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Critiques de Kazuo Ishiguro (1072)
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Les vestiges du jour

Ah, que j'aime les romans merveilleusement écrits… !

Quel plaisir de lire des phrases extrêmement bien construites, avec de jolis mots, des tournures stylisées mais pas trop, des sentiments nobles, de la retenue, aucune vulgarité…

Petite parenthèse : j'ai acheté ce livre l'été dernier dans un « village du livre » dans l'est de la France.

Mais qu'est-ce donc qu'un village du livre, vous demandez-vous ? (ou pas).

Ce sont généralement de petits villages dans lesquels on trouve une forte concentration de bouquinistes. Il y a huit en France et on en trouve aussi à l'étranger.

Au Pays de Galles, un de ces villages accueille plus de 35 librairies !

Bref, quand j'ai découvert que près de mon lieu de vacances il y en avait un, je suis allée y faire une razzia de romans, de polars, de classiques, de petites pépites etc...



Mais revenons à ce roman.

Mr Stevens est majordome, cela est plus qu'une profession, à ses yeux, c'est une vocation, c'est le sens de sa vie, c'est ce qui gouverne chacun de ses actes, de ses pensées.

Pendant une semaine, il va effectuer un petit voyage en voiture en Angleterre, et cela va faire rejaillir une foule de souvenirs tous liés à sa condition de majordome.

Il a servi un Lord anglais pendant plus de 35 ans et aujourd'hui, la propriété a été rachetée par un américain, lequel n'a pas les mêmes exigences ni la même façon de concevoir le rôle d'un majordome au sein d'une grande maison.

Entre souvenirs personnels et familial, anecdotes liées au service, rencontres avec des personnes influentes ou soucis dans les rapports avec les autres domestiques, Mr Stevens nous fait pénétrer son univers, ses pensées, ses failles, mais nous montre aussi sa force, sa dignité et laisse finalement apercevoir un homme derrière le majordome.

Une lecture magnifique, à la fois classique et surannée mais très touchante.
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Klara et le Soleil

Délicatesse et subtilité sont les deux mots qui me viennent à l'esprit pour qualifier ce livre étonnant. Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature 2017, a osé un pas de côté, en nous offrant cette histoire matinée de science-fiction qui, sous des abords assez simples, nous interroge sur notre humanité, notre part unique et insaisissable. le tour de force est de donner la parole à un robot dont nous suivons les pensées, les raisonnements, l'évolution, la vision. L'écriture, voix d'une intelligence artificielle, se veut logiquement particulière, simple, sobre et évolutive.



Klara est une A.A, une Amie Artificielle, un robot intelligent conçu pour partager la vie des enfants et des adolescents. Dans le magasin dans lequel elle attend enfin d'être choisie, nous comprenons que, par rapport aux autres A.A., elle est dotée d'un grand sens de l'observation, de curiosité et d'intelligence. Lorsque Josie, une adolescente de 13 ans, entre dans le magasin avec sa maman, c'est le coup de foudre mutuel. Elles se sont choisies. Klara entre donc dans cette nouvelle famille. Mais Josie est malade, affection assez étrange dont nous ne savons trop rien, qui la fatigue et engendre une ambiance particulière dans la maisonnée. Klara fait également la connaissance de Rick, le voisin, petit ami de Josie. le soleil est une préoccupation omniprésente pour Klara d'où elle puise son énergie, ses nutriments. A tel point qu'il devient source de prières et auprès duquel Klara se voit confier une mission rédemptrice pour sauver la jeune fille.



Si je suis restée dubitative sur la ferveur et l'espoir quasi religieux ressentis très vite par Klara auprès du soleil, j'ai particulièrement aimé l'ambiance distillée dans ce livre du fait même de découvrir paysages et intérieurs avec les yeux du robot. C'est très original car sa vision s'ajuste en permanence, notamment lors de déplacement, que ce soit en marchant ou en roulant en voiture, et ces ajustements se réalisent au moyen de visions parcellaires par « boites », par pixels, souvent mis en évidence à tel point que j'avais l'impression de voir moi aussi de cette façon :



« Puis je regardai au-dessus de la tête de Rick et je vis que le ciel s'était divisé en segments de forme irrégulière. Certains étaient orangés ou rose brillant, tandis que d'autres contenaient des morceaux du ciel nocturne, et dans un angle ou sur un bord, des sections de la lune. À mesure que Rick avançait, les segments se chevauchaient et se remplaçaient entre eux, même lorsque nous franchîmes un autre portail-cadre. Puis l'herbe, au lieu d'être délicate et ondulante, apparut sous la forme de plaques horizontales… ».



J'ai beaucoup apprécié ces visions kaléidoscopiques, également lorsque Klara comprend que son interlocuteur a une réaction un peu vive :



« La mère se pencha au-dessus de la table pour me voir de plus près et son visage remplit huit boîtes, laissant seulement les boîtes périphériques pour la cascade, et j'eus l'impression un instant que son expression variait d'une boîte à l'autre. Dans l'une d'elles, par exemple, ses yeux riaient cruellement, mais dans la suivante, ils étaient pleins de tristesse ».



Par ailleurs, fait subtil, nous percevons l'évolution de Klara qui, au fur et à mesure de ses observations, apprend les émotions, leur complexité, leurs nuances, jusqu'au point de les ressentir, chose importante selon elle, pour aider au mieux Josie. A en devenir presque plus humaine que les protagonistes en chair et en os, souvent étouffés par leurs failles et leurs difficultés. A en devenir humaine jusqu'au sacrifice d'elle-même.



« J'ai beaucoup de sentiments, j'en suis persuadée. Plus j'observe, et plus les sentiments auxquels j'ai accès sont nombreux. »



Certains passages sont déroutants, comme lorsque la mère, soucieuse, interroge Klara avant de se décider à l'acheter :



« Klara, commença la mère, je ne veux pas que tu te tournes vers Josie. Maintenant dis-moi, sans la regarder. de quelle couleur sont ses yeux ? — Gris, madame. — Bien. Josie, je veux que tu restes absolument silencieuse. Klara. La voix de ma fille. Tu viens de l'entendre parler à l'instant. Comment définirais-tu son timbre ? — La tessiture de sa voix parlée s'étend du la bémol au do aigu. — Vraiment ? » Il y eut un autre silence, puis la mère reprit : « Une dernière question, Klara. Qu'as-tu remarqué à propos de la démarche de ma fille ? — Elle a peut-être une faiblesse dans la hanche gauche. Et son épaule droite est susceptible de provoquer des douleurs, donc Josie marche d'une manière qui la protège d'un mouvement brusque ou d'un choc inutile. »



Enfin et surtout, c'est un livre qui soulève de nombreuses questions. Nous devinons que dans ce futur sans ancrage temporel précis, une forme de sélection sociale décide du destin des gens et que la société a accepté et est soumise à l'intelligence artificielle. Nous nous interrogeons, avec les adultes de la génération précédente, sur l'essence de chaque être humain, sur sa part non transférable, copiable, par une simple intelligence artificielle.



« Notre génération reste attachée aux sentiments d'avant. Une partie de nous-mêmes refuse de lâcher. C'est la partie qui s'obstine à croire qu'il y a quelque chose d'inatteignable au fond de chacun d'entre nous. Quelque chose d'unique, qu'il est impossible de transférer. Mais il n'existe rien de tel, nous le savons à présent. Vous le savez ».



La lecture de ce livre est très agréable. Si le scénario proprement basé sur la science-fiction est un peu simpliste, nous comprenons vite que cet angle futuriste n'est qu'un vernis pour permettre à l'auteur, à l'aube de cette vague déferlante de l'IA, de s'interroger sur notre part d'humanité. Les questions soulevées m'ont interpellée et le fait de se placer du point de vue du robot m'a passionnée. Je me suis réellement attachée à Klara, grâce, sans aucun doute, à la délicatesse distillée par Kazuo Ishiguro, au ton juste qu'il lui a prêté. A la grâce qu'il a su lui insuffler.

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Les vestiges du jour

C'est avant le lever du jour que j'ai, ce gris matin, achevé à regret la lecture de Les vestiges du jour.

J'ai lu un très grand roman, fort minutieusement écrit et traduit. Un de ces livres qui dissèquent la personnalité et l'âme d'un personnage.

J'ai apprécié, avec le chef d'oeuvre de Kazuo Ishiguro, un travail d'orfèvre en littérature. Un ouvrage délicat d'aiguille, sur un canevas aux couleurs d'une époque révolue.

Fils de majordome et majordome lui-même, Mr Stevens habite son costume et vit son rôle qu'il refuse de seulement "jouer". Il est fidèle au maître qu'il a choisi et chez qui il dit atteindre le sommet et la plénitude de son métier de majordome. Cette dignité, cette perfection quotidienne au service d'un lord pourrait sembler pathétique, quand elle dénote d'une conscience professionnelle surélevée et d'une abnégation quasi-constante du serviteur.

Et Mr Stevens, narrateur de ces vestiges du jour, de dérouler ses souvenirs du Darlington Hall d'avant… du temps où Miss Kenton était l'intendante de la demeure ; à l'époque pendant laquelle s'y déroulaient de grandes réceptions et d'importantes réunions.

…Puisque Mr Stevens, pendant quelques jours, va prendre de vraies vacances à travers le sud de l'Angleterre au volant de la Ford obligeamment prêtée par Mr Farraday, le nouveau maître de Darlington Hall.

Vacances que le majordome mettra à profit pour revoir Miss Kenton, devenue Mrs Benn, avec qui il est resté en contact épistolaire.

De ce livre magnifique, émane une douce atmosphère des choses passées et compassées. Il s'en dégage aussi l'imperceptible amertume de la souvenance des occasions perdues ou manquées. le regret, aussi, de s'être parfois leurré.

Et il m'a particulièrement touché de voir ce strict majordome entamer une réflexion sur l'art, inattendu, du badinage auquel il s'essaie sans trop de succès… de le voir aussi confronté aux autres, loin du microcosme de Darlington Hall.

Voilà.

Le livre mérite, à mes yeux, sa constellation d'étoiles comme le film de James Ivory vu déjà voici longtemps. Et j'envie déjà ceux qui n'ont pas encore lu Les vestiges du jour

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Auprès de moi toujours

Salut, moi c'est Tommy quand vous lirez mon message j'aurais fini.

Mon quatrième don approche. Vous découvrirez dans ce carnet mes animaux imaginaires.

Mes souvenirs se bousculent, il parait que c'est normal.

Mon enfance commença à Hailsham une école perdue dans la campagne anglaise. Je me souviens de Ruth et Kath mes amies. Ruth avait un caractère pas facile, elle faisait la pluie et le beau temps, c'était la chef du groupe, Kath était plus calme, plus lisse mais savait se rebiffer quand Ruth allait trop loin.

je me souviens de nos conversations près de l'étang. Les gardiens de l'école étaient gentils; nos enseignants aussi. Notre préférée était mademoiselle Lucy.

Une fois par an madame arrivait dans son éternel tailleur gris, l'école était en effervescence; elle venait chercher nos créations artistiques, nos poèmes, nos dessins, nos sculptures pour sa galerie.

Moi je n'étais pas doué pour les arts plastiques. Mademoiselle Lucy m'a dit que ce n'était pas grave.

Aujourd'hui j'ai un nouveau accompagnant, j'ai dit à Kath que je voulais changer.....

J'ai dans la tête la chanson de la cassette de Kath " Auprès de moi toujours".

J'ai découvert Kazuo Ishiguro et son roman "auprès de moi toujours" grâce à Guillaume Gallienne et son émission " ça ne peut pas faire de mal".

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans la première partie du roman, c'était lent, très lent je ne savais pas où Kazuo Ishiro voulait m'emmener, et puis dans la deuxième partie du récit tout s'explique, tout s'imbrique pour finir en douche froide.

Je suis ressorti de ce roman avec la boule au ventre.

J'aimerais vous en dire plus, mais je ne peux pas et surtout je ne veux pas.

J'aimerais que vous le découvriez vous aussi, même si parfois le roman vous tombe des mains.

Il vaut la peine d'être lu.

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Les vestiges du jour

Suivre un majordome anglais dans ses pensées aveuglées de dévouement envers Sa Seigneurie, prêt à disserter sur la dignité en coupant les poils qui dépassent en quatre (dans le sens de la longueur de préférence), j'aurais jamais cru que ce sujet aurait pu autant me passionner. Et pourtant, quel livre. Difficile de mettre en avant un point fort il me semble, à ce niveau cela ressemble à un petit miracle d'alchimie entre ton, style, narration et consorts. Il doit y avoir des mots pour ça, un peu galvaudé comme chef d'oeuvre, des expressions convenues comme quoi je n'en serai pas sorti indemne. Bon moi ça va, juste un début de p'tit rhume à la fin.

Mr Stevens, par contre, ne semble pas en être sorti indemne, de sa longue plongée rétrospective initiée par la traversée en Ford d'une Grande Bretagne dont on apprendra pourquoi elle est grande (si vous ne le savez pas déjà), pour retrouver des années après son ancienne intendante Miss Kenton, avec qui les interactions étaient si nombreuses, parfois vives et piquantes. Hystériques presque pourrait-on dire, surtout à l'aune de l'univers de réserve feutrée imposée par la servitude dévouée. Un Mr Stevens mis en avant par son rôle de narrateur aveugle, dont l'existence a été formatée à se mettre derrière. Derrière Sa Seigneurie, derrière sa propre vie. L'effet de mise au premier plan est ensorcelant (et oui un majordome ça pense énormément), il est difficile de quitter ce page turner introspectif à l'élégance so british, à l'émotion latente derrière la vitrine lustrée, émotion qui monte qui monte, lente et inévitable. Un superbe roman de 1989, qui ne manque pas en plus d'ancrer la petite histoire dans la grande.
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Auprès de moi toujours

Kath laisse ses souvenirs affleurer. Elle revient sur sa jeunesse passée avec Ruth et Tommy à Hailsham, un pensionnat privilégié installé dans la campagne anglaise. Lentement, progressivement elle nous fait connaître ses amis, leur vie et leurs préoccupations durant cette époque désormais révolue, pour finir par nous révéler une vérité terrible.



Kazuo Ishiguro n'a pas son pareil pour traiter des sujets profonds avec des phrases simples et en apparence inoffensives. Prenant ainsi le lecteur par surprise, il le conduit à se poser des questions essentielles, sur le sens de la vie, sur la valeur qu'on lui donne, sur ce qu'il restera de notre existence.



Presque contemplatif tellement les images y sont belles et le rythme paisible, ce remarquable roman anticipatif amène aussi à une réflexion sur une question qui peut se poser à tous dans un avenir pas si lointain, et c'est assez angoissant.

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Les vestiges du jour

Remarquable. Une écriture tout en finesse, une syntaxe parfaite, clarté, limpidité et un charme totalement maîtrisé. Discret comme son auteur, le majordome de "Les vestiges du jour" se livre au soir de sa carrière plus que de sa vie je dirais. N'est-ce pas un magistral tour de force que de pouvoir, sur plus de 200 pages, intéresser le lecteur aux réflexions d'un majordome qui revient sur ses années de service et sur son quotidien de domestique d'un aristocrate ? Il faut dire que Mr Stevens, le majordome, a servi chez un grand ! Un lord qui entre deux guerres recevait le "grand monde" chez lui dans son domaine de Darlington Hall tel Herr Ribbentrop, Chamberlain, Lord Halifax pour ne mommer que ceux là. Kazuao Ishiguro a su distiller de précieuses et très intéressantes informations sur cette société britannique de l'entre deux guerres. Ces édiles politiques, cette aristocratie qui ont flirté avec le nazisme, cet ennemi connu. L'auteur a su par le biais de l'instrospection de ce majordome sans trop d'états d'âme, nous servir un juste portrait du véritable climat social de cette période des années 1920-1930. Mr. Stevens nous livre ses devoirs de serviteurs, son dévouement, sa compréhension de la dignité et de la loyauté toujours teinté de ce flegme tout britannique, sans conviction ou plutôt sans opinion. Il ne faut pas passer outre cette lecture ne serait-ce que pour la beauté des mots, leur éloquence, leur grâce et leur joliesse.
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Les vestiges du jour

Fichtre ! Voilà que je vais devoir prendre congé d’un authentique gentleman, rempli de dignité et peu apte au badinage, majordome d’une grande maison anglaise puis vendu « avec le lot » à un Américain s’installant en Grande-Bretagne...

J’ai nommé Mr Stevens, serviteur en tout point maitre de lui, dans tous les cas de figure, même les plus inattendus, même les plus graves, même les plus émouvants.



Ce cher Monsieur Stevens m’a totalement bluffée dès le début de sa narration, qu’il entame en 1956 lors d’un trajet effectué dans l’automobile prêtée par son maitre pour quelques jours de congé.

Il se rend à la rencontre de l’ancienne Miss Kenton, ex-intendante dans le même domaine que lui dans les années 20 et 30, et pour cela doit traverser l’Angleterre.



Sa vision des paysages verdoyants l’inspire et le révèle à lui-même, comme si ceux-ci étaient véritablement le reflet de sa propre intériorité : « C’est justement l’absence de tout caractère dramatique ou spectaculaire qui est le trait distinctif de la beauté de notre terre anglaise. Ce qui compte, c’est le calme de cette beauté, cette retenue. C’est comme si la terre connaissait sa propre beauté, sa propre grandeur, et n’éprouvait aucun besoin de les clamer ».

Car l’absence d’exclamation, l’absence d’effusion, le manque total de spontanéité caractérisent Mr Stevens. Une politesse extrême l’a modelé, ainsi qu’une loyauté à toute épreuve à l’égard de ses maîtres, en particulier de Lord Darlington, expert (ou se voulant expert) dans la politique internationale, qu’il a servi pendant plusieurs dizaines d’années. Une vie entière au service d’un maitre qu’il respecte et révère.



Dignité, maitrise de soi...Ce cher Monsieur Stevens m’a bluffée, oui, dans le sens où mon idée du majordome anglais s’est incarnée en lui d’une façon sublime, quoique discutable à plusieurs reprises.

Discutables. Ceci concerne sa relation avec son père, mais aussi et surtout avec Miss Kenton, dont je ne vous révèlerai rien. Je peux juste vous dire qu’il y aura des larmes refoulées et de la colère à peine montrée.



Une prose distillée avec componction, tout à l’opposé du badinage, mais paradoxalement éclatante dans sa simplicité et où j’ai éclaté de rire à plusieurs reprises, m’a emmenée dans cette sphère à la fois éloignée de mon monde et pourtant très proche puisqu’il s’agit de l’Homme et sa quête d’idéal.

J’ai adoré suivre Mr Stevens dans sa pérégrination laborieuse (plusieurs pannes, plusieurs conversations difficiles avec des autochtones) et dans ses souvenirs, à tel point que je peux qualifier ma lecture d'exceptionnelle. Mr Stevens est un gentleman mais Mr Stevens m'a lestement bousculée !



« Le seul fait de s’éloigner en partant en voyage amène à adopter un point de vue nouveau et surprenant sur des sujets qu’on croyait avoir explorés depuis longtemps de fond en comble ».

Effectivement.

Le problème, c’est de pouvoir adapter son comportement à cette remise en question.

Ce cher Monsieur Stevens en sera-t-il capable ?

Le badinage, finalement, n’est pas « un centre d’intérêt si stupide, c’est peut-être la clé de la chaleur humaine »..., n’est-ce pas Monsieur Stevens ?





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Les vestiges du jour

L’effet salvateur des voyages…Lorsque le paysage devient méconnaissable au point de dépasser toutes les bornes antérieures, n’est-ce pas le moment de dépasser ses propres bornes intérieures ?



Il y a des histoires dont le seul résumé vous tient à distance. Nous savons que le livre est bon, eu égard aux nombreuses critiques dithyrambiques, eu égard au Nobel de littérature que son auteur s’est vu attribuer, et pourtant l’histoire décidément ne nous dit rien. Alors nous repoussons cette lecture à plus tard. Ce fut mon cas avec Les vestiges du jour de Kazuo Ishiguro. De cet auteur je n’avais lu que le surprenant Klara et le soleil, roman bien apprécié, et si le style m’avait plu je me disais que ce style simple au service d’une histoire de majordome du début du 20ème Siècle, devait donner quelque chose d’assez fade, de désuet peut-être. Suite à la récente et excellente critique de @AnnaCan sur ce livre, j’ai eu l’envie de le proposer en lecture commune à Sandrine, Bernard et Paul, et j’ai alors pu constater combien j’avais tort. Ce livre est une merveille ! Et la lecture partagée m’a permis d’appréhender des aspects plus nombreux qu’en lecture solitaire, aspects que je vous laisse découvrir en lisant leurs critiques respectives. Un livre mais de multiples sensibilités…



Première chose tout à fait remarquable : le style est très différent de celui utilisé dans Klara et le soleil. Au point d’ailleurs de croire que nous avons affaire à deux auteurs différents. Dans ce dernier livre, c’est une intelligence artificielle qui parle, pas étonnant que le style employé soit très concis et simple. Dans Les vestiges du jour nous sommes dans la tête d’un majordome anglais dont le côté gentleman, le côté dandy et la façon d’être très professionnelle et digne transparait bien entendu dans sa façon de s’exprimer. Élégance toute british, voilà le qualificatif qui me vient aussitôt en tête pour résumer très simplement le style et l’ambiance de ce livre élégant. Kazuo Ishiguro assurément sait varier de style !



Mr Stevens est majordome dans une « grande maison », Darlington Hall. Véritable vocation dont il se voue corps et âme de façon loyale et fidèle, elle l’habite au point de sortir difficilement de sa profession, tous ses actes, toutes ses pensées sont ainsi gouvernés par son métier. Stevens est un professionnel remarquable et possède toutes les qualités attendues d’un majordome. Chose très rare il part en voyage une semaine durant dans la campagne anglaise dans le but de rejoindre l’ancienne intendante, Miss Kenton. Celle-ci semble en effet avoir émis vaguement le vœu, dans une de ses lettres, de revenir servir dans cette grande maison, alors que le manque de personnel se fait cruellement sentir. Ce voyage va être l’occasion pour lui de penser au passé.



Voyager est souvent l’occasion de faire le point, de s’adonner à une forme d’introspection, de laisser surgir les réminiscences des événements passés, de les passer au tamis pour en découvrir la réelle signification. Des circonstances anodines peuvent revêtir après coups l’apparence de moments cruciaux. C’est ainsi qu’est construit le récit, sur des allers retours entre le voyage qui se déroule en pleine campagne anglaise dont nous découvrons les paysages bucoliques, et les réminiscences du passé faites de réflexions personnelles, d’anecdotes, de rappels de grands moments historiques importants ayant eu lieu à Darlington Hall. Des allers retours qui font la lumière également sur les rapports passés avec Miss Kenton, rapports par moment houleux, par moment décalés, étranges, désaccordés. Stevens d’ailleurs ne cesse de se persuader, et de nous persuader par la même occasion, du bien-fondé tout professionnel de son entreprise, en réalité une certaine audace, somme toute très surprenante de sa part.



Le récit est tout d’abord abondamment étayé de réflexions personnelles quasi philosophiques sur ce qu’est être un bon, un grand, majordome. Pour Stevens, c’est la capacité à habiter son rôle professionnel autant que faire se peut, sans être ébranlé par les événements extérieurs, aussi alarmants ou surprenants qu’ils soient. Sans montrer ses sentiments, son ressenti. Très british, n’est-ce pas ? Une réflexion qui prend tout son sens au moment où le livre démarre, car notre homme est perturbé : ayant servi Lord Darlington pendant plus de trente-cinq ans, la propriété a été rachetée par un américain qui n’a pas la même culture, la même façon de voir les choses, la même exigence. En perte de repères notre Mr. Stevens…



La dignité et la grandeur sont des notions tout à tour appréhendées, questionnées. Car seule la dignité pour Stevens permet d’être un grand majordome, et la dignité est pour lui la capacité à savoir rester à son niveau, à sa place, et se contenter de faire au mieux ce que nous savons faire. Cette notion de dignité soulève par ailleurs des questions d’une actualité troublante. Savoir rester à sa place, c’est aussi sur un plan politique, ne pas donner la parole au peuple qui ne sait pas, ne connait pas, n’est pas expert en matière d’économie, de finance, d’affaires internationales.

C’est ça, être digne, ne pas se mêler de ce que nous ne connaissons pas bien et laisser ces questions aux experts…sauf que cette définition de la dignité répétée tel un mantra rend aveugle, ferme toute curiosité, toute prise de recul, et empêche de voir arriver le danger…J’ai trouvé cette réflexion passionnante, d’une actualité troublante et en même temps atemporelle. Des peuples aveuglés sont des peuples manipulés. Jusqu’où donner la parole à ceux qui ne sont pas experts ? Donner sans cesse la parole ne bloque-t-il pas les décisions ? Voilà les questions en filigrane qui se posent.



Par ailleurs, témoin des événements politiques de ce début du 20ème Siècle et notamment de la question litigieuse du Traité de Versailles, trop sévère envers l’Allemagne au risque de représailles futures pour les uns, sévère comme il le faut pour les autres, Stevens relate ces grandes questions d’affaires internationales de son temps qui se jouent au sein même de Darlington Hall. Et l’on perçoit qu’à son échelle, par le bien-être qu’il apporte, par ses soins et son service irréprochable, il contribue, certes de façon mineure, au déroulement, à l’orientation des décisions prises. Son service permet indirectement d’instaurer un certain état d’esprit, de mettre les protagonistes dans des dispositions contribuant à la prise de décision sereine. Stevens est témoin de ces décisions tout en ayant, du fait de cette fameuse dignité derrière laquelle il se réfugie sans cesse, aucun point de vue personnel, aucune analyse critique, aveugle sur ce qui se trame réellement, notamment la façon dont Lord Darlington est manipulé par les Allemands….jusqu’à renvoyer son personnel juif. Sans que Stevens n’y trouve rien à redire, rien à penser. Jusqu’où la loyauté envers une personne importante et de pouvoir doit-elle aller ? Le passage sur le renvoi de deux jeunes filles juives marque un tournant, à mon sens, dans le récit permettant d’appréhender les sérieuses limites de ses qualités professionnelles qui deviennent alors défauts humains, aveuglement, voire stupidité.



Les anecdotes qui surgissent ça et là sont cocasses pour certaines et nous font sourire, voire rire, ou nous mettent mal à l’aise tant il y a parfois un décalage entre les faits et la façon de les appréhender par Stevens. Je pense à cette mission quelque peu saugrenue qu’on lui demande de faire à savoir d’expliquer à un jeune homme « les choses de la nature concernant les différences entre les hommes et les femmes »…et lui de tenter de le faire avec le plus grand sérieux (alors que lui-même ne semble pas avoir une connaissance très développée en la matière), ou encore ses essais, souvent vains, de blagues pour tenter de s’adapter à son nouveau maitre américain qui a un certain sens de l’humour que ne connait absolument pas Stevens. Ces anecdotes rendent le personnage très touchant.



Enfin, une bonne partie des pensées et des réflexions concernent Miss Kenton. Rapports avant tout professionnels dans lesquels les tensions mettent en évidence une certaine ambiguïté, une envie de rapprochement, une attirance. Miss Kenton tente de provoquer ce rapprochement, soit en tentant de rendre jaloux Stevens, soit en le menaçant de partir, soit en entrant physiquement dans sa sphère plus intime. En vain. Fin de non-recevoir de la part de Stevens qui est tout bonnement incapable d’imaginer sortir de son devoir professionnel. Même lorsqu’il la voit en colère, même lorsqu’il pressent sa tristesse. Alors elle ose parfois ne pas rester à sa place, elle ose dire certains mots :



« Vous rendez-vous compte, Mr. Stevens, de ce que cela aurait signifié pour moi si vous aviez pensé, l'année dernière, à me faire part de vos sentiments ? Vous avez vu à quel point cela me bouleversait de voir mes filles renvoyées. Vous rendez-vous compte de l'aide que cela aurait apportée ? Pourquoi, Mr. Stevens, pourquoi, mais pourquoi, faut-il toujours que vous fassiez semblant ? »



Au final c’est le portrait d’un homme complexe et terriblement attachant qui peu à peu apparait au fil du livre. Un homme extrêmement pudique, dévoué à son métier au point de ne plus vivre, dévoué aveuglément aux personnes qu’il sert, pouvant paraitre de prime abord un peu imbu de lui-même et prétentieux mais en réalité pétri de contradictions, fruit de son époque, de son métier, de sa culture, des valeurs paternelles. Les valeurs qui guident son sens moral, sa droiture et son perfectionnisme sont les mêmes qui l’aveuglent au point de passer à côté d’une certaine clairvoyance tant sur le plan politique que sur un plan plus sentimental. On le sent maladroit en réalité, guindé, ne sachant pas comment s’y prendre avec l’humour, la répartie, et surtout les sentiments que certaines personnes lui témoignent, que ce soit avec son père qui lui parle, sur son lit de mort, de sa fierté de père, mots auxquels il n’arrive pas à trouver de réponses et qu’il balaie de répliques professionnelles absurdes, ou avec Miss Kenton qui tente de l’approcher et face à laquelle il ne peut que répondre par l’effroi et le refus glacial de toute ouverture en dehors de la sphère professionnelle. Y répondre serait sortir de son habit professionnel précisément. Il en est incapable.

D’infimes détails aident cependant le lecteur à saisir l’importance des moments passés vécus par notre homme…Ce « Vous avez l’air de pleurer » lancé par un invité nous fait réaliser le choc émotionnel que Stevens est en train de vivre sans même en avoir lui-même conscience. Ou encore cette façon intuitive de deviner les pleurs de Miss Kenton sans même les entendre…et enfin cet aveu, le seul aveu, effort immense pour cet homme qui ne sort jamais de sa réserve : « En vérité — pourquoi ne pas le reconnaître? —, à cet instant précis, j'ai eu le cœur brisé». Et nous de l’avoir avec lui…



« Certainement, aucun indice ne révélait à l’époque que des incident d’allure si anodine rendraient des rêves entiers à jamais impossibles ».

Ce voyage permet au final à Stevens de comprendre plus ou moins qu’il est passé peut-être à côté…à côté de sa vie…à côté d’une réelle dignité plus intelligente, plus ouverte, plus humaine, plus vivante…à côté d’une femme…avant de revenir à bon port au moyen d’une réaction raisonnable et digne, comme il sait si bien le faire. Le cœur du livre, à la toute fin, est juste tragique. Juste beau. Juste tristement magnifique. L’acceptation et la lucidité, finalement, ne serait-ce pas ça, la véritable grandeur ?



Ce livre est un grand livre, il a de la grandeur. Cette grandeur précisément que Stevens évoque pour qualifier son métier, pour qualifier les paysages anglais, on peut la reprendre pour qualifier ce livre. Sans contenu spectaculaire ou dramatique, tout en retenue, en élégance, ce livre contient sa propre beauté sans qu’il soit nécessaire d’utiliser d’artifice pour le clamer. Il est d’une grâce surannée et légèrement désuète, d’une pudeur troublée par quelques réminiscences pudiquement dévoilées, il sait mêler la grande Histoire avec les petites histoires, il sait parfois se doter d’un humour très anglais, éléments qui rendent ce livre tout simplement rare et précieux.



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Auprès de moi toujours

Hailsham… pensionnat idyllique ou monde parallèle ? Qui sont réellement ces élèves parmi lesquels Kathy, Ruth et Tommy occupent les rôles principaux de cet étrange roman ?



Souvenirs et réflexions personnelles de Kathy, la narratrice, répondent assez vite à nos interrogations premières (naaan je vous dirai rien) tandis que l'histoire se déroule avec la placidité lénifiante d'un séjour en sanatorium sur la côte d'Opale. Oui, autant prévenir, hémoglobine, passions destructrices ou coups de théâtre en rafale ne seront pas de la partie : là tout est lisse, calme et planifié, un semblant de long fleuve docile dans la campagne britannique. Pour en rajouter une couche, la narration factuelle, d'une neutralité presque clinique, s'apparente plus au papotage ordinaire d'une adolescente même pas en crise qu'à une éblouissante démonstration d'envolées shakespeariennes.



Elle est pourtant là, précisément, la force de cette uchronie déroutante, dans ce délicat paradoxe entre banalité de la forme et horreur du propos, dans le choc brutal d'un quotidien banal contre un destin qui l'est beaucoup moins. Le malaise qui s'amplifie au fil du récit n'en est ainsi que plus glauque et la conclusion plus douloureuse encore.



Malgré son titre trompeur ' Auprès de moi toujours ' n'est pas une bluette romantico-nunuche, je m'y serais facilement laissé prendre sans un avertissement préalable et éclairé. J'avoue pourtant m'être un peu ennuyée sur les deux premiers tiers du récit. Bien m'a pris néanmoins de persévérer (ovation générale pour ma détermination sans faille) car la toute dernière partie et les terrifiantes réflexions qu'elle inspire confèrent finalement à ce roman le statut d'oeuvre marquante. Pas bien joyeuse, d'accord, mais profondément inoubliable.




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Lumière pâle sur les collines

Il est de ces lectures qui nous troublent profondément. Pour ma part, les romans de Kazuo Ishiguro en font partie. Sa plume empreinte d'humanité nous envoûte, nous enveloppe, lentement, très lentement, jusqu'à la dernière page, nous laissant avec ce sentiment de douce mélancolie si particulier, une fois que le voyage a pris fin.



Lumière pâle sur les collines est le premier roman de l'auteur, il a été récompensé par le "Winifred Holtby Prize of the Royal Society of Literature" l'année de sa parution en 1982 comme l'intégralité de son œuvre par la suite.



L'ecriture est fluide, élégante, habituel chez l'auteur, avec ce petit je-ne-sais-quoi de retenue qui fait tout le charme de ce récit dont l'approche historique, omniprésente, apporte de l'épaisseur aux personnages de cette histoire à la limite de l'étrange dont les faits se déroulent sur deux périodes et en deux lieux bien distincts : l'Angleterre des années 80 et le Japon de l'après-guerre dans les années 50.



La narratrice du récit, Etsuko, veuve, dont l'âge ne nous est pas dévoilé mais que l'on suppose rendue à l'aube de ses 60 ans, est une expatriée japonaise qui vit dans la campagne anglaise durant les années 80. Sa fille Niki, qui vit à Londres vient lui rendre visite. L'occasion d'un séjour au fil duquel les souvenirs d'Etsuko concernant la disparition tragique de sa fille aînée, Keiko, née d'une première union avec Jiro au Japon, vont remonter peu à peu à la surface et se juxtaposer avec les souvenirs de sa vie passée, alors qu'elle est une toute jeune mariée et attend son premier enfant, à Nagasaki, au pied des collines d'Inasa (auxquelles le titre fait écho). Nagasaki, qui se reconstruit et panse ses plaies mais porte encore les stigmates de la guerre.



Tout au long de son roman l'auteur laisse sciemment planer une aura de mystère ce qui le rend d'autant plus fascinant. Une atmosphère brumeuse comme éthérée, des personnages ambigus mais touchants de vérité. Mariko, petite fille fantasque, en mal d'amour qui invente des histoires pour se protéger des traumatismes qu'elle a subis, qui protège ses chatons comme si sa vie en dépendait ; Sachiko, sa mère, qui fait preuve d'une telle dureté envers elle et semble incapable de l'aimer comme il le faudrait ; le grand-père Ogata, éminent professeur à la retraite, dépassé par ce Japon en renouveau qui s'éloigne de ses valeurs ancestrales, dont le portrait oscille entre malice et humilité et enfin Etsuko, digne, qui tente de vivre malgré la disparition de son enfant.



Kazuo Ishiguro nous livre les évènements petit à petit, de manière suggestive, toujours à demi-mot, nous laissant en permanence dans l'expectative comme si nous touchions quelque chose du bout des doigts sans pouvoir l'atteindre et il le fait avec beaucoup de justesse et de pudeur pour finalement nous amener à la réflexion sur des sujets lourds de sens comme l'acceptation de ce qui doit être après la perte d'un proche et la capacité à vivre après un traumatisme quel qu'il soit car il est évident que chacun des personnages de ce récit porte en lui les traces indélébiles liées à l'horreur que fut ce jour funeste du 9 août 1945 durant lequel les américains larguèrent la deuxième bombe atomique sur Nagasaki, trois jours après celle d'Hiroshima, rasant la ville en dix secondes, la réduisant en un tas de cendres béantes, faisant 74 000 victimes, 210 000 au total avec Hiroshima.



Que dire de plus sinon que je vous invite à lire ce magnifique roman et qu'il est impensable pour moi de ne pas conclure ce billet sur une note poétique avec ces quelques lignes d'un texte extrait du roman de Lajos Zilahy "L'âme qui s'éteint", qui je trouve, s'accordent merveilleusement bien avec l'univers de l'auteur dans lequel les souvenirs et la mémoire ont une place à part.



"Il y a dans la vie des instants inoubliables,

des instants qui s'enfonçent comme de

minuscules aiguilles dans votre chair et dans

vos nerfs, qui pénètrent si profondément

et d'une façon si tranchante dans votre

mémoire, que le temps ne peut jamais

les effacer..."
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Klara et le Soleil

Pas d’ancrage temporel pour ce roman de science-fiction, situé dans un futur indéterminé. On se déplace encore en voiture que l’on pilote, les oblongs sont l’équivalent de nos téléphones mobiles et l’intelligence artificielle ne fascine plus personne : elle existe, et on est en droit d’y recourir.



C’est Klara qui parle, une adolescente en quête d’une amie réelle, alors qu’elle est le fruit d’une conception technique aboutie. Josie la repère dans la vitrine, et souhaite de tout son coeur acquérir l’Amie Artificielle qui la soutiendra dans ses moments de faiblesse. On l’apprend rapidement, Josie est gravement malade.



Si l’histoire débute à la façon d’un roman jeunesse, on n’en reste pas là. C’est peu à peu que l’auteur, par petites touches, développe un récit complexe, bien au delà d’un débat autour de l’intelligence artificielle. C’est de la vie, de ses limites et de ce que la technologie peut apporter pour compenser la perte, qu’il s’agit.



L’environnement est décrit à l’aune de ce que perçoit Klara, avec des paysages pixelisés avant d’apparaitre compréhensibles, au gré de ses performances techniques et de l’énergie dont elle dispose.

Est-elle conçue pour ce culte inconditionnel du Soleil, sorte de Dieu bienfaisant, source d’une énergie indispensable mais aussi objet de prières importantes ?



On comprend aussi qu’une terrible forme de sélection sociale décide du destin de chaque individu. L’humain utilise les progrès pour le meilleur et pour le pire.



Le roman démarre lentement, mais à petites touches on perçoit les enjeux ce cette histoire et ce personnage artificiel est malgré cela émouvant, et pose la question fondamentale : qu’est-ce qu’être humain ?



Belle découverte de cet auteur, Prix Nobel de littérature en 2017.


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Auprès de moi toujours

Lorsque ma mère racontait ses histoires face à la caméra 16mm de mon grand-père, elle ne disposait pas des talents d'à-propos ou d'originalité de sa soeur ; elle meublait souvent ses saynètes par de longs moments où l'héroïne marche simplement d'un endroit à un autre, laissant le soin à l'opérateur d'en varier les cadres et la scénographie, rendant à ces nombreuses respirations le peu de souffle qu'il était possible d'y inspirer…



Les longs voyages en automobile de la narratrice Kathy ont fait remonter en moi ce souvenir, entre attendrissement et embarras, au côté d'une lecture qui, de bout en bout — et malgré la promesse glanée ici et là d'une fin éclairant la morosité du reste — m'a plongé dans la plus profonde consternation.



Je suis toujours très sensible à l'avis de mes pairs, d'autant plus qu'ils soient nombreux et éloquents, et pour certains d'entre eux estimés au rang de prescripteur ; ici, la lecture de leurs avis n'est en aucun cas capable de me rassurer…

Certains livres passés ont pu me voler au-dessus de la tête, et Babelio permettait à l'occasion de se l'expliquer, de relativiser déception, malentendu ou incompréhension ; ce n'est pas du tout le cas ici, ce qui ne facilite en rien cette critique.



Je n'arrive pas à toucher le début d'un fragment qui me raccrocherait au wagon de ceux qui ont apprécié la clef de voute de ce roman : sa très fine description de cet âge finalement bien médiocre de nos existences : l'adolescence.

Inutile qu'un livre rappelle ô combien l'individu traversant cet âge est capable de porter des oeillères avec tant de naturel et d'élégance. Ce n'est pas vaine attaque ou commode raillerie que d'inclure ce processus dans le développement normal d'une personnalité ; c'est juste que ce roman se refuse à passer à l'étape supposée d'après, celle que l'on attend vainement, se demandant pourquoi l'auteur a cru bon de le composer avec le récit des souvenirs d'une adulte, tant le ton, la langue, et tout le reste ne dépassent jamais le niveau d'intensité d'un « young adult ».

(ni le titre, ni la couverture tirée de son adaptation cinématographique ne venant arranger l'impression d'ensemble…)

Ce genre — comme beaucoup d'autres nous venant de la mouvance particulariste anglo-saxonne, dont notre site adoré aime à en abuser (bien qu'il ait l‘élégance de le traduire en « jeune adulte ») dans ses confortables classifications — vient nous rappeler combien il est urgent de défendre et mettre en avant cette littérature qui justement ne s'en revendique d'aucun ; celle que l'on nomme de manière dorénavant maladroite « littérature blanche », les couleurs étant plus que jamais chargées de sens les dépassant… (et je n'ai jamais vraiment aimé le violet…).



Sachez que je suis le premier navré du tour que prend cette critique, mais la pensée ne peut désormais faire fi de ces considérations, à l'heure de parler d'un roman qui passe complètement à côté des préoccupations qu'il aurait eu bon de soulever, entre Controverse de Valladolid (*) et Expérience de Milgram (**), dont la véritable héroïne du livre, Ruth, ou bien Kathy, la transparente narratrice, auraient constitué de brillants et obéissants sujets.



Rien n'a ici l'éclat des inoubliables « Vestiges du jour », et après avoir fiévreusement parcouru tous les avis sur ce livre, j'en retiens parmi d'autres celui de Chrisland, contant ses constantes déceptions depuis la lecture de ce chef-d'oeuvre, m'enjoignant à me méfier dorénavant des écrits de ce récent Nobel, pas le premier, ni le dernier non plus… (non, je ne parle pas de l'actualité récente… ne l'ayant pas encore lue…).

Tout y est gris, terne et indéfini : les personnages, leurs noms comme les lieux, les descriptions et les situations ; que cela fasse partie intégrante de l'intrigue n'apparait jamais justifié.

Ou bien faut-il y voir un froid constat de ce que peut devenir une société privée de repères concrets ? On aurait pu faire beaucoup mieux, tout en restant du côté « sensible », je pense…



Mais l'empathie semble avoir fonctionné avec le plus grand nombre, et vous comprendrez bien que je ne me l'explique en aucun cas, aggravé par l'effet séquence de mes lectures, intercalée entre deux géants : Henry James, d'un côté, illustrant vivement ce que l'on appelle finesse ; Saltykov-Chtchédrine, de l'autre, rappelant la profondeur sans fond d'une littérature que les récompenses internationales n'ont pas suffisamment mise en avant.



Donc, d'avance, navré de mon ingratitude.



(*) Controverse de Valladolid : débat politique et religieux espagnol du XVIème siècle questionnant l'humanité (à travers la possession ou non d'une âme) des peuples Amérindiens, justifiant ainsi la moralité du « droit de conquête ».

(élément à peine caressé dans ce roman, laissant bien-sûr un goût d'inachevé…)



(**) Expérience de Milgram : étude socio-psychologique des années 60, du chercheur américain éponyme, évaluant le degré d'obéissance à l'autorité, au travers d'un dispositif de questions-réponses dominé par un sujet d'étude disposant de supposés moyens coercitifs (décharges électriques) sur un complice de l'expérience falsifiant sa douleur, afin d'évaluer jusqu'où irait l'acceptation d'une morale particulière sur celle d'ensemble, restante à prouver…

(l'infinie profondeur, de par sa variabilité de dispositifs, de cette expérience démontre bien que nos sociétés produisent « naturellement » davantage de Ruth et de Kathy que de timides Tommy... dont ce livre ne fait encore une fois pas grand chose…)

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Les vestiges du jour

Ah… Ishiguro! L'écrivain qui a « révélé, dans des romans d'une grande force émotionnelle, l'abîme sous l'illusion que nous avons de notre relation au monde. »



C'est l'Académie suédoise qui le dit et on ne saurait mieux dire. Et ce sont @BonoChamrousse, fan d'Ishiguro, et @Patsales, dont la critique des Vestiges du jour exhumée alors que je parcourais son profil, m'ont donné envie de me replonger dans ce livre fascinant.



Les vestiges du jour se présente comme une confession, ou plutôt comme une sinueuse entreprise d'introspection de la part de Stevens, majordome à Darlington Hall, antique demeure dont le prestige, à l'issue de la seconde guerre mondiale, a sombré en même temps que celui de son maître, Lord Darlington. Au moment où le récit commence, Darlington Hall vient d'être racheté par un riche Américain désireux de dépoussiérer les lieux et les vieilles coutumes anglaises. Déstabilisant le compassé majordome par ses plaisanteries et un langage dont jamais un Lord n'aurait usé à l'égard d'un domestique, il lui recommande de prendre quelques jours de congés pour visiter la campagne anglaise.

« Vous autres, vous passez votre vie enfermés dans ces grandes maisons à vous rendre utiles, et quand est-ce que vous arrivez à voir ce beau pays qui est le vôtre ? »

La perspective de ce voyage plonge d'abord Stevens dans un profond désarroi. Dévoué corps et âme à Darlington Hall au point de s'être oublié lui-même, aussi indissociablement rattaché aux lieux que les portraits d'ancêtres ornant les murs de la bibliothèque, il ne peut imaginer, dans un premier temps, s'absenter, même pour quelques jours. Puis, il commence à entrevoir un but et une justification à ce voyage : rendre visite à l'ancienne intendante Miss Kenton et la convaincre, peut-être, de revenir travailler à Darlington Hall…



Tandis que Stevens déploie beaucoup d'énergie à se (et à nous) convaincre du bien-fondé de sa résolution, nous commençons à entrevoir l'idée qu'il existe, peut-être, un léger dissensus entre les arguments qu'il se donne à lui-même et la réalité de ses sentiments. Puis, et c'est là tout le génie de l'auteur, ce léger dissensus se mue au fil du récit en un écart significatif et finalement en un véritable abîme comme l'a si justement souligné l'Académie suédoise. Comment Ishiguro s'y prend-il pour nous le faire sentir puis pleinement comprendre ? Cela reste pour moi, qui lis et relis ce livre depuis tant d'années, un parfait mystère. D'autant que l'histoire nous est racontée par Stevens et par lui seul. Nul recours à un tiers narrateur omniscient ici. Et d'autant que Stevens a passé sa vie à dissimuler aux autres et à lui-même ses sentiments.

« Pourquoi Mr Stevens, pourquoi, mais pourquoi faut-il toujours que vous fassiez semblant? » lui lance un jour une Miss Kenton désemparée.

Dans ces conditions, Stevens ne paraît pas le mieux à même d'écrire, tel le narrateur de À la recherche du temps perdu, son « livre des impressions vécues ». Et pourtant, c'est bien ce qu'il fait, à son corps défendant. Ishiguro fait donc en sorte que nous devinions, à travers le seul témoignage de Stevens, ce que ce dernier n'a pas compris ou pas encore découvert. Et la façon dont il le fait est tellement subtile qu'elle se dérobe à toute tentative d'explication définitive.

Ce sont d'infimes réminiscences — une série de rayons orange dardés par le soleil couchant, un vase de fleurs dans un bureau — qui nous aident à saisir l'importance des moments qu'elles font revivre. C'est le regard d'un tiers, une phrase lancée négligemment : « Vous avez l'air de pleurer » qui nous font comprendre l'état émotionnel dans lequel Stevens est plongé alors même que celui-ci n'en a pas conscience. Et c'est aussi, parfois, très rarement, un aveu lâché par Stevens, aveu qui, chez cet homme pudique, acquiert un poids considérable : « En vérité — pourquoi ne pas le reconnaître? —, à cet instant précis, j'ai eu le coeur brisé. »



Cet aveu muet et considérable fait suite à un autre aveu qui ne l'est pas moins, celui par lequel Miss Kenton, avec une infinie pudeur, révèle à Stevens combien elle l'a aimé et combien, pressent-on, elle l'aime encore. Seulement il est trop tard, la vie a passé et « on ne peut plus faire tourner les aiguilles dans l'autre sens maintenant. On ne peut pas s'attarder sans cesse sur ce qui aurait pu exister. »

Nous touchons là au coeur de la tragédie (ou de la comédie, c'est selon) humaine : les choix que nous faisons très tôt, souvent bien plus tôt que nous ne l'imaginions, déterminent le chemin d'une vie entière. Il n'y a pas de retour en arrière possible, aucune réversibilité du temps, aucune autre vie à notre disposition. Nous sommes bien inconséquents de l'oublier.

« C'était comme si on avait eu à sa disposition un nombre illimité de jours, de mois, d'années au long desquels on pourrait tirer au clair les caprices de sa relation avec Miss Kenton; une infinité d'occasions ultérieures permettant de réparer les conséquences de tel ou tel malentendu. »

J'ai parlé de « choix » présidant à nos destinées, mais le plus absurde dans tout ça, c'est que la plupart du temps, on ne peut même pas parler d'un choix, c'est-à-dire d'une décision mue par une volonté éclairée par la raison.

« Lord Darlington (...) a choisi un certain chemin dans la vie, il s'est fourvoyé, mais il l'a choisi lui-même, il peut au moins dire ça. Pour ma part, je ne suis même pas en mesure de le dire. (...) Je ne peux même pas dire que j'ai commis mes propres fautes. »



Finalement, qu'est-ce au juste que ce roman? Un roman d'amour, déchirant mélo tout en retenue et en non-dits ? Un roman historique, la seconde guerre mondiale ou plutôt ses prémisses y occupant une place centrale? Un roman de l'asservissement volontaire, de l'aliénation comme l'a finement montré @Patsales? Une réflexion proustienne sur le Temps, un roman de et sur la mémoire - ses omissions, ses tâtonnements et ses points de fixation? Tout cela à la fois sans doute, et bien plus encore.

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Le Géant enfoui

Une énorme déception. J'attendais beaucoup de ce livre de Kazuo Ishiguro, auteur des Vestiges du jour, prix Nobel de littérature 2017. Dans une Grande Bretagne médiévale aux prises avec les rivalités entre celtes et saxons, une étrange brume efface les souvenirs, condamnant les habitants du pays à une amnésie chronique. le roman raconte comment un vieux couple part à la recherche de son passé perdu. Pourquoi ce sortilège ? Les deux parents vont-ils retrouver leur fils disparu ? Quel est ce guerrier saxon qui les protège durant leur voyage ? Et ce chevalier de la Table ronde qu'ils croisent régulièrement, quelle mission poursuit-il ? Tous les ingrédients sont là pour composer un roman à mi-chemin entre récit historique, légende arthurienne et fantasy où rodent géants, lutins et dragons. Intrigué, le lecteur entre dans ce monde magique. Il est prêt à apprendre que… ah oui, au fait, apprendre quoi ? Et là, patatras, le lecteur attend, il attend vraiment longtemps. Pour être précis, près de cinq cents pages en édition folio. L'histoire se déroule de façon lente et répétitive, les personnages sont réduits à des archétypes, les dialogues sont lourds, et surtout des intrigues sont ébauchées tout au long du chemin pour être aussitôt abandonnées sans autre explication, à la plus grande frustration du lecteur. Malheureusement, l'écriture ne vient pas sauver le roman, le style reste obstinément plat, impuissant à dissiper le brouillard de l'ennui. Et contrairement à d'autres lecteurs, je n'ai trouvé dans ce livre aucune véritable réflexion sur la mémoire et l'oubli ou le pardon et la vengeance, sinon quelques considérations politiquement correctes. Pourquoi une oeuvre aussi nébuleuse ? Épuisement de l'inspiration chez un auteur qui n'aura publié qu'un roman et quelques nouvelles en bientôt quinze ans ? Il semble que son entreprise ait succombé aux mêmes pièges maléfiques où ont sombré les aventures édifiantes des innombrables romans de chevalerie d'autrefois. Le thème de la mémoire et de l'oubli m'avait attiré vers ce livre, qu'en ai-je appris ? Je ne me rappelle déjà plus !
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Auprès de moi toujours

Histoire d’amitié et histoire d’amour, cela rime-t-il avec toujours ?



La jeune Kath nous raconte son enfance et son adolescence à Hailsham, au rythme des leçons dans les vieilles classes du manoir, des bavardages entre camarades le long des sentiers, des confidences tout près du carré de rhubarbe, des causeries animées, couchés dans le champ...

Les leçons sont intéressantes, les professeurs proches des élèves et l’art est fortement encouragé.

Période heureuse. Période lumineuse.

Mais il y a quelque chose qui cloche : tous ces enfants n’ont pas de parents, et vivent à demeure à Hailsham. Ca arrive, me direz-vous.

Oui, mais les parents, on n’en parle jamais, à croire qu’ils n’existent pas. Certains professeurs laissent filtrer des informations mystérieuses. Puis à l’âge de 16 ans, ces jeunes sont envoyés dans diverses fermes, cottages, et vivent par petits groupes, jusqu’à ce qu’ils partent faire un ...don. Et là commence l’horreur.



J’ai vu le film adapté de ce roman de science-fiction, et je l’ai trouvé énigmatique et bouleversant.

Et puis j’ai lu le livre. Ne faites jamais ça !

Comme je connaissais l’histoire, tout était biaisé. Le fameux secret sur lequel reposent les 1e et 2e parties n’en était plus un pour moi. Et ma lecture m’a intéressée uniquement dans la 3e partie, car les 2 premières sont la relation, pas inoubliable, de faits d’enfance et d’adolescence dans cette espèce d’orphelinat, mais où la psychologie de la narratrice se révèle quand même extrêmement développée.

Donc, l’ennui rôdait. Le style est facile à comprendre, mais je ne l’ai pas trouvé particulièrement frappant.

C’est LE secret en lui-même et les étapes de sa révélation qui vaut la peine de s’approprier cette histoire. Ou qui vaut la peine de regarder le film, lui, inoubliable.



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Les vestiges du jour

Mr Stevens est, tout comme son père, majordome. Bien plus qu'un métier à ses yeux mais un art de vivre et d'être. S'il a longtemps servi auprès de Sa Seigneurie, Lord Darlington, à Darlington Hall, pendant plus de 35 ans, il n'a pas, pour autant, quitté les lieux lorsque celui-ci est décédé et qu'un riche américain, Mr Farraday, a racheté la demeure. Alors que ce dernier doit s'absenter quelques semaines, il lui propose tout simplement de prendre un petit congé et d'en profiter pour aller visiter le pays, mettant à sa disposition sa voiture. Si Mr Stevens est d'abord réticent à cette idée qu'il trouve saugrenue, il accepte finalement et ce d'autant qu'une lettre de Miss Kenton, l'ancienne intendante, lui laisse entendre que Darlington Hall lui manque. En proie à quelques petites erreurs de travail ces derniers temps, Mr Stevens envisage l'idée de lui proposer de revenir. Ces quelques jours de voyage à travers la campagne anglaise seront l'occasion pour lui de repenser à son passé...





Ce roman, un brin suranné, presque fragile, nous emmène à travers la campagne anglaise et nous fait voyager dans les souvenirs de Mr Stevens. Majordome pendant tant d'années auprès d'un lord influent, notamment en ces temps de guerre, Mr Stevens est un homme extrêmement dévoué, perfectionniste et serviable, pour qui ce métier passe avant toute chose. Pudique, pour ne pas dire renfermé, dans ses relations (aussi bien avec son père qu'avec Miss Kenton), rigide aussi bien professionnellement que socialement, il en est parfois maladroit. Si le voyage entrepris à travers la campagne anglaise a pour destination Miss Kenton, ce sera surtout avec ses souvenirs que Mr Stevens a rendez-vous. Des souvenirs sur sa carrière, sur son rôle auprès de Lord Darlington mais aussi sur la vie qui lui a échappé. Empreint de nostalgie, de non-dits, d'intelligence, ce roman de Kazuo Ishiguro dresse, avec élégance et grandeur, le portrait d'un homme qui n'aura vécu qu'à la lisière de la vie...



L'on ne peut, évidemment, commencer la lecture de ce roman, sans avoir en tête l'image d'Anthony Hopkins qui a endossé le rôle de Mr Stevens magistralement...



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Klara et le Soleil

Il faut parfois persévérer avec un auteur pour réussir à rentrer dans son univers, pour l'accepter tel qu'il est, pour accueillir avec bienveillance l'invitation qu'il nous adresse, nous les lecteurs, à y pénétrer. C'est l'expérience que j'ai pu vivre avec Kazuo Ishiguro, après Auprès de moi toujours, en découvrant Klara et le soleil.



On a tendance à dire que l'Académie Nobel est très conservatrice et qu'elle refuse de couronner des genres considérés comme mineurs, tels le polar ou les littératures de l'imaginaire. Pourtant, quand on lit Ishiguro, Nobel 2017, (en tout cas dans ces deux livres), on peut se dire que c'est bien un auteur de science-fiction qui est couronné. Ishiguro s'interroge sur la technologie récente et ce que ses progrès permettront. Alors que la génétique était au centre d'Auprès de moi toujours, c'est bien l'intelligence artificielle qui est ici au coeur du livre. Klara est une Amie Artificielle, et nous le savons dès le début du roman. L'aura de mystère qui planait sur Kath, Ruth et Tommy dans Auprès de moi toujours est ici directement explicitée. Et pourtant, c'est bien l'incertitude et le mystère qui me semblent être les caractéristiques de l'univers de l'auteur. On ne sait jamais vraiment où ni quand se déroule le récit. Beaucoup d'éléments de cette nouvelle société sont clarifiés très progressivement et rien n'est totalement sûr. Qu'est-ce qui fait que certains jeunes sont "relevés "et d'autres non... et tout simplement qu'est-ce que c'est qu'être relevé ? Pourquoi certains humains semblent avoir quitté leur travail, l'ont-ils fait de leur plain gré ou ont-ils été remplacés ? A plusieurs moments du récit, on se dit qu'on a compris mais l'auteur semble prendre un malin plaisir à ne jamais totalement nous placer en état de certitude complète.



Comme souvent dans les littératures de ce genre, en venant explorer le thème de l'intelligence artificielle, c'est bien notre humanité qui est interrogée en miroir, ce qui fait sa spécificité. Est-il complètement illusoire de croire que l'humain est irremplaçable, inimitable ? Ishiguro pose ses questions éternelles de la SF mais il le fait dans un style très recherché, ce style qui lui a sans doute permis d'accéder au Graal du Nobel. Il mène une recherche constante pour tenter de saisir au plus près la représentation de notre monde que peuvent avoir ces intelligences artificielles. En mélangeant technologie et magie, il brouille les frontières et nous fait nous questionner sur ce que nous attendons de la science : des certitudes ou encore plus de féérie dans un monde désabusé.
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Les vestiges du jour

M. Stevens occupe la fonction de majordome dans un château anglais dans la première moitié du 20e siècle. Attaché au service de Lord Darlington, représentant d’une des dernières vieilles familles à entretenir un train de vie dépassé et onéreux, il veille à ce que tout se déroule à la perfection. Rien de moins ! Il connaît l’emplacement de chacun des objets et les habitudes des résidents et de leurs invités. Il attache un très grande importe à la tradition et au protocole, il prend son métier – que dis-je, sa profession ! – très au sérieux. Tellement qu’il n’a pas pris de congé depuis… trop longtemps. Mais parfois méticulosité est synonyme de rigidité. Aussi, il a aussi ses idées sur la dignité. C’est ce qu’il essaie d’inculquer à la nouvelle gouvernante, Miss Kenton.



L’auteur Kazuo Ishiguro a bien rendu le climat dans un château anglais – du moins, tel que je le concevais –, l’atmosphère qui y règne, le va-et-vient des domestiques qui s’affairent (tout en veillant à rester invisibles) et qui, quoiqu’il arrive, doivent conserver leur flegme britannique. Dans ce roman, il ne se passe pas grand chose, il faut se laisser porter lentement, très lentement, par le cycle des jours et des années qui passent, au gré des réflexions de M. Stevens. De toute façon, c’est quoi cette manie de toujours vouloir aller vite ? Je ne m’épancherai pas sur les visées diplomatiques de Lord Darlington (soutenir les efforts de paix, traiter avec les Nazis !), elles ne servent qu’à mettre en valeur le travail et le caractère du personnel, et incidemment des relations entre eux, allant de l’irritation à la collaboration, en passanr par plusieurs stades intermédiaires.



Le roman a été adapté au grand écran au début des années 1990. Je l’avais vu dès sa sortie et, encore à ce jour, le souvenir en est presque intact. À la lecture de beaucoup de passages, les scènes équivalentes me revenaient à la mémoire. Il faut dire que les interprétations d’Anthony Hopkins et Emma Thompson étaient excellentes, rendant bien la relation entre M. Stevens et Miss Kenton qui ne fut pas des plus heureuses au début. Mais, avec le temps, un respect mutuel s’est développé et ça aurait pu devenir davantage si le majordome avait pris son rôle un peu moins au sérieux, oubliait de vivre sa propre vie pour la mettre au service d’un autre. C’est fou les non-dits que j’arrivais à lire dans le comportement de la gouvernante et que M. Stevens n’a pas vu – ou n’a pas voulu voir.



Les vestiges du jour, c’est aussi un roman sur le temps qui passe, et avec les mœurs et bien des traditions. C’est se rappeler comment les choses étaient avant, le bon vieux temps. Et le moins bon. Les majordomes deviennent-ils une relique d’un passé révolu ? C’est ce que l’histoire en a décidé. Dans ce cas, les occasions perdues ne semblent que plus douloureuses et, quand on se met à trop y réfléchir, on voit des tournants dans chaque incident anodin. « Mais à quoi bon s’interroger sans cesse sur ce qui serait arrivé si tel ou tel moment ait tourné tourné différemment ? » Un bon conseil, et M. Stevens doit se le rappeler à quelques reprises s’il ne souhaite pas revivre le passé et désespérer des occasions manquée. En fait, un bon conseil pour tous !
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Les vestiges du jour

« Les vestiges du jour » est un roman écrit en 1989 par Kazuo Ishiguro, né à Nagasaki en 1954, arrivé en Grande-Bretagne à l’âge de cinq ans et prix Nobel de Littérature.



Situé dans la période qui va de l’entre-deux-guerres jusqu’aux années cinquante, le roman évoque de prime abord un opus de P.G. Wodehouse nous narrant les aventures drolatiques de l’inimitable Jeeves, ou une romance raffinée de Somerset Maugham qu’évoquait Alain Souchon dans sa chanson éponyme. Et pourtant. Le roman singulier d’Ishiguro fait preuve d’un esprit de sérieux qui l’éloigne de la verve humoristique « so british » de Wodehouse et tient davantage du conte philosophique que de la romance.



Le narrateur Stevens est le majordome vieillissant d’un riche américain, Mr. Farraday qui a repris le somptueux domaine de Darlington Hall, suite au décès de son ancien propriétaire, Lord Darlington. Sur la suggestion de son nouvel employeur, il entreprend un voyage de quelques jours dans la Ford de Mr.Farraday, afin de « voir du pays ».



Comme l’indique son très beau titre, « Les vestiges du jour », le voyage de Stevens est avant tout un voyage intérieur, teinté d’une nostalgie douce-amère où le narrateur plonge dans les souvenirs d’une vie tout entière dédiée à sa vocation de majordome. Dans un style compassé et volontairement précieux, qui épouse la nature des réflexions et de l’univers de Stevens, Ishiguro nous conduit au coeur de l’entre-deux-guerres, et du tropisme germanophile de l’influent Lord Darlington, qui fut son employeur pendant la plus grande partie de son existence.



Le majordome a l’intention de profiter de son voyage d’agrément pour rendre visite à Miss Kenton qui fut son employée pendant de nombreuses années et de lui proposer de reprendre du service, suite à un échange épistolaire laissant entendre que son mariage ne se portait pas au mieux. La relation entre le narrateur et celle qui fût sa confidente recèle de nombreux non-dits. Les deux personnages aux manières impeccables, tout droit sortis d’un roman élisabéthain, ont peut-être sacrifié la possibilité d’une authentique histoire d’amour sur l’autel de leurs fonctions respectives au service de Lord Darlington.



Roman paradoxalement immobile, dans le sens où il ne comporte pas de véritable intrigue, « Les vestiges du jour » est teinté de la douce mélancolie qui colore l’introspection de son narrateur examinant sa longue carrière de majordome. Aussi suranné que cela puisse paraître, il donne à sa fonction la plus haute importance, et la conçoit comme une destinée qui mérite tous les sacrifices. Pressentant qu’il est sur le déclin et ne s’acquitte plus de sa tâche avec le même entrain que durant sa jeunesse, il s’interroge sur le sens d’une fonction sur le point de devenir obsolète.



« Les vestiges du jour » donne ainsi lieu à de longues digressions sur la dignité, qui est selon le narrateur, la qualité essentielle d’un majordome. Avec un esprit de finesse et de sérieux que le style ampoulé de l’auteur rend à merveille, Stevens revient sur sa vocation, et sur la dignité dont il a su faire preuve dans l’exercice de ses fonctions, à l’image de son père qui fut lui-aussi majordome au début du siècle.



Le roman d’Ishiguro est un exercice de style ironique et caustique, qui questionne la haute société anglaise, son raffinement, sa sophistication, son attention démesurée pour les apparences, et le dévouement de certains domestiques pour leur employeur. Ne nous y trompons pas. Derrière ses bonnes manières, et son faux air de roman nostalgique d’un homme intègre qui interroge avec sincérité son parcours de majordome, se dissimule un ouvrage d’une cruauté presque dérangeante.







« Les vestiges du jour » est un roman ambitieux qui comporte plusieurs niveaux de lecture. La finesse du narrateur suscite l’empathie du lecteur qui s’attache peu à peu à un vieux monsieur qui se retourne sur les vestiges de son existence. Et pourtant. C’est le regard sans concession de l’auteur qui finit par l’emporter, une dénonciation d’autant plus cruelle qu’elle est implicite, de l’inutilité des sacrifices de Stevens, passé à côté de sa vie, pour servir un « Lord » aux inclinations plus que douteuses.

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