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Critiques de Kurt Vonnegut (207)
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Tremblement de temps

Un tremblement de temps a permis aux hommes de revivre dix ans de leur vie. Mais attention, pas question de changer un iota du passé. La seule différence est ce que l'on fait ou pas de son libre arbitre quand on revient au présent.



Avec ou sans ce surplus de vie, la guerre, sa famille, son oeuvre, l'art, ses amis, écrivains ou pas, passés à la moulinette Vonnegutienne — aidé de son double littéraire, l'improbable vieil écrivain de science-fiction Kilgore Trout — ont vraiment une drôle de gueule. Mais à y regarder de plus près, une vraie gueule de réalité, car comme l'affirme à juste titre ce bon vieux Kurt, elle dépasse souvent la fiction.



Sympathique, drôle et sincère toujours, cultivé et pertinent souvent, est cet ultime opus de Kurt Vonnegut. Sous forme de réflexions, souvenirs, anecdotes réelles ou apocryphes, des mémoires à l'image de son auteur : déjantés et ironiques. Normal pour un homme sauvé d'une mort certaine parce que prisonnier de guerre enfermé dans un abattoir (Abattoir 5) pendant le bombardement de Dresde, dont la mère, lassée de vivre, a choisi de se suicider la veille de la fête des mères de la même année.



Merci à NetGalley et aux Éditions super 8 pour cette lecture rafraîchissante.

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Abattoir 5

Abattoir 5 est un classique de la littérature de guerre. Certes. Mais c’est avant tout un livre halluciné qui part dans tous les temps et dans tous les lieux, c’est-à-dire à la temporalité éclatée, à la géographie disloquée. Un livre de science-fiction empreint d’humour noir et absurde qui propose un pas de côté étonnamment doux pour relater une sombre rétrospective historique. Un roman délirant et déluré, politiquement incorrect, mélangeant la poésie à l’horreur, l’humour au burlesque. Un livre inclassable devenu un classique.



Ainsi vont les choses.



Il faut dire que Vonnegut a fait une promesse à Mary (à qui il dédicace son livre) la femme de son ami qui fut soldat avec lui : il promet qu’il écrira certes sur le massacre de Dresde, là où le soldat Vonnegut de la 106e division d’infanterie américaine a été fait prisonnier, mais sans en faire un récit classique de guerre débordant de patriotisme mièvre, de héros vaillants et combatifs, car aucun texte ne doit donner envie de faire la guerre, en faire l’apologie, les soldats si jeunes sont de la chair à canon. Ce sont encore des enfants. D’où le titre complet : « Abattoir 5 ou la croisade des enfants ». Le texte se devait être résolument décalé, mettre en valeur toute l’horreur et l’absurdité des combats. Mission ô combien réussie…Dès le titre et la première page nous comprenons que ce livre de guerre ne sera pas commun :



« Abattoir 5

Ou

La croisade des enfants

Par Kurt Vonnegut

Germano-américain de quatrième génération

Qui se la coule douce au cap Cod.

Fume beaucoup trop,

Et qui, éclaireur dans l’infanterie américaine,

Mis hors de combat et fait prisonnier

A été, il y a bien longtemps de cela,

Témoin de la destruction de la ville

De Dresde (Allemagne)

La Florence de l’Elbe

Et a survécu pour en relater l’histoire.

Ceci est un roman

Plus ou moins dans le style télégraphique

Et schizophrénique des contes

De la planète Tralfamadore

D’où viennent les soucoupes volantes

Paix »



Alors, certes, la ligne directrice du roman est bien calée sur la biographie de Vonnegut. Après être fait prisonnier, en février 1945, le prisonnier de guerre Vonnegut est à Dresde et travaille dans un abattoir. Du 13 au 15 février 1945 a lieu le bombardement de Dresde par les Alliés. C'est l’un des plus grands carnages de civils de la Seconde Guerre mondiale : 7 000 tonnes de bombes (dont des bombes au phosphore) sont déversées en trois vagues qui feront plus de 35 000 morts. Le soldat Vonnegut fut l'un des sept rescapés américains, sauvés pour s'être enfermés dans une cave d'abattoir qu'il nomme "Slaughterhouse Five" ("Abattoir 5"). Cette expérience traumatisante, décrite dans son roman Abattoir 5, serait même mentionnée dans pas moins de six de ses autres ouvrages. Libéré en mai 1945 par les troupes soviétiques, il revient aux États-Unis, et reçoit un Purple Heart.



Ainsi vont les choses.



Mais, et tout est dans ce mais, au lieu de nous offrir un récit linéaire, classique, il éclate cette linéarité, la tord en tout sens…il entremêle des récits dans le récit, et use avec férocité d’un humour noir, nous laissant souvent pantois, parfois hilare. C’est corrosif à souhait. C’est schizophrénique. C’est fou.

Que sont ces récits dans le récit ? Il s’agit de sauts dans le temps et dans l’espace qu’arrive à faire un certain Billy Pilgrim. Ainsi nous le voyons parfois vieil opticien américain dépressif, puis, sans crier gare, après un simple battement de cil par exemple, jeune soldat américain prisonnier à Dresde dans un ancien abattoir au moment du bombardement et de la destruction totale de la ville, et hop jeune vétéran qui revit sa lune de miel avec l’imposante Valencia, ou encore, et là c’est vraiment truculent, humain kidnappé par les extraterrestres Tralfamadoriens afin de l’exhiber dans un zoo sur leur planète.



L’humour et le ton résolument décalé permettent de mettre davantage en exergue l’horreur de la guerre. Certains passages absolument terrifiants sont très vite contrebalancés par une situation plus légère ou burlesque permettant au lecteur de respirer. « Seuls le savon et les bougies sont d’origine allemande. Ils se confondent dans leur fantomatique opalescence. Les Américains n’ont pas la possibilité de s’en rendre compte, mais les bougies et le savon sont constitués de la graisse des Juifs, des Gitans, de pédés, de communistes et autres ennemis de l’État qu’on a fait fondre. Ainsi vont les choses ».



Même si cela est louable et constitue un exercice très délicat, cette façon de faire n’est pas unique. Je pense au livre chroniqué par Paul (@Bobfutur), Catch 22 de Joseph Heller par exemple, ou encore La vie est belle de Roberto Benigni. Ce qui fait vraiment la singularité de ce livre-là est sa non linéarité. Un récit linéaire aurait donné lieu à une énumération de souvenirs mais là ce n’est pas le cas : le procédé narratif de sauts bondissants dans le temps permet de vivre les événements, d’être là et non de se souvenir simplement. De faire du passé un moment présent. Billy Pilgrim glisse d’une période à une autre, souvent en ricochets, il est projeté, il rebondit dans le passé, dans le futur…embrasse en sauts temporels toute sa vie et saupoudre chacune des périodes d’interrogations philosophiques. Billy le bien nommé Pilgrim devenu pèlerin…



« Billy ne saisit plus le temps que par saccades, ne décide pas lui-même de sa destination, et les voyages ne sont pas forcément drôles. Il jure avoir constamment le trac car il ne sait jamais dans quel recoin de sa vie il va devoir tenir son prochain rôle ».



Pour accentuer cet effet de sauts temporels de ce Billy unique, certains éléments se retrouvent dans les différentes périodes temporelles. La couleur bleu, par exemple, revient comme un leïtmotiv et se retrouve par ricochet dans plusieurs situations temporelles. Ainsi les pieds nus des morts des soldats « tout bleus avec des tons d’ivoire », et les pieds de Billy en vieil opticien « s’est levé dans le clair de lune. Il se sentait spectral et iridescent, comme enveloppé de fourrure lustrée gorgée d’électricité statique. Il a baissé les yeux vers ses pieds nus. Ils avaient des tons d’ivoire sur fond bleu ». Ou alors le mélange de rose et de gaz asphyxiant, parfois haleine fétide de Billy au réveil après avoir trop bu, parfois odeur des milliers de morts sous les décombres.



Pourquoi ce saut dans l’espace pourrions-nous nous demander si ce n’est de donner une touche de science-fiction au récit, science-fiction dont Vonnegut ne cesse de faire l’apologie dans tout le récit de façon touchante, ce genre permettant selon lui de recréer un univers et une personnalité ? Cela permet, me semble-t-il, de penser autrement, d’appréhender avec les Tralfamadoriens une autre vision du temps, non linéaire, de discerner la permanence des instants, la fugacité de notre passage, de souligner encore davantage l’absurdité de la guerre. « Ce n’est qu’une illusion terrestre que les minutes se succèdent comme les grains d’un chapelet et qu’une fois disparues elles le sont pour de bon ».



Kurt Vonnegut a été très audacieux en choisissant de raconter le bombardement de Dresde dans un livre de Science-Fiction burlesque et déjanté. Inclassable, il pétille d’inventivité, d’humour mais aussi d’une certaine résignation mélancolique. La répétition de « Ainsi vont les choses » tout au long du récit à chaque évocation de la mort, sonne comme une fatalité, mais une fatalité acceptée : c’est ainsi et il faut savoir profiter du moment présent.



« Tout temps est le temps du tout. Il est inaltérable. Il ne se prête ni aux avertissements ni aux raisonnements. Il existe, un point c’est tout. Décomposez-le en moments et vous comprendrez que nous sommes tous, comme je l’ai déjà signalé, des insectes dans de l’ambre ».

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Abattoir 5

Un monument.



Tel Joseph Heller et son « Catch 22 », Vonnegut choisit la voie la plus difficile pour nous parler de la guerre : la loufoquerie.

Probablement l'approche la plus réparatrice... s'imposer un deuil rigolard, alors que des visions d'horreur vous poursuivront jusque dans votre tombe.



Car c'est en grande partie autobiographique, même si la partie concernant les extra-terrestres semble légèrement exagérée… encore que… rien qui n'arrive au degré d'horreur du bombardement de Dresde : un véritable crime de guerre, un gigantesque pétage de plomb qui démontre, encore une fois, qu'il n'y rien de plus dangereux et de foncièrement faux, erreur perpétuelle et tristement humaine, que d'attribuer des rôles de bons et de mauvais…



L'Histoire nous enseigne que cela aurait pu être pire (fou-rire nerveux à s'envoyer une larme dans l'occiput), et qu'ils auraient tout aussi bien pu raser Berlin.

Vous avez raison, les multiplications, c'est toujours plus facile à poser que les divisions…

Mais je n'ai rien vécu de tout cela, et c'est bien pour cela que ces quelques lignes prennent le poids du plomb.

Le talent, c'est d'arriver à faire voler tout ceci plus haut que les galaxies. C'est d'y convoquer jusqu'à la quatrième dimension.



La première moitié du livre, Kurt vise tout juste à chaque phrase.

Un déluge d'inventivité, de pétillance, sans trêve, obligeant le lecteur, même bien entrainé — encouragé par un découpage en courts paragraphes, dynamique — à de fréquentes pauses afin de souffler / exulter.



La suite se perd probablement quelque peu, sans doute du fait des très nombreux sauts dans le temps, coupant la circulation émotive comme une paire de rangers lacées trop serré, l'équilibre entre le plombant et l'abracadabrant perdu dans toute cette fumée.



Aussi, quelques doutes sur la traduction.

On entrevoit, pour cette fois, l'espace pour un coup de frais… Actes Sud ? (oui, bon, cette fois-ci, il faudra négocier avec le Seuil… ou bien attendre, comme à leur habitude, la libération des droits…).

Le fameux leitmotiv de ce roman : « So it goes » permettrait à lui seul la constitution d'une équipe de quatre traducteurs vétérans — mettons Brice Matthieussent, Marianne Véron, Claro et le petit-fils d'André Gide (hein ?) — afin de nous pondre autre chose que le très irritant « C'est la vie », et ses 106 occurrences dans le roman, chacune me renvoyant à l'image de mon ami Joost, batave du Brabant Inférieur, être au demeurant adorable, mais horripilant lorsqu'il s'essaye à parler le français, avec sa voix guindée montant dans les aiguës, et son air satisfait recouvert de bonnes grosses dents carrés : « c'est la vie ! »… ou pire… de ce groupe venu de Styrie, « Opus », et son hélas inoubliable morceau « Live is life » (LA-LA-LAA-LALA)…. navré….

Bref, il y avait sans doute moyen de faire mieux… ou simplement de le lire en V.O….



Car ce « Slaughterhouse-Five, or, The Children's Crusade: A Duty-Dance with Death » est à coup sûr un livre à lire plusieurs fois, parmi les grands classiques anti-militaristes, bien à sa place dans toute liste récapitulative de la littérature mondiale.
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Le petit déjeuner des champions

De cette première rencontre avec Vonnegut j’en sort déroutée . Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne manque pas d’imagination et son sens de la dérision est extrême, voir sans pitié 😁 dans sa satire sans concession de l’Amérique. Trump l’aurait sûrement mis en tôle en censurant ses livres 😁, mais comme ce dernier ne lit pas, et Vonnegut nous a quittés en 2007 , le problème n’a jamais existé.



Le sujet est la rencontre dévastatrice de deux personnages sortis tout droit du mythe américain. Dwayne Hoover, orphelin adopté devenu patron d’une concession Pontiac, mais aussi propriétaire d’hôtels, restaurants, station radio, club de golf….., noyé dans sa routine de gros propriétaire veuf à Midland City, perd lentement la raison. Kilgore Trout, auteur prolifique de romans de science-fiction dont l’œuvre est caviardée de pornographie pour être diffusée en sex-shop, est invité par son seul admirateur un certain Eliot Rosewater qu’il croit un ado à cause de son écriture 😊, au Festival d’Art de Midland City.

Le narrateur, Philboyd Studge ( alias Kurt Vonnegut 😊) raconte le cheminement des deux zozos comme s’il s’adressait à des extraterrestres, c’est à dire à nous 😁, avec plein de petits dessins primitifs pour nous faciliter ( en faites il s’adresse je pense plutôt au publique américain 😁) la compréhension des drôles de choses que l’on trouve sur la Terre.



La critique de Vonnegut de la société américaine est féroce.De leur mauvaises habitudes alimentaires ( le junk food, les quantités gargantuesques ingurgitées et gaspillées ) à leur fausse puritanisme, une société obscène qui exclue « l’obscénité » ou ce qu’elle prétend telle, de leur culte de la jouissance instantanée à leur ignorance décomplexée ( les livres sont utilisés comme papier de toilette ), de l’exploitation cruelle de l’homme par l’homme à leur système de sécurité social inexistant …..rien ne manque à cette satire mortelle que renforce le titre du livre. « Petit déjeuner des champions », une marque de céréales très fameuse aux États Unis, pays géré par la télévision et ses publicités . Or notre narrateur Studge nous avertit dans sa préface que cette honorable société n’en est pas pour autant le sponsor, ni que c’est une publicité pour eux en bien ou en mal 😊. Sex et Solitude traverse de bout en bout ce roman où l’égoïsme et l’abscence de compassion dans le cœur humain glacent . Quand à la fin du livre , bien qu’ annoncé dès le début de l’histoire est une grande surprise !



J’ai beaucoup aimé son sens de la dérision aux petites subtilités entre les lignes , son écriture sans fioritures ( lu en V.o.) , et la structure de son récit qui semble déjantée mais ne l’est pas, car Vonnegut lui-même y est présent incognito avec ses lunettes de soleil miroir qu’il porte jour et nuit 😎, en charge de l’opération créative 😁! J’ai terminé ce livre avec un grand sourire !
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Abattoir 5

Billy Pilgrim est un opticien américain dans les années 60. Billy Pilgrim est aussi détenu par les trafalmadoriens qui l'exhibent comme un sujet de curiosité sur leur planète. Billy Pilgrim est aussi un jeune soldat américain prisonnier à Dresde en 1945. Billy Pilgrim est tout cela. En même temps. Car comme lui disent les trafalmadoriens, le temps n'est pas une succession de moments s’égrainant de façon linéaire, mais une superposition d'états.



A la lecture de cette tentative, ratée et complètement vaine, de résumé, on voit tout de suite qu'il est illusoire de chercher une logique dans ce roman. "Abattoir 5" est totalement inclassable. Récit de guerre, ingrédients de science-fiction, questionnements philosophiques, roman psychédélique... le roman de Vonnegut ne se prête à aucune classification. Le récit de Vonnegut brise toute logique classique de narration. Car il est vain de chercher du sens à ce qui n'en a pas. "Le mot pourquoi ne veut rien dire" disent les trafalmadoriens à Billy. Expliquer l'absurde n'a pas de sens et quoi de plus absurde que la guerre et son cortège d'horreurs.



Si "Abattoir 5" est impossible à classer, il est aussi très compliqué d'en parler. Trouver les mots pour évoquer une lecture aussi singulière est difficile. J'imagine qu'il faut être dans un certain état d'esprit pour être touché par le récit de Vonnegut, que certains lecteurs se sentiront exclus, peinant à ressentir des émotions lors de leur lecture. Je devais être dans la bonne disposition pour recevoir ce roman qui m'a littéralement bouleversée. Ce texte écrit avec les tripes par un esprit torturé m'a soufflée. J'ai été secouée par le propos et transportée par la forme. "Abattoir 5" m'a remué le cerveau et le cœur.



Dans ce récit puissant, violemment anti-militariste, transparait une forme d'humanisme désabusée. Pour l'auteur, aucune horreur ne se justifie, aucune mort n'a de sens. A cet homme qui cherche à justifier le bombardement de Dresde par une sorte de "c'est eux qui ont commencé", Billy acquiesce mollement. Chercher un "parce que" à Dresde , à l'horreur de ces milliers d'êtres transformés en "farine humaine", n'a pas de sens. Et comme le temps n'existe pas tel que nous le concevons, cet instant d'horreur n'a pas de fin, il existe pour l'éternité. La guerre, même finie, est toujours là. Vonnegut a vécu la guerre, il a vu Dresde? Et Vonnegut, comme Billy, la vit encore et toujours, chaque instant étant permanent. Ce roman anti-militariste n'invite donc pas au devoir de mémoire car on ne se remémore pas quelque chose qui est, on ne se remémore que ce qui a été.



Il y a dans "Abattoir 5" un fatalisme désespéré qui peut déplaire. Ce constat de la barbarie éternelle est très pessimiste. Mais j'ai vu aussi dans "Abattoir 5" une lueur d'optimisme. Billy supporte l'indicible en se raccrochant aux souvenirs de ce qui a été et aux souvenirs de ce qui sera. On peut appeler ça l'imagination. En cela, Billy Pilgrim m'a rappelé Darrell Standing, le personnage du "vagabond des étoiles" de Jack London, qui s'évadait des murs de sa prison par la force de son imagination en revivant ses vies antérieures.

Ainsi, Vonnegut nous rappelle la force de l'imaginaire qui permet de supporter l'horreur de la condition humaine.



Challenge Multi-Défis 2016 - 28 (un roman qui se passe en temps de guerre)

Challenge Petits plaisirs 2016 - 23

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Le petit déjeuner des champions

Quoi de plus logique, de commencer la lecture de Kurt Vonnegut Jr par le petit déjeuner?

Ce Breakfast du champion a été, pour Horusfonck-des-critiques-des-livres-qu'il-a-lu, un sacré gueuleton!.. Et illustré par l'auteur, en plus!

L'ami Kurt emmène le lecteur dans les maux d'une Amérique taraudée par ses démons: Le fric, la guerre, le racisme, la destruction de l'environnement... Son porte-parole, son porte-drapeau de la loose anti-conformiste, c'est Kilgore Trout l'écrivain aux innombrables textes publiés-cachés dans des revues cochonnes!

Et voilà Kilgore Trout envoyé, au gré de la fantaisie halluciné de son créateur, dans un improbable festival culturel ... D'ailleurs, ledit créateur (The autor himself!) participe à cet évènement bouffon lors duquel ses personnages lui échappent parfois!..

Alors, mille merci, Kurt, pour cette descente déjantée qui m'enjoint de continuer à parcourir les chemins de votre œuvre!





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Elle est pas belle, la vie ? Conseils d'un ..

Dégotez-vous une Harley et envolez-vous avec les Hell's Angels, trouvez-vous une vraie famille, de vrais amis plutôt que de passer votre temps, à converser avec des fantômes sur la toile.

Un exemple parlant pour donner une idée des conseils pas si farfelus du "vieux schnock "prodigués à de jeunes cons diplômés boutonneux dans 9 universités américaines de 1978 à 2004.

Elle est pas belle la vie ? est un recueil des discours de Kurt Vonnegut.

Les sujets sont sérieux mais le ton est décalé.

Sous des allures de fanfaron, il faut rappeler que Kurt a connu de près les horreurs de la guerre. Il a été l'un des sept rescapés du bombardement de Dresde en 1945 pour avoir trouvé refuge dans un abattoir qu'il raconte dans son livre Abattoir V.

Ses discours sont un hymne à la vie. Il rappelle que l'horreur est à nos portes et qu'il faut être vigilant en choisissant au quotidien les valeurs humanistes : la fraternité, la paix, le pardon contre à la guerre, la vengeance "oeil pour oeil dent pour dent"(une valeur prédominante chez les cowboys) la haine des autres qui est un véritable poison.

En tant qu'humaniste, libre penseur et anthropologue , il pointe du doigt le manque de rites de passage dans la société américaine. Porte ouverte au suicide.

Constate que contre la solitude, rien ne vaut des amis et une famille élargie. Il faut suivre exemple des pays africains .

S'interroge sur les nouvelles technologies cannibales : "j'ai un beau-fils qui a été avalé par son ordinateur . Il a disparu dedans et je ne sais pas si nous pourrons l'en sortir un jour. En plus, il a femme et enfants"

Trouve que l'on n'a rien inventé de mieux qu'un livre, objet doux pour la main.

S'insurge contre la société matérialiste : Apprenez à aimer votre destin et non l'argent.

Pointe les ravages de la drogue et de l'alcool : son fils a fait un séjour en asile pour de la Mescaline et George W. Bush a picolé de 16 ans à 41 ans avant de devenir le pire des présidents.

Prend appui sur des études scientifiques qui montrent les effets positif de la musique blues contre la dépression. Alors faites vous plaisir !

"Elle est pas belle la vie " comme aimait le répéter son oncle Alex qui savait profiter des bons instants de la vie comme la joie simple de partager un plat ou un verre.



Un livre qui remet les idées et les valeurs fondamentales en place.

Il faudrait un Kurt Vonnegut pour nos énarques français...



Elle est pas belle la vie ...dégotez-vous une Harley et éclatez-vous !
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Nuit mère (Nuit noire)

« Mon nom est Howard W. Campbell Jr. Je suis américain de naissance, nazi de réputation et apatride par inclination. » ● Nous lisons les mémoires fictifs de Howard W. Campbell qui est détenu dans une cellule de prison en Israël, attendant d’être jugé pour les crimes contre l’humanité qu’il a perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a en effet été un propagandiste nazi de premier plan à la radio à l’attention des Américains. (« J’ai gagné ma vie jusqu’à la fin de la guerre en 1945 comme auteur et radiodiffuseur de propagande nazie pour le monde anglophone. ») Mais il prétend qu’il était un agent américain infiltré parmi les nazis et clame donc son innocence. (« J’étais un agent américain tout au long de la guerre. Mes émissions transmettaient d’Allemagne des informations codées. ») Parviendra-t-il à nous convaincre – et à convaincre ses juges ? ● Tout au long du roman, le lecteur va hésiter entre croire Campbell ou ne pas le croire. Et même si ce qu’il raconte est vrai, qu’aurait-il fait, comme un de ses interlocuteurs lui demande, si l’Allemagne avait gagné la guerre ? Ne se serait-il pas rangé sans scrupules du côté du vainqueur ? Ne croyait-il pas, vraiment, aux ignominies qu’il racontait à la radio ? ● Le narrateur adopte un ton distancé, comme si tout cela ne comptait pas vraiment, ou plutôt comme s’il était revenu de tout… ● Même si c’est court, il y a des longueurs… Je n’ai pas vraiment accroché à ce récit déconcertant. Si l’on veut lire l’Holocauste du point de vue d’un nazi, il faut préférer l’œuvre majeure de Robert Merle, La mort est mon métier.
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Abattoir 5

Bombe littéraire à fragmentation.



Sans emphase ni exagération, «Abattoir 5 ou la croisade des enfants», le sixième roman de Kurt Vonnegut (1922-2007), publié en 1969, fait partie des livres incontournables, à lire et relire absolument.



À l’origine, il y a la vie de Kurt Vonnegut : Fait prisonnier par les Allemands en décembre 1944, Il fût transféré à Dresde où il travailla dans un abattoir, et fût un des rares survivants du bombardement de la ville en février 1945, refugié avec quelques autres soldats américains dans les caves de l’abattoir.



Kurt Vonnegut voulait évoquer son expérience de la guerre, mais comment dire l’horreur sans tomber dans un effroi abyssal ou une dépression insurmontable, ni dans des stéréotypes qui pourraient faire passer la guerre pour une aventure utile ? Il répond à cette question insoluble avec un récit en apparence absurde et dénué de sens, comme la guerre, un chef d’œuvre poignant, désespéré et en même temps d’un humour féroce.



Le héros du livre, homme sans qualités du nom de Billy Pèlerin et double fictionnel de Vonnegut, a rencontré des extra-terrestres, les Tralfamadoriens qui l’ont kidnappé et comme eux, il a «décollé du temps», ce qui signifie qu’il voyage dans le temps de sa propre vie, avec des allers et retours imprévisibles et incessants, ne sachant jamais quel est le prochain moment qu’il va vivre.



Billy Pèlerin est ainsi tour à tour en lune de miel, sur le point de survivre à un accident d’avion en 1968, sur le front pendant l’ultime offensive allemande de 1944 et ne voulant pas se battre, à Chicago pour prononcer une conférence sur les soucoupes volantes et la nature du temps en 1976, exposé nu dans un zoo de Tralfamadore en compagnie d’une jolie starlette, Montana Patachon, ou encore en février 1945 sous les bombes de Dresde…



«Un anesthésique est insufflé dans l’air que respire Billy pour l’endormir. On l’emporte dans une cabine pour l’endormir. On l’emporte dans une cabine où on l’attache à l’aide de sangles à un fauteuil-relax jaune dérobé dans un entrepôt de Prisunic. La cale de la soucoupe était bourrée d’objets volés qui serviraient à meubler l’habitation reconstituée pour Billy dans un zoo de Tralfamadore.

L’insupportable accélération, cependant que la soucoupe quitte la Terre ratatine le corps assoupi de Billy, lui tord le visage, le ravit au temps, le réexpédie à la guerre.

Quand il revint à lui, il n’était pas sur la soucoupe. Il traversait l’Allemagne sur un wagon de marchandises.»



Kurt Vonnegut raconte la guerre en tournant autour et en la fragmentant. L’effet est étourdissant, les événements se succèdent sans enchaînement logique apparent, mais le flot du récit est totalement fluide malgré les sauts temporels, régulièrement ponctué de cette phrase faussement stoïque : «C’est la vie».



La tragédie de la guerre est totalement absurde, et une simple description des événements ne saurait transmettre l’inconcevable. Ce conte qui a recours à la science-fiction et au contournement, renvoie en miroir aux mots de Sebald à propos des récits des rescapés des bombardements, qui «se caractérisent en règle générale par leur discontinuité, leur caractère singulièrement erratique, en telle rupture avec les souvenirs nés d’une confrontation normale qu’ils donnent facilement l’impression de n’être qu’invention pure ou affabulation.» (W.G. Sebald, De la destruction comme élément de l’histoire naturelle)



Mais comment ai-je pu attendre si longtemps avant de lire ce chef d’œuvre ?



«Billy, grâce à ses souvenirs du futur, sait que la ville sera réduite en miettes avant de flamber, dans trente jours à peu près. Il se rend compte aussi que la plupart de ceux qui l’observent mourront très bientôt. C’est la vie.»
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Le petit déjeuner des champions

Totalement déjanté !

Alors que la plupart des romanciers tente de rendre réaliste leur propos, de se rapprocher le plus possible de leurs personnages, d’inciter à l’empathie, à le rendre vivant, sensible, réel, Kurt Vonnegut essaie au contraire de s’en éloigner, de maintenir une distance, tel un écrit d’anthropologue, ce livre est raconté comme s’il était destiné à un public qui ne connaît rien aux humains, vu de l’extérieur de l’humanité, et semble écrit par quelqu’un qui découvre cette humanité (ou inhumanité) d’un œil totalement neuf et naïf, en même temps que le lecteur. Le style est lapidaire, scientifique, sans la moindre emphase, contenant des valeurs numériques (chaque personnage masculin est présenté par les mensurations de son pénis), chaque détail a droit a une explication, même (surtout) si cela n’apporte rien au récit.

Pour cela, il parsème son récit de remarques d’une drôlerie cynique et effrayante et rehausse son propos de petites illustrations, pour vous dire à quoi ressemble une poule ou une pomme, ou pour visualiser les blousons de l’Université de la cacahuète. Il se focalise sur quelques détails sans importance, il apporte autant de soin aux personnages secondaires que principaux, car il échafaude une théorie comme quoi, il n’y aurait pas de personnages secondaires ou principaux : “Quand je compris ce qui faisait de l’Amérique une nation si dangereuse et malheureuse d’individus qui n’avaient plus aucun rapport avec la réalité, je pris la décision de tourner le dos aux histoires. J’écrirais sur la vie. Chaque personnage aurait strictement la même importance que n’importe quel autre. Tous les faits pèseraient aussi le même poids. Rien ne serait laissé de côté. Aux autres d’apporter de l’ordre au chaos. Moi, j’apporterais du chaos à l’ordre, comme je crois y être parvenu.” Et il y parvient parfaitement. Mais ces détails qui ne vont pas faire avancer l’intrigue, bien au contraire, vont par leur accumulation pointer du doigt une société vraiment très étrange, notre société.

On va aussi rencontrer au fil de la lecture un certain nombre de résumés de romans de Kilgore Trout, tous plus déjantés les uns que les autres.

Ce roman est un délire schizophrène totalement délirant : Kurt Vonnegut Jr. s’est créé une alter-ego écrivain de science fiction qui devient personnage de son roman alors que lui même, Kurt Vonnegut Jr. devient lui aussi un personnage dans son roman.

Je me demande si Kurt Vonnegut Jr. n’est pas le plus grand cinglé de la littérature.

Il se pose en démiurge, en prométhée sur ses personnages et tient à nous rappeler qu’il détient le droit de vie ou de mort sur eux, de façon purement gratuite et anodine : “J’aurais pu le tuer, et son pilote aussi, mais je leur laissai la vie sauve. Ainsi leur avion se posa-t-il sans incident”.

Bref, j’ai ri, je me suis éclaté, j’en viens même à vouer une véritable vénération pour cet auteur très particulier.

Dans cette histoire, on se demande qui est le plus fou, Dwayne Hoover qui le deviendra effectivement au cours de ce récit, Kilgore Trout qui écrit des romans tous plus bizarres les uns que les autres, Kurt Vonnegut Jr. lui-même, qui se pose donc en démiurge sur tout ceci, ou carrément toute la société américaine, pour ne pas dire l’humanité toute entière, et d’ailleurs, je crois que je ne me sens pas très bien non plus...

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Abattoir 5

Abattoir 5 fait partie de l'étrange catégorie des romans qui sont à la fois excellents et pénibles à lire.



La raison étant qu'il s'agit (à ma connaissance) du premier roman à explorer une conception téléologique du temps plutôt que linéaire. Cette idée sera reprise pour le Docteur Manhattan dans Watchmen, ou dans la nouvelle "L'Histoire de ta Vie" de Ted Chiang (qui est adaptée dans le film Arrival de Denis Villeneuve).



Donc ici, l'histoire est racontée pêle-mêle, en fonction du moment que le protagoniste choisit de vivre ou de revivre. Les paragraphes passent d'une temporalité à l'autre, parfois en plein milieu de l'action. Ça rend la lecture complexe et parfois frustrante. Par chance, le talent de l'auteur nous empêche de nous demander constamment où est-ce que nous en sommes.



L'histoire en tant que telle implique un enlèvement extraterrestre qui change la perception du temps du protagoniste. Le roman peut donc se lire comme un livre de SF, ou bien comme un roman réaliste, parce qu'il est fort possible de comprendre les évènements comme le fruit de la folie d'un personnage qui a vécu la Deuxième guerre mondiale, un accident d'avion et la perte de sa femme.



Billy, c'est son nom, est un adolescent américain envoyé au front à la Bataille des Ardennes. Il est capturé par les Allemands et envoyé dans un camp de détention à Dresde. Il y est prisonnier lors des bombardements des Alliés qui ont détruit la ville.



Tout cela, ce sont des éléments biographiques de la vie de Vonnegut, qui s'est même glissé comme personnage dans le roman le temps de quelques lignes écrites au "Je". L'auteur est l'un des sept prisonniers américains qui ont survécu au bombardement qui, à l'époque où il écrivait le livre, dénombrait environ 150 000 morts de civils : deux fois Hiroshima. Tout cela pour rien. Dresde était le quartier général de la Croix-Rouge en Allemagne. La ville comportait des réfugiés, des prisonniers de guerre et des soldats blessés. Vonnegut y a survécu en se cachant dans le 3e sous-sol de l'Abattoir 5, qui donne son titre au roman.



Tout cela explique pourquoi ce livre, publié en 1969, est devenu une œuvre phare de la contre-culture du mouvement contre la guerre du Vietnam. Le sous-titre du livre est d'ailleurs : "La Croisade des Enfants". C'est un livre pacifiste, qui raconte l'absurdité de la guerre. Et sa narration complètement éclatée et ses concepts de SF ne pouvaient que plaire au public friand de LSD et d'ésotérisme New Age.



C'était d'ailleurs le bouquin préféré des Grateful Dead, et son adaptation cinématographique a remporté la statuette à Cannes en 1972.
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Nuit mère (Nuit noire)

Dans le cadre du challenge Totem, j’ai fait une petite liste des livres de la collection que j’ai l’intention de lire. Le catalogue papier est un très bel objet, j’ai passé une journée à y coller des post-it.



J’ai découvert Kurt Vonnegut il y a une dizaine d’années avec son roman ‘Un homme sans patrie’. J’ai retrouvé avec plaisir sa plume pour ce roman que j’ai dévoré en deux jours.



Howard W. Campbell Jr. est un Américain qui est parti vivre en Allemagne avec ses parents quand il avait 11 ans. Quand ils sont rentrés aux États-Unis en 1939, il y est resté avec son épouse Helga. Howard était un agent double mais il faisait tellement bien son boulot que cela pose bien des questions.



C’est lui qui raconte son histoire en 1961 depuis une prison israélienne où il attend son procès pour crimes de guerre. Comment prouver qu’il dit la vérité ? Est-ce que cela l’absout pour autant ? Qui sait ?



Excellent.







Challenge Totem (66)

Challenge XXe siècle 2022
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Dieu vous bénisse, monsieur Rosewater

Si on ne connaît pas déjà Kurt Vonnegut Jr., on risque d’être un peu décontenancé et de ne pas parvenir à entrer dans cette histoire. Pour ses aficionados, c’est toujours un plaisir de retrouver son détachement, son ironie, ses personnages déconnectés des réalités.

Son personnage principal est ici un riche rentier un peu farfelu, une occasion pour Kurt Vonnegut Jr. de railler le capitalisme, les placements financiers, héritages et autres avatars de ce système. C’est, comme d’habitude, un peu décousu, laissant place à quelques tergiversations loufoques, Kilgor Trout, l’écrivain de science-fiction sans succès, y fait bien sûr son apparition, et l’auteur semble toujours aussi détaché de ses personnages qu’il traite avec une certaine désinvolture. C’est insolent, un peu barré, c’est Kurt Vonnegut Jr., sans doute pas son meilleur roman, mais, me concernant, il fait partie des mes auteurs fétiches.
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Le petit déjeuner des champions

Il y a quelques années, ma lecture du roman « Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut m'avait enthousiasmée. J'avais trouvé ce texte absolument remarquable, brillant, tant sur la forme que sur le fond. Pourtant, depuis je ne m'étais pas attelée à une autre lecture de Vonnegut. Je m'y colle enfin avec « le breakfast du champion ».



Je n'étais pas peu fière, à l'époque de ma lecture d'«Abattoir 5 », d'avoir réussi à proposer un petit résumé de ce roman pourtant déstructuré et inclassable. Je ne vais pas réitérer l'exploit avec « le breakfast du champion ». Ce bouquin est impossible à résumer. Il y a bien un fil narratif mais le récit part dans tellement de directions et utilise des procédés narratifs tellement originaux qu'il serait réducteur de tenter de limiter le roman de Vonnegut à cette intrigue.

Le ton d'«Abattoir 5 » était plutôt sombre, difficile d'évoquer Dresde massacrée en se prêtant à la rigolade. Le ton du « Breakfast du champion » est nettement plus léger, même si l'auteur se sert de son récit pour pointer du doigt les travers de l'Amérique. Mais il le fait avec une ironie, un cynisme et un humour qui rendent cette lecture très drôle.

Mais le plus remarquable dans ce texte, c'est l'audace dont fait preuve Vonnegut. L'auteur se permet toutes les fantaisies narratives, c'est bien simple je n'avais jamais lu quelque chose comme ça. Non seulement le fil narratif est très ténu mais en plus on en connait les tenants et les aboutissants depuis le départ. Ensuite, Vonnegut s'attache à ne respecter aucune des règles qui régissent l'écriture de récits. le voyage du héros et le monomythe, très peu pour Vonnegut, il dynamite les conventions littéraires. Ainsi, il va s'amuser à se perdre dans des détails, rappelant au lecteur ce qu'est une cigogne par exemple, va parsemer son récit de petits dessins qui n'apportent rien à l'intrigue, va décrire la taille du pénis de chaque personnage masculin, va dire que ce qu'il a raconté quelques pages auparavant n'est pas très crédible, etc… Vonnegut se permet aussi l'audace suprême de se placer lui-même dans le récit, mais d'une façon totalement inédite. Le récit va plus loin que la classique mise en abyme, je trouve qu'on se rapproche plus de ce qu'au cinéma on appelle « briser le 4ème mur » sauf que là l'auteur ne s'adresse pas seulement à son lecteur mais aussi à ses personnages. Cela donne l'impression que l'auteur s'adresse aux personnages du roman qu'il est en train d'écrire au moment même où il le fait, comme si ce roman n'avait presque pas d'existence et était une sorte d'entité mouvante, informelle. Ce livre est tout simplement dingue.



Cette seconde lecture de Vonnegut m'a réjouie. J'ai adoré me faire promener par l'auteur dans ce récit satirique où l'absurde le dispute à l'audace formelle. Evidemment, je lirai d'autres bouquins du Monsieur.

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Abattoir 5

Soufflé par une explosion littéraire !



Kurt Vonnegut prend le parti de nous raconter le bombardement de Dresde en 1945 dans un livre de Science Fiction. le bombardement n'est pas le prétexte pour nous faire vivre une aventure, c'est l'histoire rocambolesque de Billy qui est le prétexte pour nous faire vivre ce drame historique.



Billy a la particularité de vivre les moments de son existence en désordre. Il est chez lui avec sa fille à la fin des année soixante et se retrouve l'instant qui suit dans un camp de prisonniers de guerre en Allemagne en 1945, ou encore en cage dans un zoo sur une planète extra-terrestre. Les moments cocasses ou dramatiques de sa vie sont nivelés, ses émotions aussi. Billy est-il fou ou est-il l'être le plus lucide qui soit ? Il traverse l'Histoire et les évènements un peu comme le Candide de Voltaire ou Usbek des lettres persanes de Montesquieu ou encore Gulliver.



Je m'attendais à trouver un livre de SF, mais il s'agit surtout d'une démonstration de l'absurdité de la guerre. L'absence d'empathie, la naïveté du personnage est une manière d'aborder le sujet sans le pathos, une guerre sans héros, une société sans but, un suite de faits incongrus qui une fois rassemblés forment un véritable pamphlet. La désarticulation du temps efface la notion d'aventure pour nous laisser perdu face à l'absence de sens, à l'absence du “pourquoi”.



On passe du rire à la tristesse d'un paragraphe à l'autre, mais ce qu'il reste à la fin de la lecture, c'est un goût un peu amer, une vision sans complaisance de notre société, de l'Histoire.



J'ai retrouvé dans ce roman ce qui fait des «Voyages de Gulliver» un chef d'oeuvre, et ce n'est pas un mince compliment.
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Abattoir 5

"Abattoir 5 ou la Croisade des enfants" est un roman de science-fiction écrit par l'auteur américain Kurt Vonnegut dans les années 60.

Le thème central s’articule autour des horreurs de la guerre, en particulier la Seconde Guerre mondiale et le bombardement de Dresde. Avec sa cruauté et ses absurdités, en particulier celle de la bureaucratie militaire.

Un personnage central, Billy Pilgrim, qui surprend par…sa passivité. Et par sa perception du temps.

On saute d’époque en époque, passé, présent, futur se mélangent.

Ce roman fut salué par sa structure narrative innovante

Moi, elle m’a surprise. Mais j’ai apprécié la réflexion induite par sa lecture et la façon d’aborder les traumatismes de la guerre.

L’auteur a puisé dans sa propre expérience ces éléments. Sa biographie indique qu’il a été fait prisonnier en 1944, transféré à Dresde où il travailla dans un abattoir. Il a survécu au bombardement de la ville en février 45, qui fut un véritable pilonnage systématique.

Un ton surréaliste, un récit absurde pour des temps absurdes ; qui permet d’éviter de sombrer dans l’effroi ; mais qui peut surprendre et dérouter.



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Tremblement de temps

Un tremblement de temps à lieu en 2001, tout le monde se retrouve de retour en 1991, pour recommencer ce qui a déjà été réalisé durant ces dix années, et tout va se passer exactement de la même façon, sans le moindre changement. Si, il y a un changement, Kurt Vonnegut Jr va réécrire son livre déjà écrit en faisant référence à celui écrit avant le replay, mais c'est tout…

Vonnegut est-il un écrivain de science-fiction ? pas vraiment, il n'invente jamais d'anticipation, il se sert des stéréotypes et des clichés de la science-fiction pour en faire autre chose, pour construire un jeu d'allégorie. On est plus proche du réalisme magique voire même du Théâtre de l'Absurde, comme une rencontre entre Philip K. Dick et Alfred Jarry ou de Philippe Delerm avec Douglas Adams.

C'est avant tout un roman autobiographique, une autobiographie schizophrène puisqu'intervient son alter ego, personnage de ses romans, écrivain lui aussi, Kilgore Trout. Parvenir a intégrer de la science-fiction fantastique dans une autobiographie, c'est là tout le sel du talent de Kurt Vonnegut Jr. Le récit est discontinu, une accumulation d'anecdotes loufoques sous forme d'aphorismes, de syllogismes de témoignages, de souvenirs, de contes… avec des personnages hauts en couleurs, le ton est sardonique, l'humour déjanté, c'est un ensemble de petites réflexions grinçantes sur la nature humaine, la création artistique, la culture américaine, la famille. Déjà dans Abattoir 5, son roman phare, il n'y avait pas vraiment d'aventure, le déroulé était déstructuré, et l'histoire était un prétexte pour une réflexion plus profonde, sur la guerre, la nature humaine, l'humour y était présent. Ici je retrouve cet esprit, dans un livre fait de petites notes additionnées qui constituent une sorte de testament littéraire de l'auteur.

Tout cela en arrive à être touchant, drôle, parfois même hilarant. J'aime particulièrement chez cet auteur sa manière d'aborder des sujets profonds, lourds avec une désinvolture et un détachement subtil, jouant du second ou troisième degré, voire plus. Et ce roman se savoure comme un vin millésimé, il faut l'observer, le humer, le déguster par petites gorgées et conserver le goût en bouche le plus longtemps possible et y débusquer les arôme cachés.

Un livre qui va rester encore un moment sur mon chevet pour pouvoir le ré-ouvrir de temps en temps.
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Abattoir 5

Billy Pilgrim est fait prisonnier après la bataille des Ardennes et envoyé en Allemagne. A Dresde, Billy et ses camarades sont logés dans un bâtiment qui accueillait les porcs d'un abattoir, quand il y avait encore des porcs, le bâtiment 5. Ils subiront les bombardements au phosphore de février 1945.

Mais Billy n'est pas qu'un survivant de Dresde, qu'un vétéran. Il a une autre particularité. Après avoir été enlevé par des extraterrestres, exhibée dans un zoo, les Trafalmadoriens lui ont expliqué que les Terriens se trompaient complétement sur la notion de temps… le temps est sans importance et en effet, Billy ferme les paupières et se retrouve la nuit de ses noces, à 12 ans au bord du grand canyon avec ses parents, vieillard, prisonnier à Dresde…

Forcément, Billy est décalé, il rêvasse, est ailleurs et on le comprend, marchant dans un convoi de prisonniers un instant, planqué dans un lit d'hôpital psy pour échapper à sa mère un autre, prononçant un discours au Rotary club en un clignement de paupières. Mais il a une grande force. Il sait qu'il a découvert une forme d'éternité puisqu'il peut revivre à l'infini toutes les étapes de sa vie, il sait qu'il ne mourra pas à Dresde puisqu'il connaît déjà les étapes de sa vie future. Le seul effort à fournir est d'être en mesure de s'adapter rapidement à la temporalité qu'il intègre lors de ses excursions rarement volontaires. C'est sûr qu'après sa fracture du crâne, ses propos sur Trafalmadore inquiètent sa fille et ce n'est pas la lecture des bouquins de SF de l'obscur Kilgore Trout qui lui ont soufflé ses délires temporels, son enlèvement et tout et tout.

J'ai adoré. J'ai adoré Billy, son côté ahuri qui plane à 15 000, j'ai adoré cette façon absurde de raconter l'absurde enfin pas tant que ça car tout est parfaitement ficelé, à la corde certes mais le récit tient de bout en bout et c'est drôle.

La dénonciation en est d'autant plus efficace.
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Nuit mère (Nuit noire)

Kurt Vonnegut est un auteur que je ne connaissais absolument pas avant de me lancer dans le challenge Totem.

Cette histoire se base sur les confessions de Howard W. Campbell qui se défini comme « américain de naissance, nazi de réputation et apatride par inclination ». Au moment où il écrit ses confessions, il se trouve dans une geôle à Israël.

Cet homme que très vite on a envie de détester au vu de ses agissements et sympathies lors de la seconde guerre mondiale va se révéler bien plus complexe que l'on s'y attendait. Et ses révélations qu'il distille au fur et à mesure de l'avancée de ses confessions permettront de découvrir quelle était véritablement sa vie et qui se cache réellement derrière le masque de celui qu'on a envie d'appeler « une belle ordure ».

Même si les histoires sont vraiment loin d'être identiques, je n'ai pu m'empêcher de penser surtout au début de ma lecture à un roman De Robert merle qui m'avait beaucoup marquée : « La mort est mon métier «.

Un roman qui se lit rapidement, grâce à la plume de l'auteur. Je pense d'ailleurs ne pas m'en arrêter la et de continuer à découvrir son oeuvre...



Challenge ABC 2023/2024

Challenge Totem

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Les Sirènes de Titan

C’est un des premiers romans de Kurt Vonnegut Jr. C’est un roman de science fiction, mais ne vous attendez pas à y trouver une science fiction sérieuse, cherchant la cohérence ou l’aventure. C’est un récit plutôt absurde, rocambolesque mais dont le genre n’est déjà qu’un prétexte pour des spéculations plus délirantes, à rapprocher plutôt à “Le sens de la vie” des Monty-Python qu’à tout autre classique de la SF. Ses personnages évoluent dans des situations absurdes, sont confrontés à un destin qu’ils ne maîtrisent pas, et déjà transparaît son obsession de la notion de libre arbitre, thème récurrent dans toute l'œuvre de Kurt Vonnegut Jr.

C’est un écrivain à part dans l’univers de la science-fiction, parce que ce n’est pas vraiment un écrivain de science-fiction, ce n’est pas non plus le même genre que Douglas Adams et de quelques autres écrivains de science-fiction humoristique qui eux, restent bien ancrés dans le thème de la science-fiction. Kurt Vonnegut Jr. se moque de la notion de destin, de libre arbitre, de volonté individuelle et à travers ça, de tous ceux qui se revendiquent de ces notions, à commencer par les religions, mais aussi les mouvements politiques, le patriotisme et toutes les valeurs de rassemblement. Il nous offre à débusquer un cynisme sournois, c’est le Diogène de la science-fiction, seul dans son tonneau à railler le monde qui l’entoure à coup de démonstrations surprenantes. D’ailleurs, tous ses personnages sont des solitaires, détachés du monde qui les entoure, perdus sur notre planète, ou ailleurs.

Lire un livre de Kurt Vonnegut Jr., c’est toujours un moment de questionnements, d’interrogations et de surprises, j’adore cet auteur hors des cases, des normes ou des académismes. Ce n’est pas le meilleur de ses romans, mais même dans une œuvre secondaire, il reste unique et surprenant.
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