandis que, livrée à moi-même, je me suis révélée précoce : ainsi rapprochées, nos raisons déraisonnables se trouvent au même niveau. Ô le délicieux camarade !…
Il est spirituel, optimiste et frivoler. L’habitude d’écrire des pièces joyeuses lui a fait mener son existence comme une comédie bouffonne dans laquelle il s’est taillé un rôle amusant. Nous nous entendons à merveille : nos deux gaietés font tinter leurs grelots en mesure.
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