AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

3.79/5 (sur 14 notes)

Nationalité : France
Né(e) : 1975
Biographie :

Lionel Ruffel est maître de conférences de littérature générale et comparée à l’Université Paris VIII "Vincennes-Saint-Denis".

Lionel Ruffel est par ailleurs directeur scientifique des programmes parisiens de Boston University, pour qui il a notamment élaboré le "Program in Contemporary Studies" et le "London-Paris Art and Architecture Summer Program".

Il a fondé et codirigé (2000-2007) la revue électronique de littérature "Chaoïd" et co-dirige la collection "Chaoïd" des éditions Verdier.

Il est membre fondateur du collectif "L'école de littérature".





Source : editions-verdier.fr
Ajouter des informations
Bibliographie de Lionel Ruffel   (6)Voir plus

étiquettes
Videos et interviews (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de

Vendredi 9 août 2019, dans le cadre du banquet d'été "Transformer, transfigurer" qui s'est déroulé à Lagrasse du 2 au 9 août 2019, Lionel Ruffel tenait la conférence "L'épreuve du feu" Rien ne transforme plus que le feu et les fictions. Et peut-être les fictions ne sont-elles qu'une manière de conjurer la puissance terrifiante du feu, la puissance qu'a acquise celui qui l'a domestiqué. Comme toute domestication, celle-ci est réversible et entraîne une dépendance. Domestiqués par le feu, les anciens formaient des cercles narratifs autour du foyer pour tromper la nuit, qui jusque-là, leur imposait ses rythmes. Puis l'on s'est mis à tracer des lignes, écritures, codes, frontières, voies de circulation et d'échange et ces lignes ont produit une immense accélération, une propulsion, une incandescence. Le feu est désormais partout, il nous appartient d'en faire l'épreuve

+ Lire la suite

Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Un enjeu, fabuler l’histoire. Un lieu, l’œuvre-monde. Une dynamique, les dispositifs fictionnels. Il manque quelque chose à cette description : les Breughel, Will Scheidmann, Golpiez, Dondog, ces figures, ces personnages qui forment le personnel post-exotique. Ou plutôt le peuple post-exotique car on suivra bien volontiers Gilles Deleuze lorsqu’il déclare que la fabulation a pour fonction d’inventer un peuple qui manque. L’œuvre de Volodine développe particulièrement cette notion que le mot post-exotisme, une fois encore, définit. Découvrir dans la représentation une organisation sociale complexe et parfaitement repérable renverrait cependant trop à un naturalisme rejeté de toutes parts. On y chercherait en vain un reflet de la réalité contemporaine ou une vision sociologique. Les enjeux chez Volodine sont certainement ailleurs et touchent à nouveau l’histoire du vingtième siècle, l’esthétique, la politique, le passé, le présent et le futur. Il serait tout aussi difficile de repérer, du moins clairement, ce qui est apparu lors de ce tournant de siècle comme ce qui reste des pensées du commun et plus particulièrement du communisme. On sent bien dans les publications récentes que les penseurs attachés au marxisme font d’une pensée de la communauté l’objectif majeur d’une réflexion qui se développe après la défaite des "socialismes réels". La communauté est à leurs yeux (pour emprunter une expression de Volodine) "ce qui reste quand il ne reste rien" ("Des anges mineurs"). (…)
(Le peuple post-exotique) ne s’inscrit ni dans une vision sociologique, ni dans une vision ontologique et substantialiste. Il est ailleurs, évidemment. Mais cet ailleurs n’est pas sans rapport avec notre humanité ; ni sans relation avec les données politiques du vingtième et du vingt-et-unième siècles. C’est l’originalité de cette vision de l’individu et du collectif, des singularités et de la communauté, bref du peuple, que je me propose d’étudier dans ce dernier chapitre.
Commenter  J’apprécie          10
e la lecture de Volodine, il reste cela : cette multiplication horizontale, cet excès, cette impression de débordement. Mais pas seulement. L’inverse se rencontre aussi : des images très précises, saisies dans leur singularité avec une acuité parfois extrême. Loin de s’opposer à la première impression, celle-ci la complète. Et de même qu’on évoque parfois le "feuilleté" de "Lisbonne dernière marge", la forme interrogatoire suffit à emblématiser cette œuvre. L’affrontement de Golpiez et de Gonçalves ("Le nom des singes"), celui de Breughel et de Kotter ("Le port intérieur") mais aussi la posture de Will Scheidmann accroché à son poteau d’exécution ("Des anges mineurs"), celle de Breughel collé à sa planche (dans "Nuit blanche en Balkhyrie" cette fois-ci), le dépeçage de tortues durant les séances de tortures (l’effet paronomastique jouant à plein, "Le nom des singes") mais aussi et pourquoi pas cette phrase liminaire "Rue de l’Arsenal, à Lisbonne, les potences abondent" ("Lisbonne dernière marge"), tout cela constitue ce que la tradition littéraire a repéré depuis fort longtemps comme des "scènes". Et comme c’est toujours le cas, ces scènes produisent des images rémanentes, qui nous hantent bien plus longtemps que la conduite narrative, fût-elle virtuose ou chaotique (les deux termes n’étant pas opposés). Rien de bien étonnant, pourrait-on dire, pour une œuvre romanesque. Il faut cependant repérer et mentionner quelques éléments qui vont mettre au jour une singularité. La théâtralité et l’iconicité sont omniprésentes dans cette œuvre ; elles le sont à un point tel qu’elles peuvent en être considérées comme les régimes ou les logiques dominants. La dimension discursive y est généralement perturbée par la production d’images qu’assure la multiplication de ces scènes. C’est cette extrême récurrence, qui permet de comprendre le régime de fiction propre à l’œuvre de Volodine, sur lequel je vais m’arrêter.
Commenter  J’apprécie          10
« Il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île. »
Cette phrase, quand l’ai-je lue pour la première fois ? Il y a vingt ans probablement. Je ne me souviens pas du jour ni de l’heure, ni des conditions dans lesquelles je l’ai découverte. Pourtant j’ai su instantanément qu’elle serait ma phrase préférée. Je ne saurais dire quel est mon film préféré ni mon livre préféré, pas même mon album ou ma série préférés, et surtout pas mon plat préféré. Mais je connais ma phrase : « Il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île. » C’est un sentiment étrange et puissant lorsqu’on la reconnaît, vous devriez essayer, c’est comme si tout en nous résonnait. Il y a quelque chose du doudou dans la phrase préférée, on sait qu’on peut toujours compter sur elle, on gagne en stabilité, on peut y recourir dès que le besoin se fait sentir de la faire résonner à nouveau. Et c’est mieux qu’un doudou, car on n’a pas à s’en séparer. Pour toujours, I mean, forever.
J’aime tout, dans cette phrase. Particulièrement, mais pas seulement, la radicalité de son excès, et exactement dans le même temps, la radicalité de sa simplicité. Tout y est en tension, surtout l’espace et le temps, le réel si l’on veut ; et c’est en quelques mots très doux, très contrôlés, très cadrés, que cela se passe. On y lit l’inouï de ce que peut le langage, de ce que peuvent la ponctuation et la conjugaison. Cette virgule après le conditionnel, voyez-vous, rien n’y contraint sinon d’insister sur la folie du conditionnel qui n’est rien d’autre que celle du langage, de la fiction et de l’humanité. Jamais ferme à processeurs produisant des bitcoins en Islande (« il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île ») ne parviendra à la promesse technologique de cette virgule.
Mais à l’autre bout du monde, là-bas, ça finit souvent mal, et même très mal, que ce soit sur W, l’île inventée par Georges Perec, l’auteur de cette phrase, ou dans les fermes islandaises. On commence alors à redouter les virgules, les conditionnels, leurs prouesses technologiques. Mais rien à faire, et malgré la peur, on ne peut quand même pas s’en passer, ça continue à résonner, tout est plus clair lorsqu’on lit cette phrase. « Il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île. » Ça résonnait à Tarnac en 2008, ça résonne à Florence en 1348 ou à Königsberg en 1795, ça résonne dans la chambre nuptiale de Shahryar et de Shéhérazade, ça résonne en after dans les années quatre-vingt-dix du vingtième siècle, ça résonne en janvier 2017 dans cette ancienne imprimerie où nous nous retrouvions alors.
Un an plus tard, j’ai souhaité vous y conduire vous aussi. Pour reprendre là où nous nous étions arrêtés avec vos prédécesseurs l’année dernière : ressentir à nouveau cela, cette résonance, refaire un cercle, recommencer et voir où ça nous mène. Installez-vous.
Ça ne résonne pas exactement pareil, mais toujours on retrouve ces mêmes étapes : fin d’un monde, départ, dope ou fiction partagée, commune. « Escapism ? » Si on veut, en tout cas si on ne voit pas plus loin que le bout présent de ses pieds. Scénario anthropologique plutôt, sécessionnisme, qui traverse l’histoire des fictions et des communautés humaines et qui se présente à nous, à nouveau, avec une intensité rarement atteinte. Il se laisse résumer ainsi : « Il y aurait là-bas, à l’autre bout du monde, une île. » Il se répète et devient obsédant. On ne voit plus que lui, derrière les lignes et les images. On ne voit plus que lui dans les zones à défendre, les zones d’autonomie temporaire, les cabanes, les communes, les raves, chez nos amis ; dans les camps et les jungles subis et parfois réinventés ; mais aussi chez nos ennemis, sur leurs îles artificielles et bientôt sur Mars. On ne voit plus que lui dans le cercle narratif du samar, au beau milieu du désert, ou auprès d’un foyer réconfortant, on ne voit plus que lui dans les théâtres, les salles de projection, les lieux de culte et ici même dans cette ancienne imprimerie où nous avons trouvé refuge ; et c’est encore lui qui se trame dans ces objets addictifs et souvent rectangulaires que sont nos livres ou nos écrans. On ne voit peut-être que lui, mais on n’y voit pas beaucoup plus clair.
Commenter  J’apprécie          00
Écrire cette histoire qui ne passe pas, la collaboration, le nazisme, le stalinisme, les camps, l’horreur du vingtième siècle sont des préoccupations qui dépassent l’œuvre de Volodine. La dernière décennie du siècle fut en un sens obsédée par cette mémoire traumatique. La littérature l’exprima, comme les sciences humaines, renouvelant avec ce geste une pratique que la génération précédente avait un peu délaissée. Ce siècle s’achevant, la pensée et la littérature ne cessent de revenir sur ces traumas, sortes de scènes originelles, de taches aveugles sur lesquelles elles se construisent. Alors que la confrontation avec l’histoire, et particulièrement celle qui ne passe pas, est une des origines de l’œuvre de Volodine, elle n’intègre curieusement jamais les corpus d’étude sur ces thèmes. Pourquoi ? Car face aux mêmes événements, Volodine choisit une posture proche du délire et refuse toute vraisemblance référentielle, alors que le paradigme de l’enquête informe les textes contemporains affrontant l’histoire. Son imaginaire paranoïaque s’oppose à bien des égards à une recherche de vérité qui se sait vouée à l’échec. L’imaginaire, le délire, la folie, la fiction "fictionnante", l’étrangement font l’originalité de cette œuvre et peuvent être saisis par un terme qui a le mérite de désigner dans le même temps un effet littéraire et son origine presque clinique : la fabulation, qu’on doit différencier de la fable ou de la simple fiction et comprendre comme une fiction à effet de fiction.
Commenter  J’apprécie          10
L’œuvre d’Antoine Volodine jouit d’un privilège rare : elle est inactuelle et pour une part infréquentable. Et comme d’autres œuvres inactuelles et infréquentables, on la trouve pourtant exemplaire et on aime sa fréquentation. L’histoire littéraire est peut-être ainsi faite que chaque période engendre ses monstres, marginaux et révélateurs. Ils portent souvent un nom, Maldoror ou Zarathoustra, qui dit tout à la fois leur irréductibilité au temps, et la coloration qu’ils lui ont donné. Le "post-exotisme" pourrait être un de ces noms, un nom de monstre, engendré par l’époque, et qui nous la fait voir, selon une étymologie bien connue.
La lecture des monstres dérange et provoque parfois des malentendus. Leur étrangeté peut les exclure du système de reconnaissance. Cette exclusion ne résiste pas au temps car s’il va de soi qu’une époque s’étudie grâce à des phénomènes de régularité, elle se comprend aussi par les phénomènes de rareté. Il faut être attentif aux monstres bien que l’époque ne les aime plus guère. Leur étude est un défi, car il faut toujours tenir ce rapport de la singularité et de l’exemplarité, et toujours tenir que l’exemplarité se mesure à force de singularité. Le post-exotisme pourrait beaucoup dire du temps présent, nous le dire sans vraiment nous en parler, de manière oblique.
Commenter  J’apprécie          10
L’enquête s’achève, la méthode se précise. D’un Foucault à l’autre si j’ose dire : du Foucault de l’histoire générale, celle de la dispersion, au Foucault des hétérotopies, qui dans un temps de multiplication des simultanéités propose de pratiquer la juxtaposition spatiale et le montage plutôt que la discursivité monologique. Plus la prégnance du contemporain est forte, plus notre conscience du réel se spatialise, moins elle s’inscrit dans le temps. Le contemporain n’est pas le terminus de l’histoire linéaire mais sa contradiction. Cette proposition de Foucault était aussi celle, légèrement différente, de Benjamin. Mais elles sont restées, l’une comme l’autre, très largement minoritaires. Non discursivement, mais en pratique. Certes, on glose et on glose à partir de Foucault et de Benjamin, mais avec les ressources de l’histoire orthodoxe. On vante beaucoup l’hétérodoxie dans de grands traités parfaitement linéaires et monologiques. C’est qu’on ne se débarrasse pas comme cela de l’historicisme. Le contemporanéisme, qui est l’inverse de l’historicisme, demande des pas de côté. Ces pas de côté, on les trouve plus volontiers ailleurs, dans les marges de l’écriture de l’histoire.
Commenter  J’apprécie          10
Faire exister en deçà de l’œuvre un contexte romanesque implique une stratégie littéraire qui pense et intègre le dehors de l’œuvre. Intégrer est un terme excessif qui relève de la réception et de la recherche d’effets. Car du côté de la production, il s’agit moins d’intégrer le hors-texte que de lui affecter les mêmes signes qu’au texte, des signes de "fictionnalité". Il s’agit donc de les situer sur un même régime d’existence. Mais que désigne-t-on par hors-texte ? Les romans de Volodine traitent de manière très singulière cette zone stratégique, en ce qu’elle délimite texte et hors-texte, qu’à la suite de Gérard Genette on peut appeler le paratexte ou les seuils du texte. Volodine les a fictionnalisés avec insistance pour réduire à l’extrême l’expression d’un dehors du post-exotisme cependant que le post-exotisme s’affirme grâce à ce geste comme dehors, c’est-à-dire comme monde, comme univers. Reprenant la seule métaphore qui s’impose, disons que l’univers post-exotique apparaît grâce à cela comme un iceberg, dont les romans publiés constituent la partie visible. Apparaît ou est, le simple doute consacrant la réussite de l’entreprise.
Commenter  J’apprécie          10
On le voit, s’il existe un discours qui tente de réduire à néant ce que fut le XXe siècle, bien des œuvres de pensée, bien des œuvres romanesques se rejoignent sur la nécessité de les inscrire dans cette histoire. Il ne s’agit pas, loin s’en faut, de revenir à une conception de l’histoire que seul le progrès ou la passion du nouveau déterminent mais de s’appuyer sur une bibliothèque et sur un monde pour renouveler l’histoire des formes. Car là encore, il faut répéter que l’époque n’est pas inférieure aux autres, que son sens n’est pas totalement atomisé (qu’autour du mot « dénouement », une telle constellation se dessine suffit à le prouver) et qu’il existe des visibilités historiques qui apparaissent pour peu qu’on veuille les voir. Parmi ces visibilités, une des plus importantes semble se dessiner autour du mot « fin », qu’il ne faut pas isoler mais accompagner de tous les autres noms qui le supposent : deuil, héritage, histoire, nouveau, renouvellement, naissance, etc. Cette série construit un nom, « le dénouement » qui, pour paraphraser Jean-Claude Milner, sténographie la fin du XXe siècle.
Commenter  J’apprécie          10
Ne sont-ils pas amusants ces socio-démocrates du Trecento, avec leurs herbes odoriférantes brandies devant la mortelle pestilence ? Ils veulent continuer, les pauvres, comme si de rien n’était, en espérant, on ne sait trop comment, que ça finira bien par se résoudre. Ce sont les apôtres du business as usual. Alors que d’autres, enfin, ont parfaitement compris qu’ « il n’y avait pas de meilleure médecine, ni même d’aussi bonne, contre les pestilences, que de fuir devant elles ». On ne peut pas leur donner tort. Ah si, on peut bien sûr, on peut leur donner tort lorsqu’ils ne se soucient « de rien sinon d’eux-mêmes » et qu’ils abandonnent tout, « leur propre cité, leurs propres maisons, leurs domaines, leurs parents et leurs biens ». Après eux le déluge ! Les voilà enfin les tenants du sécessionnisme, et on sait ce que ça a donné en ce premier vingt et unième siècle, ces fanatiques qui s’installèrent dans des îles (« il y aurait là-bas, à l’autre bout du monde, une île ») au large d’une Silicon Valley qu’ils avaient détruite, en même temps que le reste du monde. Là, encombrés de leurs milliards, ils auraient pu goûter aux boissons et aux mets les plus fins, s’ils disposaient encore d’un corps et d’affects mais non eux ne souhaitaient plus même tromper la mort, ces fous, ils voulaient l’annuler. Plus rien ne les intéressait qu’eux-mêmes, transformés en hyper-individus cosmiques qu’aucun attachement à une commune humanité ne reliait encore.
Ils souhaitaient en finir avec l’humanité littéraire dont ce musée porte un témoignage, mes amis, cette humanité fondée par des liens et des attachements, cette humanité que la mortelle pestilence a ravagée. Et si le sécessionnisme m’a toujours fasciné, ce n’est pas à eux que je le dois, non, ils me font horreur alors qu’un autre sécessionnisme est possible. Je pense par exemple à ces petits groupes se détachant d’une plus large communauté pour faire bande à part, un peu comme dans un film de Takeshi Kitano. On y voit des bandes d’éclopés de la vie qui ne choisissent même pas vraiment de faire un bout de chemin ensemble, mais se retrouvent là par hasard, sur un chemin qui les mène à une plage, où ils commencent à jouer à un jeu d’échecs à taille humaine, et c’est tellement beau qu’on aimerait être avec eux, sur la plage abandonnés. Non je ne dois rien aux transhumanistes. Si le sécessionnisme me fascine, c’est que j’ai été biberonné à une autre de ses formes, lorsqu’on a traversé la nuit et atteint le point du jour, lorsque les substances nous ont aidés à suspendre le cours d’un temps qui pourrait durer mille et une années – en after. Cette suspension ne tient qu’à un fil si j’ose dire, le fil de nos liens, des liens temporaires et fragiles. C’est cela qu’on recherche, plus encore que la drogue, et si c’est la drogue qu’on recherche, alors rien ne va plus. Ce que j’aime, c’est le temps suspendu, la mort que l’on trompe, et ce sécessionnisme-là n’a rien à voir avec ceux qui veulent l’annuler, la mort, ces Prométhée de pacotille.
Commenter  J’apprécie          00
Mais poursuivons notre visite. Cette fresque a une jumelle, qui la re-cadre, dé-cadre, comme diraient les occupants, en plaçant notamment en son centre le mot « procès » et surtout en accentuant le mot « virus », inscrit en très gros, aussi gros que le mot « formes » dans la première fresque, et en miroir, le mot « flux » repéré à plusieurs reprises. Comme si, au final, pour les occupants qui vous précédèrent, pour leur action, tout se jouait entre ces mots-là, virus, flux, formes, reprenant la trame d’une histoire qu’on retrouvera ailleurs, dans Le Décaméron de Boccace ou les textes du Comité invisible.
Si je m’autorise une note personnelle, je dois reconnaître un goût particulier pour la dernière fresque que nous découvrons enfin, à la fois plus iconophile et plus iconoclaste. On passera vite, voulez-vous, sur certains détails de la fresque pour nous attarder sur son trope dominant : le feu. Le feu partout, dessiné et écrit, prenant dans les arbres ou sur le bout incandescent d’une allumette, le feu apaisant du foyer et celui, effrayant, de l’incendie. La fresque joue de cette dichotomie entre maladie et guérison, feu et contre-feu, qui travaille les occupants.
Le risque, c’est la brûlure, du premier au dixième degré. Mais ces dix degrés sont aussi les dix étapes d’un manuel qui nous est offert et qu’il nous appartient de réinvestir. Car si la fin, la disparition, l’extinction semblent omniprésentes, et annoncées par cette inscription que je n’avais pas encore remarquée mais qui tout à coup me paraît bien significative : « or perish », « ou périr », le désir de survivre n’est pas moins fort, le désir de vivre malgré les virus, ou avec eux, malgré les flux ou avec eux.
« Trompe-la-mort », lit-on enfin, ici on trompe la mort, on la sait inévitable, on parle depuis elle, on parle déjà mort, mais depuis trois-quatre mille ans qu’on sait l’extinction inévitable, on sait aussi la tromper, on sait lui faire face, on sait la déjouer, c’est presque devenu instinctif : on reforme des liens perdus ou imaginaires, on se met à plusieurs, comme alors et comme aujourd’hui, et on se raconte des histoires. Voilà pourquoi nous sommes réunis. Mais ne croyez pas que c’est un petit truc sympa, blablabla, on se raconte des histoires, c’est mignon ces humains qui croient guérir d’eux-mêmes en se racontant des histoires. On ne met pas de pansements sur une écorchure.
Commenter  J’apprécie          00

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Lionel Ruffel (20)Voir plus

¤¤

{* *}