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Critiques de Linda Lê (199)
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Je ne répondrai plus jamais de rien

La narratrice, qui, c’est important, n’a pas d’enfant, s’adresse, comme dans une longue lettre ouverte, à sa mère décédée et qui n’avait de cesse, l’année de sa mort de répéter cette phrase qui constitue le titre « Je ne répondrai plus jamais de rien », « cette ritournelle de sept mots qui avait quelque chose de comique et de pathétique à la fois » (p. 56). Elle lui parle, l’interpelle, la toise, lui pose des questions, et lui répond. Un long monologue très vivant qui revient sur à peu près tout. On apprend ainsi sur le père de soixante-dix ans, habitant dans le quinzième arrondissement de Paris, ancien avocat militant pour le droit d’asile « [qu]’il mourut peu après toi, foudroyé par une nouvelle attaque en pleine rue ». (p. 62). On apprend aussi que la narratrice a un compagnon qui se prénomme Adrien et une demi-sœur qui ignore son existence.



À noter également « la liste de quelques films mythiques sur les rapports entre une mère et sa fille » (p. 37)



Une très ancienne « évaporation » de la mère préoccupe encore, après des décennies, la narratrice : « Ces huit mois durant lesquels tu te serais comme dissoute dans l’air étaient le mystère qui me tarauda dans mon enfance puis dans mon adolescence. » (p. 29). Elle souhaite en « percer le mystère ».



L’Homme-Jasmin « le texte d’Unica Z[ürn] est sous-titré Impressions d’une maladie mentale » (p. 73). La mère en avait gardé dans ces affaires quelques pages déchirées. Ainsi la narratrice va partir sur les traces de cette autrice :



« Ou t’étais-tu raconté des histoires en te glissant dans la peau d’un personnage d’Unica qui, elle-même, n’avait fait qu’écrire sur les ravages de sa schizophrénie ? »

(p. 74)



« Tu avais oublié cet épisode, tu l’avais effacé de ta mémoire. Seuls Adrien et moi avions eu l’indélicatesse de te le rappeler l’année de ta mort, lorsque nous marchions dans les rues d’Elseneur balayées par une bourrasque ». (pp. 78-79)



Les phrases de Linda Lê sont ici plus courtes que dans ses autres romans et souvent interrogatives. La narratrice joue aux enquêtrices avec un langage qui évite avec élégance la répétition maladroite, mais qui réclame cependant la redondance de la litanie.



Le thème de l’exil (géographique, mais aussi mental) est omniprésent dans l’œuvre de Linda Lê, et ce dernier roman le confirme encore.



Des pages mémorables sur l’amour : amour mère-fille, amour conjugal, de la vie ou de la patrie, celui du père ou l’ardeur du désir charnel, amour de la solitude aussi, et même l’amour du désamour.
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Les dits d'un idiot

Le roman tout entier s’affranchit de paragraphes et de ponctuation (des points exclamations toutefois et une seule et unique virgule, à la page 46 de l’édition poche « Titres 143 » que je soupçonne d’ailleurs d’être une erreur d’impression). La structure de l’écriture est cependant si solide et si « travaillée », malgré l’apparence de spontanéité, qu’on suit sans difficulté particulière. Il faut préciser qu’il y a aussi un usage raisonné des italiques. Chaque chapitre est à la fois assez accablant pour donner une sensation d’étouffement et assez bref pour que le lecteur reprenne à temps sa respiration.



Je vous invite à découvrir cet écrit plutôt original sous l’angle du romanesque, car il y a bien une intrigue dans ce qui pourrait très bien s’appeler aussi « l’édit d’un idiot ». Comme souvent, chez Linda Lê il s’agit d’une réflexion poussée jusque dans ses derniers retranchements sur des thèmes comme l’écriture, l’emprise, la médiocrité. On remarquera ainsi l’épigraphe de Thomas Bernhard : « Cela avait voulu être un monde grandiose, il en est resté un détail dérisoire ».



L’idiot c’est le narrateur, fils d’Ariane la Mandragore, qui rencontre la frêle Mortesaison. Il habite seul dans un « taudis de l’impasse des Deux Anges », entend devenir philosophe et… mais je ne vais pas tout vous dire.



Une référence importante est constituée (page 30 de mon édition de poche) par les « gravures macabres des horribles [selon la mère] dessins de cet Alfred Kubin ».



Un livre de Linda Lê qui contient beaucoup de sarcasme, voire de l’autodérision.
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Kriss : L'homme de Porlock

Ce beau livre des éditions Christian Bourgois, avec en couverture un détail de « L'Énigme de l'heure » (1911) de Chirico s'intitule « Kriss suivi de L'Homme de Porlock ».



Deux textes donc (pièces de théâtre ?!) assez différents mais tous deux brefs et percutants. Page 84, Linda Lê emploie le mot « scène », ce qui me réconforte dans ma qualification théâtrale.



Sans « bain de sang », Kriss, revisite le mythe d'Électre en 1983, en Californie, sur fond de guerre du Vietnam. Selon le site du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, le kriss (ou criss) est un « long poignard malais, à manche oblique et à lame généralement ondulée ». C'est ici aussi le nom de la sœur meurtrie qui attend le retour de Stan qui se fera passer pour un ami et dira que le vrai Stan est mort. Je me suis un peu intéressée pour l'occasion à la signification du prénom Stan qui « est le diminutif du prénom Stanislas, qui en vieux slave se traduit par "se dresser" et "gloire". En vieil anglais, "Stan" signifie "pierre" ». Un prénom fort bien choisi donc.

Si comme moi, vous ne connaissiez pas le sphex à ailes jaunes, la métaphore du triple coup est extraordinaire.

Un texte dramatique qui rappelle incidemment l'indicible horreur de la guerre.



« L'Homme de Porlock » est un dialogue très animé entre trois muses (?!) Daimôn, Bobok et Brownie d'un écrivain dont la sœur est morte après six mois de souffrances atroces. C'est un débat qui constitue une fort intéressante réflexion sur la création littéraire. Trois brillantes références à Georg Trakl, Elizabeth Browning et Samuel Taylor Coleridge (auteur du « Dit du vieux marin »). Est-il souhaitable d'écrire des « livre pleins de fureur, comme une tempête sous un crâne. Des livres comme de la braise, qui vous brûlent les doigts. Des livres qui vous déchirent le cœur comme la révélation d'un amour interdit » (p. 97) ou de ne rien écrire du tout ?



Deux textes qui se lisent vite et qui font méditer longtemps. Mon admiration pour Linda Lê reste intacte.

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Un si tendre vampire

Phillipe Ledoux veut devenir écrivain. Le vampire (cf. page 57 : « Il avait trouvé l’âme sœur, mais son âme sœur tenait du vampire ») c’est Louis de Lambre, l’imposteur qui transformera Phillipe en nègre. Il y a aussi Xavière Vincent, jeune fille en fleure d’à peine dix-sept ans et sa mère, veuve, Marthe, toutes les deux les proies du même vampire sentimental.

C’est un beau premier roman qui traite de l’ambivalence de l’écriture à la fois comme imposture romanesque et comme acte salvateur (cf. le journal intime, page 96).

Que dire de plus sans trop dévoiler ? Un style élégant et un ton ironique permettent de belles mises en abyme sur la création littéraire. Page 52 on peut lire ainsi : « Tout a été dit, il ne nous reste qu’à ressasser les refrains de quelques chansons tristes. Seuls les êtres et les intérêts, l’argent, l’amour et autres vétilles, qui les agitent, me bouleversent encore. »

Au détour de la page 64, je découvre un peintre que je ne connaissais pas : Gustave Caillebotte.

Même si mon roman préféré de Linda Lê reste « Les trois parques » j’ai encore passé un agréable moment en sa compagnie.
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Toutes les colères du monde

Une quarantaine de textes courts (parfois moins d'une page comme pour « Des justiciers de l'injustice », p. 50) qui sont autant d'invitations à la lecture ou à la contemplation artistique (des références à la peinture, au cinéma et à la musique, des références historiques également) et qui abordent avec finesse les différentes facettes de la colère. Comme à son habitude, Linda Lê n'en dit pas trop, mais incite judicieusement à la réflexion, tout en proposant des interprétations pertinentes. Il en résulte une flânerie passionnante à travers les arts, ayant comme fil rouge la colère, et comme espoir final la réussite de ceux qui « ont pour rôle d'empêcher l'homme de s'assoupir dans sa normalité » (p. 124).



Il s'agit d'un livre de commande achevé en 2019 et qui appartient à la collection des 7 péchés capitaux des éditions du Cerf que je remercie d'ailleurs chaleureusement pour ce cadeau magique. Pour rien au monde je ne raterai la sortie d'un livre de Linda Lê.



Comme j'aime les critiques courtes, je vais simplement vous dire que c'est un livre à découvrir, surtout quand on ne connaît pas le travail de Linda Lê. J'ai pour ma part une pensée toute particulière pour « l'ironie meurtrière » et le « délit de conférence » de Claudio Magris (p. 42-46) qui m'a fait beaucoup rire, ainsi que pour l'évocation, dans « saine colère » des « étudiants, cheminots, médecins, auteurs "en colère", manifestant, non sans crier haut et fort qu'ils ne "lâcheraient" rien contre les réformes d'un gouvernement accusé d'être du parti des nantis. » (p. 69)



Cela donne très clairement envie de découvrir les autres livres de la collection des 7 péchés capitaux : la Paresse par Céline Curiol : « La posture du pêcheur », la Gourmandise par Cécile Ladjali : « Chère », l'Avarice par Louis-Henri de la Rochefoucauld : « Mémoires d'un avare », la Luxure par Laurence Nobécourt : « Post Tenebras Lux », l'Orgueil par Laurent Nunez : « Regardez-moi jongler » et enfin l'Envie par Mathieu Terence : « Du ressentiment ».



Grâce au dossier de presse qui accompagnait le livre, j'ai noté un autre auteur à découvrir aux éditions du Cerf, Évagre le Pontique, « un lettré venu des rives de la mer Noire » (tiens, ma Roumanie n'est jamais trop loin !)
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Fuir

Le narrateur sans nom de Linda Lê est un gredin de quarante ans qui raconte son passé tragique depuis sa naissance dans un pays étranger qu’il fuit ensuite pour cause de guerre pour se réfugier en France.



Renié par ses parents, il est accueilli par une tante sans-le-sou chez laquelle il grandit, plutôt mal jusqu’à ses dix-huit ans quand (pour une raison qu’il convient de ne pas dévoiler) il fuit vers le Sud. À vingt ans il fait un mariage de raison avec Tanh, la fille du Docteur (qui bien sûr n’est pas médecin, mais un personnage peu fréquentable).



Dans le présent de la narration, il est poursuivi (depuis un mois) par un Japonais, clochard attendrissant qui parle un français « recherché ». C’est un « vagabond au visage de moine et au corps de vermine » (p. 9) qui « traîn[e] cahin-caha deux valises lourdes » (p. 7).



Parmi les autres personnages (tous paumés, en fin de compte, tous à fuir) on peut encore nommer le Maître, un percepteur qui entra dans la vie du narrateur vers l’âge de douze ans, qui était « fragile comme une porcelaine en coquille d’œuf » (p. 47) et aura une très mauvaise influence sur son élève, ainsi que Vinh, le frère de son épouse, qui finira dans un asile de fous.



Dans les meilleurs moments, le narrateur se qualifie de « bohème qui ne comprenait rien à la poésie de l’errance » (p. 149), mais la plupart du temps c’est en ces termes qu’il s’exprime : « je n’aimais pas la vie et elle me le rendait bien. Je rêvais de l’assassiner et elle m’avait tué. J’avais des arrière-pensées peu louables et elle m’avait condamné pour délit d’intention ». (p. 171)



Je ne vais pas dévoiler la fin : il faudra lire ce roman pour savoir ce qu’il arrive au Japonais et par voie de conséquence au narrateur.

Encore une fois, j’ai beaucoup aimé le style de Linda Lê.
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Écrire, écrire, pourquoi ?

Pour ceux qui ne connaissent pas encore Linda Lê je conseille ce kindle gratuit. C'est une brève rencontre de 2010 avec la romancière qui parle de son travail, de ses obsessions et de ses auteurs préférés, comme : Marina Ivanovna Tsvetaïeva, poétesse russe (1892-1941), Stig Dagerman, écrivain et journaliste suédois (1923-1954), Ingeborg Bachmann, poétesse, romancière et nouvelliste autrichienne (1926-1973) ou Georg Trakl, poète lyrique autrichien (1887-1914).
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Solo

L’idéal c’est de se lancer dans la découverte de l’univers de Linda Lê, en commençant par ses derniers romans.



Ici, il s’agit d’un recueil de nouvelles écrit à l’âge de vingt-six ans et de son troisième livre après les romans Un si tendre vampire (que je viens seulement de commander : longtemps introuvable, car Linda Lê elle-même avait pris ses distances avec ses premiers écrits en les écartant même de sa bibliographie) et Fuir.



Dans Solo, les personnages sucent le sang de leurs proches ou se font sucer le sang par eux, mais restent des vampires au sens figuré. C’est surtout de SOLITUDE qu’il est question. Tous les personnages se caractérisent par cet état d’âme, particulièrement exacerbé dont le symbole évident reste la marionnette Solo (cf. la toute première nouvelle).



Il y a encore dans ce livre l’image du pays étranger, on le devine à mi-mot le Vietnam (dont Linda Lê est originaire), d’où la question du langage : le français, précis et à la limite de l’érudition (cela deviendra vite jubilatoire dans les livres suivants) contre le vietnamien qu’elle a abandonné et dans lequel elle a écrit des lettres maladroites et d’une politesse cérémonieuse à son père. Celui-ci, qu’elle pense avoir laissé mourir au Vietnam, la tourmente sans cesse.



Ces nouvelles sont brèves et regroupées en quatre parties aux titres révélateurs : Les doublures, Les complices, Le soliste, Les revenants.



Linda Lê n’a eu de cesse de faire évoluer la précision de la langue qu’elle manie avec maestria et ses écrits sont pour moi d’indispensables nourritures livresques, à l’image de ce proverbe égyptien qu’elle cite ici, page 59 : « Je te nourris pour te former des rondeurs, mais tes os pointent vers moi et me font peur ».
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Les trois parques

J’adore Linda Lê, parce que, comme je l’ai déjà écrit, sa lecture m’impose de constantes recherches dans les dictionnaires, tant son vocabulaire est riche. Tout est donc dans le style: un vocabulaire très varié qui passe par de nombreux registres de langue et qui est soumis à l’épreuve des sens exhaustifs. C’est un exercice de haute voltige verbale, comme en témoignent en partie seulement les citations.



Qui sont les personnages de ce récit haletant et incandescent? Il y a les trois parques vietnamiennes: la miss «Belles Gambettes», sœur cadette de la propriétaire enceinte de la «maison flambant neuve» et la cousine, la Manchote qui est également la narratrice. Il y a ensuite le père des deux premières, ce vieux roi Lear abandonné depuis plus de vingt ans «dans la petite maison bleue» au Vietnam. S’agissant des hommes, il y Théo le compagnon de miss «Belles Gambettes» et le «maître des lieux de la maison flambant neuve, le mari, expatrié zurichois», dit aussi «le méditatif». Le roi Lear a un fidèle ami appelé «le couineur» (sic !) qui est vraisemblablement un religieux accro aux «anguilles cuites au naturel». Il y a aussi la grand-mère morte, Lady Chacal, riche vietnamienne ayant fui les communistes en France après avoir «enlevé» les deux filles du roi Lear. Les trois cousines sont réunies un dimanche après-midi dans la «maison flambant neuve» à préparer le voyage en France du vieux roi Lear. Viendra-t-il ou pas? Je ne peux vous répondre sous peine de trop dévoiler.



L’emprise (cette domination intellectuelle ou morale d’un être sur un autre) est le thème récurrent de Linda Lê, qu’elle traite là encore avec brio. Elle l’analyse ici au sein du couple (Théo et miss «Belles Gambettes», sa sœur aînée et son méditatif de mari ), par la religion ou la présence fantomatique de la grand-mère (Lady Chacal).



Avant de vous laisser entamer peut-être cette lecture, je reproduis un mystérieux avertissement en fin d’ouvrage. J’ai le sentiment que l’auteur le rendrait elle-même public à plus d’un égard :

«Écrit dans le plus grand isolement, terminé le 1er avril 1997, remis, puis retiré à la sainte Catherine de Sienne, avant la décision, prise à la saint Salomon (une fois écartée la tentation d’une publication sous pseudonyme), de le laisser voir le jour, ce livre avait trouvé, dans les semaines suivant son achèvement, un épilogue quelque peu dramatique–trois mois de stupeur et de confusion–que je n’aurais pu affronter sans l’aide de quelques amis et d’un médecin. Merci donc au trio de la rue Oudinot, du quai de Grenelle et de la rue de Val-de-Grâce. À Christian Bourgois pour sa patience. À Jean-Claude Demant pour ses conseils. À Olivier Rolin, qui répondit, un dimanche, à un appel de détresse. Et à l’absent, dont le murmure sut dominer cette “voix épouvantable qu’on appelle ordinairement le silence”.»

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De personne je ne fus le contemporain

Je ne rate jamais la sortie d'un livre de Linda Lê. Je reconnais, sans détour, en être une admiratrice sans limites.

Cette fois, le titre fait directement allusion à l'un des protagonistes et Linda Lê met en exergue ceci : « Non, de personne jamais je ne fus le contemporain je n’ai que faire d’un tel honneur ». Ossip Mandelstam, Le Livre de 1928.

« Chez Nguyên Ai Quôc, on trouve une culture, celle de l’avenir.  Ses gestes nobles et sa voix grave me font penser au futur et à la perspective d’une fraternité mondiale immense comme un océan ». C’est ce qu’a écrit le poète russe Ossip Mandelstam, en 1923, suite à sa rencontre avec le jeune patriote Nguyên Ai Quôc (le pseudonyme du président Hô Chi Minh [Source de lumière] de l’époque).

Le point de départ est donc ce constat de l'autrice : « Hô Chi Minh comme Mandelstam ont tous deux été d’irrémédiables étrangers, inaptes à s’accommoder avec ce qui manque d’intransigeance dans cette existence. »

« Le portrait qu’il fit de Nguyen le Patriote était un travail mi-journalistique, mi-personnel. Peut-être ne voyait-il là que le moyen de grappiller quelques roubles, mais cette rencontre, si surprenante qu’elle pût paraître, mettait au jour tout un pan de la personnalité de Mandelstam. »

C'est donc un double portrait croisé en quelque sorte que propose Linda Lê et qu'elle croque avec subtilité et sensibilité littéraire.

Toujours aussi érudite et documentée, elle fait également preuve d'une très bonne connaissance du Vietnam.
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L'armée invisible

Mon budget « nouveautés » étant absorbé presque entièrement par les mangas de mes deux filles, j'ai dû renoncer même à des livres de littérature roumaine (mon domaine de prédilection). Mais, pour rien au monde, je ne renoncerai à une nouvelle parution de Linda Lê pour laquelle j'ai une admiration, maintes fois avouée.



Ce livre posthume est un recueil de ses chroniques publiées ces dernières années (entre 2016 et la fin avril 2022) pour « En attendant Nadeau », et comporte un très émouvant portrait/éloge signé de Mathieu Terence.



Dès sa sortie, je me suis donc précipitée pour acquérir le livre électronique et c'est les larmes aux yeux que j'y ai découvert les mots d'ouverture de Mathieu Terence. Il décrit si bien, cette « femme-livre », cette dévoreuse de livres qui savait si bien en parler. « Je me souviendrai [écrit Mathieu Terence] que les renégats, les sans-grade, les dissidents, les vagabonds, les laissés-pour-compte, les parias des deux sexes constituèrent son monde d'élection. Qu'il s'agisse de ses propres personnages, de ceux des livres qui lui étaient chers, qu'il s'agisse des écrivains qui lui parlèrent, partout l'on retrouve cette affection fondamentale, et dénuée de la moindre démagogie, pour les rebuts (hommes et femmes confondus) d'une société toujours plus pourrie que ces princes et ces princesses oubliés de dieu. »



C'est donc, de nouveau, ici, un livre sur les livres, écrit avec tendresse et justesse, qui donne non seulement de nouvelles pistes de lecture, mais qui dresse également, en filigrane, le portrait sensible de celle qui fut pour moi un modèle à suivre, une « alliée substantielle » comme dirait René Char et comme elle aimait dire, elle aussi.



Je n'attribue pas cependant la « note » maximale à cet ouvrage, à cause d'un reproche adressé à l'éditeur : plusieurs des articles présents ici, ont également été publiés en ligne et, sauf erreur de ma part, les inédits ne sont pas signalés en tant que tels. La table des matières contient les références exactes des livres chroniqués, de sorte qu'on peut facilement constituer une liste des livres à lire impérativement.
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Clair obscur

Dix auteurs écrivent (initiative salutaire) au profit de l'ONG « Pour un Sourire d'Enfant » (lauréate du prix des droits de l'homme, cette association se bat depuis 1995 pour nourrir, soigner et scolariser les enfants chiffonniers de Phnom Penh). Il y a parmi eux Linda Lê dont je ne rate en principe aucune parution. J'avais lu sa nouvelle (j'aime beaucoup ce genre littéraire) très saisissante sur le Vietnam intitulée « L'Autre », ainsi que les deux, trois premières, puis le livre (sorti en 2011, vraisemblablement acheté en 2017) s'est engouffré dans ma gigantesque PAL. Il était grand temps de le ressortir.

C'est varié, sensible et un peu engagé. Des figures enfantines mémorables. Ce fut pour moi aussi l'occasion de découvrir des auteurs bien connus par ailleurs comme Maxence Fermine, Yasmina Khadra, Eliette Abecassis.

Je recommande ce recueil de nouvelles.
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Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne, t..

Reçu, un peu en avance, en guise de cadeau pour la fête des mères, parce que je suis une inconditionnelle de Linda Lê.



Ce court ouvrage collectif, dont chaque texte est précédé par une (si belle !) photo de l'autrice ou de l'auteur, est un livre qu'on peut qualifier de livre de commande. En effet, « depuis 2017, la Maison des écrivains et de la littérature invite des autrices et des auteurs à jouer au « Livre en question », en écrivant un texte librement inspiré par la bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne (BIS) ».

Dans la préface, Laurence Bobis, rappelle la force de ces textes rédigés entre 2020 et 2021 : « Malgré les circonstances, ces cinq textes sont des messages d'espoir ou des invitations à ne pas désespérer. » (p. 8), tandis que Sylvie Gouttebaron, nous propose une définition ludique de la bibliothèque : « La bibliothèque est un jeu de patience, mais aussi un jeu de l'oie – sans puits ni prison –, une marelle, un labyrinthe (c'est connu) – sans autre destination ou issue que la satisfaction d'un désir de savoir, de connaître toujours recommencé, jamais exaucé –, tous jeux aussi tentants que le diable gisant dans chaque détail insoupçonné de ses méandres en relief, véritablement habités. » (p. 11)

C'est Linda Lê qui a eu l'honneur d'ouvrir le bal, avec « La langue de l'éternel questionnement » (pp. 15-30). Pour elle, les livres s'enchaînent les uns aux autres et elle extirpe de l'oubli et de la BIS, grâce à Iouri Tynianov, un certain Alexandre Griboïedov, auteur malheureux d'un pièce de théâtre intitulée « Le Malheur d'avoir trop d'esprit ». Linda Lê fait remarquer que : « Le fil qui relie Nadejda Mandelstam à Iouri Tynianov, puis à Pouchkine et à Griboïedov, c'est l'évocation des temps troublés. » (p. 25). Elle mentionne « à la BIS, deux thèses consacrées à Griboïedov, en 1907 et en 1965 » (p. 26). Selon elle, « Chez Griboïedov, la langue de l'éternel questionnement oscille entre le cynisme des uns et l'effacement des autres » (p. 29), car « il ne reste aux « purs » qu'à battre en retraite » (p. 28). Ainsi, pour elle, « La question demeure : le livre en question serait-il une énigme à résoudre, l'objet d'une enquête qui mène à un autre livre ? » (p. 30)

Arno Bertina, s'est penché (pp. 31-46), quant à lui, à la BIS, sur la question « Des tracts et des affiches ». D'entrée de jeu il affirme que : « Mondialement célèbre, ce lieu est éminemment labyrinthique, insaisissable » (p. 31), et constate que le rôle de conservation d'une bibliothèque est « d'opérer un tri drastique entre ce qui relève du savoir, de la culture et ce qui est pauvre, circonstanciel, non autorisé » (p. 34).

Muriel Pic, dédie son «  Manicules (à la BIS) » à la mémoire de Jacques le Brun. Elle relate sa longue expérience de lectrice en s'intéressant notamment à l'ensemble des annotations et plus particulièrement aux stigmates laissés par certains lecteurs. Pour la définition des manicules on peut retenir le passage suivant : « La manicule est une petite main que dessinaient jadis les lecteurs sur les joues pâles des livres, à distance de l'axe vertical des textes qui va du blanc de tête au blanc de pied, et distribue les mots de gauche à droite sur toute la surface du rectangle d'empagement. C'est un geste de lecture pour indiquer ce qui a retenu l'attention, doit être gardé en mémoire ou sera commenté plus tard. La manicule est une trace en forme de petite main que l'on trouve dans les marges des manuscrits et des incunables à partir du neuvième siècle. Elle a l'index pointé sur une phrase articulée par une bouche imaginaire, dont les deux hémi-lèvres se touchent en forme d'arc de cupidon. Tout texte a son propre visage, ses propres mimiques, sa propre tache de naissance. Grâce à elle, on comprend qu'un livre a été pris en main. Un lecteur fait signe sur la surface diaphane du parchemin. Une motion intérieure affleure sur la peau animale, chèvre, mouton, veau » (pp. 50-51), tandis que pour les stigmates, on retiendra surtout ceci : « Il est remarquable que les ouvrages portant les marques de lecture les plus sauvages aient trait à des sujets politiquement délicats. C'est en tout cas le constat que l'on peut faire si on ouvre l'armoire des livres détérioré de la Sorbonne, sachant qu'il n'y a pas de limite à la fantaisie dans le domaine de la destruction des livres. le plus frappant a été pour moi d'y trouver l'ouvrage d'Annette Wieviorka littéralement dévoré sur les bords par je ne sais quel animal anonyme soudain doué d'une haine qu'ignorent en temps normal les bêtes » (pp. 87-88).

On se souviendra que les fantômes sont aussi des « revenants » avec le magnifique texte de Jean-Christophe Bailly (pp. 101-118).

Dans le dernier texte « Comme un cygne » (pp. 119-130), Jean-Marie Gleize nous parle de poésie, et plus amplement d'Alphonse de Lamartine.

La dernière phrase est sublime : « Il pourrait n'être pas absurde de dire qu'il s'agit, dans cette « Mort de Socrate », de quelque chose comme le suicide de la philosophie par absorption d'un poison qui n'est autre que le chant romantique, le chant des cygnes ou des signes, la très suave ciguë de l'harmonie poétique et religieuse. » (pp. 129-130)



Un court recueil donc avec des auteurs (à l'exception de Linda Lê) inconnus pour moi qui a été aussi l'occasion de garnir généreusement de futures listes de livres à lire. Un bel hommage à ce lieu d'exception qu'est la BIS !
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Memento mori

Deux livres comme deux jumeaux assis tête-bêche dans ce superbe écrin blanc immaculé. Linda Lê et Claude Eveno se sont associés, dans une sorte de chant du cygne, peu avant leurs propres morts, pour une oeuvre poétique, véritable ode à « l'irréel ».



« Souviens-toi que tu vas mourir, se répétait-il. Cette cantilène, curieusement, l'aidait à vivre ». N'est-ce pas un récit conçu comme un viatique que nous propose Linda Lê, pour qui la mort est un des thèmes de prédilection ? Sa langue bien pendue, avec des mots ciselés et choisis avec le plus grand soin, usant souvent d'allitérations et assonances suggestives nous emportent dans le rêve éveillé de ce narrateur sans nom, mais dont il nous semblera au final tout connaître, car nous suivons son évolution de l'enfance jusqu'à la quarantaine.



« Tout appartenait au cauchemar et au rêve. […] Il était le héros d'histoires horrifiques, le protagoniste de contes des milles et un mauvais rêves, le personnage central de fables meurtrières, le spectre suceur de sang, le fantôme qui hantait les nuits de vampire, le roman-photo illustré par des clichés sanglants. »



Ce « nageur à contre-courant », chez qui tout est dans « l'entre-deux » est obnubilé par la mort et trouve refuge dans l'admiration constante et sans bornes de collages « où la mort se trouvait omniprésente », où elle figurait comme une salutaire « possibilité d'aller à la rencontre de son autre moi, si avide de sensations inédites, si quémandeur de frissons nouveaux ».



Le lecteur est vite sensible à l'esthétisme de cette oeuvre bicéphale, car à lui aussi après tout « il lui semblait que le duel avec la MORT avait toujours constitué l'essentiel de son existence ».



Je retiens avec grand émoi ce collage expressément nommé (p. 38) et intitulé « Tristesse ».



Je me suis d'abord imprégnée de la grande délicatesse des collages pour ensuite goûter le texte de Linda Lê, qui m'a une nouvelle fois renvoyée à l'observation plus attentive des collages dont les diverses sources sont citées en fin d'ouvrage.



Un livre magnifique des éditions Sens & Tonka que je découvre ainsi.
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Héroïnes

Tout comme le chien de Goya de la couverture, le personnage de V. semble faire « un rêve éveillé » (c'est le sous-titre du roman). Il songe en somme à l'abandon de sa thèse sur Kafka (plus précisément sur la notion d'impossibilité dans l'œuvre de Kafka, soit un travail intitulé « Kafka ou la littérature comme questionnement aporétique ») et à l'écriture d'un portrait croisé de trois héroïnes, avec bien sûr une part de fantasme dans son rêve inachevé. Ainsi, le lecteur ne saura pas si le rendez-vous avec celle qui est appelée simplement « la correspondante » aura finalement lieu (le 29 décembre 2005). Le pari de ce rêve éveillé et d'en finir avec les fantômes (du passé, des racines, des origines, de la politique, etc.) pour que l'aventure commence enfin.

Le récit est organisé en deux parties presque égales, comme deux moitiés, intitulées respectivement « Pierre blanche » et « Noirs desseins » et portant deux pertinents exergues de Iwan Gilkin et The Stooges.

« Pierre blanche » est le nom d'une série de photos. « Il s'agissait de montrer un homme, une femme ou un enfant censés personnifier un moment à marquer d'une pierre blanche. La photographie de la célèbre chanteuse se voulait ainsi un résumé du 30 avril 1975 : la vedette faisait partie de la glorieuse époque d'avant la débâcle [au Vietnam]. » (p. 21)

Si la première partie traite surtout d'une célèbre chanteuse vietnamienne, ainsi que d'une maquisarde du Sud-Vietnam exilée à Paris, la seconde partie est construite autour de l'intrigante et mystérieuse demi-sœur de la première. (« La correspondante la surnomma le lys brisé, tant elle paraissait, cela dit sans verser dans le mélodrame, incarner l'innocence malmenée. » p. 146)

Ces trois héroïnes prennent vie à travers les mails échangés entre V. et une pas moins mystérieuse correspondante qui préfère « rester dans l'ombre » (p. 175).

Une fois encore nous trouvons chez Linda Lê de nombreuses références artistiques telles que : le film de Billy Wilder, « Sunset Boulevard » (1950), la chanson de Gil Scott-Heron, « The Revolution Will Not Be Televised », Fritz Zorn, ce jeune homme « éduqué à mort » comparé au Viennois Thomas Bernhard, Pabst, la Miss Havisham de Charles Dickens, les toiles de Madge Gill le médium, les poupées de chiffons de Michel Nedjar, Robert Walser, David Hockney, les photographies de Joseph Sudek, le numéro de Rita Hayworth dans « Gilda », les héroïnes de Lino Brocka, les jeunes filles d'Ostende dans les gravures de Spillaert, Raoul Walsh ou Roger Corman.



Voici ici un livre qui « palpit[e] de vie » (p. 151) et de romanesque, car « les mots font l'amour » (p. 212).
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À l'enfant que je n'aurai pas

Linda Lê a choisi de ne pas avoir d'enfant, et pourtant cet enfant qu'elle n'a pas eu existe dans son esprit et dans son coeur, au point qu'elle lui écrit ici une longue lettre d'explication, de justification et de tendresse.



En théorie, ce livre devait me plaire. En effet, le sujet me touche de près mais reste tabou dans notre société et est, de ce fait, peu traité dans la littérature. En outre, l'auteure parle de son vécu et de ses choix, pas d'une histoire qu'elle imagine, ce qui me laissait espérer un témoignage fort. Enfin, le procédé épistolaire me semblait prometteur et aiguisait ma curiosité.



Mais ça, c'était avant...



Pendant et après (ma lecture), j'étais un peu déçue. Certes, Linda Lê explique fort bien pourquoi elle ne veut pas d'enfant, mais son expérience reste éminemment singulière et ne touche pas à l'universel. Elle n'évoque pas les raisons que pourrait avoir une femme lambda aujourd'hui de faire ce choix, mais simplement les siennes propres : une enfance malheureuse, un équilibre mental précaire, une dévotion exclusive à son art... de même, elle ne s'attache pas aux pressions que la société peut exercer sur une femme en couple sans enfants, mais ressasse celles que son amant lui faisait subir pour la convaincre.



Dans ce contexte, il a été difficile pour moi de m'identifier ou de ressentir de l'empathie. J'ai donc vécu le livre comme un exercice de style intellectuel et brillant, mais un peu désincarné. Peut-être justement comme cet enfant qu'elle n'aura jamais...



Challenge Multi-Défis 2017 : 8/52
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Chercheurs d'ombres

Invoquant des chercheurs d'ombres, Linda Lê nous invite, comme à son habitude, à fréquenter les salles obscures, ainsi qu'à lire et à relire des livres forts comme des alcools qui brûlent pour purifier. Cette fois-ci, le cinéma prend une part plus importante. J'ai ainsi revu grâce à elle "Une femme dangereuse" de Raoul Walsh, et toujours grâce à l'hommage qu'elle rend à Ida Lupino, je suis tombé(e) sur un artiste d'origine roumaine (vous vous imaginez quelle joie pour moi) Jean Negulesco, réalisateur, en 1948, de "La femme aux cigarettes" (Road House). Elle revient aussi sur Cioran dans "Le pouvoir de l'absence" (p.101-109), plus précisément sur une correspondance de celui-ci avec Constantin Noica, qu'elle confronte à "cinquième impossibilité" de Norman Manea. Des avis pertinents, motivés et illuminant les âmes chercheuses de bonheur dans la culture qui tranche dans le vif comme un bistouri.
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Héroïnes

Amoureux de Kafka, sujet de sa thèse en cours, V. est né et a grandi au bord du lac Léman, élevé par ses parents vietnamiens en bon citoyen suisse. Du Vietnam, il ne connaît que des bribes, un pays aimé mais fui, une ville, Saïgon, véritable paradis sur terre jusqu'à l'arrivée de communistes, et une date, le 30 avril 1975, jour noir de la chute, du désespoir, de l'enfer. Mais aussi, une voix, celle d'une chanteuse aux mélodies sirupeuses et pourtant si troublantes, si nostalgiques que même lui l'écoute les larmes aux yeux. Pourtant, la femme a mauvaise réputation, elle dit incarner le Vietnam, elle représente la luxure aux yeux de ses compatriotes. Alors que V. pense à arrêter sa thèse, il erre dans un musée où il croise une photographie de la chanteuse, vieille beauté fanée qui tente encore de séduire. Subjugué, V. entame une relation épistolaire avec la photographe. D'origine vietnamienne elle aussi, elle lui raconte ce qu'elle sait de la diva qui essaie de relancer sa carrière en France après des années d'exil aux Etats-Unis. Elle lui parle aussi d'une maquisarde en exil parce qu'elle s'est élevée contre ceux avec qui elle avait combattu. Deux femmes qui représentent les deux faces du Vietnam, le yin et le yang, la sainte et la putain et auxquelles se rajoute une troisième qui aurait la beauté de l'une et l'intégrité de l'autre. V. se passionne, s'amourache même de la photographe parisienne et découvre son pays à travers ces trois tragiques destins.





Très bien écrit mais aussi très complexe, le dernier roman de Linda Lê est une exploration de ses racines vietnamiennes. A travers le portrait de ses héroïnes, elle dresse le portrait d'un pays déchiré et trahi. La chanteuse, sulfureuse mangeuse d'hommes, liée au Viet Cong et aux américains, véhicule encore auprès des exilés l'image d'un Vietnam idyllique et idéalisée tandis qu'ils se détournent de la maquisarde qui a cru agir pour le peuple avant de se rendre compte des abus commis par les siens et de l'instauration d'un état totalitaire et liberticide. Mais l'auteure a aussi voulu évoquer la deuxième génération, ces enfants nés en exil dont V. est un représentant emblématique. Elevé en Suisse comme un suisse par des parents nostalgique d'un pays qui n'existe plus, il a grandi sans se penser vietnamien. Il ne s'est jamais intéressé à ce pays lointain et inconnu et quand il a commencé à le faire c'est tout naturellement en se rebellant contre ses parents, en épousant un idéal communiste à l'opposé de leurs convictions. Sa rencontre virtuelle avec la photographe lui ouvre de nouvelles perspectives et lui fait connaître un autre Vietnam. Grâce aux figures féminines qu'elle lui présente, il découvre les multiples facettes du pays de ses ancêtres, le mélange d'une langueur érotique et d'une force combattante.

Un roman ardu mais d'une beauté magnétique, à l'image de cette chanteuse qui l'illumine et l'obscurcit tout à la fois par sa force d'attraction et sa part vénéneuse. A découvrir.
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Roman

Voici une double "embolisation" littéraire. Je vais surprendre bon nombre d'entre vous en disant que le nouveau Roman de Linda Lê est un livre optimiste ou plutôt plein d'espoir, un livre de la lumière qui rompt avec les ténèbres, mais leur reste reconnaissant, "tant" il plaide pour les ruptures qui libèrent. Une contre-emprise réussie "tant et si bien" que la magie de la fiction apaise l'inconsolée et inconsolante réalité des "doux dingues". Les écrits de Linda Lê ne sont pas à mettre entre toutes les mains, car ils sont souvent pétris de cette noirceur grave de la lucidité extraite de la substantifique moelle des abîmes intérieurs. Ils tétanisent et en cela revigorent plus d'une âme écorchée. Si l'on les dépose, une fois la lecture terminée, aux côtés des "amulettes" de la littérature du "désastre", ce n’est, en ce qui me concerne, jamais avec détachement. La force de ses pages me menotte à la littérature, et m'accuse avec justesse d'ignorer plus d'un(e) écrivain(e) ou artiste dont l’œuvre se détache dans le paysage, pas toujours clair de nos quotidiens.

L. la narratrice, après avoir ressuscité les trois amoureuses clandestines dans un essai, fait nouvelle œuvre de charité littéraire dans un autre livre, sorte d'enchâssement où elle évoque la figure de Roman, "[son] intention étant de l'amener [cet inadapté] progressivement à se détacher d'elle".

L. survit à une rupture d'anévrisme (j'ai lu dans une encyclopédie médicale que l'anévrisme serait toujours causé par un traumatisme) sans séquelles et parvient presque aussi miraculeusement à rompre avec de vieux démons et à se "lancer seule dans cette aventure" qu'est l'exploration de "l'autre face des choses".

Subsidiairement et par un subtil et attachant jeu de mise en abîme, Linda Lê écrit aussi, dans le but de les ressusciter (et de rompre pour leur compte), sur "les amours occultées de Taos Amrouche, Catherine Pozzi et Camille Claudel". Pour ceux qui douteraient de l'humour de Linda Lê, le chirurgien s'appelle docteur T.
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Lettre morte

J'avoue avoir déjà déclaré mon admiration pour ce livre sur un site (partenaire en principe) sous le signe du mot clé : "grâce" (littéraire). Que mon incitation à découvrir ce texte ne reste pas lettre morte ! Je ne saurais en faire une lettre ouverte à ceux qui peinent à faire divers deuils. Mais, croyez-moi, ce texte est écrit en lettres de feu. Comme pour les lettres d'abolition, sa lecture est salutaire, pour moi en tout cas.
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