Dans son nouveau roman "Colombe sous la lune" (Stock), Laurence Campa se met dans la peau d'un jeune garçon pris au piège des tranchées pendant la Première guerre mondiale. Entre rêve, souvenir et action, le roman questionne aussi la distinction entre illusion et de réalité en littérature.
Photo : © Philippe Matsas
Les balles sifflent autour du guetteur, les fusées susurrent au-dessus de nos têtes, les obus pleurent dans la nuit silencieuse...
Mes mots auront-ils assez de force pour traverser la nuit ?
Est tombé glorieusement à l'ennemi, etc. etc. Etoiles, rubans, clairons. L'armée sait si bien dorer et décorer les choses ! Mensonge ! Rhétorique ! Dupray que ce discours en valait bien un autre. La vérité est un récit.
Nul besoin de faire connaissance quand la mort frappe à tout instant : "Se connaître, c'est s'attacher. Les liens sont dangereux dans ces parages. Que chacun garde sa vie pour soi."
Comédie de la santé, mascarade de la normalité... On me retapait pour glorifier les progrès de la science et me repousser sur la scène du monde. Or j'aimais la brume qui m'enveloppait, écran lumineux où mes personnages s'incrustaient, se métamorphosaient. Je me projetais au milieu d'eux, non tel que j'étais ou tel que j'étais devenu, mais tout autre, hors du temps, spectral et changeant comme eux. Je ne voulais pas guérir.
Ma vie d'avant était devenue un monde enchantéé, qui donnait à mes souvenirs la forme séduisante des illusions et des souhaits
Au bout d'un long moment, l'obscurité vira au blanc et une nuit lactée, lange ou linceul, m'enveloppa tout entier. La vie et la mort étaient si proches qu'il suffisait de se laisser glisser sans heurts sur l'autre bord, un scarabée sur le cœur.