J'aurais surtout voulu être certain que je comptais autant pour elle, qu'elle pour moi. Comme si on pouvait obtenir de telles garanties !
Berlin, ville partagée, ambiguë, rigide et austère, sous la férule d'un père soviétique qu'elle sent battre dans ses veines. Légère, aussi, chahutée par le léger vent de liberté venu de l'Ouest et dans lequel elle voudrait tant voleter.
Avec le recul, j’ai la certitude que je suis tombé amoureux du docteur Polinska dès cette première rencontre. De son visage. De ses cheveux blonds. De ses yeux bleus transparents. De sa bouche charnue. De son corps que je devinais. De sa force. De l’énergie qu’elle mettait au service de ses convictions. De sa timidité. De sa candeur. De son innocence. De tout ce que je percevais d’elle et que j’aimais déjà. Bien que je n’aie pas réalisé à ce moment-là à quel point j’étais accroché. Et que cet amour n’allait faire que croître avec le temps.
— Je suis français. Je m’appelle Luc Brugo. C’est à ma demande que ce garçon a pénétré chez vous.
Je décidai d’aller directement au but et lui tendis la photographie :
— Je suis à la recherche d’une salle de lecture qui avait cet aspect en 1967.
Elle me l’arracha presque des mains et demanda sèchement :
— Pour quoi faire ?
J’hésitai un instant avant de lui répondre :
— La femme qui pose sur cette photo était ma mère…
Je devais vraiment changer. Semblable à ces larves terrestres qui ont besoin de muer pour grandir, se transformer et s’envoler. Je devais devenir un autre sans rien garder du passé. C’est vrai qu’on ne repart jamais de zéro. Difficile de chasser l’enfance et tout le reste. Alors, disons que j’allais tenter d’oublier ce passé en espérant que je pourrais me bâtir une nouvelle vie.
— Il y a bien longtemps maintenant que ta mère est venue m’amener ce coffret. Elle était très nerveuse ce jour-là. Et quand elle me l’a donné, elle ne m’a pas décrit ce qu’il contenait. Elle m’a juste demandé de te le remettre s’il lui arrivait quelque chose. (Elle soupira.) Elle ne m’a rien dit de plus. Je sais très peu de chose sur ta naissance et la période de ta petite enfance. Ta mère en parlait peu, et je n’ai jamais cherché à en savoir plus. Je respectais ces zones d’ombre, lui laissant l’initiative de me faire des confidences si elle le souhaitait. Ton père était libraire à Jérusalem. Ta mère était française, elle l’a rencontré là-bas et l’a épousé. Puis elle a trouvé un emploi dans une bibliothèque de Jérusalem. Mais tout cela, tu le sais aussi bien que moi, je pense. Lorsqu’il est mort d’un infarctus, elle a décidé de rentrer en France. Mais elle n’est pas partie tout de suite. Elle était proche du terme de la grossesse… elle n’a pas voulu courir le risque de voyager dans ces conditions.
Le fait qu'il est suffit d'une nuit et d'un mur sombre, glacé comme un linceul, pour briser tant de vies, plonger tant de familles au cœur de la souffrance et de l'absence ! Un mur comme une porte qu'on ferme avec la violence d'une mort sans deuil et dont la cicatrice ne se ferme jamais. Un mur comme un couperet, propre et net, l'avenir radieux qui sombre, irrémédiable.
Cette nuit, je suis retournée dans la vieille maison… dans ma vieille maison. C’est devenu une habitude maintenant, une sorte de rituel. J’ai un besoin impérieux de m’y rendre, même si ce retour m’écorche un peu plus chaque fois. C’est un retour douloureux et sans espoir, je le sais bien, auquel je me soumets docilement et contre lequel je ne peux rien.
L’ambre est surtout utilisé en bijouterie, c’est vrai. Mais n’oubliez pas que c’est une résine d’arbre fossilisée. Au cœur de l’ambre peuvent se trouver incrustés des éléments qui restent ainsi protégés pendant longtemps, parfois des millions d’années. Des petits fragments de végétaux, des insectes…
Le temps était gris et pluvieux. Un temps de saison. Le réveil avait été difficile et j’allais encore arriver en retard à la banque ce matin.
Je n’avais aucune envie d’aller travailler aujourd’hui. Pas plus que les autres jours, d’ailleurs. Après la fusion avec l’une des plus grosses banques allemandes, la direction avait confirmé la nécessité d’un plan social afin de réduire les effectifs. Nous attendions tous la liste des employés dont les postes ne seraient pas reconnus comme suffisamment opérationnels, ou qui feraient « doublon » avec des postes en Allemagne. L’ambiance était à la morosité.