Poésie - Emploi du temps - Luc BÉRIMONT
S’il en est toujours temps
S’il en est toujours temps, pense au village heureux
Aux chevaux en sueur qui charroyaient l’orage
Pense aux pommes creusées par les guêpes d’Octobre
Aux filles de dix ans, cuisses nues dans les trèfles
Pense aux paradis morts qui portaient témoignage
Avant de t’en aller dans la nuit trop fertile
La nuit dont tu sortis sur un soleil voguant
comme un moucheron saoul
liberté
l’aube au soir
(...) Mais toi, je te tiens ici-bas, courbe et pure comme une flamme
Tu es l'univers rassemblé, le désir aigu des bourgeons
Tu es tout ce qui m'est donné-la charpente en bois vert d'étoile
Un seul regard, monté de toi, éclate au pays des vertiges
La peau fine, née de ta main, fait déborder les océans.
( " Poésies 1940-1983")
POÈMES INÉDITS
JARDIN
Enchevêtré d'eau et de branches
Qui est entré dans ce jardin dont l'ombre a refermé les portes
Et quel fleuve avons-nous passé, quel seuil, quel reflet sans
retour ?
Je pénètre un royaume obscur où les feuilles font un bruit
d'astres
Ivre, ébloui de ce regard qui germe au terreau de ma nuit
La tristesse est tombée de moi; la mort et la désespérance
Je suis un arbre de l'été verdoyant au fort des chaleurs
Parce qu'une main sur mon front a fait le signe des enfances
Je prête racine au matin sur quoi va se fonder le jour.
p.164
LA NUIT D'AUBE
Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l’hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige.
Une rose a tremblé sur la paille, à l'auberge
L'ange au gantelet noir roule sous les sapins
Une rose a tremblé, plus frileuse qu'un cierge
La neige lacerait le ciel ultramontain.
Édifice du temps un enfant vous renverse
Une rose, une lampe, une larme au matin.
Il suffit d’un baiser qui réchauffe la neige
Et notre rose à nous brûle déjà ta main.
Je t'attends aux grilles des routes
Je t'attends aux grilles des routes
aux croisées du vent du sommeil
je crie ton nom au fond des soutes
des marécages sans oiseaux
du fond de ce désert de fonte
où je pose un à un mes pas
j'attends la source de tes bras
de tes cheveux de ton haleine
tu es terrible tu m'enchaînes
tu me dévastes tu me fais
je t'attends comme la forêt
inextricable enchevêtrée
tissée de renards et de geais
mais que le matin fait chanter.
( "Poésies complètes")
LES SAISONS DE CHEVREUSE
Dans le chaudron du vert les prunes de septembre
Cuisent au feu solaire, au feu des guêpes chaudes
Et des miels éclatés, pourris de sucre et d'or
L'odeur éclaire et mord le coeur charnu des chambres
Les lampes oubliées et les taffetas morts.
Le village est plus frais que la main des rivières
L'abreuvoir aux chevaux suce ses flûtes d'eau
La forêt fume au fond. Crache son jet de pierres
Le mur monté, armé, des reins de la colline
Et que mine le pas lamineur des troupeaux.
Les toits coulent le bleu des craquantes lumières
Sur le tourbillon fou des vergers voyageurs
Sur les vallons secrets, sur la paille des fleurs
Aux feuillages mouvants de l'arbre des nuages
Aux ombres balancées des prairies d'outre-temps
A la forêt fine, aux étangs.
La pluie marche dans le printemps
Heureuse nue, heureuse nue...
J'ai geigné la pirafe
J'ai cattu la bampagne
J'ai pordu la moussière
J'ai tarcouru la perre
J'ai mourru les contagnes
J'ai esité l'Vispagne
Barcouru la Pretagne
J'ai lo mon vieux vépris
Je suis allit au lé
J'égué bien fatitais
Mon amour du profond des nuits
Du fond de la terre et des arbres
Du fond des vagues, de l'oubli
Mon amour des soifs de l'enfance
Mon amour de désespérance
Je t'attends aux grilles des routes
Aux croisées des vents, du sommeil
Je crie ton nom du fond des soutes
Des marécages sans oiseaux
Du fond de ce désert de fonte
Où je pose, un à un, mes pas
J'attends la source de tes bras
De tes cheveux, de ton haleine
Tu me libères, tu m'enchaînes
Tu me dévastes, tu me fais
Je t'attends comme la forêt
Inextricable, enchevêtrée
Tissée de renards et de geais
Et que le matin fait chanter.
(" Le sang des hommes")
Minerai de solitude
Chaque caillou du sol est seul, mais le sait-il ?
Chaque étoile du ciel est de la solitude
Aussi le lièvre droit, la chaleur du terrier
Le sang qui vient peser à la vitre de l’œil
Même le soleil fou, la cage où ruent les blés
Même la bouche grasse et la poire mordue
Ah ! je n’ai pas le temps de rassembler vos cris
Mes frères qui vivez et qui mourez ainsi.
Peut-être, quand viendra la nuit
Peut-être, quand viendra la nuit
Vais-je poser mes mains autour de ton visage ?
Une lampe assourdie balancera le vent
Qui monte des ravins d’octobre avec la pluie
Tu t’approcheras, nue, entre les murs bâtis
Mais je ne connaîtrai de toi que ton visage.
Je retiendrai l’instant comme une écluse haute
Capable d’emporter deux corps dans un courant
Je dirai la raison sourde des marécages
Croupis dans une attente à goût d’orage et d’eau.
Je tiens la nuit contre ma bouche
D’un souffle si léger, si pur
Qu’il entretient le feu des pierres.
Un geste pourrait dévaster
Les jardins en pente du jour ;
Le plus court hasard nous tuerait
En ce territoire incertain.
Je reste en vie si loin de toi
Mon absente, ma déferlante
Parce qu’aux confins fous du sang
Luit le pavot bleu du plaisir.