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Citation de Atarah


Lucien Rebatet
Souvent, il avait oublié les enchaînements exacts du chef-d’œuvre. Il brodait lui-même, et c’est ainsi qu’il s’était remis à composer. La musique des autres, ce fragile trésor de mémoire, s’épuisait peu à peu. La sienne s’y substituait. Une grave et sombre mélodie se gonflait dans son cœur, s’épanouissait naturellement, s’infléchissait d’une tonalité à l’autre. (« Je suis en si mineur. Que c’est beau ! ») Cela se passait le plus souvent après dix heures de la nuit, sous la vague veilleuse bleuâtre du dortoir, dans le lit étroit et moite, où il s’était refusé à la tentation dardante et doucereuse. Il n’entendait plus les ronflements assourdis des autres ; la geinte du voisin, qui s’en tapait une, s’était tue. Il se redressait, empli et soulevé par son chant, émerveillé de sa puissance. Les basses étaient là, fermes et nourries. Ce serait un chœur, dont toutes les parties se construisaient et progressaient ensemble. Il se répétait avec volupté les quinze premières mesures. Mais à la trentième, le magnifique souffle s’écourtait, Pierre glissait instinctivement à une de ces marches d’harmonie dont M. Souchon vitupérait la rondouillardise. Passer à un autre motif ? Oui, mais comment éviter le pot-pourri ? Il tâtonnait au bord de modulations instables, séduisantes, dans lesquelles il devinait son langage, la forme où s’inscrirait, se solidifierait cette étrange nébuleuse de l’inexprimé qui bouillait en lui. Mais elles étaient terriblement périlleuses, elles le laissaient tout à coup dans le vide d’un brutal et piteux silence. Le subtil accord était tombé comme une vanne sur le flot qu’il coupait net.
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