Or, les hommes, s'ils veulent maintenir leur qualité de vie matérielle, psychologique, sexuelle et mentale , ont intérêt à se cacher à eux-mêmes le caractère oppressif de leurs rapports avec les femmes. Ce qui les motive pour participer à ces dynamiques de groupe, c'est de pouvoir parler d'eux-mêmes, "ce qui [les] préoccupe, c'est l'homme, c'est-à-dire [eux-mêmes], encore et toujours" (Mathieu, 1999-308). Ils thématisent alors volontiers le "rôle de sexe" ou "carcan" masculin - c'est-à-dire ce en quoi ils pourraient également se sentir victimes - ou ce qui relève d'autres oppressions, en faisant l'impasse sur leur propre action oppressive.
Mais ces quelques points positifs ne changent rien au fait que les hommes libertaires sont largement réactionnaires quand il s'agit de remettre en cause (leur participation à) la domination et l'oppression des femmes, et cela confirme malheureusement ce que chante Brigitte Fontaine : "quand il s'agit des femmes, il n'y a pas d'hommes de gauche".
La dynamique de pouvoir est « source de division et hiérarchisation des humains en hommes et en femmes ». Les auteures féministes radicales utilisent le concept de « classe de sexe ». Le sexe devient un marqueur, un signe de cette hiérarchisation sociale, « fruit d’un acte social qui consiste à réduire les nombreux indicateurs, plus ou moins corrélés entre eux et susceptibles de degrés composant à un seul indicateur source d’une classification dichotomique. » C’est le genre qui construit le sexe « le sexe masculin et le sexe féminin sont des créations culturelles basées sur certaines pratiques sociales d’oppression, d’exploitation et d’appropriation »
Ce dégage ainsi progressivement la possibilité de définir théoriquement et empiriquement les hommes comme ces êtres humains qui occupent une position vécue oppressive selon l’axe de genre (marquée notamment par l’hétéro-socialisation et l’hétéro-sexualisation de certains humains), qui sont également dotés d’une expertise politique masculiniste et dont la subjectivité est structurée de façon idéelle et transgressive, nourrie de privilège épistémique et d’apprentissage épistémique-politique, et marquée par un attachement conscient à cette oppression de genre (éclairage féministe et lesbien matérialiste).
On peut également noter que pour les garçons-en-devenir la socialisation sera un prolongement de cet auto-centrement subjectif, tandis qu’elle sera une rupture pour les filles-en-devenir : ces dernières apprendront en effet progressivement à délaisser leurs propres intérêts pour trouver "satisfaction" dans le fait d’être centrées sur les autres, autrement dit, à définir leurs propres intérêts comme étant soumis à ceux de nombreux autres.
Autrement dit, il ne suffit pas de disposer, dès sa naissance ou plus tardivement, d’un pénis et de testicules pour être sociologiquement un homme, cela exige – du point de vue de l’agent – l’inscription active dans un groupe de pairs politiques, l’adoption continue d’un nombre de pratiques politiques – vis-à-vis de soi et des autres – et le développement « à la limite de la conscience claire » d’une expertise interactionnelle politique. La spécificité de la qualité politique de chacun de ses éléments étant qu’il s’agit de rapports hiérarchiques et oppressifs vis-à-vis d’humains désignés « femmes »
J’ai beaucoup plus de choses en commun avec Bertrand Cantat que de différent. Les actes meurtriers de Cantat en disent beaucoup plus sur ma façon de vivre et d’agir que je ne veux bien reconnaître
[...] si les hommes hétérosexuels de la gauche radicale sont généralement bien obligés de reconnaître les privilèges structurels du genre dont ils bénéficient, ils refusent de voir non seulement la façon dont eux-mêmes participent à cette reproduction de l'inégalité de genre mais également la façon dont ces privilèges sont une production collective de la part de leur groupe sociopolitique, préférant maintenir leur attachement à un sentiment moral d'intégrité.
Nous bénéficions de la domination masculine qui structure toute notre société et la perpétuons souvent activement à travers nos prises de parole, regards, comportements…
Ce qui s’est imposé à moi, c’est que le choix d’octroyer une importance à l’expérience spécifique que constitue la production d’une thèse sur les rapports de genre, en tant qu’homme hétérosexuel blanc souhaitant contribuer à l’abolition de ces rapports, m’a amené à vivre cette production comme une expérience, un voyage – comme le mentionne le titre "De l’ennemi principal aux principaux ennemis" – avant d’être un récit désincarné à posteriori