Olfactif, rien que le mot lui faisait envie, il y avait si longtemps qu'ils ne s'étaient plus croisés ni rencontrés, eux d'eux. Des mirages, des illusions, peut-être, et alors quoi ? Sentir respirer s'enivrer se délecter des goûts et des parfums comme s'ils étaient réels, pendant ne serait-ce que quelques fugaces et divines secondes. Retrouver ce pouvoir, ce droit de base qu'il avait cru acquis et inaliénable sans se poser la question.
Evidemment, Bart ne pouvait oublier le monstre défiguré qu'il était, ce fantôme qui piétinait sous d'impitoyables semelles les vestiges de feu sa vie, mais aujourd'hui il était considéré, on lui redonnait du corps et du sens. Oui, il avait retrouvé de l'importance, la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis longtemps, depuis avant. Il en sentait presque la saveur monter à ce palais qu'il avait perdu.
Le sujet numéro un redouté par Janis, dressée sur ses ergots contre toute intrusion dans sa vie privée intime perso. Et pour ce qu'elle en avait, c'était justement cette absence qui était à planquer. Pas de sexe. Interdit de baise, de cul, de jouissance, de préliminaires, d'orgasmes et de point G. Du coup, rien qu'y penser la dégoûtait. À qui balancer ce genre de révélation ? Et pour quoi?
En Russie, les trottoirs glacés de Moscou, le feutré velouté du Dernier Nabab. En Chine, le grouillement hypnotisant de Shanghai, la sérénité inspirée du Frances. En Inde, la beauté absolue du Rajastan, le luxe sensuel du Gatsby à Jaipur. En Angleterre, la pluie sale de Londres, la désuète et confortable voluptée du Scottie. Les palaces de All Diamond défilaient.
Comme pour décrire un paysage à un aveugle de naissance, Romano utilisait des comparaisons, en procédant par petites touches. Avec lui, le sucré devenait onctueux comme une voix de chanteuse soul, le salé aussi vif qu'une piqûre d'insecte, le chaud émouvant comme un sein qui se dénude, l'épicé tenait de la rage d'une colère passagère.
Avancer, évoluer, franchir, grimper, rester dans l'action, tout le monde connaissait pas coeur le credo de Janis tellement ses actes le transpiraient. (…) L'instinct du chasseur – rien à faire, chasseuse n'entrerait jamais dans son vocabulaire, ah, cette éternelle difficulté à tout mettre au féminin. Et solitaire avec ça, le genre cow-boy justicier qui repart sempiternellement seul au soleil couchant. Quitte à foncer, coudes en avant, pour forcer les mauvaises portes, de celles qui lui reviennent en pleine gueule, épaississant au passage la liste des griefs et inimitiés qui se tissaient autour d'elle.
Des insultes sortant en grumeaux de sa bouche, elle se pencha pour ouvrir la boîte à gants, tâtonna d'une main aveugle et en sortit un révolver. Retrouvailles inattendues avec son vieux copain, le Sig P226 X-Five, carcasse acier finition titane. Ça faisait si longtemps. Contact de la crosse, vérification du chargeur, de quoi se défendre tous azimuts à coups de calibre 9 mm, cartouches garanties d'origine, quinze plus une engagée dans la chambre. Clac.
Qu'est-ce que Janis Pearl Marteen avait de commun avec Janis Lyn Joplin ? Belle lurette qu'elle serait morte si ça avait été le cas. À vingt-sept ans, d'alcool, de came, de fête, de baise. Et puis elle aurait eu du style et du talent, aligné amants et maîtresses, elle aurait été tapageuse, flambeuse flamboyante, vêtue de rose et de colifichets : rock'n'roll. Tout le contraire d'elle, en somme.
Demain sera un autre jour. D’ici là, une nuit à macérer fera office d’ébauche de punition pour l’intrus, qu’elle ne peut pas se permettre de laisser traîner là, en plein milieu de l’écurie, à la vue de n’importe qui. Il ne s’agit pas d’un endroit public, mais mieux vaut tout prévoir.
Elle tire le corps en l’empoignant par les chevilles. Un poids d’âne mort qui l’oblige à demander grâce très vite, déjà en nage, les joues cramoisies par l’effort. Manquerait plus qu’elle fasse un malaise vagal.
Comment lui faire passer le goût des cambriolages et des agressions ? L’enfermer dans un sac et le rouer de coups sans croiser son regard ?
Le hic c’est qu’il saura la retrouver, il sait mieux que personne où elle habite et se souviendra qu’elle l’a frappé et pas raté. Il ne ratera pas non plus. Il pourrait même être capable d’aller porter plainte contre elle. Merde à la fin, c’est bien la peine de vivre en rase garrigue si c’est pour subir les mêmes pressions qu’en pleine civilisation !