J'imaginais la plénitude de sa poitrine sous sa robe, et la sensation que j'éprouverais à suivre des mains sa courbe harmonieuse.
Les livres ne sont pas uniquement ma défense, les sacs de sable dont je me sers pour fortifier ma position ; ils sont aussi les pierres de taille de mon esprit, et je suis la somme de ce que j'ai lu. A la vérité, lire sur l'existence s'est toujours avéré plus satisfaisant que de la vivre, et il est sûr que lire à propos des gens est de loin beaucoup plus intéressant que se trouver assis en face d'eux, disons à un dîner. Sur la page, les gens prennent vie : ils font l'amour, ils voyagent, ils révèlent leurs pensées les plus intimes, ils luttent contre l'adversité, ils cherchent un sens à la vie. Quand on les voit en chair et en os, eh bien, rares sont les convives qui en font autant.
Peut-être moi aussi la voyais-je assise sur la plage, ou peut-être était-ce juste l'expression du visage de Daniel quand il parlait d'elle, mais Julia devint bientôt mon propre moyen de m'échapper de la guerre ; mon ange gardien personnel qui m'appelait loin de cette folie chaque fois que je fermais les yeux. Daniel m'offrit des centaines de pointillés, que je reliai entre eux jusqu'à ce qu'apparaisse la femme la plus magnifique que j'aie jamais vue, mon ange des tranchées ; ma prière contre le désespoir. Julia.
Charlotte. Ma femme. Mrs Delaney. La mère de Sean. Je me suis représenté son visage, ses gestes familiers. Je l'aimais, sans aucun doute. C'était une bonne épouse, une bonne mère ; gentille et digne de confiance. Très solide. Mieux que n'en méritent la plupart des hommes. Alors pourquoi étais-je si attiré par cette autre femme? Pourquoi désirais-je soudain tout savoir d'elle et tout lui dire de moi?
J'ai pris de longues, profondes, inspirations, d'abord lentement, ensuite plusieurs à la file, goûtant l'air qui tourbillonnait dans mes poumons et me disant que les premières bouffées d'automne sont comme une visite à un album oublié de photographies d'enfance.
"Au moins, vous n'êtes pas ordinaire, dit-elle.
- Je ne suis pas ordinaire ?
- Non, Dieu merci. Vous ne trouvez pas que les gens ordinaires sont ennuyeux ? Ils dissimulent tous les choses importantes.
Je ne crois pas que les gens devraient lire les livres importants avant d'avoir au moins trente ans, à moins qu'ils ne se promettent de les relire.
Je viens de terminer l'autobiographie de Jung : Mémoires, Rêves, Réflexions. J'ai été frappé par son incapacité à aller à Rome. Il dit qu'il n'en avait pas la force ; la force d'affronter "l'esprit qui couve là-bas", un esprit qui imprègne la moindre pierre, et qui remonte à l'Antiquité. L'ultime fois où il a essayé d'y aller, il s'est trouvé mal en achetant les billets.
Freud dit qu'on a peur du sexe. Moi, je pense qu'on a peur de la mort, dit Julia. Elle imprègne chaque chose.
Je crois que la beauté exprime un besoin dans l'oeil de celui qui la contemple, un besoin jamais vraiment satisfait. Ce qu'on voit, ce n'est pas ce qu'on possède ; ce qu'on voit, c'est ce qu'on ne possède jamais, ce qui explique pourquoi on ne peut pas s'arrêter de regarder.