"Zone blanche" de Jocelyn Bonnerave - Extrait de lecture-concert
J’écoute, elle a des formules puissantes et drôles, « Y’a deux types d’avocats, celui qui connaît bien la loi et celui qui connaît bien le juge », « Les déchets d’uranium, c’est comme si la filière nucléaire avait bâti un appartement sans penser aux toilettes », etc.
L’air qui nous relie est fouetté, retourné, bouleversé, et c’est ce que nous souhaitons tous, sur la scène, dans la salle, cet ouragan électronique, ces bourrasques de trois minutes : des chansons.
La vaste salle à manger que je découvre a quelque chose d’un accident de voiture : la rencontre violente d’un déjeuner chez mes grands-parents et d’un concert des Clash.
Tu pues "tu pues si tu", dit-elle, ou dis-je si je répète, qui répète ? La route période au matin ça peut , ça peut extrêmement métal, plutôt comme un choc comme un chocolat, elle au dictaphone ou moi des mois plus tard qui dis "je", je ne sais pas MI-GRAINE plantée en plein front dents miennes d'urgence minutieusement ou nous dans l'écart de nos deux voix mais quel écart quel décalage ? Il n'y a pas il n'y a qu'un seul filet de voix fait de différents brins, qu'un seul fuseau pour filer, MI-GRAINE une syllabe pour chaque hémisphère, pour filer à l'infirmerie à l'autre bout de la terre.
Autour de moi la ZAD continue à parler d'elle-même par la bouche de ses occupants. C'est souvent intéressant, un peu agaçant, mais je ne suis pas sûr de m'agacer pour les bonnes raisons, alors, je me tais. Quoi qu'il en soit, dans ce flot de paroles, la ZAD est aussi en train de faire autre chose. Elle tanne des mains à sa façon.
Il y a dans ses yeux autre chose que la crainte de la mort, quelque chose que je ne reconnais pas.
A : Je suis anthropologue, comme toi. Je voudrais savoir comment font les musiciens pour se dire des choses quand ils jouent, alors qu'ils ne peuvent pas se parler. Tout se passe en dessous, quoi...
Je parle depuis cette grosse raconte sinon tu pues surveille déconne à plein moulins soeur énorme limaille que j'entendais des PROUT ! tas de trucs en même temps, en napperons souillon sophistiquée t'enfermer en tapis volant, des cancres des PROUT ! poux avec les copains mais au fond les basses tout simplement toutes grosses limaille énorme la joie aux éléphants je répète, je veux mettre des tutus aux PROUT ! aux éléphants !
Dans le Quashqai, j’épluche les trop nombreuses notifications qui ont fait tinter mon iPhone quand j’ai retrouvé du réseau en arrivant au village. Plus de mille likes sur Facebook pour l’annonce du concert à Toulouse, Carole Boinet a appelé trois fois pour proposer une participation au numéro de fin d’année des Inrocks, Malika a essayé de me joindre, en visio sur Whatsapp et sur ma ligne, dix fois au total, la vie continue, la mort est un vautour qui hésite à se poser, et qu’est-ce que je dois en faire, moi, de tout ce bordel ?
Je crois qu'on peut agir, plus que sur les âmes, sur les fictions : il suffit d'en produire d'autres. Elles viendront travailler celles qui nous font souffrir, les ruiner peut-être.