À MADAME MARIANNE MICHEL
Mère, pourquoi frémir quand je te dis mon rêve ?
Le pêcheur endormi voit en songe la grève ;
Moi, je vois je ne sais quel mirage lointain
Qui se mêle à l’aurore, à la nuit, au matin.
Je suis toute en orage, et rien ne m’inquiète.
Oh ! non, ne frémis pas : le laurier du poète
Est souvent un cyprès ; mais les cyprès sont beaux,
La vision rayonne à travers leurs rameaux.
Et puis rien n’y ferait, vois-tu, j’ai dans la tête,
Dans l’âme, dans le cœur, une immense tempête.
Te souviens-tu qu’enfant, j’entendis une voix,
M’appeler dans la nuit une première fois ?
Rêve de troubadour, qui voit passer dans l’ombre
Le mirage trompeur des visions sans nombre,
Peut-être ! Et, cependant, une seconde fois,
Ma croyance est ainsi, j’entendrai cette voix !
Raffermis donc ton cœur, ô mère, je t’en prie !
Qu’importe la fortune et qu’importe la vie
À celui dont l’amour est par delà les cieux,
Dans l’immense infini plein d’astres radieux.
Eh bien, oui, c’est folie à la pauvre âme humaine,
Luciole jetant sa lueur incertaine,
D’aimer les univers répandus dans l’espace,
Tandis que, sur la terre, à peine elle a sa place.
Mais elle est faite ainsi d’amour toujours avide,
Voulant l’éternité, dans sa course rapide.
Pourquoi pleurer quand, seul, à ce vaste infini,
Pourrait le disputer, mère, ton nom béni ?
Château de Vroncourt, 1867.
(p54/55)