Je suis très joueuse, en effet. Pause humoristique.
Et je n`ai pas fini de changer de genre... le terme "comédie fantastique" me convient parfaitement et ce registre, si l`on peut parler de registre, me plaît. Après deux Romans sombres, que j`avais écrits notamment pour me libérer de certaines angoisses, j`ai eu envie de rire et de faire rire. Parce que je suis heureuse, je compte rester quelque temps dans des univers qui s`approchent du merveilleux, ou qui, tout en étant réalistes, charment et amusent. Par ailleurs, j`ai un grand respect pour les humoristes, qui sont de fins observateurs. En ce moment, mon mari et moi regardons pour la troisième fois l`intégralité de la série Seinfeld. Ce qui est étonnant, c`est que plus on la regarde, plus on en comprend le mécanisme d`écriture et plus elle est drôle. C`est très compliqué, de faire rire.
Cependant, je n`ai pas dit adieu aux bas-fonds de l`âme. Par curiosité, par peur et fascination de ce qui peut nous entraîner dans l`ombre, je vais certainement me confronter de nouveau à des univers noirs un jour.
L`idéal serait de faire rire, de faire pleurer, de faire peur dans un même roman... Certains y sont parvenus (j`y reviendrai plus bas).
Un conte philosophique, adjugé ! Vous avez décidément des termes très flatteurs pour décrire ce roman. L`idée m`est venue avec, et même par mon mari, dont j`ai un jour remarqué, dans la rue, que des gens le regardaient, sans raison apparente. Nous avons alors plaisanté en imaginant la vie que mènerait un homme que tout le monde regarde tout le temps. Quand tous nos gestes sont examinés, peut-on être soi-même ? Peut-on être intègre ? Et puis j`ai imaginé la vie d`un homme que personne ne regarde jamais. Les mêmes questions se posent (Je n`ai pas inventé ces questions. Platon, par exemple, s`y est collé avec plus de brio que moi. Pas beaucoup d`humour, en revanche...). Lequel des deux est le plus heureux ? Aujourd`hui, on peut penser que tout le monde rêve d`être remarqué, même (et surtout) sans avoir rien fait. Etre vu, c`est tout. Sinon, nous ne subirions pas toutes ces émissions de bas-étage. Mais en réfléchissant, il apparaît que la liberté se trouve plus facilement à l`ombre des regards que sous les projecteurs. Ce n`est que mon avis, et c`est pour cela que j`écris, car l`écrivain a peu de chances d`être dans la lumière.
Le rôle d`un écrivain, selon moi, est d`ouvrir une fenêtre. On peut ouvrir une fenêtre sur ce que l`on veut, à partir du moment où l`on offre au lecteur un nouveau point de vue. Ce peut être sur soi-même (auto-fiction, récit...), sur un paysage (nature writing, écrivains de marine...), sur un événement ou un personnage historique, ce peut être de la pure fiction, et l`on ouvre alors une ou plusieurs fenêtres sur des personnages qui vont véhiculer des idées, gérer des situations d`une certaine manière, pour montrer que l`on peut être comme eux, on peut agir comme eux. Il s`agit alors d`une réalité alternative.
Dans le cas de L`illustre inconnu, j`ai voulu ouvrir une fenêtre sur le siècle. C`est une grande fenêtre (542 pages, il faut bien cela). C`est une double-fenêtre, d`ailleurs.
J`ai fait des recherches (ouvrages sur la Normandie, archives municipales d`Yvetot, site internet de l`Institut National de l`Audiovisuel...) pour que les deux personnages soient vraiment ancrés dans leur temps, et pour que l`on finisse par se demander s`ils ont existé. Tout est vrai, dans ce roman. Ou presque. Au lecteur de se demander où s`arrête la fiction. Mais peut-être ne faut-il pas se poser cette question, et accepter que les personnages aient leur vie propre.
La voix contemporaine est celle de toute une génération, qui est la mienne. Cette voix est encore dans l`actualité et tombera à son tour dans l`histoire avec la prochaine génération. C`est une génération qui a été relativement épargnée des épreuves difficiles, mais qui subit une morosité plombante. Nous entendons parler de crise depuis notre naissance et nous ne pouvons échapper au flux de l`information, c`est-à-dire au flux des mauvaises nouvelles, des plus anodines au plus atroces. Et nous ne faisons plus attention. Pourtant, le jeune Félix Fort, par son enthousiasme et son dynamisme, refuse de tomber dans la nostalgie ou le renoncement. Non, ce n`était pas mieux avant et non, tout n`est pas foutu. C`est maintenant que ça se passe, et c`est maintenant qu`il faut réfléchir et agir. Cette voix est celle de mon mari (je devrais peut-être lui faire remplir ce questionnaire...), qui m`a guidée, et qui m`a inspirée, en partie par sa psychologie, mais également par les aventures vécues, qu`il m`a livrées comme autant d`éléments nourriciers. Ceci dit, on retrouve sa voix avec le vieux Félix Fort également.
Le vieux Félix, né en pleine affaire Dreyfus, mort sous Giscard, a vu les transformations de la société. Il peut témoigner du fait que ce n`était pas mieux avant. Certes, la nature était plus présente, le temps plus étiré, les familles plus soudées (plus fermées, peut-être), mais cette génération a subi les deux conflits qui ont défiguré l`Europe et prélevé des vies sur tous les continents.
La dimension historique que véhicule le vieux Félix lui confère, à son insu, une stature de héros. J`aime penser que dans chaque famille se cache au moins un héros oublié, et qu`autour de nous, il y a peut-être des gens bien qu`on ne voit pas. J`aimerais qu`au lieu de se chercher sans cesse à se faire remarquer, on se tourne vers les autres à notre tour pour déceler ce qu`il y a de beau. Etre attentif, c`est tout (ça ferait un joli titre, tiens.).
La Normandie est un de mes pays, puisque c`est celui de mon père. Cependant, il me reproche d`avoir situé l`action en Haute-Normandie alors qu`il vient de Basse-Normandie. C`est une trahison, en quelque sorte.
J`ai choisi Yvetot parce que c`est une ville de passage. A l`image du vieux Felix Fort, elle ne se remarque pas. J`ai de la suite dans les idées, n`est-ce pas ? Vous aurez compris que tout est affaire de regard et de perception, dans ce roman. C`est pour cela qu`il y a deux personnages aveugles (je dois dire non-voyants, non ?), qui sont les plus clairvoyants. Pour cela que je fais référence à La Moustache, d`Emmanuel Carrère, ou au grandiose Cyrano de Bergerac et à son génie dissimulé.
Yvetot, donc, est une ville assez vilaine de prime abord. Détruite par les Allemands en 40, elle a ensuite été bombardée en 44 par les alliés. Pourtant, si on s`y attarde un peu, au lieu de se ruer vers la côte comme tout le monde, on découvre de très jolies choses. Notamment le manoir du Fay, bâtisse du XVIIème siècle où l`on dit que le petit Pierre Corneille passait ses vacances. Eh oui, Yvetot est une ville très people. Maupassant a fréquenté son collège.
J`ai toujours quelques idées d`avance. J`ai beaucoup d`incipits en tête. Des phrases me viennent régulièrement, et je me dis "ah, ça ferait un bon début de roman, ça." Mais ça ne tient pas la route. C`est la fin que je dois avoir en tête pour construire un roman.
J`ai commencé un récit choral sur le thème du quiproquo, qui se déroule pendant un repas de famille. Classique, me direz-vous. Mais vous verrez, ce sera une petite merveille. Je plaisante. Bien sûr, j`espère que ce sera une petite merveille. Mais je me demande encore comment un écrivain, ou un artiste, peut restituer ce qu`il a en tête avec l`intensité voulue. Moi j`ai toujours peur de ne pas y arriver. Pour vous donner une idée, c`est comme si j`imaginais le naufrage d`un trois-mâts au passage du Cap Horn, et que je me retrouve à décrire une barque se renversant sur le lac du bois de Boulogne.
J`ai un projet important en tête, que je vais laisser mûrir au moins un an. Ce sera une fresque antillaise, pour parler de mon autre pays, la Guadeloupe, d`où vient ma mère.
Et puis, un autre projet m`est venu il y a quelques temps. Des nouvelles, cette fois-ci, sur un thème que je ne peux révéler pour le moment. J`entre en mode suspense.
Bizarrement, ce ne sont pas les livres qui m`ont donné envie d`écrire. D`ailleurs, je ne lisais pas encore très bien quand j`ai décidé que plus tard, je serais écrivain. Je l`ai décidé parce que la vie d`écrivain est la seule qui me convienne. La vie d`écrivain, je l`attends toujours, me direz-vous, mais en théorie, dans ma théorie à moi, l`écrivain peut se délecter d`un grand confort (cheminée, châle, chat, fenêtre donnant sur la mer déchaînée) pour écrire les aventures qu`il a élaborées lors de ses voyages extraordinaires. L`écrivain fait ce qu`il veut, il vit autant de vies qu`il le souhaite. Qu`y a-t-il de plus chouette ?
Bon, mais je passe à côté de votre question, je vais me rattraper avec les suivantes.
A chaque fois qu`un roman me plaît, il me motive et me mine à la fois. C`est ce qu`il se passe généralement avec les modèles que l`on n`est pas certain d`atteindre un jour... Récemment, j`ai ressenti cela avec Une Suite française, d`Irène Nemirovsky, moins récemment avec tous les romans de Milan Kundera, de Romain Gary, de Somerset Maugham, Léon Uris, Dorothy Parker. Je pourrais en citer plein, ça me donnerait un air érudit. Ou prétentieux, alors je vais m`arrêter là.
Vers quatorze ans, j`ai découvert A l`Ouest rien de nouveau. Depuis, je suis fascinée par la première guerre mondiale. Je me suis d`ailleurs risquée à une incursion dans ces années de boucherie avec L`illustre inconnu. Les récits de guerre constituent, je crois, ma littérature préférée. J`ai lu les romans de Pierre Schoendoerffer sur l`Indochine, de Jean Lartéguy sur l`Algérie... mais c`est la première guerre mondiale qui me touche le plus. J`ai lu un grand nombre de récits français et quelques récits anglais ( Nous étions des hommes), américains (récemment, j`ai lu Company K, qui vient d`être publié en France. Une merveille) et allemands, notamment L`Ordre du jour, d`Edlef Köppen. Le pauvre est injustement méconnu en France (j`ignore la place qu`il occupe dans la littérature allemande), alors que ce récit, construit avec une insolence extraordinaire, cruel et drôle (la dernière phrase : "la guerre... vous pouvez vous la foutre au c...!"), est l`œuvre d`un homme qui a combattu du début à la fin de la première guerre, et qui est mort pendant les combats de 39. Pas de bol.
Je pense que la première guerre mondiale tient dans la littérature un rôle capital. Les récits des combattants ont changé la façon d`écrire. On a alors vu des hommes s`exprimer massivement à la première personne, parler de leur corps meurtris, de leur peur, critiquer l`armée, le gouvernement, on a vu la généralisation de phrases courtes, percutantes, au présent. Un style brut, direct et incisif, sans pudeur et sans fard, est né.
On retrouve ce style dans la "littérature des camps", si je puis dire. Solenitsyne, Chalamov, Primo Levi, Haing Ngor ont été autant de chocs, pour moi.
Je ne relis jamais de livres. Ce n`est pas un principe, bien au contraire. Je rêve du jour où j`aurais tellement lu que je pourrais me permettre de revenir sur ce que j`ai le plus aimé. Mais il y a trop de choses à lire.
J`ai lu deux fois L`Herbe rouge de Boris Vian, quand j`étais adolescente. Et j`ai lu deux fois La Peur, de Gabriel Chevallier. J`y reviendrai.
Honte, honte, comme vous y allez... Doit-on vraiment parler de ça ? Je viens d`acheter un livre de Saul Bellow, auteur que j`ai hâte de découvrir. Je voudrais lire Julien Gracq. Tous les mois, dans le magazine Lire, un dossier est consacré aux "écrivains du bac", autrement dit aux grands classiques, et je me rends compte, souvent, que je ne les connais pas bien, que je ne me suis pas penchée sur leurs œuvres depuis le lycée.
En cette année de commémoration, un peu de lumière sera faite sur les récits de 14-18 et je m`en réjouis. La Peur, mentionné plus haut, revient moins souvent dans les exemples cités que Les croix de bois, A l`Ouest rien de nouveau, ou le feu. C`est dommage car c`est à mon avis le plus beau témoignage de cette guerre. J`aime les autres, mais celui-ci est particulièrement bouleversant, tantôt drôle, tantôt poignant, et déchirant quand on le referme. C`est ce que je mentionnais au début de l`interview, les rares livres qui provoquent un ensemble de sentiments très différents.
C`est un peu déplacé de répondre à une telle question, pour moi qui ne suis personne. Mais puisque vous insistez... Je déteste Proust. Phrases trop longues. J`oublie le début avant d`arriver à la fin. Je déteste également, mais ce n`est pas un classique, Brett Easton Ellis. Phrases trop courtes au contraire, trop pleines de détails insipides et de cocaÏne.
J`en ai tout un carnet. Mais une phrase m`a particulièrement marquée (issue du roman Alexis Zorba de Nikos Kazantzakis, que par ailleurs, je n`ai pas trop apprécié) :
"Si tu ne sais pas user de la minute, tu perdras l`heure, le jour, et toute ta vie."
Je lis Confiteor, offert par une amie écrivain. Incroyable maîtrise de l`écriture, de l`intrigue. C`est un roman très impressionnant. Et même s`il aborde des pages sombres de l`histoire, il me fait un bien fou après Féroces, de Robert Goolrick, que j`ai lu auparavant et qui m`a énormément perturbée. Et vous ?
Qui chante : " J'ai 10 ans" ?