Les démocraties de l'Ouest se font apparemment une tradition de trahir leurs amis ; les régimes de l'Est se créent une obligation de les dévorer . Entre les deux , nous avons à faire une Europe qui ne sera ni celle des menteurs , ni celle des esclaves . Car il faut faire sans doute une Europe , on a raison de nous le dire au sénat américain . Simplement , nous ne voulons pas de n'importe quelle Europe . Accepter de bâtir une Europe avec les généraux criminels de l'Allemagne et le général rebelle Franco serait accepter l'Europe des renégats . Et après tout , si c'est cette Europe-là que veulent les démocraties de l'Ouest , il leur était facile de l'avoir . Hitler a tenté de la bâtir , y a presque réussi ; il suffisait de se mettre à genoux , et l'Europe idéale aurait été bâtie sur les os et les cendres des hommes libres assassinés . Les hommes d' Occident n'ont pas voulu cela . Ils ont lutté de 1936 à 1945 , et des millions sont morts ou ont agonisé dans la nuit des prisons , pour que l'Europe et sa culture restent un espoir et gardent un sens . Si certains ont oublié cela aujourd'hui , nous ne l'avons pas oublié . L'Europe est d'abord une fidélité . C'est pourquoi nous sommes ici ce soir . ( 12 avril 1951 , salle Saulnier , réunion organisée par " les amis de la République espagnole ) .
Je crois que la violence est inévitable. Je dis qu'il faut refuser toute légitimation de la violence. Elle est à la fois nécessaire et injustifiable.
Qui écoute Camus vraiment ? certainement pas la classe politique au pouvoir ni la classe des intellectuels officiels au service du pouvoir . Ils poursuivent tous un autre projet : détourner le message de Camus , le déradicaliser , le réduire au seul fait d'avoir dénoncé les états communistes d'Europe de l'Est pendant la guerre froide bien avant eux-mêmes , autrement dit d'en faire un brave soldat de la démocratie occidentale telle qu'elle était , qu'elle est et qu'ils voudraient qu'elle demeure pour l'éternité . Ils veulent s'emparer de Camus et de son héritage intellectuel , que Camus devienne leur philosophe .
Vider Camus de tout son message , de ses principes , camoufler la vérité sur ses convictions politiques , bref , tout simplement mentir .
Faites-le , mais ne comptez pas sur nous , les lecteurs qui ont intérêt à parler du vrai Camus , sur les compagnons de doute de Camus : les libertaires , les objecteurs de conscience , les anarchistes non-violents , les syndicalistes révolutionnaires et les anticolonialistes écartés ( les seuls à posséder la mémoire des vaincus ) . C'est même notre tâche de ne pas vous laisser faire . C'est à nous d'entamer la lutte intellectuelle et publique pour que soit reconnu ce que Camus signifie aujourd'hui pour la mouvance ouvrière et altermondialiste occupée à construire une société à la fois socialiste et libertaire
La liberté, c'est l'affaire des opprimés, et ses protecteurs traditionnels sont toujours sortis des peuples opprimés.