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Critiques de Louis Guilloux (143)
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Le Sang noir

« Cripure est nécessaire à la pleine compréhension de l'homme de ce temps-ci comme Don Quichotte à celui de jadis», disait Aragon du formidable personnage de Louis Guilloux, un des meilleurs peut-être de la littérature française.

Et c'est sûr qu'il mériterait une notoriété plus éclatante, ce professeur de philosophie aux « longs pieds de gugusse ». Mais il faut bien avouer que ce n'est pas le grand amour entre le (anti-)héros du Sang noir et les chantres de l'idéologie dominante, les arrivistes, les serviles, les petits soldats du monde en sa laideur si prompts à jeter l'anathème sur ceux qui ne rentrent pas tout à fait dans le rang, sur les « irréguliers », les « défaitistes ».

Guilloux dit avec force et rage cette « vérité de la société bourgeoise au paroxysme de l'infection de la guerre », où des planqués rivalisent d'exaltation patriotique délirante tandis que les mutins se font fusiller.

Cripure porte un regard désespéré sur le chaos humain et le roman soulève d'essentielles questions aussi bien sociales qu'existentielles. Son personnage n'en revient pas que de cette angoisse qu'il pense commune à tous puissent naître tant de haine, tant de bêtise, la guerre, mais aussi toutes les mesquineries plus ordinaires

« Avec ce noyau de plomb au fond du coeur, comment pouvaient-ils être aussi durs et secs, jeter leurs fils au charnier, … rogner ses gages à la bonne qui sortait trop, était trop « prétentieuse » , tout cela en pensant au cours de la rente et au prochain film comique qu'on irait voir au Palace, si on avait des billets de faveur ? »

On est tout étonné de se rendre compte que ce pavé ne nous parle finalement que d'une seule journée de 1917, tant il est d'une grande richesse et d'une belle profondeur, mêlant charge anti-militariste, satire sociale et interrogations métaphysiques.

De ce livre paru en 1935 qu'il considérait comme l'un des plus grands romans français du XXème siècle, Jorge Semprun disait: « j'y ai appris des choses essentielles : sur la densité de la vie, sur le Mal et le Bien, sur les misères de l'amour, sur le courage et la lâcheté des hommes, sur l'espoir et le désespoir ».
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La Maison du peuple (suivi de) Compagnons

C’est le premier roman publie par Guilloux. Il y ecrit le “petit peuple” d’avant la guerre de 14-18. Il ecrit les ouvriers, les petits artisans. Le petit peuple d’ou il est issu. Il ecrit leurs vies, leurs travaux, leurs fiertes, leurs joies, leurs peines, leurs espoirs, leurs combats. Sans nostalgie, mais sans s’apitoyer non plus, il romance la vie quíl a connu enfant. Il ecrit simplement, sans trop d’effets, sans fioritures stylistiques, et ca sonne juste, et ca touche.



“La maison du peuple” c’est le combat mene par des ouvriers pour creer une section socialiste dans une petite ville endormie, puis pour construire (de leurs propres mains) une maison de reunion et de culture pour tous. “Compagnons” c’est la fierte d’un ouvrier a mettre et laisser ses comptes en regle avant sa mort. Deux petits textes, simples et forts.



Dans les reeditions qu’on peut trouver aujourd’hui l’editeur ecrit: “Les grands russes mis a part, il nest guere de romanciers, et surtout de romanciers francais, qui aient eu plus que lui le don de la compassion. Ses personnages en sont mysterieusement eclaires.”

Dans l’avant-propos qu’il lui a consacre en 1953 Albert Camus ecrit: “Quelques hommes au moins, avec Valles et Dabit, ont su trouver le seul langage qui convenait. Voila pourquoi j’admire et j’aime l’oeuvre de Louis Guilloux, qui ne flatte ni ne meprise le peuple dont il parle et qui lui restitue la seule grandeur qu’on ne puisse lui arracher, celle de la verite”. Camus ecrivait cela en connaissance de cause: lui aussi etait fils de pauvres.



Que pourrais-je ajouter? Simplement que moi aussi, cette lecture m’a un peu remue. Que je l’ai appreciee. Que j’ai aime ce livre, que je ne l’oublierai pas.

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La Maison du peuple

Est-ce qu'il vous arrive, quand vous découvrez un récit, de vous sentir très proche, d'être particulièrement attiré par un des personnages c'est-à-dire de le trouver lumineux, à vos yeux, davantage que les autres quand bien même, il n'est pas un personnage principal ?



La grand-mère - dans le premier texte de ce recueil " La Maison du Peuple » - est ainsi pour moi : elle incarne la fierté des "petits", leur abnégation, leur indépendance paradoxale qui s'écrit dans la solidarité immuable, leur volonté de rester solitaire pour ne peser sur aucun, elle incarne la misère, la pauvreté des vies malgré un travail quotidien même à l'âge avancé. Et ce travail, ce labeur souvent au bon vouloir de ceux qui "possèdent", comme une aumône consentie parfois, rarement comme un cadeau. Cette charge de travail suffisant à peine à se nourrir, à garder un toit, à avoir un peu de chaleur l'hiver, à tenter de vivre tout simplement.



Et quand la vie s'est trop usée, l'absence se profile, précocement inéluctable et souvent avec elle la prise de conscience que celui qui s'en est allé - ou qui s'en va dans le seconde texte - était encore plus pauvre, encore plus démuni que ce qu'il a laissé transparaître sa vie durant parce qu'il y a cette dignité, cette fierté qui constitue la seule richesse que possèdent ceux qui n'ont rien pour avancer un jour après l'autre.



Ce personnage pour lequel j'éprouve un immense respect plein d'admiration, cette femme âgée incarne la légitimité, s'il en était besoin, de la lutte de ses enfants, de ce monde ouvrier, sa condition même la motiverait à elle seule.

Cette femme est le reflet de ce compagnon de la seconde nouvelle, même image de deux existences également tissées, empreintes de faiblesse de l'âge et de l'usure du labeur, mais fortes de leur dignité, ne demandant rien, refusant tout, pour ne pas être charge supplémentaire pour ceux qui déjà portent le fardeau du quotidien.

Fardeau du quotidien qui porte l'idée de créer une section militante dans le premier texte, de tout donner pour être entendus. Et la confiance trahie par un, celui qui les a utilisés à son propre dessein, celui qui rêvait de pouvoir et les a trompés. Pouvoir qui l'attirait davantage que les convictions, que la défense de ceux qui triment, de ceux qui seront restés toujours honnêtes dans leurs idées. Et l'anarchisme comme finalement seule possibilité de vivre et de décider ensemble sans meneur.

Durant ces années qui entourent la Grande Guerre,quand tous partiront et que bien peu reviendront et terriblement changés, les avancées durement gagnées si infimes ont-elles été, seront à reconquérir sans cesse, à nouveau.



Un texte tout en sobriété d'écriture à l'image du dénuement de ces êtres, de leur vie simple et aride, eux qui espèrent en un temps plus clément, en une possibilité de travail quotidien et de pain pour les enfants. Des phrases sobres et limpides pour décrire une époque, un temps, des vies âpres que ces êtres essayent de faire sourire, des expressions tirées de la bouche même de ces hommes et femmes, dont on perçoit dans ses pages, à travers les luttes et les espoirs, les battements de coeurs qui résonnent fortement et qui nous émeuvent au plus haut point.



Tous ces visages croisés dans ces deux récits ont la volonté d'être leurs seuls maîtres, prenant seuls en charge leur destinée : libres, ils sont et le restent comme un symbole marquant profondément nos pensées une fois quittés. Nous ne pouvons les oublier...
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Le Sang noir

Oui, j’insiste, il faut lire «Le Sang noir» de Louis Guilloux sous peine, sous peine de, j’sais pas moi, sous peine d’ignorance de la nature humaine tiens.

«J’admire et j’aime l’oeuvre de Louis Guilloux, qui ne flatte ni ne méprise le peuple dont il parle et qui lui restitue la seule grandeur qu’on ne puisse lui arracher, celle de la vérité.» Albert Camus.

Cher lecteur, installez-vous bien inconfortablement dans ce chef d’oeuvre oublié de la littérature française que Jorge Semprun considérait comme l’un des plus grands romans du XXe siècle.

Plantons le décor. Sur scène, devant nous, tout près de nous, avec nous, à les toucher, à les sentir, à les écouter parler, crier, chuchoter et penser, des personnages uniques en leurs genres et pourtant si universels. Tous plus réalistes les uns que les autres. Guilloux se méfie de l’imagination comme de son ombre, comme de sa lumière. Il montre, il décrit. Il ne juge pas, il ne commente pas, il n’explique pas.

En coulisse, très loin, l’odeur de la boucherie des tranchées, le grognement ignoble des gueules cassées, le vacarme de la révolution russe, les cris des poilus mutins aussitôt fusillés.

Parfois le rideau frémit, une bise d’espoir, une brise de désespoir, le rideau se soulève et l’on voit tout: horrible!

Nous sommes en 1917 dans une ville de province qui pourrait être Saint-Brieuc, ville natale de Guilloux, qui veut, sans la nommer, nous parler d’elle. Ici l’avant c’est l’arrière.

Ce roman «qui offre de quoi perdre pied» (André Gide) transpire, respire à pleines pages Balzac, Céline, Nietzsche, Ibsen, Dostoïevski. Tout ça? Ben oui tout ça! «L’homme révolté» de Camus nous tend la main tout au long des pages. Mais ce roman bouleversant rit aussi à plein poumons comme une comédie de boulevard. Une vraie Comédie Humaine mon cher Honoré! Chacun y joue son rôle. «Ce qu’il y avait d’intolérable, c’est que c’était toujours l’épicier qui était l’épicier, l’avocat, l’avocat, que M.Poincaré parlait toujours comme M.Poincaré, jamais, par exemple, comme Apollinaire et réciproquement..."

Son «anti-héros» Merlin est professeur de philosophie (professeur de désordre) au lycée. A un an de la retraite. Ses élèves et les gens du village le surnomment Cripure car cet homme a mauvaise réputation. Cripure comme «Critique de la raison pure» (ou Cripure de la raison tique selon ses élèves) de Kant que ce professeur un peu loufoque aime tant commenter à ses élèves. Cripure donc a eu son heure d’importance à Paris: une thèse sur Tournier un philosophe (thèse jugée trop fantaisiste et refusée) et une étude sur la pensée médique. Il sait philosopher: «On vit comme si on avait une vie pour apprendre.» Imparable! Cripure est handicapé physique atteint d’une difformité si voyante.

Cripure le voilà et malgré ce portrait saisissant nous le prendrons en amitié. «Son petit chapeau de toile rabattu sur l’oeil, sa peau de bique flottante, sa canne tenue comme une épée, et cet effort si pénible à chaque pas pour arracher comme d’une boue gluante ses longs pieds de gugusse, Cripure avait l’air dans la rue d’un somnolent danseur de corde. Sa myopie accusait le côté ahuri de son visage, donnait à ses gestes un caractère ralenti, vacillant, d’ivrogne ou de joueur à colin-maillard.»

Louis Aragon disait de Cripure qu’il était «nécessaire à la pleine compréhension de l’homme d’aujourd’hui, une arme pour l’homme de demain contre l’homme d’hier.» Cripure fait bande à part dans le village. Il rejette le lache patriotisme des planqués de la grande guerre (officiers, ministres), il crache sur Dieu, l’argent et l’armée (depuis l’affaire Dreyfus). Mais il sait déjà que la révolution qui se prépare à l’est ne sera pas pour lui. Trop tard.

Cripure aura tout raté: sa carrière d’écrivain, ses amours... le Paradis artificiel sur Terre comme au Ciel! Il restera donc le bouc émissaire (à la peau de bique!) des «bien pensant» et des nantis. Ce Cripure c’est le portrait tout craché de Georges Palante le professeur de philosophie de Louis Guilloux lycéen à Saint-Brieuc. Palante, l’athée social, vénéré par Michel Onfray qui lui consacra son premier livre et adulé par Albert Camus, est le philosophe de l’aristocratisme individuel, l’auteur de «Combat pour l’individu» ou «La sensibilité individualiste». Palante était atteint d’acromégalie, une maladie dégénérative. Sa thèse avait été refusée. Tiens, tiens!

Mais dans ce roman il y a aussi Maïa la phénoménale compagne illettrée de Cripure, ses chiens à puces, son bureau poussiéreux bourré à craquer de livres, l’odieux Nabucet, le doux farfelu Moka, Faurel le député et son fils déserteur, Babinot le patriote ridicule, Kaminski le cynique et suffisant officier, Mme de Villaplane l’aristocrate déchue, Monfort l’étudiant poète-révolutionnaire, Glâtre le collectionneur d’images des catalogues de modes, la belle Toinette et son officier blond et beaucoup d’autres illustres copies conformes, informes, difformes à la nature humaine. De l’hypocrisie considérée comme un des beaux arts!

Simplement, avec pudeur et générosité, Guilloux sait révéler le Bien et le Mal qui déchirent les couples, empoisonnent les familles, attisent les luttes de classe, provoquent les guerres. A la vie, à la mort!

Cher lecteur, n’ayez pas peur des 600 pages. Elles se lisent à la mesure des courts chapitres (comme autant de nouvelles) qui rythment la lecture. Je vous le dis pompeusement, je pourrais écrire une thèse sur ce livre... Bon, pas sûr qu’elle soit acceptée par un académique jury bien pensant... «Ne vient de nous-mêmes que ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous, et que ne connaissent pas les autres.» Marcel Proust.

Le sang obscur comme le sang noir de ceux qui n’ont plus que l’apparence de la vie...



Mais c'est aussi un beau roman d'amour. "Maïa, rouge et échevelée, le visage ruisselant de larmes, luttait de son mieux contre ceux qui étaient trop pressés de contempler la mort d'un autre, et retrouvait toute sa véhémence, tout son génie de l'injure."

Louis Guilloux (1899-1980) est un auteur trop méconnu. Ami de Camus et de Malraux, admirateur de Conrad, son nom est associé au Prix Louis Guilloux décerné chaque année à une œuvre de langue française ayant une «dimension humaine d'une pensée généreuse, refusant tout manichéisme, tout sacrifice de l'individu au profit d'abstractions idéologiques».
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Le Sang noir

Cripure, anti-héros. Inoubliable.



Vieux professeur de philosophie qui a enthousiasmé certains de ses élèves, auteur qui a émerveillé et qui pense à une nouvelle œuvre. Mais atteint d’une infirmité qui le rend grotesque, amer et chahuté. Mais aussi blessé sans fin par un amour trompé, vingt ans auparavant. Plein de rancœur orgueilleuse à l’égard de beaucoup et se méprisant lui-même impitoyablement. Balançant au fil du roman, entre la misanthropie la plus absolue – « l’homme n’était pas nécessaire » - et l’envie de croire, sinon en Dieu, du moins en un peu de bonté humaine.

Autour de lui, tout ce que Louis Guilloux a pu observer, ou inventer avec une magnifique vraisemblance, de la vie d’une ville de province, d’une ville de l’arrière, pendant une journée de 1917.



Le livre se mérite, les cinquante premières pages sont en fil de fer barbelé. Mais ensuite... un roman immense, qui n’oublie aucune facette de la « comédie humaine », et qui, sans avoir l’air d’y toucher, bouleverse en racontant la « tragédie humaine ».



Comment n’avais-je jamais entendu parler de ce chef-d’œuvre ?

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Correspondance (1945-1959) : Albert Camus /..

Un coup de coeur, toujours, à la lecture des lettres de Camus !



En plus de tous ses talents, l'auteur de "La Peste" en a un certain, et

constant : celui de l'Amitié ! Je ne peux résister à cette phrase de Camus à Nicola Chiaromonte, qui annonce fort bien le ton de cette Correspondance,

[le 7 novembre [1945 ] ]

"(...) Il y a certaines choses pour lesquelles je me sens une obstination infinie. L'amitié est de celles-là. "(p. 47)



Cette correspondance de Albert Camus, avec Nicola Chiaromonte,est

exceptionnelle tant au niveau des échanges profonds et chaleureux: que cela soit les inquiétudes, les interrogations angoissées en période de guerre, entre la montée du nazisme,le fascisme, les dérives totalitaires, que les échanges littéraires, intellectuels, ainsi que les tourments, déchirements intimes,amoureux de l'un et de l'autre, qu'il se confient réciproquement !



Découvert jusqu'au nom de Chiaromonte, antifasciste et anticommuniste... cet intellectuel italien se trouvait en exil ; il rencontra Camus à Oran, au printemps 1941...Celui-ci lui offrit l'hospitalité ! Ainsi débuta cette amitié, le plus naturellement du monde et dura jusqu'au décès prématuré de Camus...



"Albert Camus à Nicola Chiaromonte - 5 mai 1954

Cher Nicolas,

Je voulais vous écrire pour vous remercier de votre lettre, de l'affection

fraternelle que vous m'avez montrée, de votre confiance aussi. Oui,je me

souviens de nos rencontres en Afrique. L'amitié est une chose étrange.

Le jour où vous êtes parti pour le Maroc, je ne savais même pas si nous

nous reverrions et même toutes les chances de la guerre étaient pour

nous que nous nous retrouvions pas. Cependant, j'étais "en certitude"

avec vous, avec l'avenir qui nous était commun. Je vous avais reconnu et

vous étiez parmi la dizaine d'êtres avec lesquels j'ai toujours vécu, même

séparés d'eux. "(p. 118)



Une très belle correspondance fraternelle, tant intellectuelle qu'amicale !

Nous apprenons que Chiaromonte qui se sentait totalement en phase avec les sujets et thématiques de Camus, fut son traducteur en Italie, entre autres pour "La Chute" ainsi que pour ses nouvelles !



Il fut un ami constant et très présent après l'attribution du Prix Nobel

décerné à Camus... qui fut comme paniqué, et traversa une période de

dépression et de doute intenses !



En pièces annexes, articles sur la situation internationale et commentaires sur les positions politiques et philosophiques de Camus, par Chiaromonte



Un très beau moment de lecture réunissant deux intellectuels , très inquiets de la situation politique de leurs pays et des autres, où des

dérives totalitaires augmentaient...tout en nourrissant un lien intime,

fraternel très fort , rempli de respect et d'estime réciproques !



Nicola Chiaromonte à Albert Camus-Rome le 31 mars [1954 ]

(...) "Et c'est resté comme ça, par la suite : un lien direct et simple- né d'un rapport humain des plus beaux et vrais : l'hospitalité.

J'ai toujours senti, en votre compagnie, la sûreté du lien et une sorte de contact dans les sentiments qui demandait beaucoup de discrétion , étant peut-être plus aigu et plus profond que chacun de nous deux n' aurait pensé. "(p. 115)







***voir aussi dans dernier numéro de l'Eté 2019 de la revue, "Philosophie"

https://www.philomag.com/les-livres/notre-selection/correspondance-1945-1959-39289?fbclid=IwAR09M8O60vqUflnaDWHJ1RrcBO311NlPQn25oEsmdMSedUiIqYbRLmL_JBM

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Le Sang noir

« Trop fort. C’est trop fort. Il répéta au moins dix fois de suite que c’était trop fort, puis, quand il eut enfin dominé le double choc de cette double nouvelle – un duel, c’était déjà gros, mais un duel avec Cripure, c’était énorme ! – il voulut savoir le pourquoi de la querelle. »



C’est Babinot, une sorte de poète local grandiloquent et assujetti à tous les puissants de cette ville côtière jamais nommée, mais qui pourrait être Saint-Brieuc, qui parle ici. Il a été sollicité pour être son témoin par Nabucet, professeur qui enseigne dans le même lycée que Merlin, surnommé Cripure.



Autant ce dernier est un esprit libre dans un corps souffrant (il est atteint d’une maladie rare, l’acromégalie) autant Nabucet est servile envers tous les élus locaux et les forces armées, ce qui n’est pas sans conséquences alors qu’en cette année 1917 on fusille à tour de bras des « défaitistes ».



Cripure partage sa vie avec Maïa, une ex-prostituée au langage fleuri et à la comprenette limitée, qui objectivement s’occupe entièrement de lui et de son intérieur sans jamais, ou presque, obtenir autre chose que des sarcasmes en retour. Sa tendresse, il la réserve plutôt à ses quatre chiens même si ceux-ci, couverts de puces, les partagent généreusement avec lui.



Ce roman a été pour moi une découverte exceptionnelle. Je n’avais pas lu depuis très longtemps une fiction menée autour d’un personnage hors norme tel que ce Cripure (pour Critique de la raison pure, que ses élèves ont transformé en « Cripure de la raison tique »). Si le style de Louis Guilloux est éloigné de celui de Louis-Ferdinand Céline, il n’en demeure pas moins comme un air de famille avec les plus grands romans céliniens dans l’intrigue, ou plutôt les intrigues croisées, de ce vaste roman.



Les situations, les références sont plutôt tournées vers les grands auteurs russes avec leurs sentiments exacerbés, leurs excentricités, leurs questionnements autour de la foi (on se déplace en troïka dans cette ville de province. Elle est décatie et menée par un pauvre homme et son cheval Pompon, mais c’est tout de même une troïka, grelots compris).



Les multiples personnages secondaires sont presque tous des figures très singulières : Moka et Glâtre en particulier. Seuls les jeunes gens semblent vouloir quitter cette ville, tant qu’il en est encore temps. Mais ils ne sont pas pour autant épargnés par la corruption générale.



Malgré tout c’est plutôt au domaine anglo-saxon que je rattacherai ce livre. Il y a du Falstaff dans Cripure, mais aussi de l’Ignatius J. Reilly de « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole. Comme lui Cripure se retrouve sans cesse pris dans des situations qui partent en vrille, certaines qu’il provoque et d’autres qui lui échappent totalement.



Le style de Louis Guilloux m’a paru étonnamment actuel. Ce roman n’a pas pris une ride depuis 1935, année de sa parution. Encore un auteur dont je voudrais poursuivre la lecture de l’œuvre ! Mais il y en a tant. Pour espérer les lire il me faudrait faire des choix beaucoup plus drastiques dans ma « liste à lire », ce qui n’est pas gagné d’avance car je préfère laisser la priorité à mon humeur du moment lorsque je passe d’un livre a un autre.

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La confrontation

Ce court roman -200 pages – de Louis Guilloux ( 1899-1980) au style épuré joue avec les codes du roman policier.

Un ancien journaliste- reporter Jean-Louis Boutier confondu avec un détective privé, l'inspecteur Favien , de son vrai nom Marcel Lagrive, décédé, se voit confier par un certain Germain Forestier une enquête concernant un quidam Gérard Ollivier, natif de Laval, en Mayenne. (Germain, Gérard, Guilloux, même majuscule ! ) . Il faut le retrouver pour lui remettre un trésor.

Au fil des pages, l'inspecteur et le mystérieux mandant se confondent, se fondent, deviennent un : l'écrivain lui-même qui a entrepris de faire le point sur son passé, sur sa vie, à la fois quête existentielle, confession intime , introspection, évocation de souvenirs , de regrets aussi.

La façon dont est construit ce roman est comme l'écho de la Chute de Camus . Ici ce ne sont pas les journées qui s'écoulent à Amsterdam, mais les heures qui s'égrènent au clocher de Saint-Thomas d'Aquin à Paris tandis que l'enquêteur rend compte de son travail au mandant . le lecteur est tributaire des faits rapportés par le narrateur Boutier-Flavien qui s'adresse à Forestier le narrataire qui reste mutique tout au long du récit, se manifestant, sans doute, que par quelques signes et par les questions du narrateur, qui passe du vouvoiement au tutoiement .

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Vingt ans, ma belle âge

Très honnêtement, j'ai du mal avec les recueils de nouvelles, si bien que je m'y plonge rarement. En effet, les quelques pages ne me suffisent pas, la plupart du temps, pour être satisfaite de ma lecture. J'ai la sensation de ne pas en profiter réellement.



Alors, une fois n'est pas coutume, je me suis lancée dans un recueil de nouvelles de Louis Guilloux, un auteur breton que nous étudions à la fac. C'est pour cette raison que j'ai lu ce livre, décidant de poursuivre bien après l'unique nouvelle qui était recommandée.



Au niveau des histoires, je les ai trouvées parfois inégales. J'ai beaucoup aimé celle intitulée Vingt ans ma belle âge (qui a donné son titre à cet ouvrage), notamment. En revanche, j'ai moins accroché à la partie "contes" parce que je les trouvais trop brefs.



En conclusion, c'est un écrivain que j'aurais mieux aimé découvrir avec un roman (ce que j'ai fait par la suite, d'ailleurs !). J'ai bien aimé son style d'écriture et ce qu'il contait.
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Le Sang noir

Voici un livre qui s'est imposé à moi après avoir vu le dernier long métrage de Chad Chenouga : le Principal. Roschdy Zem incarne à la perfection un principal adjoint de collège se préparant à succéder à sa supérieure qui va prendre sa retraite (étonnant duo Roschdy Zem – Yolande Moreau, fonctionnant à plein). Après la projection, pour cette avant première, a eu lieu une rencontre avec le réalisateur. Il y fut aussi question de littérature puisque dans le film, la principale est une lectrice passionnée, approvisionnant son adjoint en romans. Deux livres ont été cités : « Seventies » de Kenzaburo Oé et « Le Sang noir » de Louis Guilloux. Quelques mains se sont levées quand le réalisateur a demandé qui avait lu le récit de Louis Guilloux. Quant à moi, je n'avais même pas entendu parler de cet auteur... J'ai voulu réparer cela en le lisant dans la foulée. Bien m'en a pris, l'oeuvre est riche !



Le Sang noir est un titre fort. Vingt-quatre heure d'une ville de province, certainement Saint-Brieuc qu'il ne nomme pas, la ville de l'auteur… Beaucoup de personnages sont des professeurs, des notables de la ville et des militaires. On est en pleine guerre 14-18, en pleine hécatombe, mot d'origine grecque désignant alors le sacrifice de cent boeufs... Là ce sont les jeunes hommes qui meurent par centaines au combat ou encore fusillés pour l'exemple lors des mutineries. Mais pas de scène de guerre ici. On part au front, on reçoit des lettres informant que tel ou tel est mort. Il s'agit d'un grand roman sur le sujet de la bassesse humaine, celle des patriotes exaltés de l'arrière, sans théoriser, en montrant des situations, en rapportant des dialogues marquants, ce qui m'a fait penser à du théâtre, façon comédie humaine.



M. Merlin dit Cripure est un savant, professeur de philosophie, un observateur de la vie sociale, désabusé et amer, constatant que tout se désagrège et qu'il a raté sa vie. Cripure vit avec le souvenir d'Antoinette qu'il a aimée et a été marié avant qu'elle ne le trahisse pour un beau capitaine. Il vit maintenant avec Maïa, une femme vulgaire, ancienne prostituée, une goton comme il l'appelle. Les mots vieillis et expressions anciennes sont nombreuses donnant une couleur d'époque.



Il a été surnommé Cripure par des élèves (qu'il traite de Salauds de potaches, eux qui sont ses bourreaux). Il leur parle souvent de la Critique de la Raison pure d'Emmanuel Kant, que certains ont transformé en Cripure de la Raison tique d'où Cripure. C'est un homme à part, original sous tous les aspects, aussi génial que dingo, portant un regard acide sur le monde qui l'entoure, surtout sur cette guerre si coûteuse en vies. Ce n'est pas pour rien que Kant, l'auteur de Projet de paix perpétuelle, est convoqué à travers ce surnom ! Gogol, Ubu aussi sont cités ainsi que Spinoza évoqué dans une répartie ignoble de Nabucet s'adressant à Georges, jeune mutilé n'ayant pas très bon moral.



Au fil des pages, d'une noirceur évoquant Dostoïevski, pointe, quand tout menace de s'effondrer, un peu d'amour entre Cripure et Maïa, comme une vertu ultime et salvatrice s'il n'était trop tard. Louis Guilloux va chercher profondément les racines du mal en créant ce personnage de Cripure, dont les idées et le mode de vie, trop en décalage avec la guerre qui fait rage et l'hypocrisie ambiante, provoquent incompréhension, méfiance, rejet et même tentative d'élimination physique.



Le style et la construction narrative rappellent les feuilletons en vogue à l'époque comme l'a repris avec bonheur Pierre Lemaître. Il laisse parler ses personnages et à travers leurs paroles on découvre ce qu'ils sont. Maïa, illettrée, est la compagne malheureuse d'un intellectuel brisé, elle parle l'argot direct et imagé du peuple, sans calcul, en toute sincérité. Les professeurs et les notables s'expriment avec détours, cherchant à tirer leur épingle du jeu. Heureusement dans ce roman excessivement sombre, l'ironie mordante amène de temps à autre au rire salvateur. le chapitre où Mme de Villaplane, vieille noble déchue, accueille un nouveau locataire, Otto Kaminsky, dont elle tombe éperdument amoureuse, est vraiment très drôle et exprime tout le talent de conteur de l'auteur.



Louix Guilloux est né en 1899. Il meurt en 1980. Pour écrire le Sang noir, il s'est inspiré d'un de ses professeurs, Georges Palante. A l'instar d'Annie Ernaux, il est fils de commerçant : son père était cordonnier et sa mère modiste, il a l'expérience d'une certaine pauvreté et de la difficulté de s'élever socialement. Humaniste actif, il sera secrétaire du premier Congrès mondial des écrivains antifascistes et responsable du Secours populaire français. Il a été très ami avec Albert Camus qu'il a même conseillé pour écrire La Peste – attesté dans leur correspondance… Louis Aragon, a la sortie du roman, a dit tout le bien qu'il en pensait : « J'affirme que Cripure est nécessaire à la pleine compréhension de l'homme de ce temps-ci comme Don Quichotte à celui de jadis. » Aucun doute pour moi, on est en présence d'un grand classique qu'il est passionnant de lire ou relire. Merci à Roschdy Zem, à Yolande Moreau et à Chad Chenouga à qui je dois cette lecture. Je parlerai bientôt de Kenzaburo Oé également évoqué dans le principal…



Avez-vous déjà vécu cette expérience de découverte littéraire suite à un livre évoqué dans un film ?
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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Le pain des rêves

Au début du 20ème siècle, la rue du Tonneau à Saint Brieuc est une rue mal famée où la misère et la pauvreté suintent par les pierres disjointes des maisons. C'est dans une ancienne écurie que vit le jeune narrateur avec ses frères, dont Pélo lourdement handicapé, sa mère et son grand père, qui par son travail de tailleur fait vivre toute la famille et remplace le père disparu mystérieusement.

La mort du grand-père marque un tournant dans la vie de cette famille qui attire soudainement les services sociaux de la ville. Elle est relogée dans un petit appartement, le comble de la modernité aux yeux de l'enfant. Pélo, "le petit béquillard" est pris en charge par une comtesse et envoyé dans un sanatorium pour être soigné. La cousine Zabelle rentrée au pays avec le pauvre Michel son mari et Le Moco, son amant, renoue avec la famille. Cette personne frivole et impulsive accueille le jeune narrateur et lui fait découvrir une existence de luxe, de légèreté et d'arts mondains.



Le gamin qui nous livre ses impressions, ses observations ne s'attarde pas sur la misère et la pauvreté, la crasse et l'ennui qui sévissent au début du XXème dans la rue du Tonneau. Le texte est lumineux, drôle et tout auréolé des rêves de l'enfant. Louis Guilloux utilise son talent de conteur pour faire vivre la place aux ours, son activité grouillante et bruyante. Il pose un regard émerveillé et curieux sur tout ce qui bouge et s'agite autour de lui. L'enfant se forge déjà une conscience clairvoyante des disparités entre les classes sociales et rêve d'un monde plus juste.

Le pain des rêves est un très beau livre sur l'enfance; il dit l'amour, la générosité, le courage... tout ce qui constitue le luxe des pauvres.







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Correspondance (1945-1959) : Albert Camus /..

Nicola Chiaromonte prend le chemin de l'exil en 1934 et s'installe à Paris. En 1936, il participe à la Guerre d'Espagne dans l'escadrille d'André Malraux. Dans son roman l'Espoir, il le prendra comme modèle pour son personnage de Scali, un intellectuel italien qui se dresse contre le fascisme.

Il se réfugie en Algérie en 1941, il rencontre Albert Camus à Oran. Celui-ci, bien qu'en situation précaire, lui offre l'hospitalité dans le petit appartement, rue d'Arsew, mis à sa disposition par la mère de Francine Faure, qui deviendra, peu après son épouse. Nicola Chiaromonte partira ensuite pour les Etats-Unis.



Une longue amitié unira ces deux- là, faites de complicités fraternelles, de connivences intellectuelles, d'ententes culturelles. Un échange épistolaire ininterrompu les reliera jusqu'à la disparition de Camus. La dernière lettre de Chairomonte, en date du 15 novembre 1959, évoque la joie de futures retrouvailles lors du prochain séjour de Chiaromonte à Paris…

Samantha Novello qui présente et annote cette édition est une grande spécialiste de Camus : Maîtrise en philosophie avec une dissertation sur " Nihilisme et pensée tragique dans la réflexion morale d'Albert Camus ", master de philosophie sur « Totalitarisme et pensée tragique dans l'Homme révolté d'Albert Camus, doctorat "Repenser le politique au-delà du nihilisme : tragédie et politique esthétique dans l'oeuvre de Camus et Hannah Arendt". Elle est fréquemment invitée par notre association Les Rencontres Méditerranéennes Albert Camus de Lourmarin. L'exposition estivale de cette année organisée par l'association "Camus l'engagement critique" met en exergue par des tapuscrits et lettres manuscrites échangées entre Camus et Chiaromonte, cette amitié longue et féconde.



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Le Sang noir

Auteur méconnu bien qu’il frolât de peu le Goncourt en 1935 et obtînt le Renaudot en 49 pour « Le Jeu de Patience », Louis Guilloux nous a laissé plusieurs romans.



Mais son œuvre la plus célèbre demeure « Le Sang Noir », authentique et cruel petit joyau qui nous conte vingt-quatre heures de la vie d'une ville de province – laquelle pourrait être Saint-Brieuc, dont Guilloux était originaire – alors que les mutineries désorganisent le front en 1917.



Le héros de ce roman – ou son anti-héros car Cripure annonce à sa manière les losers que le roman et le cinéma américains ne tarderont pas à mettre en scène – est un professeur de philosophie nommé Merlin, comme l’enchanteur, mais que ses élèves ont affublé du surnom de « Cripure » par référence à cette « Critique de la Raison Pure » qu’il aime à citer.



De Merlin-Cripure, nous dirions aujourd’hui qu’il est un asocial. D’une intelligence brillante et d’une sensibilité tout aussi profonde, il n’a connu que l’échec : son mariage avec Toinette, la seule femme qu’il ait vraiment aimée, s’est conclu par l'adultère de la jeune femme avec un "officier blond" que Cripure fut trop lâche pour acculer au duel ; ses premiers écrits, dont un volume intitulé « La Pensée Médique », et qui avait attiré sur lui l’attention des initiés, se sont finalement échoués sur une thèse consacrée à un autre philosophe local, Turnier – thèse que Cripure, encore sous le coup de sa rupture avec Toinette, avait volontairement sabotée ; dans sa profession, il est périodiquement chahuté par ses élèves et, lorsque débute le roman, certains d’entre eux ont même entrepris de desserrer les écrous de sa bicyclette afin de provoquer un accident qui pourrait s’avérer mortel.



Cripure vit en ménage avec Maïa, une paysanne dévouée qui, en dépit de ses sautes d’humeur et de ses manies de paranoïaques, voue à "son homme" un amour réel. Ses autres compagnons sont quatre petits chiens avec lesquels il aime aller chasser tôt le matin lorsqu’il en a le loisir. Les puces qui infectent son bureau. Et bien sûr les livres et la poussière qui peuplent aussi ledit bureau.



Autour de lui, gravitent une foule de personnages qu’il est difficile d’oublier tant le trait du romancier s'est fait aiguisé : Nabucet, l’un des collègues de Cripure, homme cultivé mais dont l'hypocrisie nous fait gricer des dents et qui voue à Cripure une haine d'autant plus violente qu'il le sait bien supérieur à lui ; Moka, le surveillant "à la crête de feu et au visage de lait", l’un des rares « amis » de Cripure et son ancien élève, qui le révère à l’égal d’un dieu ; Faurel, le député, lui aussi ancien élève de Merlin, et qui tentera de le sauver des conséquences du duel que lui cherchera Nabucet ; l’ineffable Babinot, figure-type et outrancière du patriote revanchard dont les inepties militaristes et cocardières ennuient à peu près tous ceux qui le croisent et qui ne savent comment se débarrasser de lui ; pour lui faire pendant, Guilloux a imaginé le capitaine Plaire, sorte de ganache ami de Nabucet mais qui, à la fin du roman, se révèle homme d'honneur ; Otto Kaminski, officier d’origine juive, jouisseur et cynique, qui complote de quitter la ville en enlevant la fille du notaire – une brute, ce notaire, une horreur de père Evil or Very Mad ; Mme de Villaplane, sa logeuse, aristocrate déchue qui ne vit plus que dans ses rêves et qui finira par se suicider en apprenant le départ de son hôte …



Tout cela sur fond d’ombre et de pluie, dans une ville fantôme qui, je ne sais pourquoi, m’a évoqué tout à la fois le contraire absolu du « Clochermerle » de Chevallier, ces descriptions plus aiguës qu’on ne le pense que Germaine Acremant faisait de l’univers provincial d’avant-guerre et même certaines descriptions fantastiques de Jean Ray.



Bien que la ville soit éloignée du front, la Grande guerre, qui traîne en longueur, nous accompagne du début jusqu’à la fin du roman.



Par les convois de soldats d’abord, ces conscrits qui s’en vont se faire tuer pour que puisse survivre une armée de profiteurs. Par l'émeute qui éclate à la gare, lorsque certains soldats refusent de monter dans les trains alors que, sur le front, les mutineries de 1917 ont déjà commencé.



Mais aussi, mais surtout, par ces figures d’ « embusqués » que représentent Babinot et Nabucet. Encore le premier a-t-il perdu son fils à la guerre – mais il est le seul à l’ignorer et le livre s’achève sans qu’on l’en ait prévenu - alors que le second, lui, n’est et ne se veut qu’un parasite dissimulé sous une courtoisie mondaine qui ne l’empêche pas de jeter des coups d’œil trop appuyés à toutes les jeunes filles passant à sa portée - spécialement si elles sont ou trop jeunes ou trop pauvres pour se défendre.



Et le constat est effrayant car, pour nous qui savons, l’ombre de la Seconde guerre mondiale prend déjà racine sur ce terreau revanchard. Ce sont les Babinot et les Nabucet qui imposeront à l'Allemagne vaincue ce traité de paix indigne des vainqueurs. Ce sont eux qui permettront au sentiment nationaliste allemand de renaître dans des conditions telles que le Nazisme n'aura aucun mal à trouver des laudateurs. Ce sont eux encore qui, plus tard, se placeront sous la garde du régime de Vichy. Ce sont eux ...





Mais Cripure, lui, Cripure, paranoïaque et colérique, tendre et sensible, esprit brillant emprisonné dans un corps infirme qui le rendait « différent » dès sa naissance (Cripure souffre de « deux pieds de géant »), est d'une autre trampe. On se doute très vite qu’il ne verra pas l’Armistice mais on comprend aussi que cela vaut mieux pour lui : dans un monde où prolifèrent les Nabucet et les Babinot, un Cripure n'a plus sa place et doit retourner au mythe.



Cripure est un homme d’honneur qui ne croit plus en l’honneur mais dont la fierté suprême est de se tuer au nom d’un idéal qu’il sait irréalisable. Cripure met en somme ses actes en accord avec ses pensées - et il faut beaucoup de courage pour se livrer à cet exercice. Stupide, me direz-vous : ce n'est pas ainsi qu'on survit. Peut-être … Mais le souffle que Guilloux a su donner à son héros est tel que, lorsqu’il meurt, c'est cette grandeur que nous emportons avec nous. ;o)
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Angélina

Bonjour, aujourd’hui, nous retournons dans les années 30, chez Esprit et sa famille ; ils vivent pauvrement, mais ils sont braves et n’hésiteront pas à nous accueillir.



Esprit, sa femme et leur deux garçons, auxquels viendra bientôt s’ajouter la petite Angélina !



Brave Esprit, qui travaille du soir au matin sur son rouet pour nourrir sa famille ; la paie n’est pas bien grosse, mais il travaille chez lui, à son compte. Esprit prépare du fil pour les tisserands, mais son métier est en voie de disparition avec les filatures, et la demande s’amoindrit.



Les garçons vont aller à l’école, un espoir pour tenter de fuir la misère ; mais que comprendre quand le maître parle d’égalité ? Même un gamin, se rend bien compte que côté train de vie, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Alors bien sûr, un jour, il y aura de la rébellion.



Et la petite Angélina ? Pourra-t-elle prétendre un jour à un avenir meilleur ?



Dans ce livre, les choses sont souvent évoquées, on a l’impression qu’il y a assez peu d’action ; et pourtant, l’auteur donne tellement à voir.



Cette misère qui leur colle à la peau se transmet de génération en génération ; la vie est difficile et l’horizon semble tellement gris…



Un livre magnifique ; j’oserai presque dire du Zola !



Certains thèmes sont toujours d’actualité, malheureusement, même s’ils sont moins visibles aujourd’hui.



Bref un livre sur les miséreux et la lutte des classes ; magnifiquement écrit par un Louis GUILLOUX qui semble être un peu tombé dans l’oubli...



À lire près d’un rouet, les pieds dans des sabots près d’un feu de cheminée, en dégustant des crêpes aromatisées à la fleur d’oranger avec une bolée de cidre. Bonne lecture !





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Parpagnacco ou la conjuration

Un écrivain socialiste engagé, souvent qualifié de ‘’prolétarien’’, se fendit un jour d’un petit bijou mettant en scène un vieux capitaine promenant ses rêveries par les canaux de Venise, à la recherche du souvenir de vieilles et fugaces rencontres et d’une jeune fille mystérieuse… Voilà comment on pourrait résumer en une phrase ‘’Parpagnaco ou la conjuration’’.



Pour le reste, l’auteur semble s’être donné pour mission de happer son lecteur et de l’égarer comme son héros se laisse happer par Venise et s’égare dans ses ruelles. Dans sa cabine, au-dessus de son étroite couchette, il a accroché de petites marionnettes anciennes achetées dans une boutique qu’il n’a jamais pu retrouver dans le dédale de ruelles et de canaux. Or dans cette boutique il y avait aussi une jeune fille…



Un jour, une adolescente monte sur son bateau, l’enjoint de l’emmener avec eux, leur tient un discours des plus étrange au sujet de son ennemi, un certain Parpagnaco. Quelques jours plus tard, elle disparait du bateau. En la cherchant, elle, la boutique de marionnette et la jeune fille, le capitaine découvre par hasard une librairie tenue par un respectable vieil érudit. Première surprise : l’adolescente y travaille comme vendeuse. Deuxième surprise : Parpagnaco est là également. Et c’est… Un chat.



Egarez-vous par les rues et les canaux de la fiancée de l’Adriatique. Plongez dans l’ambiance unique, qui l’habitait du temps où elle était encore une véritable ville, et non un Airbnb géant. Peut-être est-ce quand l’on n’y cherche rien que l’on y trouve ce qui en fait le prix.
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Coco perdu - Essai de voix

Louis Guilloux. militant antifasciste de la première heure, mais surtout un homme que l'engagement au Parti Communisme mènera à accompagner André Gide dans son « Voyage en URSS ».

« Coco perdu », le dernier ouvrage publié par Louis Guilloux, deux ans avant sa mort.



A l'entame de ce petit ouvrage et connaissant le passé de l'auteur, tout laisse à supposer que le « coco » en question est un militant communiste. Il n'en est rien… et l'auteur nous le confirme d'entrée, qui fait dire à l'homme : « mais vous savez, moi, question politique, c'est fini fini depuis longtemps, oh, là là ! »



Un homme soliloque à la fin de sa vie.

On comprend très vite qu'elle ne lui a pas apporté le « minimum syndical » de bonheur ; et qu'il n'en attendait pas à vrai dire beaucoup plus…

Un homme soliloque, dont nous ignorons tout jusqu'à son nom ; de retour dans sa province à la retraite. Tout juste saurons nous qu'il est marié : il accompagne sa femme à la gare. Elle part. Pour où ? Pour combien de temps ? Nul ne sait… Tout juste saurons nous qu'il n'aime pas la gare, mais la fréquente pour acheter son tabac.



Un homme soliloque, et c'est l'occasion pour l'auteur de parler du temps qui passe, du sens qu'on doit (peut) donner à sa vie. Un texte poignant de la part d'un écrivain engagé, mais ici résigné, alors qu'il est rattrapé par « le vent du soir » qui vient de se lever…

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O.K., Joe !

Voici un livre court (142 pages) mais dérangeant. Il ose aborder une période sombre de l'histoire. L'auteur a mis trente ans pour l'écrire afin de restituer au mieux et avec tact des souvenirs ancrés dans sa mémoire depuis l'été 1944.



La Bretagne vient d'être en grande partie libérée, à Saint-Brieuc, Louis Guilloux, tout comme la population locale, voit défiler avec soulagement, l'armée américaine libératrice. Les soldats au sourire sympathique sont accueillis en héros. Pourtant la guerre est loin d'être terminée et l'on traverse une période complexe, pleine de contradictions : liesse populaire, bals de campagne au son de l'accordéon et en même temps, règlements de comptes et épuration. Certaines femmes sont humiliées et tondues en public. Louis, qui parle anglais, est engagé, presque par hasard, comme interprète par deux officiers américains. Sa mission consistera à traduire en anglais les témoignages de français convoqués devant les Cours Martiales qui jugeaient des GI's accusés de meurtre et viol de civils français. Les procès se terminent pratiquement tous par une condamnation à mort par pendaison. Une position difficile et inconfortable pour Louis, qui en tant qu'interprète, se doit d'être neutre et effacé, sans réaction, juste un intermédiaire entre juges, victimes et accusés. Il se sent mal à l'aise, à la fois spectateur et complice des jugements, qui envoient des hommes à la mort, pour la plupart des hommes noirs, des afro-américains.

Une question le taraude "Mais pourquoi toujours des noirs ? " Ce n'est pas un tribunal spécial pour les noirs ?



L'auteur, dans un style simple et factuel, raconte avec un certain tact des événements historiques sordides que certains auraient préférés oublier. Il évoque la complexité des situations et des mentalités. Les soldats américains sont sympathiques, enthousiastes et décontractés, un peu naïfs mais sûrs d'eux-mêmes et de la puissance de leur pays à apporter la liberté et à changer le monde. le racisme basique est une évidence dans l'armée et dans le pays.



Un témoignage simple tel un reportage au jour le jour, une écriture fluide avec beaucoup de non-dits, des dialogues banals, et des échanges superficiels juste cordiaux, cet ouvrage longuement muri par Louis Guilloux est puissant et riche d'enseignement.



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La Maison du peuple

C'est avec un enthousiasme débordant que notre professeure de littérature française nous a parlé de Louis Guilloux, me donnant largement envie de découvrir cet écrivain (ce que j'ai également fait en lisant le recueil de nouvelles Vingt ans ma belle âge).



L'histoire se déroule à l'aube de la Première Guerre Mondiale, lorsqu'un homme, cordonnier, peine à subvenir aux besoins de sa famille... Il s'immisce dans le mouvement socialiste de la ville de Saint-Brieuc et, avec d'autres ouvriers, il décide de créer la maison du peuple.



Toute l'histoire est contée du point de vue du fils du cordonnier, Louis. C'était touchant de découvrir cette histoire, très largement politique, du point de vue d'un enfant. Malheureusement, cela rend, dans le même temps, le sujet un peu moins intéressant...



Bien que j'ai aimé cette histoire, ce n'est pas un livre qui me marquera, pas plus que la nouvelle Compagnons, qui se situe à la fin de l'ouvrage. Je suis toutefois ravie d'avoir pu découvrir les textes de Louis Guilloux !
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Dossier confidentiel

Une étrange atmosphère de "fin d'un monde", de longue transition ou de passage vers "ce qu'on ne parvient plus à maîtriser" (son destin ?) ; la langue y est poétique, précise, sobre... On se souviendra longtemps des bourrasques du vent dans les conduits de cheminée, des atmosphères lugubres de cours de pensionnats pluvieuses bien avant le lever du jour. Un très beau livre "introductif" pour découvrir peu à peu l'atmosphère si touchante et "provinciale" - au sens universel de nos prosaïques "hasards de naissance" (plus ou moins prestigieux, plus ou moins déprimants... ) - de l'univers de "l'écrivain de Saint-Brieuc". Un art littéraire unique - universel et inimitable - au sens de ceux qu'on voulu créer (là encore, de toutes pièces) les si "provinciaux" Ramuz, Walser, Dhôtel, Gracq...

Beauté de la police de caractères (j'oserais presque dire : calligraphie...) de l'édition - très passéiste - en "Cahiers rouges" chez Grasset ... Et je repense là aux éditions pareillement écarlates de "Derborence", "La grande peur dans la montagne" ou "Aline" de C.F. RAMUZ...
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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Le Sang noir

Misanthrope difforme, Merlin le professeur de philosophie dit Cripure, traîne sa lourde carcasse comme l'albatros de Baudelaire dans un monde qui se rit de lui, faute de le comprendre. Petits bourgeois veules et fonctionnaires obtus, badernes sans âmes s'agitent dans leurs misérables activités jusqu'à ce que leurs enfants meurent au front ou se fassent fusiller en insurgés.

Leur monde n'a plus de raison, en a-t-il eu jamais ?

Que vaut alors l'esprit dérisoire d'un vieux professeur de philosophie impuissant à comprendre cette folie guerrière, impuissant même à avoir su maîtriser le fil d'une vie pathétique.

Bien sûr, Cripure est un surnom et l'auteur de nous expliquer que c'est une contraction de l'oeuvre maitresse de Kant.

La langue des oiseaux nous donne à entendre « cri pur ». Et ce roman est en effet un long cri de plus contre la bêtise crasse des hommes. Dans un style original, ne manquant ni de souffle, ni de poésie l'auteur nous entraîne par tableaux successifs dans l'existence reconquise de son héros.

Méchants abjects, personnages pittoresques, brossés avec subtilité et nuances mais sans concession, rendent ce roman crépusculaire attachant et prenant.



Le Sang noir est enfin et surtout une mise en double perspective de la vie du philosophe individualiste Georges Palante/Merlin, Merlin lui-même auteur d'une biographie d'un philosophe local et une illustration des thèses de ce même Palante sur l'anéantissement de l'individu par la société.



Bien évidemment, on songe à Céline pour la verve, la liberté de ton et l'on perçoit combien ce livre méconnu a pu influencer bien d'autres auteurs depuis sa parution en 1935. L'aura de Merlin ne fut pas sans me rappeler celle du héros de « Au-dessous du volcan » de Malcom Lowry par exemple ou le monde d'"Uranus" de Marcel Aymé.

Un grand roman donc et un beau et inoubliable personnage de littérature.
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