Soudain le bébé réapparut dans le tiroir où Adam rangeait ses chaussettes. Il avait entre-temps appris à miauler.
C’est comme le poète qui s’endormait une cuiller à la main, lui dit Porter tandis que Warren, le technicien de laboratoire, préparait le casque. Quand la cuiller tombait, le bruit le réveillait et il se mettait aussitôt à écrire ce qu’il avait vu
Les insomniaques, dans leur épuisement, perdaient rapidement la capacité de distinguer le réel de la fiction. Dans leur tête, une porte laissée sans surveillance était à présent grande ouverte à la suggestion, à la persuasion. C’était l’âge d’or pour les conteurs, pour les magiciens et, bien entendu, pour les publicitaires – son ancien métier. L’heure était venue des placebos : de pieux mensonges qui génèrent de la réalité malgré eux.
La race humaine va disparaître dans des accès d’hallucinations, dans un état de total épuisement physique et mental. Les cachets, pensait-il, non seulement lui permettraient de dormir quand plus personne n’y parviendrait, mais se révéleraient une formidable monnaie d’échange quand l’argent, et même l’or, auraient perdu toute valeur. Il conjecturait que les pilules seraient la nouvelle devise.
Il en était ainsi pour le monde entier – ce sommeil qui planait, comme s’il allait d’un instant à l’autre fondre sur vous, mais ne tombait jamais. Il paraissait vous narguer en passant de petits courts métrages d’endormissement, de brèves visions de sommeil, mais le film principal n’arrivait jamais. C’était comme de s’apercevoir que quelque élément vital avait disparu en vous.
La solution la plus dure, la plus radicale, se révèle parfois être la meilleure, disaient-ils. Ils devaient la protéger de l’inévitable chaos à venir, mais également d’eux-mêmes. De plus en plus de gens erraient dans les rues, en proie à des hallucinations. Dans d’autres régions, plus atteintes, on voyait à présent des gens dépecés vivants.
L’épidémie d’insomnie rendait les gens affamés de sommeil et, dans leur avidité, capables de tout. Elle les voyait bien du coin de l’œil, immobiles, aux aguets, mais s’évanouissant dès qu’elle les regardait directement. Elle les savait prêts à avaler n’importe quel réceptacle de sommeil, espérant ainsi retrouver la possibilité de dormir.
Le besoin éperdu des clients de satisfaire leurs chefs suprêmes, le besoin éperdu de l’agence de satisfaire les clients. La façon dont la petite monnaie des idées creuses s’échangeait au prix de l’or. Tout n’était que mirage et mensonge.
Les petits somnifères en vente libre, ça ne va pas suffire bien longtemps. Il faut qu’on trouve un truc qui assomme un bœuf. Qu’on se fixe sur deux médocs pour lesquels on voit toutes ces pubs.
Les insomniaques étaient malsains, déglingués, dangereux, même s’ils vous avaient aimée toute votre vie.