Et Werner Heisenberg, dont la jeunesse éclatante a subitement disparu sans laisser aucune trace, pense peut-être qu'il y a bien longtemps, au sortir d'une autre guerre, en un temps de défaite et de révolutions, un vieux mathématicien et son caniche démoniaque en avaient eu le pressentiment mystérieux. Le professeur von Lindemann avait vu ce que le garçon timide qui voulait étudier les mathématiques et se tenait alors plein d'espoir devant son bureau portait déjà en lui, sans même le savoir.
Une énergie mauvaise qui rayonnait silencieusement.
Les germes du péché, sa souillure indélébile.
La promesse d'un destin parodiant le hasard dont l'accomplissement inéluctable serait tout à la fois un triomphe, une chute et une malédiction.
Le professeur von Lindemann ne pouvait qu'être saisi d'une horreur sacrée et chasser de chez lui ce garçon dans lequel Werner Heisenberg ne se reconnaît peut-être pas mais qui suscite cependant en lui la nostalgie irrésistible, non de la jeunesse, mais de l'innocence perdue.