La liste - Jennifer Tremblay
La joie que me procurait cette douleur, cette danse intime de l'enfant qui se faufilait et de mon corps qui s'ouvrait, la joie de cette danse m'étonne encore, me laisse ébahie. Mon hurlement animal, déchirant, démesuré — tu as dit « irréel » — et les pleurs qui ont suivi, les pleurs de l'enfant expulsé, rejeté de son nid aquatique, cette scène ensanglantée, bruyante, malodorante, cette scène reste à jamais pour moi le centre intime de la fin d'un bonheur et du début d'un autre.
Je ne suis certaine ni de vouloir être ici ni de vouloir être ailleurs
Il faudrait que je sache comment admirer les inventions des hommes
Tirer une valise
Acheter un sandwich
Lire des informations touristiques
À la place de cela je m'étends sur une plage parfaite
C'est ici que ce pays m'attendait
Jamais je n'ai visité seule une ville sans penser que c'est en la découvrant avec toi que j'y aurais trouvé du vrai bonheur.
Je veux être un chameau.
Libre dans le désert du Sahara.
Je veux être un platane.
Immobile sur les Champs-Elysées.
Je veux être cette prostituée d'Amsterdam.
Superbe sur ses talons hauts.
Je comprends maintenant, avec une indescriptible clarté, que je dois m'affranchir de toute forme d'attente.
Personne n'a prédit l'assèchement de la mer des Caraïbes
Alors
Nous n'avons rien à craindre mes enfants
Il y aura toujours un peu de turquoise possible
Buvons des limonades dans la brise brûlante
Repoussons le devoir de devenir célèbres
La gloire est un après-midi passé à n'être rien
Abandonner n'est pas moins douloureux qu'être abandonnée. Seulement, l'abandon est un geste, un mouvement, une manière de faire voyager la douleur qui donne l'impression d'y échapper.
Ce n'est pas toi que j'ai fui en venant ici, mais tout ce que tu entraînes avec toi. Avec les années, tu as pris tant de choses dans ton sillage que tu es devenu ce navire gigantesque qui, pour accoster, repousse sur les rives, en créant d'énormes remous, les petites barques de bois que j'aime avoir à mon quai.
Je pleure souvent et abondamment, la plupart du temps au lever du soleil, et mes larmes se mêlent à la brume marine; mais ici, elles ne sont pas inopportunes comme elles le sont sur le continent. Aux îles, la vague à l'âme est un luxe qu'on peut se permettre.
Les humains aiment bien raconter leur vie.
Ils aiment aussi raconter la vie des autres: la vie de leurs ancêtres, la vie de leurs voisins, la vie qu'aura leur descendance.Parfois, insatisfaits de raconter les vies réelles, ils en inventent. Ils deviennent écrivains, scénaristes, poètes.
Parce qu'ils savent que leur vie se passe entre une fin et un début, les humains se posent beaucoup de questions. [...]
Ils cherchent des raisons à tout ce qui leur arrive de facile et de difficile.