Un dernier mot enfin, avant de déposer la plume, pour protester contre cette éternelle comparaison du sommeil et de la mort dont les auteurs anciens et modernes ont fait un si étrange abus. Que ce soit au point de vue matériel ou bien au point de vue matérialiste qu’on l’envisage; que ce soit l’apparence d’un cadavre que l’on veuille chercher dans l’aspect d’un homme endormi, ou bien un exemple de l’anéantissement possible du Moi qu’on imagine trouver dans une absence momentanée de la pensée, une telle comparaison est également fausse à tous égards.
N’est-ce point d’ailleurs une idée bizarre que celle de prétendre comparer une situation qu’on ne connaît guère, avec un autre état qu’on ne connaît pas?
Je préfère de beaucoup le vieil axiome qui nous dit: La vie est un songe. A ceux pour qui c’est un songe pénible, elle laisse du moins l’heureuse pensée de se réveiller dans la mort.
En parlant des oppressions si pénibles auxquelles on a donné le nom de cauchemars, Moreau (de la Sarthe) s'exprime ainsi : "Ce genre de rêves est susceptible d'une infinité de modifications très variées depuis l'impossibilité d'avoir ou de communiquer certaines idées, d'effectuer un projet, d'accomplir une résolution quelconque jusqu'à l'angoisse que l'on éprouve en sentant l'impossibilité de faire un mouvement pour se dégager de la position la plus dangereuse."
A défaut de meilleure méthode, celle que j’adopterai sera donc celle-ci:
Rappelant d’abord quelques points capitaux sur lesquels nous venons de voir que la controverse s’était surtout exercée, je commencerai par grouper ensemble des observations tendant principalement à démontrer:
1° Qu’il n’est point de sommeil sans rêve;
2° Que ni l’attention, ni la volonté ne demeurent nécessairement suspendues pendant le sommeil.
Et, ces premières divisions faites, je chercherai ce que l’expérience peut nous enseigner sur la marche et le tissu des rêves, comme sur les moyens de les évoquer ou de les conduire; sans attacher d’ailleurs à la classification de ces notes plus d’importance qu’il ne convient dans un livre où l’auteur a moins en vue d’ériger un système, que de réunir des documents précis pour une science à venir.
ANONYME
(vers 324)
LA PASSANTE
Quand la brise gonfle tes deux robes de soie,
Tu ressembles à une déesse vêtue de nuages.
Quand tu passes, les fleurs des mûriers te respirent.
Quand tu emportes des lilas que tu as cueillis, ils tremblent de joie.
Des cercles d'or étreignent tes chevilles.
Des pierres bleues luisent à ta ceinture.
Un oiseau de jade a fait son nid dans ta chevelure.
Les roses de tes joues se mirent dans les perles immenses de ton collier.
Quand tu me regardes, je vois couler le fleuve Yuen.
Quant tu me parles, j'entends la musique du vent de mon pays.
Quand un cavalier te rencontre, au crépuscule,
Il croit que c'est déjà l'aurore et immobilise son cheval.
Quand un mendiant t'aperçoit, il en oublie sa faim.
Un bateau de cha-tang avec des rames de mou-lan ;
De jeunes musiciennes sur les bancs, avec des flûtes d’or et de jade ;
Du vin exquis dans des coupes mille fois remplies ;
Emmener avec soi le plaisir, et se laisser porter par les flots.
Les immortels m’attendent, montés sur leurs cigognes jaunes,
Tandis qu’insouciant et tranquille, je vogue au milieu des mouettes blanches.
Les sublimes inspirations de Kio-ping nous restent comme un monument qui s’élève à la hauteur des astres ;
Que sont devenus les tours et les pavillons du roi de Tsou, jadis accumulés sur ces collines désertes !
Quand l’ivresse m’exalte, j’abaisse mon pinceau, j’ébranle de mes chants les cinq montagnes sacrées,
Je suis joyeux et je suis fier, je me ris de toutes les grandeurs.
Puissance, richesse, honneurs, quand vous serez d’assez longue durée pour que je vous estime,
On verra donc le fleuve Jaune partir de l’Occident pour couler vers le Nord.
Les feuilles bruissent agitées par le vent; la jeune lune est déjà couchée;
La rosée répand sa fraîcheur bienfaisante. Accordons nos luths au son pur.
Les ruisseaux se glissent dans l'ombre, caressant les fleurs de la rive.
Les constellations silencieuses étendent sur nos têtes un dais étoilé.
Thou Fou
LI TAï-PO
(643-706)
L'ADIEU
L'oiseau youên et l'oiseau yang
nagent côte à côte sur le fleuve Kin
dont les eaux coulent paisiblement vers le nord.
Quand l'oiseau youên s'arrête à l'ombre d'un arbre de la rive,
sa compagne s'arrête parmi les roseaux en fleurs.
Tous deux préféreraient la mort ou la captivité plutôt que la fuite,
si, pour fuir, ils devaient se séparer.
Adieu, seigneur de ma vie!
Aucune fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.
Malgré la croyance générale, les plantes ne sont pas insensibles.
Qu'advient-il à celles dont la nature est de s'attacher ?
L'une vit et meurt à l'endroit même
où le vent laissa tomber la graine
qui lui donna le jour ;
l'autre périt dès qu'on l'arrache de l'abri qu'elle avait choisi.
La nature est clémente pour la fleur,
et l'homme est cruel pour la femme qui l'aime.
Adieu, seigneur de ma vie !
Aucun fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.
En souvenir de moi, gardez ces trois hirondelles de jade.
Elles brillaient dans ma chevelure, le jour de notre mariage.
Essuyez-les, chaque soir, avec votre manche de soie.
Et ne roulez jamais la natte sur laquelle vous m'avez caressée...
Laissez les araignées y tendre leurs fils.
Permettez-moi de vous demander
de conserver toujours le bloc d'ambre
sur lequel je posais ma tête, pour dormir.
Les rêves qu'il vous donnera vous rappelleront notre passé.
Adieu, seigneur de ma vie !
Aucun fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.
J'ai oublié, dans votre coffre sculpté, mon petit manteau de plumes.
Ne le mettez jamais sur d'autres épaules que les vôtres.
Quant à mon miroir, mon miroir d'argent
où mon cœur se réfléchissait comme un visage au fond d'un puits,
tendez-le souvent à votre nouvelle épouse,
et qu'il vous aide à connaître son cœur.
Adieu, seigneur de ma vie !
Aucun fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.
Que sont devenus les tours et les pavillons du roi de Tsou, jadis accumulés sur ces collines désertes!
Quand l'ivresse m'exalte, j'abaisse mon pinceau, j'ébranle de mes chants les cinq montagnes sacrées,
Je suis joyeux et je suis fier, je me ris de toute les grandeurs.
Puissance, richesse, honneurs, quand vous serez d'assez longue durée pour que je vous estime,
On verra donc le fleuve Jaune partir de l'Occident pour couler vers le Nord.
Li Taï Pé
Il advint alors que l'étudiant étant de ceux qui ont beaucoup étudié les livres et le précepteur n'étant qu'un lettré de moyenne force, Ouan-siuen après avoir répondu sans difficulté à toutes les questions qui lui étaient posées, souleva peu à peu lui-même de nouveaux sujets de discussion et poussa de telle sorte le professeur Tchin que le pauvre homme, à bout d'arguments, ne savait plus que répéter : "Science étonnante ! science admirable ! ".
Si la vie est comme un grand songe,
A quoi bon tourmenter son existence !
Pour moi je m'enivre tout le jour,
Et quand je viens à chanceler, je m'endors au pied des premières colonnes.
A mon réveil je jette les yeux devant moi :
Un oiseau chante au milieu des fleurs;
Je lui demande à quelle époque de l'année nous sommes.
Il me répond : A l'époque où le souffle du printemps fait chanter l'oiseau.
Li Taï Pé