Il n’est pas bon d’exhumer le passé, mademoiselle. Je… je suis différente, à présent. Ce que j’ai fait alors… ce que j’ai vécu… était pénible. Ce genre d’existence reste une source de fascination pour les autres. Je me demande bien pourquoi, d’ailleurs. J’ai connu la peur, la faim. J’étais seule au monde, désorientée. Si ma Lindy et mon Michael finissaient comme ça, j’en mourrais !
Ça ne fait que confirmer ce que je répète toujours : les journalistes ne savent plus quoi trouver pour vendre du papier.
Si vraiment cette femme est solitaire, sa réussite n’en est que plus étonnante. On ne bâtit pas un succès comme le sien sans relation ni capitaux. Je te parie qu’elle se fait entretenir par un vieux plein de fric. Ce genre de chose est monnaie courante chez les artistes.
Bien sûr, il était tombé amoureux plusieurs fois ; il avait même vécu avec une femme pendant plusieurs années. Mais aucune de ses histoires de cœur n’avait été assez forte pour lui donner le désir de s’engager réellement. Il avait fini par se dire que le grand amour qui avait poussé ses amis à se marier n’était pas pour lui. Avec le temps, il s’était résigné à vivre autre chose que les rêves romantiques de sa jeunesse. Après tout, l’existence qu’il menait présentait aussi des avantages.
Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir comme il se consumait d’amour, malgré son attitude réservée. Franchement, c’était aussi visible que l’étoile sur le drapeau du Texas.
Après la mort de son époux, Hannah supporta mal de devoir restreindre son train de vie. Encore jeune et belle, elle s’employa à trouver un homme qui pût lui offrir l’aisance matérielle. Edward Martindale était un avocat de Chicago; il avait atteint la célébrité suite à l’acquittement de ses clients dans trois procès retentissants. Il ne possédait pas le raffinement de Wilson Weston, il appartenait à une lignée moins prestigieuse. Cependant, il se révélait plus ambitieux. Il était en passe de devenir un ténor du barreau de Chicago. Il lui manquait une épouse jeune, belle, et de bonne ascendance. Hannah s’avéra parfaite, bien qu’elle eût une fille de neuf ans. Ce dont Edward s’accommoda. Ils se marièrent à peine un an après la disparition de Wilson.
Caroline comprit très vite qu’Edward ne saurait en aucun cas remplacer le père qu’elle avait perdu. L’avocat était aux petits soins pour Hannah, mais il ignorait superbement l’enfant. Caroline eut une adolescence difficile – ce qui, vu le contexte, n’avait rien de surprenant. La jeune fille se montrait irritable, révoltée, d’humeur changeante. Edward, quant à lui, s’avérait impatient, froid, insensible. Hannah se préoccupait exclusivement du bonheur de son mari. En conséquence, elle veillait à éloigner sa fille pour ne pas l’importuner.
Elle se rappelait le visage de la jeune femme avec une netteté qui confinait à la cruauté : ses yeux gris comme un ciel d’orage, ses cheveux bruns aux boucles indomptables. Un visage typé, à l’opposé de ces beautés lisses que l’on trouvait dans les magazines de mode. Un physique qui ne pouvait laisser indifférent. Il se dégageait d’elle une irrésistible impression de fraîcheur et de vitalité.
Un type comme Morton ne pouvait pas laisser passer une femme à la fois belle, riche, et liée aux plus grandes familles du Texas. Ce n’était qu’un opportuniste quand il t’a séduite, et il n’a pas changé. Pour lui, un poste d’ambassadeur ne serait qu’une étape de plus dans sa course effrénée vers les sommets du pouvoir.
Hélas, il était plus facile de se débarrasser du courriel indésirable que du trouble dans lequel celui-là l'avait plongée. Mentalement, elle nageait en plein chaos. Il lui était impossible d'ignorer l'intérêt subit que lui témoignait Lindsay Blackstone, mais après vingt-cinq ans de silence, il arrivait trop tard. Que s'imaginait-elle, au juste ? Qu'il suffisait de venir frapper à sa porte pour qu'elle leur fît une place dans son cœur, à elle et à sa sœur ? Non, elle avait suffisamment à faire dans sa vie sans éprouver le besoin de se lier à deux inconnues.
Il ne savait pas au juste ce qui l’intriguait tant chez cette femme. Bien sûr, elle était belle. Mais il y avait autre chose. Comme ces lourds secrets qui semblaient s’être réfugiés dans ses yeux gris… Il l’avait trouvée si touchante, si désirable, qu’il avait dû se faire violence pour ne pas laisser sa main errer dans le désordre de ses boucles brunes. Mais c’était sa bouche rieuse qu’il aimait le plus, sa grande bouche moqueuse qui contredisait le sérieux de son regard et de son attitude. Incroyablement sexy, pour tout dire.