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Critiques de Jorge Amado (194)
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Bahia de tous les saints

“S'il te plait je voudrais aller à Bahia” susurrait, sur une mélodie caressante, Véronique Sanson.



C'est finalement l'immense écrivain lusophone Jorge Amado qui, du haut de ses 23 ans, m'as raconté Bahia.



En démiurge, Amado offre au lecteur une incarnation, un héros de chair, de sang, de poings : le boxeur Antonio Balduino dit “Baldo”. Ce n'est pas sans rappeler les épopées gréco-romaines ou encore les récits initiatiques, mais avec quelque chose du réalisme initié par Zola. Baldo lui-même rêve que des conteurs racontent un jour dans leurs A B C son Odyssée, sa postérité… On peut même penser à Don Quichotte, dans le coté picaresque de certaines pérégrinations folkloriques par lesquelles passe le héros du livre.



L'écrivain brésilien a aussi été comparé à Balzac et s'en amusait, toujours très humble, à l'image de cette confession : “je ne me suis jamais senti un écrivain important, un grand homme : juste un écrivain et un homme”.



Pour Jorge Amado, l'entreprise littéraire avait pour but de dire, “la vérité de son peuple” et pas n'importe où… à Salvador de Bahia, là où tout le Brésil est né, entre les blancs, les indiens et les noirs, dans cette ville “un peu magique”, comme le confiait l'écrivain, dans un français parfait, au micro de Jacques Chancel dans Radioscopie en 1976.



Baldo est noir, pauvre, avec une sacrée gouaille. Nous le rencontrons gamin des rues du morne de Châtre-Nègre. Il grandit sous deux influences, celle de la loi de la rue, de sa liberté, et ses petits forfaits, ses petites esbroufes, et celle de la superstition, des rituels médicinaux, des macumbas et du culte des esprits du Jubiabà (titre original du livre).



Derrière ses castagnes, son grand rire provocant, sa loyauté à ses amis, se cache aussi les souvenirs fondateurs, contingents mais structurants de sa vie d'adolescent qui seront les clés de son évolution future, notamment l'image de Lindinalva, comme un premier amour fantasmé dont jamais on ne guérit complètement, et que l'on revoit sans cesse réapparaitre, alors même qu'on tente de lui échapper dans d'autres bras, d'autres plis, d'autres tailles, à l'image de celle de Rosenda…



Le souffle d'aventure qui infuse ce roman, dans lequel on ne s'ennuie jamais, on le retrouvera dans la littérature sud-américaine et caribéenne, je pense par exemple à Maryse Condé.



L'errance, les gestes sans conséquences, la liberté (réelle ou fantasmée), la sensualité, la force, la violence, l'optimisme, la déprime, la virilité, la candeur, l'élan ; Baldo dans sa complexité, sa résilience, son charisme, nous fait traverser toutes ses émotions avec lui.



Le roman, paru rappelons-le en 1935, parle de “nègres”, un terme que l'on n'utiliserait plus aujourd'hui mais qu'on peut considérer comme dépourvu de sens péjoratif, à l'époque et dans son contexte, un peu comme le concept de “négritude”, fondé par Césaire et Senghor notamment, et de fait la “culture noire”, traverse ce roman.



Au milieu des noirs, Baldo trace son propre destin, c'est un roman qui part du collectif pour arriver à l'individuel puis qui revient au collectif, un peu comme la marée monte et se retire, monte et se retire… la Mer, d'ailleurs est très présente dans l'ouvrage, tantôt comme une allégorie, la plage au clair de lune et ses voluptés, la Lanterne des Noyés et ses excès, ses sambas, ses rhums, et le grand large et son désespoir, son envie d'ailleurs, de paix, de mort…



“Je veux réveiller la conscience de ceux qui n'ont pas réfléchi” déclarait le poète tchèque engagé Vítezslav Nezval, cela fait écho avec le cheminement de Baldo vers l'altérité et le sentiment d'appartenance. Amado joue avec l'individuel versus collectif car les deux sont liés, il n'y a pas “les noirs”, il y a Baldo, mais il n'y a pas que Baldo, il y a “les noirs” on ne peut totalement s'extraire du karma infligé à sa communauté si on ne fait pas cet effort d'émancipation individuel, si on ne fait pas ce pas de coté pour ensuite revenir et avoir une capacité de mobilisation collective. Pour résumer un autre poète, le péruvien César Vallejo disait : “je m'adresse, de la sorte, aux individualités collectives, comme aux collectivités individuelles.”



“ - mon gars, la grève c'est comme ces colliers que tu vois dans les vitrines. Si une perle s'en va, toutes les autres se débinent. Faut qu'on se tienne tous, t'as compris ?”



Et, coup de maître, Amado réconcilie noirs et blancs sous une même bannière, celle de l'esclavage économique moderne, et c'est par la grève, par la conscience que tout ce qui est pauvre, soumis au capitalisme est esclave, que naît une timide, fragile et maladroite fraternité, mais, comme écrivit un autre amoureux du Brésil, Georges Bernanos, “l'espérance est un risque à courir”. Ainsi c'est un roman porteur, malgré tout, d'espoir.



“Il y a encore des nègres esclaves, et des blancs aussi, interrompit un homme maigre qui travaillait sur le port. Tous les pauvres sont encore esclaves.”



“Bahia de tous les saints” n'est pas un roman CGT/FO du tout, la 4ème de couverture est à nouveau trompeuse, la place accordée à cette partie sur la grève n'est pas du tout prépondérante et l'enchainement est beaucoup moins mécanique qu'il n'y parait, les choses se font comme dans la vie, un peu par accident.



La langue de Jorge Amado enfin, est une aventure en soi : son style, ses agencements, son courant, sa musicalité, sa poésie, sa facilité d'accès aussi, la magie et le réalisme se côtoient sous sa plume et font corps avec les personnages. C'est un livre qui aurait pu n'être qu'épique, efficace, historique, politique ou social mais il est tout cela à la fois, c'est une oeuvre créatrice, séductrice, littéraire, bref ce bouquin tient son rang sur tous les plans.



Un Uppercut. Voilà ce qu'est ce livre. Un coup dont on a pas envie de se relever.



Qu'en pensez-vous ?
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Cacao

En cette journée mondiale du chocolat, ce petit livre au doux nom de “Cacao” est de circonstance.



Jorge Amado a seulement 21 ans lorsqu’il publie en 1933 ce deuxième roman. Né au sein d'une fazenda située dans l'État de Bahia, l'écrivain brésilien connaît bien la condition de ces travailleurs qui de l'aube au coucher s'échinent à la production des cabosses renfermant les précieuses fèves de cacao. La chaleur implacable, le sifflement des serpents, la pression des rendements : dans un environnement aussi hostile, seules une constitution robuste et une mentalité soumise donnent quelques chances de survie.



Sergipano, le dernier “loué” dans la fazenda du Colonel Mané-la-Peste, est un jeune homme qui sous des allures de vagabond est quelqu’un d’un peu instruit. La gentillesse de ses nouveaux compagnons, des braves types aimant par dessus tout le tafia et courir la gueuse, fait quelque peu oublier le travail harassant pour un salaire de misère.

Mais pour Sergipano demain sera forcément meilleur : un jour, la tête haute, les opprimés marcheront ; un jour, à leur tour, les oppresseurs trembleront…



Sous cette plume de jeunesse perce déjà un vif intérêt pour la lutte des classes. Sa vie durant Jorge Amado racontera le sort des déshérités : il est des constances qui font les grands écrivains !



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Les chemins de la faim

C’est un écrivain engagé qui publie en 1946 “Les chemins de la faim”. Élu député communiste l’année précédente, à seulement trente trois ans, Jorge Amado a déjà derrière lui quinze années de militantisme qui l’ont conduit maintes fois en prison et en exil.



Originaire de la région de Bahia, Amado connaît bien le petit peuple rural du Nordeste brésilien.

Défenseur des opprimés, il est interpellé de voir dans les années trente cette région agricole laisser partir bon nombre de ses paysans miséreux vers un hypothétique eldorado.

Comment aurait-il pu rester insensible au sort de ces démunis se dirigeant vers São Paulo en quête de jours meilleurs ?



Des familles entières d'émigrants participent à cet exode rural à grande échelle. Petits métayers ou journaliers, ils viennent de ces immenses fazendas créées il y a bien longtemps par les premiers colons. Le fléau de la sécheresse ou les choix arbitraires de propriétaires terriens les obligent, parfois du jour au lendemain, à quitter leurs racines.



La fazenda dans laquelle vivent depuis des décennies Jucundina et son mari Jeronimo vient d'être vendue et les voilà eux aussi contraints, avec leur descendance, à l'exil. Leurs maigres économies suffiront-elles à couvrir les dépenses du voyage ?

C'est une famille de onze personnes qui s'enfonce dans la caatinga inhospitalière au cœur de la vaste région du Sertão, première étape de leur périple vers la capitale.

Malgré l'aide précieuse de l'âne Jérémias, les adultes et les trois enfants en bas âges progressent lentement dans ce désert d'épines infesté de gros lézards et de serpents venimeux. La nourriture et l'eau sont rationnées au maximum. Au-dessus de leurs têtes un ciel sans nuage, seulement des urubus dont le vol concentrique n'annonce rien de bon...

D'abord à pied, puis en bateau et enfin en train, le périple est interminable et s'apparente à un chemin de croix. Combien seront-ils au final à voir les lumières de la grande ville ?



Sans jamais tomber dans le misérabilisme, l'écrivain trentenaire a construit un roman dont le réalisme et la maturité ne laissent pas de surprendre. Le jeune auteur a trouvé dans l'écriture un moyen on ne peut plus pacifique pour témoigner d'une société, à ses yeux, profondément injuste.



J'ai découvert Jorge Amado avec “Les chemins de la faim” dans les années quatre-vingt.

La relecture de cette épopée m'a tout autant captivé cette semaine. Avec le recul, il me semble que ce roman constitue le ticket d'entrée idéal pour aborder l'oeuvre de ce grand écrivain humaniste.

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Dona Flor et ses deux maris

Roman, chronique de mœurs, fable, « Dona Flor et ses deux maris » est une œuvre bien singulière !



En 1968, Jorge Amado à déjà une quinzaine de romans à son actif et réussit le tour de force d’écrire une très longue chronique de mœurs dans un style jubilatoire et truculent.

C’est empreint de la bonne humeur communicative qui se dégage de ces 763 pages et encore sous le charme des nombreux personnages cocasses qui traversent cette fable contemporaine que je m’empresse de vous présenter cette étrange histoire bahianaise débordante de vitalité :



Le jour où elle accepte de prendre pour époux l’énergumène Vadinho, Flor la fille cadette de la suspicieuse dona Rozilda, ne se fait déjà plus d’illusions sur les chances de voir son futur mari s’amender avec le temps.

Coureur de jupons, joueur invétéré, bonimenteur le jour, fêtard la nuit, qu’a donc de si irrésistible ce Vadinho pour faire tourner la tête de la sublime Flor ?

C’est que Vadinho a la réputation d’un amant extraordinaire. Jeunes et moins jeunes, riches et pauvres, femmes mariées et prostituées, toutes celles qui le connaissent à Bahia sont sous le charme de ce libertin au grand cœur.



Il n’empêche que Dona Flor endure sept années de rapports conflictuels avec ce mari volage et dépensier qui n’a pas son pareil pour se faire pardonner. Un jour de carnaval, alors qu’il danse la samba déguisé en bahianaise, le beau Vadinho imbibé de cachaça s’écroule au milieu de la rue, raide mort.



Commence pour la jeune veuve une période de sage solitude qu’elle consacre exclusivement à son école culinaire « Saveur et Art ». Les commères et amies du quartier tentent bien de la divertir jouant même les entremetteuses mais rien n’y fait : Flor reste distante et semble se complaire dans le deuil.

Pourtant le feu du désir se réveille intensément la nuit, ce jeune corps n’a que faire de cette période de deuil, de cette abstinence contre nature. Les rêves lascifs et parfois même lubriques exacerbent les sens de la pauvre Flor et la laisse désemparée au petit matin…



Le très respectable docteur Teodoro, le pharmacien de son quartier, qu’elle épouse en secondes noces est à tous points de vue l’opposé de feu Vadinho. C’est un mari rassurant et attentionné mais qui a horreur de l’improvisation, son emploi du temps hebdomadaire est réglé comme du papier à musique, il joue d’ailleurs du basson.

Les rapports d’automate avec son nouvel époux deviennent très vite lassants dans le grand lit de fer et dona Flor se remémore les nuits torrides avec Vadinho.

Heureusement à Bahia, haut lieu de la sorcellerie et de la magie, il suffit parfois de penser très fort à quelqu’un pour qu’il réapparaisse : eh oui, seulement visible par elle, son ancien mari s’est réincarné et n’a rien perdu de sa superbe.

La confusion des sentiments de dona Flor avec deux maris à sa disposition est telle que la chronique de mœurs devient alors d’une drôlerie irrésistible jusqu’à la dernière page.



Jorge Amado aime ses personnages et sait les rendre sympathiques au lecteur ; dona Flor en est l’illustration parfaite et rejoint allègrement Emma Bovary et Anna Karénine au panthéon littéraire des héroïnes inoubliables mais avec un destin bien plus enviable…

Laissez-vous entraîner dans cette samba riche en couleurs, saveurs et sons, concoctée par ce grand nom de la littérature brésilienne, dépaysement et fous rires garantis !

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Les Terres du bout du monde

La région la plus méridionale du Nordeste brésilien mérite un petit détour marin : cap aujourd’hui sur Ilhéus, petite ville située à 114 milles nautiques au sud de Salvador de Bahia.



Au début du siècle dernier de majestueux navires à roues assuraient la liaison entre ces deux ports. Le roman « Les terres du bout du monde », écrit par Jorge Amado en 1985, débute alors même que la sirène d’un de ces bateaux annonce le départ.

La traversée n’est pas d’agrément pour la grande majorité des passagers et notamment ceux de la troisième classe qui regardent, sans doute pour la dernière fois, Salvador de Bahia disparaître à l’horizon.

Pour la plupart de ces miséreux, de ces migrants originaires de l’aride Sertão, Ilhéus est synonyme de jours meilleurs. C’est la ville principale d’une région dont tout le monde parle, un nouvel eldorado où la fortune pousse dans les arbres. Un mot est sur toutes les lèvres et suscite les espoirs les plus fous : cacao !



Mais à Ilhéus le rêve de ces déracinés se transforme bien vite en désenchantement. Certes les immenses fazendas recrutent à tour de bras mais la nature du travail a des relents esclavagistes. Des journées interminables de défrichements et de brûlis dans une forêt infestée de moustiques et de serpents provoquent maladies et accidents en tout genre. La complainte de ces malheureux travailleurs au fonds des bois est d’une tristesse infinie.

Quelques dizaines seulement de fazendeiros se partagent des terres à perte de vue avec l’obsession d’en posséder toujours davantage. Ces colonels, comme les appellent respectueusement les travailleurs, vénèrent leurs plantations de cacaoyers qui d’une année sur l’autre gagnent sur la forêt. Tueurs à gages, avocats retors, journalistes sans états d’âme, politiciens corrompus sont à la botte de ces grands propriétaires terriens qui la plupart du temps sont de connivence.

C’est pourtant un différent foncier entre les deux colonels les plus puissants qui va mettre le feu aux poudres et transformer « Les terres du bout du monde » en western brésilien où tous les coups sont permis, où la vie d’un homme ne vaut guère plus qu’un panier de cabosses dorées.



Règlements de comptes et intrigues amoureuses alternent dans ce roman où la verve malicieuse du septuagénaire Jorge Amado fait merveille. Cette œuvre met en exergue la maturité de l’écrivain. La construction des différents chapitres est particulièrement habile et les péripéties des nombreux personnages au caractère bien trempé nourrissent une intrigue où règne sans partage la loi du plus fort.



Ce roman où couleurs, odeurs et sonorités foisonnent, pourrait dans quelques semaines constituer un excellent dérivatif à la déferlante footballistique en provenance du Brésil.

Une dégustation chocolatée s'accorderait parfaitement à cette lecture sensorielle !

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Gabriela, girofle et cannelle : chronique d..

« Elle était pétrie de chant et de danse, de soleil et de lune, elle était girofle et cannelle ». Ainsi parle Nacib de la belle et divine Gabriela.



J'aurais tant aimé être plus enthousiaste à propos de ce livre !

J'aurais aimé vous dire combien cette histoire d'amour brésilienne est belle et exotique. Donc, vous vous en doutez, haute en couleurs, pour ne pas dire rocambolesque par moment, épicée et sensuelle toujours, comme le laisse deviner immédiatement le titre. de plus narrée par J.Amado, conteur hors pair qui m'avait déjà régalée avec son excellent « Bahia de tous les saints ». Oui une histoire d'amour passionnée entre Nacib, homme d'origine syrienne qui tient le bar, le Vésuve, et qui a besoin urgemment d'une cuisinière à la veille d'un repas important, et Gabriela, une jeune mulâtresse, à la peau couleur cannelle, dont le corps souple et délié dégage un parfum entêtant de girofle, ses cheveux peut-être ou sa nuque. Une fille de la nature, une ingénue libertine, et, cerise sur le gâteau, excellente cuisinière dont les boulettes de viande bien épicées, les beignets enveloppés de feuilles de bananier sont célébrés en prose et en vers. Une divine perle qui arrivera à point nommé sauvant le repas prévu par Nacib puis lui fera peu à peu tourner la tête. Et surtout le rendra terriblement jaloux par peur de la perdre. le mécanisme de la jalousie se déroule sous nos yeux, implacablement !



Enfin, une histoire « d'amour », attention, comme on pouvait vivre l'amour au Brésil dans les années 1920, entre un commerçant en passe de devenir riche et une femme à son service. le côté utilitariste de la femme est de mise et ça me gêne un peu aux entournures : « le bon temps ! Des mois de vie joyeuse, de chair repue, de table plantureuse et succulente, d'âme satisfaite, avec un lit de privilégié. Dans la liste des vertus de Gabriela établie mentalement par Nacib, figuraient l'amour du travail et le sens de l'économie. Comment trouvait-elle assez de temps et de forces pour laver le linge, faire le ménage – la maison n'avait jamais été aussi propre –, préparer les plateaux pour le bar ainsi que le déjeuner et le dîner de Nacib ? En outre, lorsque venait la nuit, elle était fraîche et dispose, humide de désir, nullement passive mais au contraire exigeante, jamais lasse, somnolente ou assouvie. Elle semblait deviner les pensées de Nacib et allait au-devant de ses désirs. Elle lui réservait des surprises : en faisant certains mets qu'il appréciait et dont la préparation demandait du travail – crabe à la farine de manioc, vatapá, viúva de carneiro –, en plaçant des fleurs dans un verre, à côté de son portrait, sur la petite table du salon, en lui rendant l'argent qui lui restait après avoir fait le marché, enfin en lui proposant de venir l'aider au bar ».



L'histoire se déroule dans une ville brésilienne du littoral sud de l'État de Bahia, Ilheus, la ville même où est né Jorge Amado. Cette ville fut, dans les années 1920, la capitale mondiale du cacao. Les tableaux de vie bahianaise que nous dépeint Amado sont très colorés, bruyants, exubérants, vivants. Les personnages croqués sont bien marqués, souvent attachants, quoique nombreux. Les us et coutumes de cette société bahianaise sont dépeints de façon pittoresque. La culture du cacao brillamment expliquée, le cacao étant alors une extraordinaire source de richesse transformant totalement la ville, la faisant passer du monde d'antan au monde moderne :

« Ils parlaient de la récolte de cacao qui s'annonçait exceptionnelle et dépasserait de loin toutes les précédentes. Les cours de ce produit ne cessant de monter, cela signifiait une richesse encore plus grande, la prospérité, l'opulence, l'argent à gogo. Les fils des colonels iraient faire leurs études dans les collèges les plus chers des grandes villes. Les familles auraient de nouvelles résidences dans les nouvelles rues qu'on venait de tracer, des meubles luxueux commandés à Rio de Janeiro, des pianos à queue pour orner les salons. Les boutiques bien achalandées se multiplieraient, le commerce se développerait, les boissons couleraient dans les cabarets, des femmes débarqueraient des bateaux, le jeu étendrait son empire sur les bars et sur les hôtels. Bref, ce serait le progrès, la civilisation dont on parlait tant ».



J'aurais aimé vous dire avec admiration la minutie extraordinaire avec laquelle le contexte socio-politique est décrit : on assiste dans les moindres détails à la lutte entre le vieil fazendeiro, le colonel Ramiro, représentant des habitudes du passé, rétrogrades et violentes, et l'exportateur de cacao Mundinho Falcao, représentant la nouvelle génération qui aspire au développement économique de façon raisonnée. Lutte âpre et impitoyable pour le déboisement des terres cultivables et la conquête d'un territoire vierge particulièrement convoitée. Les fazendeiros sont des propriétaires d'immenses terres et maître de l'industrie cacaoyère. Leur pouvoir s'appuie sur les jagunços, des sortes de petites mains pratiquant intimidation, corruption et meurtres. Leur mentalité, arriérée, se fonde sur une conception rétrograde de l'honneur et une vision des femmes très particulière, celles-ci n'ayant que des devoirs, notamment et surtout envers leur mari à qui elles doivent fidélité et obéissance lorsque pour eux, tout est permis. le livre démarre d'ailleurs sur ce mari outragé, lavant l'affront en abattant sa femme adultère et l'amant avec sa carabine. Nacib se trouve au milieu de cet affrontement, les deux partis côtoyant son bar, témoin de cette division en deux camps de la société d'Ilhéus. Nous assistons avec lui à la fin d'une époque faite de violence et de domination.



Voilà ce que j'aurais aimé juste vous dire avec l'enthousiasme qui caractérise en général mes lectures, mais vous le voyez, 3 étoiles sur ma page signifie que j'ai été un peu déçue. Je me suis surprise à ne pas avoir envie de continuer ma lecture, à ne pas prendre un immense plaisir à reprendre et poursuivre mon livre et même à trouver cette lecture, malgré tous les bons et beaux ingrédients décrits précédemment, parfois pesante et ennuyeuse. M'est d'avis que cela est dû précisément au contexte politique qui est tellement mais tellement décrit et présent à chaque page qu'il finit par étouffer l'histoire, à en amoindrir la saveur, à faire émerger des longueurs qui nous font oublier ces odeurs de girofle, de cannelle, de cacao, de fleurs…Sans doute l'auteur avait à coeur d'expliquer cette période si importante de l'histoire de sa région. J'ai eu le sentiment que ces explications transformaient le roman en documentaire, éclipsant parfois le côté romanesque auquel je m'attendais.



Pourtant la plume de J.Amado est fluide et souvent poétique. Il utilise à bon escient l'humour, ou l'ironie. La lecture de ce livre devrait être un régal. Elle fut pour moi, à mon grand regret, assez délicate et laborieuse, surtout la première partie qui plante le décor. Fort heureusement la personnalité solaire de Gabriela m'a envoyé plein d'effluves dépaysantes, notamment à partir du milieu du livre où j'ai commencé vraiment à prendre davantage plaisir à découvrir cette histoire brésilienne.

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La bataille du Petit Trianon

Nous sommes au Brésil, à Rio de Janeiro. Tandis que la Seconde Guerre Mondiale fait rage, ici l'Estado Novo, la dictature militaire au pouvoir, proche de l'idéologie nazie, serre le pays dans un étau effroyable.

Le grand poète académicien Antônio Bruno vient de mourir, emporté par une crise cardiaque. Mais qui était Antônio Bruno ? Certainement un grand défenseur des arts et des lettres, de la liberté, grand amateur de la France, fou amoureux des femmes qui le lui rendaient bien, son écriture évoquait davantage l'amour, les galanteries, que l'engagement politique, hormis son surprenant et ultime poème Chant d'amour pour une ville occupée.

Paris était pour lui comme une terre natale, c'est sans doute la douleur d'imaginer le bruit des bottes allemandes foulant les rues de la Ville des Lumières qui le précipita dans la mort.

Il laisse donc derrière lui une place vacante au sein de la prestigieuse Académie des Lettres brésiliennes qui est un peu l'équivalent de notre Académie Française. Je dis un peu car il semblerait qu'elle soit peut-être même plus prestigieuse. Y entrer est un honneur, une reconnaissance au même titre que prétendre viser les plus hautes fonctions de l'État.

Un homme se dit que c'est l'occasion de briguer cette place pour asseoir ordre et autorité au sein de cette instance suprême qui en a bien besoin : il s'agit du colonel Agnaldo Sampaio Pereira, grand admirateur du IIIème Reich, qui se targue d'avoir commis jadis quelques poèmes romantiques dont il est peut-être le seul aujourd'hui à s'en souvenir. Les dictateurs ça ose tout, c'est même à cela qu'on les reconnaît. Emporter ce poste qu'il brigue ne sera qu'une formalité puisqu'il est le seul candidat, mais il a une ambition bien plus grande, en effet le colonel entend relever le défi suivant pour son honneur et celui de la junte militaire qu'il incarne : être élu à l'unanimité, rien que cela... du reste, qui oserait s'opposer à un sbire du régime en place ? Il veut que son élection soit un triomphe.

Pour beaucoup, cette candidature est jugée scandaleuse, venant abîmer l'image des arts et des lettres et la réputation d'une maison prestigieuse. Alors on est à la manoeuvre dans les coulisses pour trouver un autre candidat, on s'agite, on le trouve, certes il s'agit d'un autre membre de l'armée, poète d'opérette tout aussi inspiré que le colonel, mais personnage bien plus libéral, plus démocratique en la personne du général Waldomiro Moreira.

On se dirige alors vers une bataille, c'est La bataille du Petit Trianon qui va s'accomplir, le Petit Trianon étant le nom donné à l'Académie des Lettres brésiliennes, et cette bataille va donner lieu à moultes péripéties, affrontements, manoeuvres où tous les coups sont permis..., mais aussi offrant une occasion inespérée de découvrir mieux le poète disparu, sa vie, son oeuvre, ses chemins sensuels et amoureux...

J'ai découvert et lu avec beaucoup de jubilation ce petit récit de Jorge Amado qui tient du conte, de la fable, de la parabole, mais surtout qui ne manque pas de saveur.

J'ai adoré ce style truculent et généreux qui est un peu l'empreinte de Jorge Amado. L'auteur brésilien nous offre ici des personnages hauts en couleur, dans des situations picaresques, se promenant entre vagabondage et libertinage, mêlant les petites histoires qui effeuillent la peau et les coeurs avec la terrible Grande Histoire qui broie les corps. J'ai été particulièrement sensible à certains personnages féminins touchants par leur engagement, leur résistance à l'oppression, leur rage d'espoir en la vie.

Ce qu'il faut peut-être retenir de de ce roman, n'est-ce pas un hymne à la liberté, plus que jamais essentiel.

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Le Pays du Carnaval

O País do Carnaval est paru en 1931 avec un bon accueil du public et de la critique. Jorge Amado avait dix-huit ans. Jusque dans les années 1980, il refusait que ce premier roman soit traduit. Il faut dire qu'il y a pas mal de stéréotypes (sur les Français(e)s en particulier) et qu'on ne s'attache guère à son protagoniste principal très antipathique. le roman cherche à décrire les contradictions du Brésil alors en pleine crise.

C'est un roman d'idées et d'apprentissage sur un jeune Brésilien immature et fortement européanisé qui se pose des questions identitaires et politiques. Fils d'un riche producteur de cacao, Paul Rigger revient au Brésil après sept années d'études à Paris. de droit un peu, des femmes surtout. Il en est revenu "blasé", il porte le monocle et se pose des questions existentielles. Sur le bateau, il se montre impitoyable et arrogant avec les Brésiliens, membres des classes dirigeantes, dont il fait partie, tout autant qu'avec Julie la Française, une cocotte élégante dont-il fait pourtant sa maîtresse. Il débarque à Rio en plein Carnaval. Rigger lui-même métis critique le métissage racial du pays et, en particulier, l'institution du Carnaval, qu'il rend responsable du retard dans le développement du pays, estimant qu'il maintient les gens hors du progrès. le pays lui semble étrange et incompréhensible. Puis il rejoint un groupe d'intellectuels de Salvador de Bahia avec lesquels il commence à discuter de questions d'amour, de politique, de religion et de philosophie. Les doutes sur l'orientation du pays occupent le groupe. Finalement Rigger renonce à transformer la réalité brésilienne après avoir dénoncé le carnaval comme une forme de fuite face à une situation sociale terrible. Il décide de retourner en Europe. Les dernières pages du roman sont les plus belles.



J'ai préféré Cacao, son roman suivant (1933).
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Capitaines des sables

Jorge Amado a seulement 25 ans lorsqu’il écrit « Capitaines des sables » en 1937.

Ce roman se déroule à Salvador de Bahia, ancienne capitale du Brésil et point de convergence, à l’époque de l’esclavage, des cultures européennes, africaines et amérindiennes.

Les bas-fonds de cette ville chargée d’histoire où vivent les communautés les plus diverses inspireront le grand romancier brésilien tout au long de sa carrière. Le sort des déshérités, les conditions de vie des laissés-pour-compte, les injustices sociales imprégneront l’œuvre de cet écrivain proche du peuple.



C’est dans un entrepôt désaffecté, au bout d’un no man’s land sablonneux, que nous faisons la connaissance d’un groupe d’adolescents livrés à eux-mêmes.

Patte-Molle, Sucre d’orge, Le Professeur, S’là-Coule-douce, Le Chat, sont les pseudos qu’ils s’attribuent les uns aux autres. Seul un blondinet balafré, Pedro Bala leur chef, a conservé le nom de feu son père, leader syndicaliste des dockers piétiné par la cavalerie dix ans plutôt.



Ces enfants abandonnés n’ont que leur débrouillardise pour survivre, la mendicité et le vol partagent leur quotidien. Leur dextérité au poignard et au rasoir compense leur manque de force face aux adultes. Leur complicité, leur amitié, leur solidarité sans bornes permettent à ces jeunes garçons en manque d’amour de malgré tout se raccrocher à une certaine humanité.

Seul adulte à connaître leur repère, l’abbé José Pedro a toute leur confiance et certains d’entre-deux sont sensibles à son message de paix. Mais la grande majorité n’a pas une âme d’enfant de chœur et les instincts primaires priment souvent sur la raison.



Le lecteur appréciera néanmoins les déambulations de ces gamins espiègles dans la chaleur des rues fleuries de Bahia.

Apparaît alors l’énorme fossé existant entre les bas quartiers miséreux du port et les riches demeures dans la partie haute de la ville. Par petites touches, sans forcer le trait, l’écrivain donne l’impression d’idéaliser le comportement de survie des Capitaines des sables ; il ne glorifie pas leurs exactions mais n’est pas loin de leur trouver des excuses au regard du monde sans pitié qui leur est imposé.



Près d’un siècle plus tard, les disparités au sein de la société brésilienne sont à peine moins criantes et les manifestations de masse dans les grandes villes du pays, ces dernières semaines, auraient probablement inspiré la plume militante du regretté Amado.

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Cacao

Bien avant que la littérature latino-américaine ne soit à la mode en Europe, le Brésilien Jorge Amado (1912-2001) dénonçait l’exploitation des ouvriers agricoles de son pays. Il avait 19 ans quand il écrivit Cacao. Initialement publié en 1933, l'ouvrage court et fort retrace la vie des travailleurs dans une fazenda de la région cacaoyère au sud de Bahia à travers une fiction chaleureuse qui vous emporte. Peu importe que le roman soit classé comme prolétaire ou non en 1933. En 2023 il est toujours aussi percutant.



Le narrateur Sergipano nous présente dès le premier chapitre, le « Domaine fraternité » et les terribles conditions de vie des ouvriers agricoles sur l’exploitation du Colonel Manuel Misael de Sousa Teles. Ce « roi du cacao » est surnommé « Mané-la-Peste » par ses ouvriers. Sergipano présente ensuite plusieurs personnages attachants comme Colodino, Antônio Barriguinha et Honório, tous embauchés à la ferme (fazenda). Puis dans le chapitre suivant il retrace son enfance dans l'État de Sergipe (d’où son surnom). Il est le fils d'un propriétaire d'usine de tissus dans la ville de São Cristóvão. A la mort du père, le garçon a travaillé comme ouvrier dans l’entreprise familiale sous les ordres de son oncle, un homme sans scrupules. Encore adolescent, Sergipano part pour Ilhéus, séduit par les belles promesses de prospérité du pays des «  fruits dorés ». Le récit revient au point de départ. Sergipano, berné, est recruté par le Colonel Misael et « loué » : il est embauché dans des conditions analogues à celles de l'esclavage et vit dans une cabane misérable. Les ouvriers presque tous analphabètes sont contraints d’acheter de la nourriture et d'autres biens de première nécessité dans des magasins de la fazenda. Ces biens sont facturés trop cher pour les ouvriers qui sont donc enchaînés au travail par leurs dettes. Des employés plus costauds que les autres maintiennent l’ordre par une répression extrêmement violente, n’hésitant pas à tuer contre quelques piécettes supplémentaires. C’est normal, cela a toujours été ainsi. Les jours de repos, le protagoniste et ses amis boivent beaucoup, surtout de la cachaça et fréquentent les bordels. Sergipano décrit l’horrible fatalité qui pèse sur les femmes. La routine est interrompue par l'arrivée du colonel Misael et de sa famille pour les festivités traditionnelles de São João. Sergipano est désigné pour être serviteur à la propriété du Colonel. Il y rencontre sa fille Mária, grande lectrice de romans sentimentaux...

Dans l'un des derniers chapitres du roman, intitulé « Correspondance », le personnage-narrateur, appelé Sergipano tout au long du récit, révèle que son véritable nom est José Cordeiro et qu’il est ouvrier typographe à Rio de Janeiro. Il a eu l'idée d'écrire l'histoire de la plantation après avoir lu des lettres d’ ouvriers, de prostituées et des amis qu'il a gardés après son séjour au Domaine.



Le succès populaire de ce livre engagé valut à Jorge Amado bien des ennuis. En 1937, par décision officielle de son pays, 1700 exemplaires de ses romans, dont Cacao, sont brûlés en place publique. Aujourd’hui, on l’étudie dans les écoles.
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La découverte de l'Amérique par les turcs

"Les premiers à arriver du Moyen-Orient étaient porteurs de papiers de l'Empire ottoman, et c'est la raison pour laquelle ils sont, de nos jours encore, appelés Turcs, de cette brave population turque qui, avec tant d'autres, a contribué à former, par amalgame, la population brésilienne ."



Raduan Murad, libanais chrétien,buveur de qualité,champion du baratin et de la bamboche, philosophe à ses heures , Jamil Bichara, syrien musulman de confession chiite, grand travailleur et "fougueux étalon particulièrement recherché par les dames de petite vertu ", et Ibrahim Jafet, veuf éploré,vieux roublard, bon vivant, joyeux fumiste,sous le joug de sa fille ainé qui le harasse pour le remettre dans le droit chemin, sont les trois turcs de notre histoire.

Porté par la plume hilarante, chargée de grivoiserie de Jorge Amado, on suit les pérégrinations de ces trois compères en but de combines pour une vie où le blé et le zizi-panpan sont les principaux ingrédients.

Des personnages truculents les accompagnent, Glorinha Cul d'Or, la danseuse de cabaret et dame de petite vertue à ses heures, Adma,la planche à repasser, fameuse fille aînée de Jafet,Samira, l'allumeuse, la diablesse, autre fille de Jafet, Adib , grand gaillard,sec,musclé et poilu, faisant penser à un dromadaire,serveur de bistrot.....



Ce court roman de 129 pages est une commande qui a été écrite lors des célébrations du cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique. Vous le conseille fortement pour un bon moment de lecture par ces derniers jours de l'été.
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La découverte de l'Amérique par les turcs

2ème édition

Dans ce roman, Jorge Amado n’est pas un écrivain consensuel.

Il fait preuve d’un machisme épouvantable, les hommes ne se réalisent qu’au bordel, et si l’épouse se rebelle, la violence du mari est admise.

Sa déclaration concernant l’imposture de la découverte de l’Amérique par les espagnols et les italiens tombe comme un cheveu dans la soupe.

Pourtant j’ai apprécié le roman car Jorge Amado dans un style truculent, fait ressentir les hésitations et les engouements d’un candidat à un mariage arrangé et comment les hommes mêmes provenant de deux communautés rivales peuvent s’entendre sur les dos des femmes ! Au second degré , le roman est drôle et féministe , mais je suis mal placé pour l’écrire...

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Du miracle des oiseaux

J'ai lu ce conte haut en couleur de 1979 dans la remarquable anthologie Histoires étranges et fantastiques d'Amérique latine. Et j'ai pu découvrir le merveilleux conteur qu'était Jorge Amado (1912-2001 ). En deux- trois lignes, vous êtes dans l'histoire et vous vous marrez. Amado compose un récit drôle, un peu érotique et totalement absurde avec des personnages populaires de son pays. le titre complet est déjà engageant  : « Du miracle des oiseaux survenu récemment en terre d'Alagoas sur les rives du rio São Francisco » . Nous sommes dans le Nord-Est brésilien, dans la ville bien nommée de Piranhas. Amado mêle astucieusement personnages inventés et réels pour faire vrai et amuser ses lecteurs. Les héros sont fameux : le coureur de jupons, la dévoreuse en nuisette rose et son mari jaloux et assassin réputé (voir citation). Ubaldo Capadócio, le fier galant, est un écrivain cordel qui voyage de ville en ville, d'état en état pour vendre sa poésie et subvenir aux besoins de ses trois épouses illégitimes et de ses neuf enfants. C'est une figure populaire recherchée « capable de faire rire et pleurer un défunt ». Il succombe donc à l'ensorcelante Sâbo. Mais le capitaine rentre plus tôt que prévu. Comment diantre Ubaldo pourra-t-il s'en sortir ? Grâce à l'imagination prodigieuse de Jorge Amado, pardi !
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La Boutique aux miracles

Un grand moment de bonheur que cette Boutique aux Miracles dont les intitulés de chapitres suivants reflètent assez bien la tonalité générale :

"Où l'on traite de gens illustres et distingués, d'intellectuels de grande classe, dont quelques-uns savent ce qu'ils disent"

et "Où il question de défilés de carnaval, de batailles de rues et autres merveilles, avec des mulâtresses, des négresses et une Suédoise (qui en vérité était finlandaise)".

Ajoutons à cela d'inénarrables cuites à la cachaça (alcool de canne), des séances de macumba ou de candomblé (cérémonies mystico-religieuses), aussi des spécialités culinaires de Bahia et mille autres petites choses qui font que le Brésil n'est pas l'Espagne, la Suisse ou le Liechtenstein. De sorte que la lecture d'Amado permet de voyager loin et à moindre coût, d'élargir ses horizons sans bouger de chez soi, de voir le monde à travers d'autres yeux depuis un autre lieu, d'appréhender analogies et différences sans éprouver pour elles aucune espèce d'hostilité, tout le contraire de la xénophobie contre laquelle s'éleva un jour le personnage central de ce roman : le mulâtre Pedro Archanjo.

Cette Boutique aux Miracles est donc un roman bariolé où, à travers une écriture ludique et acrobatique , Amado s'amuse à enchevêtrer les tribulations d'Archanjo à ses aventures post-mortem ; on suit les unes avec intérêt, les autres avec plaisir, amusement et parfois même émotion.
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La bataille du Petit Trianon

C’est la troisième fois que lis avec le même bonheur ce roman de Jorge Amado, le grand écrivain humaniste disparu voici 12 ans déjà.

Les deux premières lectures étaient rapprochées et remontent à une trentaine d’années mais ce livre, aujourd’hui jauni, occupe depuis cette date une place de choix dans ma bibliothèque.

J’ai vraiment grand plaisir à vous faire découvrir ce coup de cœur durable !



Alors qu'il se trouve à Paris en septembre 1940, le poète et académicien brésilien Antônio Bruno succombe à un infarctus peu de temps après avoir rédigé un poème intitulé "Chant d'amour pour une ville occupée".



Le docte et servile académicien Lisandro Leite apprend au Colonel Sampaio Pereira qu'un poste se libère au Petit Trianon.

Ecrivain de pacotille, Pereira est l’omnipotent chef des forces de la Sûreté de l'Estado Novo, le parti fasciste qui réprime d’une main de fer la moindre opposition au régime en place.

Sûr de l’emporter, personne n’osera le défier, Pereira annonce sa candidature à l’Académie brésilienne des lettres et compte sur l’habileté du dévoué et flagorneur Lisandro Leite pour transformer son élection en triomphe.



Autour du catafalque dressé dans le hall de l'Académie de Rio de Janeiro, outre les admiratrices éplorées du séducteur irrésistible et poète Bruno, deux vieux hommes de lettres émus : l’écrivain psychologue maître Afrânio Portela et l’essayiste libertaire Evandro Numes dos Santos se remémorent feu « l’ami parfait ».



Outrés qu’un type coupable de compromissions avec le nazisme, responsable de torture de prisonniers politiques, de censures et poursuites à l’encontre d’écrivains et journalistes, puisse bientôt succéder à Bruno qui est mort pour ne pas supporter ces horreurs, maître Afrânio et son ami Evandro se démènent comme des beaux diables pour faire obstacle au sinistre Colonel Pereira.



Puisque le poste semble promis à un militaire, seule la candidature d’un Général démocrate mis au placard, Waldomiro Moreira, semble avoir quelques chances de contrecarrer les plans de l’adversaire. Ecrivain au style châtié et grammairien dogmatique, c’est un homme de parole et de courage, un vrai dur-à-cuire.



Mais rien ne se passe comme prévu, le poste vacant à l’Académie va donner lieu à d’âpres batailles où tous les coups sont permis.

Les vieux amis Afrânio et Evandro se révèlent au fil des évènements des conspirateurs hors pair et ce combat en mémoire de Bruno devient le combat de leur vie, leur combat ultime.



Ce livre truculent, rempli de personnages pittoresques, devrait ravir les amateurs de littérature sud-américaine.

Le lecteur passe sans arrêt de l’abattement à l’espoir et vice versa. Les chapitres sont courts, l’écriture alerte et les rebondissements incessants frôlent parfois la comédie de boulevard.

De nombreux flashbacks sur les conquêtes amoureuses du libertin Bruno donnent une tonalité sensuelle et parfois même érotique à cette fable savoureuse, véritable hymne à la liberté.



La bataille du Petit Trianon, la bataille de l’espoir en un monde meilleur, un roman qui enchantera les vrais démocrates.



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Gabriela, girofle et cannelle : chronique d..

Bonjour, aujourd’hui petit voyage au Brésil, en 1925, pour aller à la rencontre de Gabriela et Nacib !



Nacib, patron d’un bar qui propose des en-cas à grignoter en plus des boissons, et ça a un succès fou ! Mais voilà, sa cuisinière le quitte sans préavis, et il faut qu’il la remplace ! Le problème, c’est que trouver une cuisinière à Ilhéus, son village, est quasiment impossible !



Après une journée très mouvementée, n’ayant trouvé personne, Nacib se décide à embaucher une jeune femme toute crasseuse et en loques, Gabriela, qu’il a trouvée sur le marché des esclaves (où se retrouvent des gens qui ont pris la route).



Quelle surprise de découvrir une magnifique jeune femme sous la crasse ; et en plus, elle est une parfaite ménagère et un véritable cordon bleu !



Vous devinez la suite, Gabriela est une vraie perle, et les clients affluent au bar, autant pour la reluquer que pour se régaler de sa cuisine ! Quant à Nacib il est fou amoureux.



Une idylle se noue entre Gabiela et Nacib, mais monsieur devient jaloux et après quelques hésitations, il décide d’épouser Gabriela afin d’être certain de la garder pour lui.



Mais voilà, certaines fleurs ne s’épanouissent que dans les jardins, en toute liberté, et se flétrissent dans un vase ; est-ce que cet amour survivra avec le mariage ?



Je vous vois venir, vous pensez qu’il s’agit d’une banale histoire d’amour ! Et toc, perdu !



En plus de cette romance magnifique, Jorge AMADO nous raconte la vie de ce village, la bataille politique qui s’y joue, les méthodes assez musclées et archaïques pour obtenir ce que l’on veut, les alliances passées, et le quotidien des femmes qui n’ont pas les mêmes droits que les hommes.



Ce qui est très fort dans ce roman, c’est qu’on s’attache autant aux personnages et à cette belle histoire d’amour qu’à la vie de ce village… et les 440 pages se lisent avec une facilité déconcertante, on ne voit pas le temps passer.



Bref, un roman qui nous entraîne au Brésil, dont le sous titre donné très judicieusement par l’auteur est « chronique d’une ville de l’état de Bahia » et qui vous fera apprécier le girofle, la cannelle et bien sûr Gabriela…



À lire confortablement installé(e) sous un cacaoyer (bonne chance) ou sous un poster du Brésil (ce sera plus facile) en grignotant quelques tapas accompagnés de Tequila… Bonne lecture !



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Les deux morts de Quinquin-La-Flotte

Je lis volontiers des livres écrits par des auteurs étrangers, et parmi eux il y a des écrivains sud-américains. Pour l'instant, je n'avais encore pas ouvert un seul livre de Jorge Amado, auteur pourtant très connu, dont le titre qui me parle le plus est "Bahia de tous les saints". Pour me défendre, je confesse que je suis beaucoup sollicitée et que ma nature est de papillonner parmi les livres. Devait arriver ce qu'il s'est produit! En fouinant dans une boîte à livres, j'ai déniché un ouvrage passablement abimé. Il avait du être lu et relu, celui-là! Peu épais, j'ai surtout été intriguée par le titre : Les deux morts de Quinquin-La-Flotte... Curieux...! C'était une bonne manière de découvrir l'univers de cet auteur brésilien... Je me félicite d'avoir "cueilli" ce livre, car j'ai apprécié sa lecture et il m'aura donné envie de lire d'autres ouvrages de Jorge Amado. Le titre pourtant? Oui, le titre... et la suite aussi... la mort, le cercueil, la veillée funèbre, les croque-morts... et puis deux trépas annoncés, ce n'est pas rien! Oui, certes! Mais il y a beaucoup d'humour, de légèreté, de facéties... et même si la faucheuse est-là, l'auteur donne de bonnes raisons de rire... J'ai beaucoup apprécié les personnages et aussi l'ambiance de ce roman dont l'action se déroule dans les bas fonds de Bahia, au milieu des ivrognes, des prostituées, des parias et des miséreux.

Un excellent roman, dont je conseille la lecture.

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Cacao

Cacao brut, pour ne pas dire amer, dans le Brésil des années 30. Bâti comme un témoignage, Cacao ne se drape pas dans une facture romanesque, pas le temps. Pas le temps non plus de s'attacher aux personnages, pas le temps. Alors accompagner, un court instant, cette vibrante ébauche sociale et humaine qui colorera toute sa littérature à venir. Dans cette œuvre de jeunesse, Jorge Amado déroule le tapis de l'exploitation et de l'oppression comme une gifle, sans attendre que nous tendions l'autre joue : ses personnages l'ont déjà fait pour nous.
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Cacao

L'auteur avait 21 ans lorsque son livre "Cacao" a été publié en 1933.

Depuis Jorge Amado est devenu comme Coelho un incontournable de la littérature brésilienne.

Un jeune homme innocent et naïf se retrouve dans un plantation de cacao après le décès de son père et l'annonce de sa ruine par son oncle. En travaillant pour le Colonel Mané-La- Peste, Sergipano découvre les "Loués", hommes miséreux exploités par les propriétaires de cacaoyers.

Sergipano qui est issu d'un milieu aisé partagent le sort des affamés, des analphabètes et des prostituées. Même le salaire est amputé largement par les achats à l'économat du patron. Les travailleurs sont renvoyés pour des causes qui ne dépendent pas d'eux.

Devant le mépris de ces riches exploiteurs, Sergipano prend conscience de la lutte de classe , seul recours pour en finir avec une société injuste où l'Etat reste inerte.

Amado s'attaque aussi à la religion en dénonçant le manque d'empathie des prêtres qui rejettent les "théories égalitaires". Ils sont carrément haïs.

Roman social avant tout L'auteur donne la voix aux humbles qui souffrent chacun de leur côté sans penser à se fédérer pour devenir une force face aux exploitants.

Livre de détresse et d'injustice ce roman m'a paru chaotique de part sa composition et son manque de profondeur.

J'aurai aimé plus d'approfondissement des personnages .

Aucune odeur de tasse fumante de cacao amer dans ce récit : ma gourmandise est déçue.

Quand aux collégiens l'étude de cet ouvrage ouvrira leur esprit au sort des pauvres et aux droits bafoués des enfants brésiliens.
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Gabriela, girofle et cannelle : chronique d..

Dans le Brésil du milieu des années 20, l’Etat de Bahia se développe à grande vitesse grâce au commerce du cacao et plus particulièrement la ville d’Ihléus. La «guerre» des colonels, pour s’installer et planter la Terre aux fruits d’or, est terminée et le développement du commerce et de la modernité se met en place.



Une compagnie de bus va ouvrir et le repas d’ouverture est prévu dans le Café de Nacib. Par malheur sa cuisinière s’en va, après l’avoir maintes fois dit ! Nacib cherche partout une cuisinière et finit par aller au «marché des esclaves» voir si une cuisinière ne serait pas parmi les «retirants» (réfugiés du Sertão desséché). Il y trouve Gabriela qui va se révéler non seulement très bonne cuisinière mais en plus très jolie et joyeuse ! Nacib le débonnaire va tomber amoureux et va aller jusqu’à l’épouser par peur qu’elle le quitte. Mais Gabriela est comme une fleur qui s’épanouit au soleil et se fane dans un vase, le moule dans lequel elle doit entrer est trop étroit et restrictif pour sa nature sauvage et enfantine.



Cette histoire se tisse avec celle de la ville, de ses notables, de ses prostituées et des étudiantes de l’école religieuse. La bataille sans merci que se livre le vieux producteur de cacao qui gouverne depuis des décennies et le jeune importateur arrivé de Rio, ambitieux et plein de projets, est le moment crucial pour la ville et la région. Les «jagunços», hommes de mains des fazendas, se remettent au travail pour empêcher le parti adversaire de gagner !



Jorge Amado sait mêler toutes ces vies différentes, ces personnages haut en couleurs, sans nuances bien souvent où la loi du plus fort est encore celle qui gagne ! Malgré quelques difficultés à s’y retrouver dans les noms des personnages, cette lecture est comme un bol de cacao velouté, avec sa douceur et son amertume sous-jacente.



Je suis une fidèle lectrice de Jorge Amado et jusqu’à présent j’ai dégusté ses livres avec plaisir.



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