Certaines règles de bienséance ne pouvaient être transgressées. Tout reposait sur les apparences pour une femme qui espérait gagner la protection d’un mari. Sa conversation était-elle naturellement spirituelle ? Non ? Alors elle devrait y remédier. Était-elle douée en musique ? Non ? Alors elle devrait pratiquer jusqu’à paraître douée d’un talent inné. Était-elle heureuse ? Non ? Elle devrait faire semblant de l’être.
Une femme devait avoir le goût des arts, de la couture, des livres, et mettre ses talents en pratique avec délicatesse. Elle devait se comporter comme il faut même si elle souhaitait mille fois par jour faire autrement. S’y astreindre lui évitait tout simplement de perdre son rang dans la société et de devoir accepter la charité de ceux qu’elle avait autrefois considérés comme ses semblables.
Elle se sentit nerveuse et légèrement nauséeuse. Etait-ce là ce que toutes les femmes courtisées ressentaient ? Elle n'avait jamais pensé qu'affaires de coeur et haut-le-coeur puissent aller de pair.
(...) qu'est-il arrivé à Mr Collins pour qu'il nous quitte si brutalement ?
- Un accident. Il marchait vers Rosings Park pour aller présenter ses hommages quotidiens à lady Catherine lorsqu'une charrette tirée par deux mules affolées l'a percuté.
- Une charrette à mules ?
- Bien entendu, s'il avait eu son mot à dire sur sa façon de mourir, son choix se serait porté sur un véhicule de qualité tiré par un attelage de chevaux parfaitement assortis.
- Evidemment ! s'exclama Elizabeth.
Mieux vaut finir vieille fille que malheureuse en mariage.
On considère les jeunes femmes comme des bibelots à ranger bien proprement dans une armoire .
Toute famille riche et illustre ne devait-elle pas en effet contrer l'infiltration de parvenus issus des classes inférieures ?
Vous tentiez sans cesse de vous faire remarquer auprès de M. Darcy en évoquant Miss Bennet et son entourage. En croyant vous moquez d'elle, vous êtes parvenue à faire de cette femme l'objet de toutes ses pensées. Vous êtes peut-être l'entremetteuse involontaire la plus efficace de tout le pays ! ajouta-t-elle songeuse.
(Louisa Hurst à sa sœur Caroline Bingley)
Elles avaient toujours été bonnes amies, mais Elizabeth avait désapprouvé la décision de Charlotte d'épouser Mr Collins. Par ailleurs, Mr Darcy le trouvait parfaitement insupportable. Par conséquent, elles s'étaient peu fréquentées au cours des années qui avaient suivi, et cet éloignement avait desserré les liens de leur amitié.
Mr Darcy avait toujours été à ses yeux le mari idéal. Il avait toutes les qualités d'un gentleman, dans la mesure du possible. Il parlait bien, il était beau, dévoué, riche, et avait amassé son patrimoine de la plus honorable des façons - par héritage.
Caroline allait lui dire que ce qu’elle avait sous les yeux n’était rien qu’une sinistre auberge de plus, et qu’elle s’était d’ailleurs bien gardée d’implorer son pardon, mais le cocher ouvrit la porte et l’aida à sortir pour rejoindre sa mère.
— Oh, Caro ! murmura Mrs Newton en enveloppant sa fille de ses bras potelés pour la serrer contre elle. Je suis si heureuse que vous soyez là.
Caroline fut brièvement submergée par une tendresse qui lui était si peu familière qu’elle ne pouvait la définir. Elle respira profondément le parfum de sa mère, et les larmes lui montèrent de nouveau aux yeux. Elle les ferma de toutes ses forces, et s’évertua à maîtriser les émotions qui l’envahissaient.
Elle n’était pas habituée à de telles effusions en si peu de temps. D’ordinaire, elle n’avait pas besoin de partager ses tribulations et ses peurs, mais elle était tentée de le faire maintenant qu’elle se retrouvait dans les bras rassurants de sa mère.
Caroline s’arma de courage pour résister à ces épanchements, car elle était tout simplement incapable de lui raconter sans mentir l’humiliation qu’elle venait de subir.