SANS POURQUOI
(Zone portuaire)
Extrait 3
je cherche sans pourquoi la sortie par l'entrée
à la sortie du couloir
les yeux se mettent en marche
le corps se remplit du noir de la route
sans pourquoi je cherche
l'hôtel borgne où tu réparais les tuyaux
sans pourquoi je cherche
le quai des fruits qui sèchent
loin du jour et sans pourquoi
l'hôtel sans fenêtres
la montagne de bitume de rues et de routes
un tas posé là sans pourquoi
mes oiseaux me dévorent
avec urgence
TU DISAIS
pourquoi je n'aime pas les dimanches ?
parce que l'orchestre est bleu
que mes rêves urgents se traînent
posés vides sur des trottoirs vides
que la modération est consommée avec abus
que les revendeurs de mains perdues transpirent
avec les marchands de barbe à papa
que les colleurs d'affiches sans papier
remontent à la surface
parce que la pluie gagne par forfait
et que mon derviche se cache
peut-être dans un tronc malade
peut-être sous les feuilles mortes
qui tournent et retournent solidaires
et que le temps se perd
comme une clé à l'égout
que le blanc du dimanche
donne un gris d'arbre mort
sans un mot sans un parfum
avec pour dernier hommage un pipi de chien
p.67
Je pense ailleurs
maraudeur du dimanche
tu traînes peut-être dans le dernier bar ouvert du rêve
tu fais ma fermeture
et perces ton encrier
il pleut des mots
à travers ma vitre
je vois ton poisson
je cachète
plus rien ne bouge
la rose bleu extase
ira au premier maraudeur
l'archet entre les dents
nous jouons sur la même feuille
de cahier antique
mais pas dans la même clé
p.74
« Le néant peut-il augmenter ? »
II. MURAKAMI
C'EST UN GRAND TROU NOIR
où tous les gants et poissons perdus
où tous les mots mis à la porte des livres
se retrouvent
c'est un gourbi un fatras
une décharge publique
un nid d'encres une réserve alimentaire
le tricot se mêle au papier
les arêtes et les poils se mélangent
les écailles détournent les phrases
inversent le cours du temps
enrayent les bourses
et le cours du dollar s'effondre
un dégradé de mots envahit les plateformes financières
un bouchon de gants provoque inondation
dans la capitale des mains perdues
les nerfs s'affichent les organes se perdent
p.21
CHAUFFONS GLAÇONS POUR MIEUX CHAUFFER
toujours plus fort
le soleil dans la peau
glaçons pour mieux chauffer
à la saison sèche
les bébés tombent des arbres
fruits verts morts-nés
mais continuons
chauffons et glaçons pour mieux chauffer
un four pour cerveau
le soleil dans les os
à la saison des pluies
p.23
TOMBEAU DE JANIS
En partant tu m'as laissé tes consonnes
en gage d'immortalité
une fenêtre pour ta voix
un blanc pour les baisers
tu m'as laissé une assiette pour tes écailles
une tache sur mon poignet gauche
une étoile assortie aux yeux du dernier amant
et ta première mue
et j'écris à l'envers
protégée par tes peaux de serpents bibliques
les mouches et les vautours attendront au bistro
parce qu'il pleut et que le vin n'est pas droit
j'écris pour retrouver la petite noyée du Southern Comfort
et je remercie Edison
C'EST VRAI
…
j'ai troqué mon alliance
contre ta bague à poison
et je tourne et je bois les étoiles au verre
avant quelques nuages au passage
c'est vrai
je me nourris de musique grasse comme une oie
et je joue toutes les nuits
à deviner le nombre de pierres du ruisseau
c'est vrai
un géant unijambiste et célèbre me conduit
à la frontière du vide
je m'étrangle de vie
c'est vrai…
p.45
J'AURAIS PU TOMBER AMOUREUSE D'UNE CHAISE
mais tu t'es assis
sous l'horloge en fémur
tu as pris mes yeux pour des portes
mes fantômes ont fondu avec la pluie
restaient quelques pierres lentes
qui dansaient et tournaient
tu n'avais pas l'éternité à tous les étages
J'aurais pu tomber amoureuse d'une chaise
mais tu t'es assis
sous l'horloge en fémur
j'ai classé les pluies par couleur
tranche d'âge et température
j'ai laissé tes yeux et tout espoir avec les valises
au comptoir de la compagnie
je suis rentrée dans le ventre du diable
en suivant la lune verte des grandes occasions
tu m'as demandé le chemin sans couleur
le chemin pour la contagion
alors par un trou de serrure antique
je t'ai montré la vraie vie d'après
de l'autre côté des gravats et des tessons du fleuve
chargé d'âmes et de jus d'ange de tous les pays
unis pour faire tomber les mots et les têtes
à pile ou face
J'aurais pu tomber amoureuse d'une chaise
mais tu t'es assis
58-59
" Toute chose existe en laquelle tu crois "
J. RENOIR, Les Bas-Fonds
TU ENLÈVES LES ESPRITS
Mais parfois il faut les remettre
et les fleurs de passage dans la bouche
s'avalent avec les pierres
bonbons blessés
pour fantômes domestiques
passe la dame verte
fleur de passage ou fleur d'impasse ?
une rose bleu extase
p.68
Elle a été nourrie aux nuages,
la cuiller, minuscule dans le ciel,
s’appliquait à laisser les étoiles
aux astrologues et aux bergers,
mais l’argent donnait un goût aux nimbus,
et c’est pour cela qu’aujourd’hui
elle lit sur la bouche des carpes
et dans le ventre des arbres,
et c’est pour cela qu’aujourd’hui
elle offre des larmes aux bergers
et c’est pour cela qu’aujourd’hui
elle écrit à l’endroit sur des corps tièdes
à l’envers sur la peau des statues