Joëlle Pétillot présente son roman "La belle ogresse", novembre 2011.
Ouessant
Qui es-tu, gobeur de ciel
dont le profil aigu interroge
une lumière
ensommeillée comme un fragment d'aurore
de l'œil bref du rocher
sourd l'envie de partage
voici l'immémorial
pour la fourmi
que je n'ai jamais cessé d'être
l'immensité
cadeau
loin sur l'île du dernier monde
la vie reste en l'air
regarde éperdue le haut,
parce que
mieux vaut le soleil d'un doute
plutôt que son ombre.
Vie discoureuse
les mots recrachés du jour à la nuit
les rêves les rencontres les armes parlent pour nous.
j’ai aimé à crever qu’en reste-t-il ?
les fleurs les chemins les voitures parlent pour nous
valseurs sans pieds, inaptes au vol
sauf dans l’ivresse
vie de chienne
les arbres les télés les baleines parlent pour nous
vie sournoise vie fausse
vie à voix de canard
les cieux la mer l’orage parlent pour nous.
Que semer
quand se rebeller est un gouffre ?
Les typhons les vagues les drones parlent pour nous
j’éprouve du chagrin à t’avoir obéi
vie de pal et d’armures
vie d’ombre de voix off
toi si peu avare de mots
dis-moi tout simplement, simplement
pour une fois
pourquoi tu m’as laissée grandir.
– Je voulais vous dire merci pour lui. Et pour moi.
– Mais... De quoi ?
– Vos muffins aux myrtilles. Votre moelleux au chocolat. Vos mains sur son front quand il dort. Le jaune que vous mettez dans sa vie, dans la nôtre. Quand j’ai goûté de vos gâteaux, je veux dire de ceux qu’il ne mange pas en route, moi aussi j’ai deviné qui vous étiez.
– Oh, je vous dois aussi des choses... Vous faites des rêves magnifiques, j’ai beaucoup aimé les transcrire.
L’image de son fils racontant tout cela le traversa, et une vague de tendresse visible fit briller son regard.
– Je crois qu’il souhaiterait que je vous épouse. J’aime ailleurs, et vous aussi, à son grand regret. Tout est bien. Mais je suis rudement content que vous soyez là.
Incapable de parler, Louise finit d’ouvrir la porte et le laissa franchir le seuil. L’ascenseur se trouvait fort opportunément sur le palier. Il s’y engouffra d’un jeu de roues aérien, et eut juste le temps de crier avant la fermeture des portes :
– Mon nom, c’est François. François Tanavelle.
« Il y a des chagrins qui durent. Celui-ci n’en finit pas. Je n’arrive pas à me remettre de cette absence. De tous les aléas du deuil, ce qui me touche le plus est l’ingratitude. Comment a-t-il pu partir ainsi, après tout ce temps, toutes ces attentions, toutes ces stations sur mes genoux ? Je sais à quel point c’est ridicule, vraiment... Un chat, le plus vulgaire qui soit, un gouttière à la con, même ses rayures n’étaient pas conformes, un de ses flans était totalement beige, il ne rayait que d’un côté... Chaton, il ne jouait pas. J’avais suspendu un bouchon de liège au bout d’une ficelle à une poignée de porte : croyez-le ou non, quand je faisais balancer le bouchon, au lieu de chercher à l’attraper, il s’asseyait et suivait le mouvement avec sa tête. Un contemplatif à deux balles, voilà ce qu’il était. Je l’appelais Machin, à cause de son inconsistance, au début. Comment nommer quelque chose qui existe à peine ? Il dormait sur le couvercle de la poubelle à pédale, dans la salle de bains. Une fois ou deux, par réflexe, pas fait gaffe, j’ai appuyé sur la pédale pour jeter un truc. Il décollait de dix centimètres sous la poussée, dégringolait, miaulait à peine, s’asseyait. Dès que j’avais fini, il reprenait sa place et se remettait à roupiller...
Le soleil, le parfum du curcuma, le goût des dattes qui s'attarde sur la langue, le sucre épais et doux qui les couvre comme une gangue. Des fois, la vie, c'est bien.
Certes, elle est plus qu'une collaboratrice, une amie. Mais c'est de son écriture que je voudrais vous parler. J'hésite entre l'éloge, le dithyrambe et le panégyrique...
Restons-en aux mots à ma portée ; simples comme des coups de pinceaux aux couleurs d'une large palette, aux courbes tantôt énergiques, tantôt délicates. Comme des compositions fantastiques dans nos décors quotidiens, comme des portraits vibrants. Comme les mots de Joëlle Pétillot. Des mots qui enchantent, surprennent ou envoûtent. C'est aussi pour cela que je suis tombé en amitié.
Et pour son humour décapant.
Le docteur Brillet traversa le couloir de son service comme il traversait la vie : encombré d'hommages.Sa panoplie naturelle de baroudeur, cheveux-gris-oeil-vert-jade induisait chez le personnel féminin un frisson dont il se foutait, conscient de son homosexualité depuis l'âge de 15 ans.
Pour l'heure, il rassemblait son maigre courage pour entrer dans la chambre numéro vingt-quatre.
Je serai le premier chauve de la famille, pensa Gabriel, effondré.
Sous le mot enrobé, il écrivit chauve.
Après brève réflexion, il raya chauve, et chercha le mot juste. Car enfin, chauve semblait prématuré.
Flûte, quoi.
D’une main encore plus assurée que pour noter enrobé, il traça sous le chauve biffé les mots : chauve débutant. Qu’il raya avec un sourire de triomphe. Il avait trouvé.
Légère amorce de calvitie.
Ça, c’était parfait. Tout dans la nuance, donc plus près de la réalité. Gabriel aimait la nuance. Les gens enclins à tout mesurer en termes radicaux lui foutaient une trouille noire.
Bien des choses se passeraient par la suite dans la vie de Ludo : pour les moindres d’entre elles un dépucelage attendu dans la plus grande fébrilité, un déménagement loin de la ville, et le plus bouleversant, un poil plus tard : la venue au monde de Gianna, sa sœur.
Mais aucun de ces évènements - pourtant majeurs - ne provoqueraient chez lui, souvenir compris, le même état de surprise confinant à l’hébétude que ce qui se déroula cet après-midi-là dans la rue Emile Zola, sur le trottoir côté lycée.
Je vais te le dire, moi, car je suis un excellent praticien: tu as la sensation de regarder les autres tourner sur un manège, sans pouvoir monter dessus...