A présent, je me regarde dans la glace. Quand ma mère m'a donné ce maillot, elle m'a dit :
- Le noir mincit.
Si là c'est mince, imagine ce que ce sera en couleurs...
- Sam ? appelle Katie d'en bas. Tu viens ?
Je passe la tête par la porte.
- Presque prête !
Pourquoi tu fais ça ? Qu'est-ce qui te prend ?
Je vais bien. Je n'ai même pas besoin de me déshabiller quand on arrivera. Je vais juste m'asseoir au soleil et regarder les autres se baigner. Ce sera sympa.
Menteuse menteuse menteuse menteuse...
Au lieu de me lever, je reste allongée sur le dos, les yeux sur les nuages. Je m’imagine aussi léger qu’eux. Je ne bouge plus, attendant que le vent m’emporte.
C'est comme si j'avais quitté mon corps et m'observais d'en haut. La fille que je vois au milieu de la cuisine porte une queue-de-cheval à moitié défaite et des traces de sauce salade sur le coin de la bouche. Elle sourit désespérément, le regard triste. Elle pète les plombs. Je pète les plombs. J'ai perdu toute emprise sur ma vie.
Ca saute aux yeux, pourtant ! Tout en moi est tremblotant. Je tiens à peine debout. Si je respire trop fort, je m'écroule.
Me relâcher et avancer, je ne sais pas faire. Pas encore. Je suis trop attachée à avant. Trop anxieuse pour après. Mais je fais tout pour changer. J’essaie de me concentrer sur maintenant.
Seulement, c'est dur de gagner quand on lutte contre soi-même.
Alors, comment entretenir cet amour pour votre art tout en trouvant un moyen d'aimer votre corps ? croyez-vous que ces deux amours peuvent coexister ?
J'en veux à cet abruti de George Balanchine
- Pourquoi ?
- Parce-que c'est sa faute si le monde de la danse est obsédé par la maigreur. C'est sa vision esthétique à lui. A cause de lui, les filles comme moi ne peuvent pas devenir des ballerines [...]. Si je pouvais voyager dans le temps, je ferais le nécessaire pour que les grands rôles reviennent aux grandes danseuses, pas aux plus maigres. (P. 104).