L'existence misérable partagée à Dachau avec une grande majorité de ressortissants des pays de l'Europe orientale, Russes, Polonais, Tchèques, Slaves du Sud, m'a rendu à jamais incapable de me résigner à une Europe qui ne comprendrait que des composantes occidentales. La Pologne, par-dessus tout, m'est apparue comme un des fondements de l'Europe au même titre que la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne. L'autre moitié de l'Europe que l'Amérique et l'Angleterre n'ont pu qu'abandonner à l'Europe totalitaire communiste russe reste pour moi individuellement présente sur les traits des compagnons de Dachau. Ne pas les abandonner à la solitude de l'asservissement qu'ils subissent depuis près d'un demi-siècle, alors que nous jouissons de nos libertés retrouvées, reste pour moi un commandement à la fois politique et moral.
... tant pis, durer, durer, toujours durer était le seul désir, la seule façon de triompher de l'ennemi, la seule façon qu'il nous laissait de le combattre; durer, c'est-à-dire durer intacts, durer tels quels, durer nous, et non pas d'autres hommes, démantelés, désarmés, émasculés par les concessions, les trahisons, les découragements.