“On n’est jamais prêt à la publication d’un premier livre. Que l’on vienne de province pou que l’on soit né à Paris. On ne sait pas ce que ça fait. Sur soi. Sur son entourage. Sur les gens qu’on admire et qui vous tourne brusquement le dos. Sur la perception de l’avenir, une fois le livre paru.”
on avait trop bu, moi en tout cas, le gars avait un profil inoubliable, des lèvres pleines et un visage dur sous la capuche , derrière des lunettes transparentes qui ne dissimulaient rien de son regard noir, au moment de quitter la rame on s’était salué d ‘un coup de tête comme cela arrivait parfois, comme si on était d’accord sur une chose qui n’était pas dite mais que l’un et l’autre acceptaient comme telle, il avait poursuivi vers le centre du bronx tandis que l’on changeait à la cent vingt cinquième rue, tu avais demandé à quoi je pensais et j’avais répondu que j’avais une note prête pour l’emploi du temps, je n’avais pas besoin d’autre preuve que j’étais ici chez moi.
Le visage
“L’alcool qui aide. À passer du vous au tu. À passer les caps. À dépasser les bornes.
Je ne réponds pas. Je tourne le dos. Je prends mon portable.
Je fais comme tout le monde.
Je ne m’embarrasse pas.
Je m’adapte.”
Je parlais peu, mais je vivais, moi.
La jeune femme qui s’occupe de la résidence avait tellement de choses à raconter, je voyais que ça allait être riche. Je me disais : je suis avec elle, aussi au café, ils savent déjà. Que je suis le prochain. Je les regardais, je leur souriais : ils ne me rendaient pas mon sourire. Ils tournaient la tête.
Très vite j’ai compris qu’ils s’en foutaient.
Que la maison c’était une maison comme les autres. Que les artistes, c’était des gens comme les autres. Voire moins bien que les autres. Parce qu’il y avait de l’argent à la clé. Que tout le monde le savait. Qu’ils se disaient : pourquoi je me casse le cul à servir un café à ce mec qui touche de l’argent sans rien faire ?
Parce que leurs mots, c’est comme des coups de carabine, sauf que tu ne meures pas. Tu les reçois en pleine gueule, tu as beau en extraire les plombs, les cicatrices sont indélébiles. Les mots des écrivains, il faut s’en méfier. Ils le savent tous, au village. Ils se méfient des mots depuis l’école. Ils savent que si tu fais une faute, tu te prends un coup de règle. Ils savent que s’ils n’apprennent pas leur leçon, ils reçoivent un coup de règle. Un bonnet d’âne. On les met au piquet. Ils deviennent à leur tour la risée du village. Au village, on n’aime pas les mots. On n’aime pas les lettres que l’on ne comprend pas. On n’aime pas les notables, les avocats, les notaires, on n’aime pas les gens qui se la pètent à coup de grammaire française. On n’aime pas les écrivains, mais eux, on n’a pas besoin de les aimer. Les avocats, ils peuvent toujours servir. Les écrivains, ils ne servent à rien.
J’y ai laissé mes peurs. Mes peurs paniques, mes peurs irrationnelles, je les ai déposées dans la maison le jour de mon arrivée et je les ai regardé grandir. Se développer. Devenir autre chose, être là et ne pas l’être en même temps. C’est horrible la peur, c’est comme un regard sur toi en permanence : il vient de toi mais c’est comme s’il y avait quelqu’un à ta gauche ou à ta droite qui te regarde intensément. Tu ressens des frissons sur la nuque, ça monte d’un coup. Comme quand les enfants te sautent dessus par surprise, pour te faire peur justement, le hou! classique. Toi tu as l’impression que ça va être un truc de cet ordre-là, mais en beaucoup plus violent. Parce que tu n’es plus un enfant.
Tu es un adulte, tu ne crois plus aux monstres.
En rentrant à la maison, Jean-Pierre a chargé les images sur son ordinateur. J’étais dans une autre pièce, il s’est exclamé. C’est terrifiant. Sur les deux première photos, mes traits se fondaient les uns dans les autres, ils déformaient mon visage. Tantôt les yeux trop rapprochés, tantôt la moitié du visage flouté, comme un masque de cauchemar. Mais c’était la troisième photo qui était la plus impressionnante : je posais devant les tombes, les bras le long du corps. J’avais secoué le visage, bajoues molles, la cellule n’avait gardé que la déformation du visage comme si je recevais une claque phénoménale. Il n’y avait pourtant aucun mouvement, la mort était sur la photo, omniprésente. Et moi, là, immobile, je morflais.
Parfois c’est l’inverse. Le lecteur pense toujours que l’écrivain a conscience des réactions qu’il provoque chez lui, les critiques parlent de maîtrise de l’écriture, ils disent que l’écrivain a travaillé dans tel sens pour que le lecteur ressente ceci ou cela. Je ne crois pas que ce soit vrai. Je crois que les écrivains se surprennent au cours de leur travail. Qu’ils ne décident pas de leurs émotions. Je crois qu’ils ne décident pas davantage de l’émotion qu’ils vont provoquer chez le lecteur : parfois ils ont des intentions eux aussi, mais ça rate. La réception n’est pas du tout à la mesure de l’attente.