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4.2/5 (sur 10 notes)

Nationalité : Canada
Né(e) à : Montréal , 1940
Biographie :

Etudes à L'Université McGill, l'Université de Montréal et à l'Université de Stanford en Californie.
Il est détenteur d'un baccalauréat en Génie électrique, d'une maîtrise en Sciences économiques et d'un doctorat en Sciences économiques de l'UQAM.
Ses publications : L'économie capitaliste : une analyse marxiste aux Presses socialistes internationales, Economie mondiale et impérialisme, Les limites du partenariat, Fondements et limites du capitalisme, Le néolibéralisme à la Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM.
Il termine sa carrière en juillet 2001, au poste de 1er vice-président du SPUQ.

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Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
Refus global
Rejetons de modestes familles canadiennes françaises, ouvrières ou petit bourgeoises, de l’arrivée du pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur, par attachement arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités.
Colonie précipitée dès 1760 dans les murs lisses de la peur, refuge habituel des vaincus ; là, une première fois abandonnée. L’élite reprend la mer ou se vend au plus fort. Elle ne manquera plus de le faire chaque fois qu’une occasion sera belle.
Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l’écart de l’évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l’histoire quand l’ignorance complète est impraticable.
Petit peuple issu d’une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre l’invasion, de toutes les congrégations de France et de Navarre, en mal de perpétuer en ces lieux bénis de la peur (c’est-le-commencement-de-la-sagesse !) le prestige et les bénéfices du catholicisme malmené en Europe. Héritières de l’autorité papale, mécanique, sans réplique, grands maîtres des méthodes obscurantistes nos maisons d’enseignement ont dès lors les moyens d’organiser en monopole le règne de la mémoire exploiteuse, de la raison immobile, de l’intention néfaste.
Petit peuple qui malgré tout se multiplie dans la générosité de la chair sinon dans celle de l’esprit, au nord de l’immense Amérique au corps sémillant de la jeunesse au cœur d’or, mais à la morale simiesque, envoûtée par le prestige annihilant du souvenir des chefs-d’œuvre d’Europe, dédaigneuse des authentiques créations de ses classes opprimées.
Notre destin sembla durement fixé.
Des révolutions, des guerres extérieures brisent cependant l’étanchéité du charme, l’efficacité du blocus spirituel.
Des perles incontrôlables suintent hors des murs.
Les luttes politiques deviennent âprement partisanes. Le clergé contre tout espoir commet des imprudences.
Des révoltes suivent, quelques exécutions capitales succèdent. Passionnément les premières ruptures s’opèrent entre le clergé et quelques fidèles.
Lentement la brèche s’élargit, se rétrécit, s’élargit encore.
Les voyages à l’étranger se multiplient. Paris exerce toute l’attraction. Trop étendu dans le temps et dans l’espace, trop mobile pour nos âmes timorées, il n’est souvent que l’occasion d’une vacance employée à parfaire une éducation sexuelle retardataire et à acquérir, du fait d’un séjour en France, l’autorité facile en vue de l’exploitation améliorée de la foule au retour. À bien peu d’exceptions près, nos médecins, par exemple, (qu’ils aient ou non voyagé) adoptent une conduite scandaleuse (il-faut-bien-n’est-ce-pas-payer-ces-longues-années-d’études!)
Des œuvres révolutionnaires, quand par hasard elles tombent sous la main, paraissent les fruits amers d’un groupe d’excentriques. L’activité académique a un autre prestige à notre manque de jugement.
Ces voyages sont aussi dans le nombre l’exceptionnelle occasion d’un réveil. L’inviable s’infiltre partout. Les lectures défendues se répandent. Elles apportent un peu de baume et d’espoir.
Des consciences s’éclairent au contact vivifiant des poètes maudits: ces hommes qui, sans être des monstres, osent exprimer haut et net ce que les plus malheureux d’entre nous étouffent tout bas dans la honte de soi et la terreur d’être engloutis vivants. Un peu de lumière se fait à l’exemple de ces hommes qui acceptent les premiers les inquiétudes présentes, si douloureuses, si filles perdues. Les réponses qu’ils apportent ont une autre valeur de trouble, de précision, de fraîcheur que les sempiternelles rengaines proposées au pays du Québec et dans tous les séminaires du globe.
Les frontières de nos rêves ne sont plus les mêmes.
Des vertiges nous prennent à la tombée des oripeaux d’horizons naguère surchargés. La honte du servage sans espoir fait place à la fierté d’une liberté possible à conquérir de haute lutte.
Au diable le goupillon et la tuque! Mille fois ils extorquèrent ce qu’ils donnèrent jadis.
Par delà le christianisme nous touchons la brûlante fraternité humaine dont il est devenu la porte fermée.
Le règne de la peur multiforme est terminé.
Dans le fol espoir d’en effacer le souvenir je les énumère:
peur des préjugés — peur de l’opinion publique — des persécutions — de la réprobation générale
peur d’être seul sans Dieu et la société qui isole très infailliblement
peur de soi — de son frère — de la pauvreté
peur de l’ordre établi — de la ridicule justice
peur des relations neuves
peur du surrationnel
peur des nécessités
peur des écluses grandes ouvertes sur la foi en l’homme — en la société future
peur de toutes les formes susceptibles de déclencher un amour transformant
peur bleue — peur rouge — peur blanche : maillon de notre chaine.
Du règne de la peur soustrayante nous passons à celui de l’angoisse.
Il aurait fallu être d’airain pour rester indifférents à la douleur des partis-pris de gaieté feinte, des réflexes psychologiques des plus cruelles extravagances : maillot de cellophane du poignant désespoir présent (comment ne pas crier à la lecture de la nouvelle de cette horrible collection d’abat-jour faits de tatouages prélevés sur de malheureux captifs à la demande d’une femme élégante; ne pas gémir à l’énoncé interminable des supplices des camps de concentration; ne pas avoir froid aux os à la description des cachots espagnols, des représailles injustifiables, des vengeances à froid). Comment ne pas frémir devant la cruelle lucidité de la science.
À ce règne de l’angoisse toute puissante succède celui de la nausée.
Nous avons été écœurés devant l’apparente inaptitude de l’homme à corriger les maux. Devant l’inutilité de nos efforts, devant la vanité de nos espoirs passés.
Depuis des siècles les généreux objets de l’activité poétique sont vouée à l’échec fatal sur le plan social, rejetés violemment des cadres de la société avec tentative ensuite d’utilisation dans le gauchissement irrévocable de l’intégration, de la fausse assimilation.
Depuis des siècles les splendides révolutions aux seins regorgeant de sève sont écrasées à mort après un court moment d’espoir délirant, dans le glissement à peine interrompu de l’irrémédiable descente :
les révolutions françaises
la révolution russe
la révolution espagnole
dans une mêlée internationale malgré les vœux impuissants de tant d’âmes simples du monde.
encore, la fatalité fut plus forte que la générosité.
pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs, aux faussaires, aux fabricants d’objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat, aux calculateurs, aux faux guides de l’humanité, aux empoisonneurs des sources vives.
pas avoir la nausée devant notre propre lâcheté, notre impuissance, notre fragilité, notre incompréhension. Devant les désastres de notre amour… En face de la constante préférence accordée aux chères illusions contre les mystères objectifs.
est le secret de cette efficacité de malheur imposée à l’homme et par l’homme seul, sinon dans notre acharnement à défendre la civilisation qui préside aux destinées des nations dominantes.
États-Unis, la Russie, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne: héritières à la dent pointue d’un seul décalogue, d’un même évangile.
religion du Christ a dominé l’univers. Vous voyez ce qu’on en a fait: des fois sœurs sont passées à des exploitations sœurettes.
les forces précises de la concurrence des matières premières, du prestige, de l’autorité et elles seront parfaitement d’accord. Donnez la suprématie à qui il vous plaira, et vous aurez les mêmes résultats fonciers, sinon avec les mêmes arrangements des détails.
Toutes sont au terme de la civilisation chrétienne.
La prochaine guerre mondiale en verra l’effondrement dans la suppression des possibilités de concurrence internationale.
Son état cadavérique frappera les yeux encore fermés.
La décomposition commencée au XIVe siècle donnera la nausée aux moins sensibles.
Son exécrable exploitation, maintenue tant de siècles dans l’efficacité au prix des qualités les plus précieuses de la vie, se révélera enfin à la multitude de ses victimes: dociles esclaves d’autant plus acharnés à la défendre qu’ils étaient plus misérables.
L’écartèlement aura une fin.
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Le supplice de Nin, écrit Hernandez, commença par le procédé "sec". Une persécution implacable pendant 10, 20, 30 heures durant lesquelles se relaient les bourreaux, posant toujours les mêmes questions : "Avouez", "reconnaissez" [...] "c'est mieux pour vous", et les conseils, les menaces les insultes [...]
C'est un procédé scientifique qui tend à détruire l'énergie mentale de l'individu, à le démoraliser. Peu à peu, la fatigue physique le terrasse, l'absence de sommeil émousse ses sens, sa volonté s'effrite. On le fait se tenir debout pendant des heures et de heures, sans lui permettre de s'asseoir jusqu'à ce qu'il chancelle, coupé en deux par des maux de reins insupportables. Lorsqu'il arrive à ce point de fatigue, le corps s'alourdit terriblement et les vertèbres cervicales se refusent à soutenir la tête [...]
Les pieds gonflent et un épuisement mortel s'empare de l'être exténué qui ne souhaite plus qu'une chose : fermer les yeux, oublier son existence et celle du monde entier. Quand il est matériellement impossible de continuer "l'interrogatoire", on traîne le prisonnier jusqu'à sa cellule. On le laisse tranquille pendant quelques minutes, juste ce qu'il faut pour lui permettre de retrouver un peu son équilibre mental et de commencer à prendre conscience de ce qu'il y a d'insoutenable dans la prolongation de son supplice [...]
Au bout de 20 à 30 minutes de repos, la séance reprend... chaque minute est une éternité de souffrance. Le prisonnier vacille, titube. Il ne discute plus, ne se défend plus, ne réfléchit plus ; il veut seulement qu'on le laisse dormir, reposer, s'asseoir. Et les jours et les nuits se succèdent. Il sait qu'il lui est impossible de sortir vivant des griffes de ses bourreaux, et tout son être se concentre sur un ultime désir : vivre en paix ses dernières heures, ou être achevé le plus tôt possible.

Andrés Nin, cependant, résistait d'une façon incroyable [...]
Aucun signe de cette déroute mentale amena quelques-uns des vieux collaborateurs de Lénine à l'abdication inouïe de toute volonté [...] à se couvrir d'infamie, sans oser proférer la moindre accusation contre celui qui étranglait la révolution [...]. Nin ne capitula pas... Ses bourreaux s'impatientaient. Ils décidèrent [...] de passer à l'épreuve de "fermeté" : la peau arrachée, les muscles déchirés, la souffrance physique poussée jusqu'à l'ultime limite de la résistance humaine. Nin supporta la torture et la douleur des tourments les plus raffinés. Au bout de quelques jours, son visage n'était plus qu'une masse informe de chairs tuméfiées. Orlov, frénétique, affolé par la peur du scandale qui pouvait signifier sa propre liquidation, bavait de rage devant cet homme malade qui agonisait sans "avouer" et sans dénoncer ses camarades de parti.


Jesus Hernandez, extrait de "La grande trahison", paru en 1953. Pages 103-107
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Le totalitarisme a étouffé la liberté de pensée à un point encore jamais vu [...] [Il] ne se contente pas de vous interdire d'exprimer - et même de concevoir - certaines pensées : il vous dicte ce que vous devez penser, il crée l'idéologie qui sera la vôtre, il s'efforce de régenter votre vie émotionnelle et d'établir pour vous un code de comportement. Il met tout en oeuvre pour vous isoler du monde extérieur, vous enfermer dans un monde artificiel où vous n'avez plus aucun point de comparaison. L'Etat totalitaire régit, ou en tout cas essaie de régir, les pensées et les sentiments de ses sujets au moins aussi complètement qu'il régit leurs actes.

George Orwell

Page 160
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Refus global (2)
La décadence chrétienne aura entrainé dans sa chute tous les peuples, toutes les classes qu’elle aura touchées, dans l’ordre de la première à la dernière, de haut en bas.
Elle atteindra dans la honte l’équivalence renversée des sommets du XIIIe.
Au XIIIe siècle, les limites permises à l’évolution de la formation morale. des relations englobantes du début atteintes, l’intuition cède la première place à la raison. Graduellement l’acte de foi fait place à l’acte calculé. L’exploitation commence an sein de la religion par l’utilisation intéressée des sentiments existants immobilisés ; par l’étude rationnelle des textes glorieux au profit du maintien de la suprématie obtenue spontanément.
L’exploitation rationnelle s’étend lentement à toutes les activités sociales: un rendement maximum est exigé.
La foi se réfugie au cœur de la foule, devient l’ultime espoir d’une revanche, l’ultime compensation. Mais là aussi, les espoirs s’émoussent.
En haut lieu, les mathématiques succèdent aux spéculations métaphysiques devenues vaines.
L’esprit d’observation succède à celui de transfiguration.
La méthode introduit les progrès imminents dans le limité. La décadence se fait aimable et nécessaire: elle favorise la naissance de nos souples machines au déplacement vertigineux, elle permet de passer la camisole de force à nos rivières tumultueuses en attendant la désintégration à volonté de la planète. Nos instruments scientifiques nous donnent d’extraordinaires moyens d’investigation, de contrôle des trop petits, trop rapides, trop vibrants, trop lents ou trop grands pour nous. Notre raison permet l’envahissement du monde, mais où nous avons perdu notre unité.
L’écartèlement entre les puissances psychiques et les puissances raisonnantes est près du paroxysme.
Les progrès matériels, réservés aux classes possédantes, méthodiquement freinés, ont permis l’évolution politique avec l’aide des pouvoirs religieux (sans eux ensuite) mais sans renouveler les fondements de notre sensibilité, de notre subconscient, sans permettre la pleine évolution émotive de la foule qui seule aurait pu nous sortir de la profonde ornière chrétienne.
La société née dans la foi périra par l’arme de la raison: L’INTENTION.
La régression fatale de la puissance morale collective en puissance strictement individuelle et sentimentale, a tissé la doublure de l’écran déjà prestigieux du savoir abstrait sous laquelle la société se dissimule pour dévorer à l’aise les fruits de ses forfaits.
Les deux dernières guerres furent nécessaires à la réalisation de cet état absurde. L’épouvante de la troisième sera décisive. L’heure H du sacrifice total nous frôle.
Déjà les rats européens tentent un pont de fuite éperdue sur l’Atlantique. Les évènements déferleront sur les voraces, les repus, les luxueux, les calmes, les aveugles, les sourds.
Ils seront culbutés sans merci.
Un nouvel espoir collectif naîtra.
Déjà il exige l’ardeur des lucidités exceptionnelles, l’union anonyme dans la foi retrouvée en l’avenir, en la collectivité future.
Le magique butin magiquement conquis à l’inconnu attend à pied d’œuvre. Il fut rassemblé par tous les vrais poètes. Son pouvoir transformant se mesure à la violence exercée contre lui, à sa résistance ensuite aux tentatives d’utilisation (après plus de deux siècles, Sade reste introuvable en librairie ; Isidore Ducasse, depuis plus d’un siècle qu’il est mort, de révolutions, de carnages, malgré l’habitude du cloaque actuel reste trop viril pour les molles consciences contemporaines).
Tous les objets du trésor se révèlent inviolables par notre société. Ils demeurent l’incorruptible réserve sensible de demain. Ils furent ordonnés spontanément hors et contre la civilisation. Ils attendent pour devenir actifs (sur le plan social) le dégagement des nécessités actuelles.
D’ici là notre devoir est simple.
Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, se désolidariser de son esprit utilitaire. Refus d’être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rende, de la reconnaissance due. Refus d’un cantonnement la seule bourgade plastique, place fortifiée mais facile d’évitement. Refus de se taire — faites de nous ce qu’il vous plaira mais vous devez nous entendre — refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti) : stigmates de la nuisance, de l’inconscience, de la servilité. Refus de servir, d’être utilisables pour de telles fins. Refus de toute INTENTION, arme néfaste de la RAISON. À bas toutes deux, au second rang !
Place a la magie ! Place aux mystères objectifs !
Place a l’amour !
Place aux nécessités !
Au refus global nous opposons la responsabilité entière.
L’action intéressée reste attachée à son auteur, elle est mort-née.
Les actes passionnels nous fuient en raison de leur propre dynamisme.
Nous prenons allégrement l’entière responsabilité de demain. L’effort rationnel, une fois retourné en arrière, il lui revient de dégager le présent des limbes du passé.
Nos passions façonnent spontanément, imprévisiblement, nécessairement le futur.
Le passé dut être accepté avec la naissances il ne saurait être sacré. Nous sommes toujours quittes envers lui.
Il est naïf et malsain de considérer les hommes et les choses de l’histoire dans l’angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l’homme présent. Certes, ces qualités sont hors d’atteinte aux habiles singeries académiques, mais elles le sont automatiquement chaque fois qu’un homme obéit aux nécessités profondes de son être ; chaque fois qu’un homme consent à être un homme neuf dans un temps nouveau. Définition de tout homme, de tout temps.
Fini l’assassinat massif du présent et du futur à coup redoublé du passé.
Il suffit de dégager, d’hier les nécessités d’aujourd’hui. Au meilleur demain ne sera que la conséquence imprévisible du présent.
Nous n’avons pas à nous en soucier avant qu’il ne soit.
RÈGLEMENT FINAL DES COMPTES
Les forces organisées de la société nous reprochent notre ardeur à l’ouvrage, le débordement de nos inquiétudes, nos excès comme une insulte à leur mollesse, à leur quiétude, à leur bon goût pour ce qui est de la vie (généreuse, pleine d’espoir et d’amour par habitude perdue).
Les amis du régime nous soupçonnent de favoriser la « Révolution ». les acquis de la « Révolution » de n’être que des révoltés: « … nous protestons contre ce qui est, mais dans l’unique désir de le transformer, non de le changer. »
Si délicatement dit que ce soit, nous croyons comprendre.
Il s’agit de classe.
On nous prête l’intention naïve de vouloir « transformer » la société en remplaçant les hommes au pouvoir par d’autres semblables. Alors, pourquoi pas eux, évidemment !
Mais c’est qu’eux ne sont pas de la même classe! Comme si changement de classe impliquait changement de civilisation, changement de désirs, changement d’espoir !
Ils se dévouent à salaire fixe, plus un boni de vie chère, à l’organisation du prolétariat; ils ont mille fois raison. L’ennui est qu’une fois la victoire bien assise, en plus des petits salaires actuels, ils exigeront sur le dos du même prolétariat, toujours, et toujours de la même manière, un règlement de frais supplémentaires et un renouvellement à long terme, sans discussion possible.
Nous reconnaissons quand même qu’ils sont dans la lignée historique. Le salut ne pourra venir qu’après le plus grand excès de l’exploitation.
Ils seront cet excès.
Ils le seront en toute fatalité sans qu’il y ait besoin de quiconque en particulier. La ripaille sera plantureuse. D’avance nous en avons refusé le partage.
Voilà notre « abstention coupable ».
À vous la curée rationnellement ordonnée (comme tout ce qui est au sein affectueux de la décadence) ; à nous l’imprévisible passion ; à nous le risque total dans le refus global.
(Il est hors de volonté que les classes sociales se soient succédées au gouvernement des peuples sans pouvoir autre chose que poursuivre l’irrévocable décadence. Hors de volonté que notre connaissance historique nous assure que seul un complet épanouissement de nos facultés d’abord, et, ensuite, un parfait renouvellement des sources émotives puissent nous sortir de l’impasse et nous mettre dans la voie d’une civilisation impatiente de naitre).
Tous, gens en place, aspirants en place, veulent bien nous gâter, si seulement nous consentions à ménager leurs possibilités de gauchissement par un dosage savant de nos activités.
La fortune est à nous si nous rabattons nos visières, bouchons nos oreilles, remontons nos bottes et hardiment frayons dans le tas, à gauche à droite.
Nous préférons être cyniques spontanément, sans malice.
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"Staline, qui, au cours des années 1930, avait sacrifié en Russie plus de dix millions de petits propriétaires pour appliquer une terrifiante collectivisation forcée, obligea les communistes espagnols [...] à la liquidation des collectivités et des coopératives agraires, au nom du maintien ou du rétablissement de la propriété privée. Et ces mêmes communistes, qui en 1931, avaient préconisé la création des soviets au moment de la proclamation de la République, lorsque s'ouvrait le processus de révolution démocratique, exigèrent la liquidation impitoyable des comités dans toute la zone républicaine, alors que nous assistions à une authentique révolution sociale." (Julian Gorkin, dans "les communistes contre la révolution espagnole", sorti en 1978, extrait de la page 79)

Page 74

Julian Gorkin (de son vrai nom Gomez) fut l'un des principaux dirigeants du POUM durant la guerre d'Espagne

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Après avoir rompu en 1940, non seulement avec le marxisme, mais avec la gauche en général, pour entreprendre une évolution qui le mènera jusqu'à la droite la plus extrême, Burnham publie en 1947 un ouvrage intitulé 'The Struglle for the World" (Pour la domination mondiale), recensé par Orwell dans un article publié la même année, dans lequel il révise entièrement la vision des choses qu'il a présentée dans ses deux ouvrages précédents. La découverte de la bombe atomique ayant bouleversé le rapport des forces à l'échelle mondiale, les Etats-Unis, à ses yeux, doivent prendre l'initiative d'établir un empire mondial. Pour la sauvegarde de la civilisation, il faut que les armes atomiques soient monopolisées par une seule puissance. Le nombre de super-Etats se réduisant désormais à deux, les Etats-Unis et l'URSS, tous les moyens doivent être pris pour assurer la domination sans équivoque des Etats-Unis, y compris l'interdiction du Parti communiste des Etats-Unis par l'usage de moyens identiques à ceux qui sont alors utilisés en URSS pour éliminer les opposants. Le "totalitarisme des organisateurs" n'est plus à ses yeux le prochain stade le prochain stade inévitable de l'évolution de l'humanité. Il faut plutôt tout mettre en oeuvre pour en empêcher la progression avant qu'il ne soit trop tard ; c'est la "démocratie traditionnelle" qu'il faut préserver, en l'imposant si nécessaire par la force au reste du monde. En somme, "si on aime la démocratie, on doit être prêt à écraser ses ennemis par n'importe quel moyen", comme le résume Orwell dans la préface de "La ferme des animaux". A la lumière des invasions successives de l'Irak et de l'Afghanistan par les Etats-Unis et des mises en demeure proférées à l'égard d'autres Etats désignés comme constituant des menaces pour le "monde libre" au cours de la dernière décennie du XXème siècle et de la première du XXIème, il est impossible de ne pas constater la vertu anticipatrice de cette théorie révisée de Burnham, d'une nouvelle forme de totalitarisme prétendant défendre la "démocratie" par des moyens totalitaires.

Page 203
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Je me rappelle avoir dit un jour à Arthur Koestler : "L'histoire s'est arrêtée en 1936", ce à quoi il a immédiatement acquiescé d'un hochement de la tête. Nous pensions tous les deux au totalitarisme en général, mais plus particulièrement à la guerre civile espagnole. Tôt dans ma vie, j'ai remarqué qu'aucun évènement n'est jamais relaté avec exactitude dans les journaux, mais en Espagne, pour la première fois, j'ai vu des articles de journaux qui n'avaient aucun rapport avec les faits, ni même l'allure d'un mensonge ordinaire. J'ai lu des articles faisant état de grandes batailles alors qu'il n'y avait eu aucun combat, et des silences complets lorsque des centaines d'hommes avaient été tués. J'ai vu des soldats qui avaient bravement combattu être dénoncés comme des lâches et des traîtres, et d'autres, qui n'avaient jamais tiré un coup de fusil, proclamés comme les héros de victoires imaginaires [...]
J'ai vu, en fait, l'histoire rédigée non pas conformément à ce qui s'était réellement passé, mais à ce qui était censé s'être passé selon les diverses "lignes de parti" [...]
Ce genre de choses me terrifie, parce qu'il me donne l'impression que la notion même de vérité objective est en train de disparaître de ce monde [...]
A toutes fins utiles, le mensonge sera devenu vérité [...]
L'aboutissement implicite de ce mode de pensée est un monde cauchemardesque dans lequel le Chef, ou quelque clique dirigeante, contrôle non seulement l'avenir, mais le passé. Si le Chef dit de tel évènement qu'il ne s'est jamais produit, alors il ne s'est jamais produit. S'il dit que deux et deux font cinq, alors deux et deux font cinq. Cette perspective m'effraie beaucoup plus que les bombes - et après nos expériences des quelques dernières années, il ne s'agit pas d'une conjecture frivole.



George Orwell
Dans un article intutilé "Looking Back on the Spanish War" (Réflexions sur la guerre d'Espagne), rédigé en 1942 mais dont la version intégrale n'a été publiée qu'en 1953,
Pages 128-129 du livre George Orwell, de la guerre civile espagnole à 1984
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Avant leur départ de Barcelone, Orwell et sa femme avaient rendu visite à leur ami, le Belge Georges Kopp, alors détenu dans une prison de Barcelone. Kopp avait été le commandant d’Orwell sur le front d’Aragon. Détenu pendant 18 mois, du 20 juin 1937 au 7 décembre 1938, sans avoir jamais été inculpé, il pourra finalement en sortir vivant, grâce à une campagne internationale en faveur de sa libération, mais dans un terrible état de détérioration physique et morale après autant de mois de sévices corporels et de torture. Robuste et en pleine santé avant son emprisonnement, il avait été transformé en un vieillard courbé ne pouvant se déplacer qu’avec l’aide d’une canne, souffrant du scorbut et d’un empoisonnement du sang.
Au cours de sa détention, il fut interrogé 27 fois, pendant 135 heures en tout, par ses tortionnaires russes qui communiquaient avec lui par l’intermédiaire d’un interprète, utilisant tour à tour la flatterie, l’intimidation, la coercition et les menaces. On a tenté de lui faire signer des « aveux » par lesquels il aurait déclaré que le POUM regorgeait d’espions et de traîtres. Devant son refus, on l’avait enfermé pendant 12 jours dans l’isolement complet d’un cachot infesté de rats, supplice qui s’est terminé par le cri d’un garde de la prison venu lui dire : « Cette nuit nous te fusillons ! » Ces mois de supplice étaient la récompense offerte à ce militant révolutionnaire, qui, dès l’éclatement de la guerre civile, avait tout sacrifié, famille, emploi, nationalité, et quitté la Belgique pour venir en Espagne. Immédiatement mené sur le front d’Aragon, il y avait bravement dirigé sept batailles importantes pendant son séjour, avant d’être jeté en prison « en tant qu’espion et traître ». L’interminable torture de Kopp avec le recours aux rats et sa transformation en vieillard courbé et décharné ne sont pas sans évoquer l’image du personnage fictif de Winston Smith créé par Orwell dans 1984 et la cure de « guérison » que lui fait subir son tortionnaire O’Brien.
Pages 115-116
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Refus global (3)

Des gens aimables sourient au peu de succès monétaire de nos expositions collectives, ils ont ainsi la charmante impression d’être les premiers à découvrir leur petite valeur marchande.
Si nous tenons exposition sur exposition, ce n’est pas dans l’espoir naïf de faire fortune. Nous savons ceux qui possèdent aux antipodes d’où nous sommes. Ils ne sauraient impunément risquer ces contacts incendiaires.
Dans le passé, des malentendus involontaires ont permis seuls de telles ventes.
Nous croyons ce texte de nature à dissiper tous ceux de l’avenir.
Si nos activités se font pressantes, c’est que nous ressentons violemment l’urgent besoin de l’union.
Là, le succès éclate !
Hier, nous étions seuls et indécis.
Aujourd’hui un groupe existe aux ramifications profondes et courageuses ; déjà elles débordent les frontières.
Un magnifique devoir nous incombe aussi : conserver le précieux trésor qui nous échoit. Lui aussi est dans la lignée de l’histoire.
Objets tangibles, ils requièrent une relation constamment renouvelée, confrontée, remise en question. Relation impalpable, exigeante qui demande les forces vives de l’action.
Ce trésor est la réserve poétique, le renouvellement émotif où puiseront les siècles à venir. Il ne peut être transmis que TRANSFORME, sans quoi c’est la gauchissement.
Que ceux tentés par l’aventure se joignent à nous.
Au terme imaginable, nous entrevoyons l’homme libéré de ses chaines inutiles, réaliser dans l’ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l’anarchie resplendissante, la plénitude de ses dons individuels.
D’ici là, sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec les assoiffés d’un mieux être, sans crainte des longues échéances, dans l’encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération.
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Pour un art révolutionnaire indépendant (9)

L’idée que le jeune Marx s’était fait du rôle de l’écrivain exige, de nos jours, un rappel vigoureux. Il est clair que cette idée doit être étendue, sur le plan artistique et scientifique, aux diverses catégories de producteurs et de chercheurs. « L’écrivain, dit‑il, doit naturellement gagner de l’argent pour pouvoir vivre et écrire, mais il ne doit en aucun cas vivre et écrire pour gagner de l’argent… L’écrivain ne considère aucunement ses travaux comme unmoyen. Ils sont des buts en soi, ils sont si peu un moyen pour lui-même et pour les autres qu’il sacrifie au besoin son existence à leur existence… La première condition de la liberté de la presse consiste à ne pas être un métier. Il est plus que jamais de circonstance de brandir cette déclaration contre ceux qui prétendent assujettir l’activité intellectuelle à des fins extérieures à elle-même et, au mépris de toutes les déterminations historiques qui lui sont propres, régenter, en fonction de prétendues raisons d’Etat, les thèmes de l’art. Le libre choix de ces thèmes et la non restriction absolue en ce qui concerne le champ de son exploration constituent pour l’artiste un bien qu’il est en droit de revendiquer comme inaliénable. En matière de création artistique, il importe essentiellement que l’imagination échappe à toute contrainte, ne se laisse sous aucun prétexte imposer de filière. A ceux qui nous presseraient, que ce soit pour aujourd’hui ou pour demain, de consentir à ce que l’art soit soumis à une discipline que nous tenons pour radicalement incompatible avec ses moyens, nous opposons un refus sans appel et notre volonté délibérée de nous en tenir à la for mule : toute licence en art.
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