Payot - Marque Page - John Wray - Les accidents
La fortune est chose notoirement précaire, Madame Haven, et même les plus grandes œuvres d’art sont attachées à leur époque et à leur culture ; une découverte scientifique, par comparaison, est intemporelle. Une grande théorie peut être amendée, comme le système planétaire de Galilée ; affinée, comme le principe darwinien de la sélection naturelle ; voire, pour finir, écartée, comme le postulat newtonien du temps absolu ; une fois métabolisée, néanmoins – une fois qu’elle a transité par l’intestin collectif et s’est ajoutée à la chaîne socioconceptuelle –, elle ne peut plus disparaître qu’avec la mort du savoir humain.
L’idée que tous les physiciens depuis Newton sont des imposteurs ou des crétins (voire les deux) est notre dogme familial, transmis de génération en génération telle une vendetta ou une allergie aux noix. J’ai été biberonné à la proposition selon laquelle le temps file à la manière d’un boomerang, ou d’un satellite, ou – si l’on veut vraiment qu’il soit une flèche – de celle d’une girouette bien huilée.
Après tout l’imagination est une forme de voyage, quoique balbutiante et incomplète. Et toute histoire est un acte de dérobade.
Le temps évolue librement autour de moi, il gargouille comme un tourbillon, ondoie à la façon d’un champ quantique, s’enroule en galaxie autour de son moyeu central – et dans le moyeu, cependant, tout est calme.
Y a-t-il une chance, même infinitésimale, pour que vous trouviez et lisiez un jour ce manuscrit ? Si je ne le pensais pas, je ne pourrais continuer. Et si je ne continue pas, je disparais.
« Le temps est une flèche qui file dare-dare. » Il a marqué une pause, pour l’effet. « Mais le taon sur la pêche a un plus gros dard. »