Koulsy Lamko - Paysans au labeur
« Dans mon pays de merde que j'adore (et qui se trouve être également le pays de Léa), le vice est magnifié, la vertu ridiculisée. » (p. 135)
"La vie nous éduque au détour de chaque jour qu'elle nous offre. Dans les camps de réfugiés, nous avons connu l'angoisse, la désolation, la désespérance, la maladie, la faim; mais nous avons survécu à tout cela. Afin de témoigner pour tous ceux qui ne sont plus. Et pour qu'ils ne méritent en rien une telle fin tragique, témoigner de ce que la balle de l'assassin vil et peureux qui les a fauchés ne viendra jamais à bout de la vie. Le manioc, le yucca, est une plante tenace, rebelle à la destruction. Il suffit qu'une racine, une tige arrachée rencontre l'humus de la terre pour que toute la plante revive. Nous revivrons à jamais.
En ce moment précis où je vous parle, vous êtes vide de tout : un mort en sursis, un vrai mort puisque vous donnez l'impression d'être de ce monde alors que vous avez amorcé le voyage vers l'autre rive.
Abraham Lincoln est élu président des USA en 1860. John F. Kennedy, lui, est élu en 1960. Il y a le même nombre de lettres à leurs noms : 7. A Lincoln a succédé Johnson né en 1808. Abraham Lincoln a été assassiné par Wilkes Booth né en 1839. Kennedy, lui, l'a été par Oswald né en 1939. Lincoln et Kennedy sont assassinés tous les deux en présence de leur avocat, tous les deux un vendredi. Leurs assassins sont tués par la police alors qu'ils refusaient de se rendre. Ils se sont réfugiés soit dans un entrepôt, soit dans un théâtre après avoir tiré d'un entrepôt ou d'un théâtre. La secrétaire de Lincoln s'appelait Kennedy, celle de Kennedy s'appelait Lincoln. Lincoln a eu un enfant mort pendant son séjour à la Maison Blanche ; Kennedy de même. Enfin Kennedy est assassiné dans une voiture décapotable Lincoln. Ils sont tous les deux touchés à la nuque.
L'exil nous efface de la mémoire de notre terre, lentement mais sûrement. Et le jour où l'on ose revenir au pays, y poser le pas, par hasard, pour un soleil, une lune, l'on se rend bien compte que c'est notre terre qui nous a abandonnés, nous a tourné le dos, ne nous reconnaît plus, nous a reniés.
"Ils ont abusé de nous pendant des siècles. Ils nous ont imposé leur dieu. Ils ont découpé nos terres en part de gâteau. Chacun s'est mis à la fête. La terre ! La malédiction commence par la terre que l'on arrache à l'autre. La terre, ce qui relie l'homme aux deux mondes, à la vie."
« Tout bien pesé, mon allergie au papier n'était peut-être qu'un syndrome parmi tant d'autres. Le syndrome de l'impasse ! » (p. 257)
Mal à mon pays désert, savane et forêt, où mon vaillant peuple broute la drêche de désespoir, comme un tas de chenilles, se contorsionne, dans une calebasse pyrogravée pleine de cendres brûlantes. Boule Quies dans l'oreille serait une indécence; s'aveugler une honte; se taire un crime.
Rien de nouveau pour moi sur la palettes des couleurs et des préjugés racistes : les nègres sont cannibales, stupides, incapables de suivre le développement, grands singes imitateurs, bénis oui-oui, phallus d'âne libidineux au point de ne se satisfaire que de plusieurs femmes à la fois, femmes à fesses excroissantes et à poitrine monstrueuse, odeur de maïs faisandée, bruyants dans les HLM, violents parce que sauvages, sans foi ni loi, nez épaté, lèvres rouges et lourdes, cheveux crépus ébouriffés, émotion et état de nature, QI inférieur à la norme, vie sans lendemain, misérables, voleurs, dépensiers, adorateurs de statues, de forêts et de lacs ; ils découpent le clitoris des femmes.
Crétinisé dans son être profond, vidé d'une bonne partie de sa substance, le colonisé assimilé est fin prêt à répondre à l'appel des sirènes dressées sur la plate-forme d'un énorme-paquebot-remorqueur-régie, centre de décisions, de reconnaissance, d'orientation, d'élaboration de la pensée cadre...L'assimilé devient collaborateur du système qu'il porte et dresse contre lui-même pour détruire et faire disparaitre ce qu'il a de plus profond en lui et dont il était partie: sa mère.