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Critiques de Kamel Daoud (344)
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Meursault, contre-enquête

Parfois aussi en littérature la vengeance est un plat qui se mange froid.



Le roman “Meursault, contre-enquête” de l’écrivain algérien Kamel Daoud, loin d’être un réchauffé de “L’étranger”, est un concentré savoureux.

Le plus connu des romans d’Albert Camus, le premier de la tétralogie “Le cycle de l’absurde”, méritait bien une suite. L’extravagance du meurtre, commis en 1942 sur une plage algéroise inondée de soleil, est ancrée dans les mémoires.



Le narrateur, Haroun, est aujourd’hui un vieil homme qui souvent ressasse devant son verre un passé vécu à son corps défendant. Jamais il n’a pu se défaire ni du fantôme de son frère qu’il a très peu connu ni de la tyrannie castratrice d’une M’ma toujours en vie.

Haroun n’avait que sept ans le jour où Meursault tua de cinq balles son frère Moussa, l’Arabe de “L’étranger”. L’acte de vengeance qu’il commettra vingt ans plus tard, aux premiers jours de l’indépendance en 1962, il le considère à posteriori comme une évidence, comme une catharsis nécessaire non pas tant pour lui-même mais pour sa M’ma…



Kamel Daoud, déjà connu pour son franc parler journalistique au Quotidien d’Oran, évoque le mal-être de la société algérienne constamment à la recherche de son identité. La perméabilité de ses contemporains à l’islamisation rigoriste des esprits, l’inquiète au plus haut point.

Et puis il y a Meursault et plus tard Haroun aux comportements similaires jusque dans l'irrationnel : même quête identitaire, même acte irréfléchi, même absence de remords !



Par son style lumineux, par la gravité du propos sous forme de confession, “Meursault, contre-enquête” paru en 2013 est en symbiose avec son illustre aîné “L’étranger”.

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Meursault, contre-enquête

Ah ! Merci Kamel Daoud pour le soleil, pour l’écriture et pour Meursault qui, quelle que soit sa terre et quel que soit son nom, nous est livré ici avec un double héritage, traversant le XXe siècle et à la fois contemporain. On y décèle l’inaptitude des hommes à l’amour par le poids du destin mais aussi combien la disparition d’un des siens, fut-il mort, l’est parfois bien moins qu’un soi survivant. Et puis aussi comment est ostracisé le jugement, selon que l’attention est portée sur telle ou telle permanence de l’actualité ou sur le sens du détail dans un contexte donné. J’ai beaucoup apprécié cette lecture dont le contenu est au moins aussi fort que l’œuvre avec laquelle elle fait sens et se réfère. Meursault, contre enquête...
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Meursault, contre-enquête

« Un français tue un arabe allongé sur une plage déserte. Il est quatorze heures, c’est l’été 1942. Cinq coups de feu suivis d’un procès. L’assassin est condamné à mort pour avoir mal enterré sa mère et avoir parlé d’elle avec une trop grande indifférence. Techniquement, le meurtre est dû au soleil où à de l’oisiveté pure. […] Tout le reste n’est que fioritures, dues au génie de ton écrivain. Ensuite, personne ne s’inquiète de l’arabe, de sa famille, de son peuple. A sa sortie de prison, l’assassin écrit un livre qui devient célèbre où il raconte comment il a tenu tête à son Dieu, à un prêtre et à l’absurde. Tu peux retourner cette histoire dans tous les sens, elle ne tient pas la route. »



Un vieil homme se confesse dans un bar d'Oran. Dans un long monologue proféré à un prétendu universitaire, il raconte celui qui, pour tous, a toujours été « l'arabe », et rien d'autre. Une victime innocente, tuée sur une plage. Une victime qui n'était autre que son frère, Moussa : « celui qui a été assassiné est mon frère. Il n'en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me présentera. » Haroun n'avait que sept ans à l'époque. Il ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé ce jour-là. Alors il extrapole, il digresse et revient sur son enfance, sur cette mère assoiffée de vengeance qui l'a toujours traité comme un moins que rien. Sur le meurtre qu'il commettra lui-même vingt ans plus tard, en 1962, au moment de l'indépendance. Un meurtre gratuit, contre un français.





Tout cela a bien entendu à voir avec « L'étranger » et sonne comme une réponse à ce dernier. Pourtant, jamais le nom de Camus n'est cité. Le livre est attribué à Meursault, qui l'aurait écrit lui-même en sortant de prison. Comme s'il s'agissait d'un véritable fait divers, comme si la réalité rejoignait la fiction. Les correspondances entre cette contre-enquête et « L'étranger » sont nombreuses et l'on peut dire que Daoud écrit contre Camus, collé tout contre lui. L'effet miroir est saisissant : son « héros » a un problème avec sa mère, son héros tue sans véritable raison un français, son héros voit sa solitude fugitivement brisée par une figure féminine, son héros hait le religion et le crie bien fort.



Ce ne pourrait être qu'un exercice de style, c'est bien plus ambitieux. Peut-être trop d'ailleurs. J'avoue que je suis resté sur ma faim. L'idée d'exploiter la figure de la victime anonyme, cet angle mort du roman de Camus, ce « hors champ », était intéressante, mais j'aurais préféré découvrir vraiment la vie de cette victime plutôt que celle de son frère. Je m'attendais à découvrir cette histoire-là, je ne sais pas pourquoi. Du coup, le monologue décousu du narrateur sur sa propre existence, sa volonté, inconsciente ou pas, de créer le parallèle avec le personnage de Meursault m'a laissé quelque peu indifférent. Pas vraiment une déception, j'admire la façon dont le sujet a été traité, mais ce n'est pas celui que j'aurais aimé découvrir.





Dernière précision qui a son importance, je trouve l'écriture de Kamel Daoud très belle, oscillant sans cesse entre colère sourde et envolées pleines d'exaltation : « Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors elle prend l'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace ».


Lien : http://litterature-a-blog.bl..
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Meursault, contre-enquête

C'EST LA FAUTE A MEURSAULT.

C'est lui qui a tiré cinq balles dans le corps de l'Arabe. C'est lui le Premier Homme. On sait beaucoup de choses sur le roumi, sur l'Etranger, sur ce Meursault qui a tué un Arabe mais que les autorités condamnent parce qu'il n'a éprouvé aucun chagrin lors de l'enterrement de sa mère. Quelle ironie ! Quelle absurdité !



Qui c'est cet Arabe ? A part son bleu de chauffe et ses espadrilles, que sait-on de lui ? Rien.



Le frère du défunt a décidé de lui donner un nom et de lui fabriquer une existence, de lui façonner une fausse biographie en quelque sorte. C'est ainsi qu'Haroun commence à raconter l'histoire de son frère Moussa à un étudiant en mal de thèse ; ça s'est passé au cours de l'Eté 42, sur une plage d'Alger, à 14h. Il faisait chaud, Meursault se promenait avec des amis quand, tout à coup, il a abattu un Arable qui venait dans sa direction.



Haroun est vieux à présent. Il est l'Homme révolté, le frustré qui sa vie durant a été le frère du mort du livre. En 1962, en août, la nuit, Haroun tue un rôdeur, un Français qui s'approchait par trop de la maison qu'il occupait avec sa mère. Il est arrêté et interrogé. S'il avait tué le Français avant le 5 août, il serait un héros mais là, après l'Indépendance, c'est juste un meurtrier. Malgré cela Haroun est libéré sans explication alors qu'il voulait être condamné. C'est un Malentendu, une ironie, une absurdité ! Comment prendre la vie au sérieux ensuite.



Kamel Daoud a eu cette idée généreuse de donner une identité à l'Arabe de Camus et de raconter son pays meurtri par la colonisation. A travers Haroun, il tente de reconstituer le crime, les mobiles, les pans d'ombre tout en imprégnant son monologue de son point de vue d'Algérien d'aujourd'hui. C'est l'Endroit et l'Envers de la même histoire. La Chute n'en sera pas une finalement. Pas de fin, pas d'aboutissement tel le Mythe de Sisyphe. Quelqu'un peut-être prendra la relève ?



Ecriture superbe, hommage à Camus. Idée superbe pour un mensonge sublime et une concordance magique avec la vie de son héros Haroun.



A recommander sans modération.
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Le peintre dévorant la femme

Un livre absolument inouï qui ne peut que séduire tous les passionnés d'art, particulièrement de peinture, ceux qui aiment les oeuvres de Picasso, ceux qui savent contempler la femme, la désirer sans la posséder, la prendre lorsqu'elle s'offre, par les yeux, les mains, la bouche, ceux qui ne sont pas écrasés par une religion d'interdits, ceux qui aiment la culture arabe, les saveurs de l'Orient et même Robinson Crusoe.



Dans sa nuit au musée Picasso de Paris, Kamel Daoud s'intéresse de manière quasi-exclusive à Marie-Thérèse que plus de trente années séparaient du peintre et donc particulièrement aux toiles qu'il a réalisées de son corps durant l'année 1932. Kamel Daoud analyse magnifiquement la charge érotique de ces peintures, cette dévoration de la femme par le peintre qui finit par s'enfermer dans ce corps qu'il pénétre pour atteindre une plénitude en son sein.



Kamel Daoud profite de cette nuit devant ces toiles pour analyser le rapport de l'Orient à l'Occident, la différence de condition des femmes et livre toutes les frustrations qu'elles subissent dans son pays, que ce soit dans leur corps ou dans ses représentations, telle la statue de Sétif détruite par un barbu.



Il assimile quasiment la relation artistique ou amoureuse à un cannibalisme de la nudité et en vient à Vendredi que Robinson tenait absolument à vêtir de pied en cap, ne pouvant supporter sa nudité. Il cite même des extraits du livre du Defoe pour appuyer son propos et lui donner tout son sens.



Il aime l'art dont il est privé en Algérie, l'érotisme magnifié à chaque page, la femme glorifiée, oubliées les menstrues symboles d'impureté (quel mot!), allant même jusqu'à lui donner l'accès à la fonction d'imam.



Un très beau passage sur la calligraphie et sa vision érotique qui ne peut être détruite par les islamistes. Un autre sur la sieste est tout autant chargé de symbolique orgasmique et de repos des deux guerriers des corps.



Sa réflexion est magnifique, lucide, poétique, c'est un hommage à l'oeuvre d'un géant de la peinture, à la femme dans sa plénitude, à la beauté de la vie et de l'amour, par cette dévoration inéluctable qu'il sanctifie.

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Meursault, contre-enquête



Après la lecture de « l'Etranger », je voulais découvrir le roman de Kamel Daoud qui propose lecture alternative de l'histoire de Meursault. Une lecture à la fois complémentaire mais aussi différente puisqu'elle ne se focalise pas sur Meursault mais sur un autre personnage central : "l'arabe"



En effet, l'une des nombreuses interrogations que l'on peut avoir après lecture de « l'Etranger » est pourquoi nous n'avons que si peu d'éléments sur ce personnage qui d'une certaine manière prend de la place dans le roman et va être celui qui amènera la chute de Meursault ?



Kamel Daoud, à travers Haroun (un vieil homme abimé par la vie) va nous donner sa version des faits et réhabiliter "l'arabe" en lui donnant une identité ainsi qu'une histoire.



Haroun n'est autre que le frère cadet de Moussa (dit l'arabe) et c'est dans un bar qu'il va nous interpeller directement pour nous parler de cette histoire qui deviendra le drame de sa vie ainsi que de celui de sa mère.



Ce que j'ai apprécié dans ce roman c'est le culot de l'auteur et sa juste analyse de la condition humaine. Il ouvre le livre par « aujourd'hui M'ma est encore vivante », référence directe à la célèbre phrase prononcée par Meursault dans « l'Etranger ».



Le ton est donné…



Kamel Daoud veut livrer une histoire qui viendra avec audace se faire le miroir de l'oeuvre de Camus. Nous retrouvons d'ailleurs de nombreuses références à « l'Etranger » que ce soit par le biais d'extraits du livre ou de clins d'oeil à l'histoire ainsi qu'aux personnages. de plus, l'auteur a voulu que son roman soit constitué du même nombre de signes que celui de Camus, comme pour indiquer que son livre est le faux jumeau de « l'Etranger ».



Avec « Meursault, contre-enquête », Kamel Daoud nous permet de boucler cette fameuse boucle manquante de « l'étranger » et de rendre un brillant hommage à Camus ainsi qu'à la langue française.



A lire !
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Zabor

Meursault, contre-enquête était un livre formidable. Impossible de ne pas poursuivre avec Kamel Daoud et ce Zabor qui s'annonçait comme une fable, une parabole, une confession vertigineuse (dixit la quatrième de couverture). Le sous-titre du roman, Les psaumes, aurait pu pourtant alerter. D'emblée, le personnage dont on va lire le monologue est parfaitement identifié et son don révélé : par l'écriture, il réussit à repousser la mort du corps de villageois dont la dernière heure avait pourtant sonné. Et un grand défi l'attend : faire de même avec son père avec lequel les relations ont toujours été tendues. Pendant plus de 300 pages, d'une écriture ciselée et très belle, d'autant plus que sa langue maternelle n'est pas le français, Zabor raconte ou plutôt s'épanche sur son cas, clamant son amour des mots, de la littérature et de l'écriture. Un roman, vraiment ? Certes, le livre narre la vie de Zabor, au gré des chapitres, de ci, de là, dans le désordre; mais ne serait-ce pas plutôt un essai déguisé en conte, sur une thématique certes passionnante mais étirée en longueur et redondante au fil de pages qui semblent de plus en plus lourdes à tourner. Ce personnage de Zabor, comme celui de sa tante et de son père ou encore de la veuve qu'il aimerait aimer, sont tout à fait dignes d'intérêt mais les péripéties de leurs existences sont noyées par de longs passages aux frontières de l'hermétisme qui suscitent une lassitude certaine, tout du moins chez ceux qui, dans un roman, privilégient le récit pur et dur. Un rendez-vous manqué qui n'enlève rien au talent certain de Kamel Daoud mais qui fait s'interroger. Brillant journaliste, l'oranais est également un très bon écrivain mais est-ce bien le roman, le genre dans lequel il trouve sa meilleure expression ?
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Zabor





En ouvrant le dernier roman de Kamel Daoud, Zabor ou les Psaumes, j’ignorais que je partais en voyage, initiatique parfois, mémorielle, souvent.

Je partais avec lui comme guide. Lui, Zabor, ou Daoud. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.

Dès les premières pages, le décor est posé, les personnages aussi. Les héros de ce roman seront incontestablement, les mots.

Kamel Daoud a le don de nous surprendre à chaque fois, en posant des questions simples, pertinentes, presque évidentes mais que personne ne pose, du moins aussi clairement. «  Le premier mot du livre sacré est « Lis »- mais personne ne s’interroge sur le dernier… Je me demandais aussi pourquoi l’injonction était faite au lecteur, et pas à l’écrivant. Pourquoi le premier mot de l’ange n’était- il pas « Ecris ».

Mon accompagnateur, Zabor, « Robinson arabe d’une ile sans langue », qui a le «  don d’écrire pour faire reculer la mort », se révéla à lui-même en découvrant et maitrisant son prénom… . «  Je venais de découvrir que l’écriture d’un prénom est une fenêtre mais ne faisait pas disparaitre le mur »…

Nommer les choses, c’est les faire exister, mais aussi les perpétuer. De là, est née la passion de l’inventaire, pour contrer l’oubli et repousser la mort des hommes, des choses.. De l’univers en somme… « Je ne connaissais pas le mot « sommaire » mais je pense que c’est l’essence première de la langue, la comptabilité du possible ».

Une volonté d’inventorier les choses qui se mua en mission secrète et devoir absolu.

« Je voulais tenter une sorte de rapport sur les nuances »

Cette phrase résume parfaitement à elle seule toute la poésie tapie, cachée, dans ce roman. Contre toute attente, Daoud nous livre ici, une écriture baignée de douceur, avec un amour sans fin aux mots. Et les mots, il y en a dans ce livre. Zabor ou les psaumes, au-delà du récit de l’enfance et pérégrinations de ce prodige Zabor, est une invitation au jeu. Jouez à compter, évaluer le nombre de mots différents dans les 330 pages que compte ce livre. Vous serez surpris de découvrir un éventail de descriptions, allant des iles désertes au Désert, en passant par l’océan, les collines, les montagnes…. Ce que Zabor aspirait à faire, Daoud l’a fait.

Encore une fois grâce aux livres et par une ingénieuse ruse formelle, celle de donner un nom de livre qu’il a lu, à chaque cahier qu’il noircit, Daoud/ Zabor, rend hommage à ces ouvrages qui lui ont ouvert le monde. L’usage de l’italique permet d’en délimiter les territoires.

Le voyage entrepris est alors merveilleux et infini.

Merveilleux, par les réminiscences livresques qu’il peut alors susciter dans chaque lecteur qui sommeille en nous. Merveilleux surtout, par les curiosités qu’il peut titiller, les découvertes qu’il peut provoquer. Zabor ou les psaumes, un livre tiroir, une fenêtre sur lecteur, un œil de bœuf sur son âme d’enfant.

Je me suis amusée alors à jouer avec lui. A le suivre au mot- pardonnez le jeu de mot, il était si facile. A le défier. D’abord faire un inventaire des livres qu’il cite. Ils ne sont pas là par hasard. Non, pas avec un auteur aussi chevronné, pour qui la précision fait office de religion. Je ne les citerai pas ici, à dessein, celui de vous laisser vous faire prendre au jeu à votre tour.

J’ai ensuite poussé le jeu plus loin, en lui répondant, ouvrage contre ouvrage, livre contre livre. Sa description mystique du désert, de la nuit, me replongea alors, dans Le petit prince de Saint- Exupéry, ou encore, dans le somptueux, « Les mages » d’Ibrahim al Koni,

Il me rappela Frison Roche dans « Premier de cordée », «  Les fils de la médina » de Naguib Mahfouz, tant le récit est parsemé, voir jalonné de récits religieux mais aussi ; ses recours très nombreux au Livre sacré. 

Zabor, l’orphelin, me ramena aussi à l’autre orphelin de « W ou le souvenir d’enfance » de Georges Perec grand chantre de l’inventaire jusqu’à la litanie.

Il réussit aussi à m’arracher une larme, en me replongeant dans l’univers de Mouloud Mammeri ou Mouloud Feraoun, délicieuses et puissantes descriptions d’une société rurale, aux prises avec de lourdes coutumes et traditions.

Kamel Daoud réussit en fin de compte à me ramener à des lectures enfouies dans les profondes strates de ma mémoire. Il a été le temps de son livre, l’archéologue de mes lectures.

On l’aura compris, Zabor ou les psaumes, est un objet ciselé, une dentelle finement détaillée. C’est une ode à la beauté des lettres et de leur envol dans la calligraphie arabe, ode à la beauté du geste du scribe maitrisant l’entrelacs et l’enlacement presque à l’infini. Une ode à la beauté des lieux, de la nature, du bestiaire. L’écriture devient alors le Calame de Daoud pour graver à jamais toute la beauté de son arrière-pays.

Daoud n’en oublie pas pour autant sa légendaire lucidité, devant certaines contradictions de notre société brillamment transposées dans celle de Zabor. Le roman se retrouve ainsi parsemé de réflexions à l’argumentaire parfaitement construit, donnant au lecteur matière à méditer et certainement à débattre.  

L’humour n’est pas loin non plus ; on le devine dans certains passages jubilatoires, comme celui où il évoque El Hindi ou figues de barbarie : «  il ne faut pas en manger beaucoup car cela remplit alors le ventre d’une pierre tombale et on meurt de constipation en accouchant d’une montagne »

Enfin, je ne pouvais passer à côté de ces mots, qui résument presque tout : 

« Chercher les mots justes, écrire jusqu’à contraindre les objets à devenir consistants et les vies à avoir un sens est une magie douce, l’aboutissement de ma tendresse »

Je veux croire que le dernier livre de Kamel Daoud est un écrin de tendresse. Une main de fer dans un gant de velours.

Il est temps pour moi de vous laisser embarquer avec Kamel Daoud, à bord du vaisseau Zabor ou les Psaumes. Laissez votre imagination s’envoler, goutez chaque mot, prenez votre temps ; car les mots sont éternels.



Imen Bessah Amrouche

Aout 2017



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Meursault, contre-enquête

Voici un texte court, dense, lumineux par la langue, à l'écriture sublime, à la fois riche et sobre, un défi?, une sorte de lettre? oú l'auteur Kamel Daoud, journaliste algérien donne la parole au frère de l'arabe assassiné par Meursault, un vieil homme qui rumine sa solitude et sa colére....

C'est un écho indispensable à l'Etranger d'Albert Camus.....un hommage superbe par le style mais ambigu.....

Cet ouvrage interroge l'identité, la nationalité, la richesse de la littérature, il traduit surtout la complexité des héritages du passé, doubles?faux semblants?réflexion aussi sur l'humiliation et l'injustice de la colonisation, l'impossibilité de rompre avec la France et sa culture, le besoin et la vanité de la revanche, enfin une vision désabusée et désarmée face à l'Algérie Contemporaine.....

J'ai été touchée surtout par la beauté de la langue.....



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Le peintre dévorant la femme

Partagez une nuit au musée de Picasso à Paris en compagnie de l’auteur Kamel Daoud. Dans son tout dernier roman » Le peintre dévorant la femme « paru aux éditions Stock en fin d’année 2018 dans la Collection Ma nuit au musée, Kamel Daoud se fait les yeux de la confrontation de l’art entre l’Occident et l’Orient. Si pour l’écrivain « il faut être un enfant du vers, pas du verset, pour comprendre Picasso », sa manière inédite d’appréhender l’ensemble des toiles du célèbre peintre est un appel à la méditation.

» Je suis un « Arabe » invité à passer une nuit dans le musée Picasso à Paris, un octobre au ciel mauvais pour le Méditerranéen que je suis. «

Déambulant seul dans l’antre dédié au peintre, dans la magie d’une nuit sacrée et consacrée à l’érotisme à travers l’art, l’auteur suspend le temps, dans une visite bien singulière des lieux.

p. 34 : » L’exposition est ordonnée comme un journal, disaient tous les prospectus. D’ailleurs, Picasso aime bien raconter que peindre c’est entretenir un journal, c’est-à-dire baliser le temps, le cadencer, le domestiquer, en faire un rythme choisi, pas un cycle subi. «

Marie-Thérèse Walter n’est âgée que de dix-huit ans lorsqu’elle rencontre Picasso qui en a alors cinquante ! A la fois offrande et désespoir, elle devient muse pour le célèbre peintre, dans cette année si sensuelle de 1932. Toujours peinte de profil, elle est ainsi consentante mais pas complice.

p. 73 : » Picasso se peint et se repeint dans le nu de la femme. Il vise le paroxysme de l’autoportrait : celui où on le voit de l’intérieur, dans la coupe verticale de ses obsessions, à partir du point de vue de sa hantise. «

A travers les toiles, force est d’admettre que la femme est source d’inspiration inexhaustible, objet de désir et de controverse, tout autant que de contemplation. Parfois en proie à une sorte de cannibalisme artistique, tel un animal traquant sa proie, Picasso déploie d’ingéniosité face à la représentation de l’érotisme.

p. 40 : » Il n’y a pas d’érotisme sans folie de possession. «

Que l’on vienne de l’Occident ou du Sud de la Méditerranée, la notion de représentation par l’image est équivoque. Si la culture de l’un non seulement l’autorise mais l’y encourage, l’autre y est appauvri par tout le poids d’une religion, dans tout ce que l’extrémisme a de plus pernicieux.

p. 173 : » La peinture ou l’art sont la déclamation de l’intime, une exposition dit-on à juste titre. Quand cette intimité est refusée, tout l’art est déclassé vers le vice ou la solitude. Les artistes fuient, se déguisent, sont tués ou s’exilent. Ils deviennent expression de la liberté refusée. «

C’est pourquoi, tel un miroir, l’auteur introduit dans sa narration le personnage d’Abdellah, prisonnier d’une culture castratrice de toute liberté et de jouissance, otage d’une certaine conception de la religion qui interdit toute représentation du plaisir. Ainsi, dans une sorte d’échange constant entre les pensées de l’un et les réflexions de l’autre, l’art devient un terrain de discordances.

p. 49 : » Mon personnage s’appellera donc Abdellah, l’esclave de Dieu, monstre né des chairs mortes des cadavres de notre époque, l’enfant d’un malheur qu’il perpétue. «

Faisant référence à de nombreuses reprises à l’œuvre de Daniel Defœ « Robinson Crusoé », pour son rapport à la nudité et à l’asservissement, Kamel Daoud amène le lecteur à s’interroger sur la perpétuelle confrontation entre l’Occident et l’Orient.

p. 204 : » Je me pose cette question à la fin : l’art peut-il guérir mon personnage de sa perte du désir du monde ? De sa violence qui croit trouver le soulagement par la destruction ? Je suis l’enfant d’un monde où l’érotisme est un silence. Le corps n’y est pas aimé mais subi. «

La couverture est le reflet de cette nuit au musée, faite d’humilité et de vastité. Composé de nombreux chapitres très courts, il en favorise l’absorption par le lecteur, car c’est un roman d’une grande richesse. S’il a mis un terme à sa carrière journalistique pour se consacrer pleinement à l’écriture, Kamel Daoud est, pour ma part, une révélation en tant qu’auteur. Il représente la puissance de l’écriture dans une plume de velours et de poésie. Si son écriture peut rester hermétique pour certains, c’est qu’il faut apprivoiser ses mots, prendre le temps de la lecture, non pas à la recherche d’un dénouement imminent, mais dans la délectation du subtile choix des mots et du sens. Il est un écrivain engagé vers l’ouverture. Un roman qui appuie et confirme sa virtuosité.
Lien : https://missbook85.wordpress..
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Meursault, contre-enquête

Quel bonheur de lire ce livre ! C’est d’une finesse et d’une intelligence rare. J’ai été éblouie. Encore une fois… ce soleil des mots et ce sel de la vie, des décennies plus tard hommage à Camus, c’est beau. J’ai été étourdie, soufflée par des phrases sublimes, par une histoire mise en perspective avec brio, par la sensibilité d’un arabe perdu dans un abîme de mort. A-t-il existé lui aussi ou n’était-il que le reflet d’un songe ? Un reflet jumeau issu d’une fulgurance d’un auteur qui draine une histoire de l’Algérie meurtrie, d’un fils mort et d’un vivant illusion d’un monde perdu. Toujours la même solitude, un être créé par Kamel Daoud qui a trouvé les mots, les sentiments les plus appropriés pour parler -cette après-midi à quatorze heures soleil tapant- de son frère Meursault.
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Meursault, contre-enquête

Kamel Daoud écrit une suite à "l'Etranger" d'Albert Camus. dans lequel on voit Meursault assassiner un Arabe sur la plage.

Dans le roman, nous faisons connaissance avec Haroun, le frère de l'Arabe et de sa mère qui ne fera jamais le deuil de son fils.

Etrangement, Kamel Daoud nous présente les faits comme s'ils étaient réels et à travers Haroun, il invente une identité à l'Arabe qui porte le nom de Moussa. Pour Haroun, il est anormal de ne pas avoir donné plus d'importance au mort dans le livre.

Tout au long des pages et surtout dans la dernière partie, Haroun vivra les mêmes évènements que Meursault mais il va devenir un redresseur de torts et se détruire lui-même. Ce drame a habité toute sa vie avec l'aide sa mère qui se complaît dans un deuil malsain ( expression de l'auteur).

En marge du récit, on vit aussi la haine qui existait avant l'indépendance entre les "colons" et les Arabes.

On perçoit aussi le malaise que ressent l'auteur envers la société dans laquelle il doit vivre à Oran, les interdits et c'est sûrement cela qui lui a valu une fatwa de la part d'un imam.

Haroun est le narrateur, il parle à la première personne.

Le tutoiement qui apparaît souvent est étonnant, il s'adresse au lecteur de Camus et à son lecteur. C'est tout à fait questionnant, j'ai d'abord pensé qu'il s'agissait de Camus puis de Meursault et j'ai petit à petit compris.

L'écriture est très belle, j'ai relevé de nombreux passages sur le chemin de ma lecture.





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Meursault, contre-enquête





Kamel Daoud dit que son idée est des plus simples: réécrire l'Etranger du point de vue de la victime et non plus de celui de l'assassin. L'idée est peut être simple, la réalisation moins.



Le premier écueil est de devoir confronter son style à celui de Camus. Concision, clarté du propos, intelligence, profondeur mélangées, le défi est de taille. Il est pour moi brillamment réussi par Daoud, je pourrais citer une phrase clé à chaque page, où la beauté de la langue n'est pas qu'un artifice mais sert le propos comme l'histoire.



Le second est de ne réaliser "que" un pastiche de Camus. Ce n'est pas du tout le cas ici, il s'agit plutôt d'un hommage (les références à d'autres œuvres sont nombreuses mais subtiles). Et l'auteur n'oublie pas de développer sa propre histoire parallèle, de donner chair et présence à ses personnages. Les trouvailles narratives pour s'éloigner puis rejoindre le roman d'origine sont nombreuses et souvent jouissives.



Une fois passé les écueils, Daoud n'oublie pas non plus de se servir de l’œuvre pour faire passer ses messages, sans gros sabots mais sans se cacher non plus, ce qui lui a d'ailleurs valu les foudres des autorités religieuses par ses prises de position pour le moins courageuses.



Il faut donc plutôt bien connaitre Camus et son œuvre (l’Étranger en tout cas au minimum) pour pleinement apprécier toutes les richesses de ce livre. Mais ce qui en fait pour moi un roman singulier et indispensable, c'est aussi toutes ses autres dimensions.
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Meursault, contre-enquête

Il est le frère de ‘’l’Arabe’’ tué par un certain Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre roman du XXème siècle. Soixante dix ans après les faits, Haroun, qui depuis l’enfance a vécu dans l’ombre et le souvenir de l’absent, ne se résigne pas à laisser celui-ci dans l’anonymat : il redonne un nom et une histoire à Moussa, mort par hasard sur une plage trop ensoleillée.



Soixante douze années, c’est le temps nécessaire à ‘’l’Arabe’’ de Camus pour retrouver un état civil et une famille. Et ceci grâce au livre de Kamel Daoud qui a eu l’audace et le talent d’offrir aux lecteurs un livre dont le titre résume pleinement l’ambition. Ce très beau texte servi par une écriture irréprochable prolonge le roman de Camus d’une manière saisissante.
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Meursault, contre-enquête

Dans ce roman paru en 2013 en Algérie (aux éditions Barzakh, et chez Actes Sud en 2014), confondant l’auteur et l’assassin de «L’étranger», Camus et Meursault, Kamel Daoud, écrivain et journaliste algérien d’expression française, se met dans la peau d’Haroun, le frère cadet de «l’Arabe» assassiné par Meursault à qui il donne enfin un nom, Moussa, cet homme mort dans un livre depuis soixante-dix ans et resté dans l’anonymat et l’insignifiance, au cœur des pages d’un des romans les plus lus de la littérature française.



«Un point me taraude en particulier : comment mon frère s’est-il retrouvé sur cette plage ? On ne le saura jamais. Ce détail est un incommensurable mystère et donne le vertige, quand on se demande ensuite comment un homme peut perdre son prénom, puis sa vie, puis son propre cadavre en une seule journée. Au fond, c’est cela, oui. Cette histoire – je me permets d’être grandiloquent – est celle de tous les gens de cette époque. On était Moussa pour les siens, dans son quartier, mais il suffisait de faire quelques mètres dans la ville des Français, il suffisait du seul regard de l’un d’entre eux pour tout perdre, à commencer par son prénom, flottant dans l’angle mort du paysage.»



Racontant cette histoire du fond d’un des rares bars où l’on peut encore boire de l’alcool en Algérie aujourd’hui, le narrateur nous dit l’envers d’un roman célébré par tous, parfois avec humour - dès l’incipit : «Aujourd’hui M’ma est encore vivante» - poussant au départ un cri de colère contre la barbarie de la colonisation, la désespérante banalité de ce meurtre au cadavre anonyme, la négation de la culture et de l’identité des colonisés. Il raconte l’autre face de l’histoire afin de rétablir un équilibre, ce qui ne fut jamais fait, même après l’Indépendance de l’Algérie.



«Meursault, contre-enquête» rend aussi hommage à la littérature de langue française, la langue de l’autre, cette langue parfaite d’Albert Camus «qui donne à l’air des angles de diamant», que le narrateur s’est approprié pour se détacher de l’héritage d’un deuil interminable et pour ordonner son propre monde.



«Le meurtrier est devenu célèbre et son histoire est trop bien écrite pour que j’aie dans l’idée de l’imiter. C’était sa langue à lui. C’est pourquoi je vais faire ce qu’on a fait dans ce pays après son indépendance : prendre une à une les pierres des anciennes maisons des colons et en faire une maison à moi, une langue à moi. Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon "bien vacant".»



Utilisant l’arme du langage et de l’écriture, il évoque en filigrane l’histoire de l’Algérie depuis l’Indépendance, toutes ses ombres pesantes, son absence de retour sur le passé, la relation difficile aux femmes dans la société algérienne, et une soumission folle à la religion et à ses intolérances ; il condamne ainsi ceux qui se soumettent aveuglément à et aux écritures – négligeant la vie et le réel, oubliant de voir la barbarie du monde, et il dit l’impossibilité d’aimer pour celui qui refuse la réalité de la condition humaine.



«As-tu remarqué que les vendredis, généralement, le ciel ressemble aux voiles affaissées d’un bateau, les magasins ferment et que, vers midi, l’univers entier est frappé de désertion ? Alors, m’atteint au cœur une sorte de sentiment d’une faute intime dont je serais coupable. J’ai vécu tant de fois ces affreux jours à Hadjout et toujours avec cette sensation d’être coincé pour toujours dans une gare désertée.

J’ai, depuis des décennies, du haut de mon balcon, vu ce peuple se tuer, se relever, attendre longuement, hésiter entre les horaires de son propre départ, faire des dénégations avec la tête, se parler à lui-même, fouiller ses poches avec panique comme un voyageur qui doute, regarder le ciel en guise de montre, puis succomber à d’étranges vénérations pour creuser un trou et s’y allonger afin de rencontrer plus vite son Dieu.»



S’appuyant contre un livre célèbre et tabou comme peut l’être une religion, Kamel Daoud réussit un grand roman, questionnement magistral sur la littérature et le poids de l’histoire, une lecture indispensable ces jours-ci.

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Zabor

Quelle superbe écriture. Ciselée, poétique, pleine d'arabesques, sensuelle par moments.



C'est surtout cette écriture qui m'a fait aimé ce livre, cette magie dans le style et la narration, et, en arrière-plan, le pouvoir de l'écriture et du livre, capable chez Zabor de repousser la mort. Qu'en sera-t-il de celle de son père alors qu'il a été jeté dans le désert avec sa mère répudiée ?



Conte plus que roman, fait d'aller-retour, de soubresauts : il est malgré ses 300 pages, peut-être un peu trop long. L'écriture est belle, mais l'histoire ne m'a pas emportée. J'ai de loin préféré son Meursault, contre-enquête. Mais je suis difficile, c'est un bon moment de lecture quand même.
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Meursault, contre-enquête

J'ai un avis partagé sur ce roman dont j'attendais beaucoup ayant eu un coup de coeur pour "L'Etranger". Je suis un peu déstabilisée car je pensais en apprendre beaucoup plus sur "l'Arabe" victime de Meursault dans le roman de Camus. Mais Kamel Daoud reste assez évasif, et le lecteur sonde plutôt l'âme du frère de la victime, victime lui-même car poursuivit pendant toute son existence par l'assassinat de son frère aîné. Un roman très psychologique. Kamel Daoud aborde aussi des sujets graves, l'indépendance de l'Algérie et les rapports avec la religion. Ce texte n'est pas facile, ce n'est pas une lecture aisée, mais il n'en reste pas moins un excellent premier roman.
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Meursault, contre-enquête

Ce roman est une sorte de lettre ouverte, d’objurgation, d’un cri de douleur, ou encore d’aveu écrite a’ l’ectoplasme de Meursault, protagoniste du roman d’Albert Camus L’Etranger, paru en 1942, considéré comme l’un des best-sellers de la littérature contemporaine.

L’étranger est le roman qui a décelé les positions politiques d’Albert Camus, en mettant à nu sa conception de l’Algérie française, lui qui a préféré sa mère (l’Algérie française) à la justice, Ivre d’un style tiré a’ quatre épingles où nihilisme, déraisonnable et impassibilité s’ingèrent. Cinquante-deux ans après l’indépendance de l’Algérie, Kamel Daoud a interrogé le destin, la justice, la guerre, un embrouillamini simultanément proche de Camus et Meursault, ainsi que l’histoire et les ombres du passé ; une sorte de contre-enquête, comme le titre l’indique si bien. « Peut-être la vraie question, après tout, est-elle la suivante :s que faisait ton héros (Meursault ) sur cette plage ? Pas uniquement ce jour-là, mais depuis si longtemps ! Depuis un siècle pour être franc (…) cela m’importe peu qu’il soit Français et moi Algérien, sauf que Moussa était à la plage avant lui, et que c’est ton héros qui est venu le chercher », a-t-il écrit à la page 87.

Le personnage principal de Kamel Daoud est Haroun, le frère de l’homme lâchement et délibérément assassiné par Meursault au bord de la mer. Son seul tourment et tracas , voire son obsession, c’est le fait que son frère n’a pas de prénom dans le livre, et intitulé tout juste « l’arabe ».

Il a redonné le nom de son frère Moussa afin de donner chair à cette figure niée de la littérature :

« A sa sortie de prison, l’assassin écrit un livre qui devient célèbre où il raconte comment il a tenu tête à son Dieu, à un prêtre et à l’absurde (…) C’est l’histoire d’un crime, mais l’arabe n’y est même pas tué – enfin, il l’est à peine, il est au bout des doigts. C’est lui, le deuxième personnage le plus important, mais il n’a ni nom, ni visage, ni parole.

Cette histoire est absurde », peut-on lire à la page 75.

Racontant l’envers du décor, Kamel Daoud tisse un portrait de Moussa, de sa vie et de ses rêves. Après sa mort, Haroun et sa mère s’installent à Hadjout (où la mère de Meursault meurt) avant que les pistes ne se brouillent, des effets de miroir. Haroun commet un crime à l’encontre d’un colon aux lendemains de l’indépendance et se retrouve au tribunal, ironie du sort. A travers Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud a mis en cause l’humanisme du prix Nobel de la littérature 1957. Perdre le prix Goncourt (le plus prestigieux prix littéraire en France par une seule voix) est la meilleure preuve de bien fondé, la plume virulente, et l’idée pleine d’adresse et habileté de ce roman.

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Meursault, contre-enquête

"Le premier savait raconter, au point qu'il a réussi à faire oublier son crime, alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu'il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n'a même pas eu le temps d'avoir un prénom."

C'est fascinant, ce que fait Daoud dans ce roman : ré-inventer toute une histoire pour cet Arabe anonyme tué par "L'Étranger" de Camus.

Il s'appelait Moussa Ould-el-Assasse. Il avait une mère, M'ma, un petit frère, Haroun. C'est le petit frère qui raconte, 70 ans après, devenu un vieil alcoolique qui radote dans un café d'Oran… Ce roman est d'abord la biographie intime d'un enfant qui a grandi dans la solitude, sous l'emprise d'une mère endeuillée.

C'est aussi un roman historique, qui raconte une enfance pauvre dans l'Alger des colonies : "Nous, petite collection de poux, perdus sur le dos d'un immense animal géologique qui était la ville et ses mille ruelles."

Et un roman historique qui nous plonge dans le flot de la guerre d'Algérie et de l'Indépendance :

"Peut-être la bonne question, après tout, est-elle la suivante : que faisait TON héros sur cette plage ? Pas uniquement ce jour-là, mais depuis si longtemps ! Depuis un siècle pour être franc."

Haroun a aussi été un meurtrier, et comme Meursault il a été suspect, non du crime, mais d'une faute morale : pour l'un, de n'avoir pas pleuré sa mère ; pour l'autre, de n'avoir pas rejoint le maquis.

Fascinants tous ces parallèles que dresse Daoud, à commencer par l'invention de ce livre :

"Le titre en était L'Autre, le nom de l'assassin était écrit en lettres noires et strictes, en haut à droite : Meursault." Et d'évoquer la prononciation de Meursault en arabe, "El-Merssoul, l'envoyé ou le messager."

Il y a beaucoup de choses à tirer, donc, de cette double lecture : celle de "L'Étranger" et celle de cette contre-enquête, dans laquelle Daoud relit le roman de Camus "en le faisant pencher de côté pour en faire tomber les détails invisibles."

J'ai apprécié la belle écriture, très littéraire je dirais, mais qui n'échappe pas à quelques longueurs – telle la conversation d'un vieil alcoolique rencontré dans un café d'Oran...
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Meursault, contre-enquête

Ce pourrait être un premier roman blasphématoire. S'attaquer au plus grand monument de la littérature française du XXème siècle, le plus lu, le plus primé, le pus adulé: l'Etranger de Camus. S'attaquer non pas à l'auteur mais à la narration simpliste, ( la fameuse théorie de l'absurde camusienne en est à l'origine) pour partir d'un constat hallucinant: l'Arabe tué par Meursault ni ni identité, ni corps, ni sépulture. Son meurtrier sera éxécuté parce tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère mérita la peine capitale. le paroxysme de Camus est que l'absurde se contente de peu. un homme est là, il y a le soleil, il tue. A travaers quelques lignes, Camus nous dépeint la colonisation de ces français obèses de voler les récoltes des Algériens.

Trop simpliste pour Moussa, le frère de la victime, aujourd'hui vieillard alcoolique obsédé par une idée: pourquoi son frère n'a-t-il pas d'identité dans le roman de Camus? Lui aussi, 20 ans après, en 62, au moment de l'Indépendance, fera le même geste en tuant un colon français. Et de nous raconter à travers ces quelques lignes, la décolonisation et les ratés de l'indépendance. Qu'est-il resté: Des Os, des mots et des routes. Comme dans chaque décolonisation.

Un premier roman prodigieux, limpide qui éclaire sous un jour qui n'est pas celui de la haine l'histoire croisée de deux pays qui auraient pu s'aimer. Si deux hommes ne s'étaient pas tués, peut-être... A lire
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