Loo Hui Phang &
Lenka Hornakova-Civade sont deux écrivaines invitées au festival Au fil des ailes, programmé du 12 au 27 novembre 2021 en région Grand Est. Découvrez leurs oeuvres respectives à travers les mots de Valentin Fauvet, libraire à Bédérama, à Reims.
Rembrandt, lui, ombre et étale de son pouce tel ou tel trait du dessin. Un geste infime et le visage s'affirme. Cela a l'air si facile.
Je me figure mes rides qui forment une carte qui se superpose à celle d'Europe, à celle de mes voyages commencés loin d'ici, à l'Est, et à celle du margraviat de Moravie. Cette carte de Moravie, c'est moi qui l'a dessinée et fait imprimer sur le papier, ici à Amsterdam en 1627, c'est si loin. La tracer était facile et cruel, et si on me le demandait, je la dessinerais sur le champ, précise, détaillée, je n'omettrais rien. J'y suis né, je connais tous les vallons et les forêts, les cours d'eau et les chemins et routes moraves, surtout ceux autour des villages de Nivnice, Strážnice...
Cette carte est gravée dans mon coeur et ma mémoire où elle saigne toujours. Elle servait aux protestants à fuir le pays. Mais qui sait combien de villages existent encore et combien ont été effacées de la surface de la Terre pendant la guerre de Trente Ans ?
L'année suivante, en 1642, m'est parvenue l'invitation à diriger le collège de Harvard. C'était séduisant, tout était à faire et on me proposait des moyens, importants, mais moi, habité par l'espoir du retour, je ne pouvais accepter de ne jamais revoir ma terre natale. Assorti de mon refus, j'ai envoyé mes conseils et mes ouvrages à ce tout nouveau collège.
Cette invitation d'outre-Atlantique était arrivée pratiquement en même temps que celle du cardinal Richelieu. Un cardinal qui sollicite un pasteur pour fonder un système scolaire en France, c'était inouï. Tout cardinal qu'il fût, Richelieu était d'abord un homme d'Etat soucieux des prérogatives de celui-ci. Il craignait que les différents ordres religieux prennent trop de pouvoir. Lors de notre échange épistolaire, je me sentais étrangement proche de cet homme. On s'accordait sur le fait que l'éducation devait être une affaire d'Etat, on partageait la méfiance envers la maison d'Espagne, envers la famille Habsbourg. Je savais que pendant la guerre de Trente Ans, il avait fait alliance avec les protestants suédois. Il avait longuement préparé la paix signée en Westphalie, en grande partie lors de négociations quasi secrètes avec Grotius, un bon calviniste d'Amsterdam. Et lui, l'homme rouge, les pourchassait dans son propre pays ! La politique est ainsi... Finalement, c'est mon ami fidèle Joachim Hübner qui est parti à Paris à ma place. Hélas, Richelieu mourut à la fin de cette année-là et avec lui le projet de refondation du système scolaire français.
Machiavel ne réservait qu’au Prince une éducation exclusive et très particulière. Érasme élargissait considérablement la vision en s’adressant aux personnes douées, aux élites destinées à diriger leur pays. Selon moi, l’école est l’affaire de tous et surtout, c’est une affaire d’État. C’est une affaire politique. Ceci, je le dis aux puissants du monde de tous les pays où j’ai posé le pied, et même là où je ne suis jamais allé. On m’écoute, certes, on lit mes ouvrages, on m’applaudit. Malgré cela, on ne suit pas mes conseils, puisqu’une autre guerre arrive, et que tous mes efforts en sont anéantis. Tout seigneur estime que la guerre est sa meilleure mise de fonds. Je dis que nous naissons tous avec d’inestimables talents qu’il convient de faire fructifier. Notre tâche d’être humain consiste à nous améliorer, à nous approcher de Dieu, puisque chaque enfant porte en lui une part d’ange. On ne doit pas laisser se faner l’innocence mais au contraire la cultiver pour qu’elle croisse et porte ses fruits.
- Vous vivez toute seule ? Ce n’est pas triste ? Vous ne vous ennuyez pas ?
- Comment être seule en cette excellente compagnie ?
Elle a fait un très beau geste qui a embrassé tous les livres à la fois.
Mamie Marie m'a prise sur ses genoux et chuchoté à l'oreille:" Tu n'appartiens à personne. Tu es libre. Il n'y a que ça qui compte. Ne l'oublie jamais."
C’est un art, de faire parler les silences.
Les arbres, enveloppés dans de somptueuses robes de givre, semblent grandir et flotter dans la brume. Leurs racines se sont retirées dans des profondeurs, elles y cherchent le réconfort et assez d'énergie pour le printemps.
Il faut le préciser, on est des bâtardes de mère en fille, comme certains sont boulangers ou rois. Aujourd'hui, il n'existe plus de boulangers. Ils ont été remplacés par des boulangeries industrielles qui crachent du pain sans âme (...). Les rois n'existent plus non plus et ont été remplacés, eux, par le Parti communiste. Il faut maintenant être communiste de père en fils. L'avantage avec le communisme, c'est que chacun peut l'adopter, alors que normalement il n'y a qu'un seul roi par pays.
Elle a appris des chants de femmes polonaises, juives, des chansons que les Tchécoslovaques ont apportées de Belgique et d’autres régions françaises. Ensuite elle les chante à Josefa. Sa voix devient si douce, pleine d’un chagrin profond, contient toutes les larmes du monde. Bojena pleure dans le cœur des chansons les larmes qui n’arrivent pas à sortir de ses propres yeux, des larmes qui la noient et l’étouffent. Elle chante comme on fait de la magie.
« Les nuages enceints de flocons de neige, près d’exploser, se mélangent aux nappes de brume qui montent de la terre transie .
Une respiration . »