POÉSIE CHINOISE Quest-ce que la Poésie chinoise ? (France Culture, 1979)
Une compilation des émissions « Albatros », par Gil Jouanard, diffusées en 1979 sur France Culture. Invités : François Cheng, Gérard Macé, Gérard Engelbach, François Lallier, Joseph Guglielmi, Cheng Shin Cheng et Jean Pierre Dieny.
La poésie est le mouvement respiratoire de la pensée.
Le noyau porte en germe des vergers à l'infini.
Hautes chaumes, I - extraits
Cascade
posément articulée
par le versant ensoleillé.
Sa litanie se perd
dans le tutti continu des prairies
- et la vallée en porte-voix
s’ouvre en plein oxygène
pour faire éclater
les voix simultanées
de la polyphonie.
J’écoute, donc
je suis
pas
à
pas.
Le cri bref du corbeau,
le craquement sur le chemin
d’une branche morte de hêtre ;
peut-être, en écoutant un peu plus loin,
dans les hauts bois une cascade grégorienne :
et puis, mais en tendant vraiment l’oreille,
l’appel, ou la plainte,
qui monte au fond de nous,
comme un torrent de lave.
L’odeur d’humus,
celle de champignon,
toujours jeunes réminiscences
des couches enfouies
de la géologie verbale.
Cinq notes sous la pluie
dessinent la présence de l’oiseau.
Racines,
n’apparaissent que de mort d’arbre ;
ombilic
entre les fruits, les fleurs
et le magma
qui donne à naître
sans dessein.
Dans le terreau inconscient du chant,
racines,
qui accouchez de trois milliards de feux,
trois milliards de regards,
trois milliards de milliards
de désirs.
De la surface de ce jour,
ô vous, subtiles conductrices de la nuit,
je vous entends,
racines.
ce n'est pas le monde qu'il faut changer
mais la nature de nos rapports avec lui
à conquérir la lune
ils ne feront qu’allonger
la portée du rêve
Premier janvier. Le soleil, qui efface la vitre, a réveillé
quelques lézards. Dans l'enclos, l'amandier chante une
joie prématurée. Les violettes, qui ne risquent aucun ave-
nir, parfument les coins d'ombre. Hier soir, la Combe de
Mège rêvait aux harmoniques très lointaines de son nom.
Le puits gracile, les bourgeons crispés, les chênes, les
murets : tout attend. De chaque odeur part un sentier.
Le causse n'est rien d'autre que le négatif de l'Atlantide. A u lieu de proposer un monde englouti, il offre un monde exhaussé. Au lieu d'une Ys digérée par les flots, il présente au regard ignorant l'authentique fond d'une mer disparue. C'est "la mer allée au soleil", mais par évaporation (en fait on sait que l'ancienne locataire reste tenue au loin captive des banquises)
Le monde rétrécit
extrait 1
Ma vie entière aura été celle d’un nomade casanier.
« Enfant déjà », je ne décollais pas du dessus de lit vert
pomme où me clouait la lecture de récits de « voyages
lointains. » Puis j’ai fini par voyager moi-même, poussé
hors de mon trou par les hasards bien prévisibles de la
vie. Mes rêvasseries tellement sédentaires m’ayant écarté
de tout souci du lendemain, je fus imparablement pris
au dépourvu quand la bise fut venue, c’est-à-dire très
tôt, au moment du décès de mon père, lequel fut de son
vivant si bon mais si peu attentif à l’égard du vagabond
qui perçait sous le paresseux. Ainsi, j’échouai sur le quai
d’une gare en beaucoup moins de temps qu’il ne faut
pour le dire. Et longtemps le quai des gares fut, pour
simplifier, ma demeure principale. Et moi, le casanier, je
n’eux d’autre recours que de voyager.
…
Sonnailles …
Sonnailles. Ce qui monte la rude pente de l’hiver. Buée,
fossés raidis. La main au chaud garde l’énigme. Le clair
des yeux se perd dans le brun délavé. Quelque sentier
aussi, aperçu sur la gauche – ou bien cet homme, fruit de
ses instruments. Le monde entier comme étiré au cœur du
cristal de nos prédictions. Nous marchons à travers les
niveaux mélangés du langage. Tout se résout dans le givre
sonore du ciel. Sauf que parfois, d’un glissement de terrain,
surgit, fossilisée, l’énigme. À quoi – de guttural, de bistre,
d’excentré - ce mot, sonnaille, nous fait-il toucher ?
//Revue « Poésie 1, N° 41, Mai- Aôut 1975
//Editions Saint-Germain-des-Prés, 1975
Le chaudron de cuivre de Chardin (II)
extrait 4
Eclatée, la forêt ne laisse plus
qu’un chant
au creux tiède des mains,
un grenat au milieu de la pierre rétive,
ne laisse plus
que le trou vide,
éblouissant
du poème ;
ne laisse plus que,
défaillante,
une trace luisante
dans la voix ;
ne laisse plus qu’un mot
au bord des lèvres,
et qui n’a pas de forme
prononçable :
ne laisse plus qu’un goût
qui désormais sera
sur tous nos aliments.
…