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Critiques de Lyonel Trouillot (299)
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Tu aurais pu vivre encore un peu...



Tu aurais pu vivre encore un peu… Jean Ferrat le chantait pour un ami très cher et voilà que ce vers si émouvant sert de titre à ce très beau livre des éditions Bruno Doucey.

Les dessins signés Ernest Pignon-Ernest sont d’une expressivité extraordinaire. Ils semblent faits au fusain avec un relief d’une humanité profonde.

Ernest-Pignon Ernest était ami avec Jean Ferrat, né Tenenbaum en 1930 et mort en 2010, à 80 ans.

Né en 1942, Ernest-Pignon Ernest, depuis un demi-siècle, appose ses dessins sur les murs des villes, un peu partout dans le monde. Dans ce beau livre, s’il a réalisé trois portraits de Jean Ferrat, il superbement croqué Paul Éluard ou Pablo Neruda mais aussi Victor Hugo, Paul Verlaine, Georges Brassens, Charles Baudelaire, Elsa Triolet etc… et Louis Aragon, bien sûr !

Enfin, il y a les textes magnifiques de Lyonel Trouillot qui a su allier sa plume alerte aux extraits si bien choisis des chansons de Ferrat.

D’ailleurs, il s’adresse à lui, le tutoie comme un camarade, ce si joli nom. Écrivain haïtien, né à Port-au-Prince en 1956, est aussi poète et cela se ressent. Par contre, lui n’a jamais rencontré celui qui avait choisi l’Ardèche et Antraigues-sur-Volane pour vivre, mais il adorait ses chansons comme il le prouve par des textes courts, éloquents, percutants ou délicieux.

Ce beau livre est né lors d’une résidence artistique au Cairn de Meyrin dans le canton de Genève et s’est confirmé lors d’une exposition, « Les Murs du lendemain », au 18e Forum international sur les droits humains, toujours à Genève.

Rythmé par les œuvres de Ernest Pignon-Ernest, quelques mots éloquents écrits en gros caractères accompagnent un parcours littéraire sur les textes de Jean Ferrat,

Tu aurais pu vivre encore un peu aborde tous les thèmes de l’artiste, ses combats, sa lucidité, son chant d’amour et son affirmation en faveur des femmes, souvent aidé par les textes de Louis Aragon.

Jean Ferrat me manque, Jean Ferrat nous manque mais il reste ses disques et bien d’autres moyens pour l’écouter, le voir chanter. Il n’est pas un chanteur mais un homme qui chante et j’ai beaucoup aimé ce doux moment poétique et émouvant procuré par ce beau livre.

Comme Bruno Doucey, l’éditeur, l’affirme : « Chanter, écrire, dessiner, c’est toujours rêver de beaux lendemains. »


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Tu aurais pu vivre encore un peu...

C'est le premier vers "Tu aurais pu vivre encore un peu..." d'une des si belles chansons de Jean Ferrat qui a servi de titre à ce magnifique album dédié à cet auteur-compositeur interprète parti trop tôt. C'est un livre tout en délicatesse dont les portraits sont signés du plasticien Ernest-Pignon-Ernest et le texte superbe, de l'auteur haïtien Lyonel Trouillot : un livre conçu à quatre mains qui redonne vie à cet homme né Tenenbaum en 1930, et décédé, voilà 10 ans déjà, ayant vécu depuis 1974, dans cette Ardèche qu'il a sublimement chantée !

Ces deux artistes ont associé leur talent pour conjurer l'absence de celui qui détestait les interdits, l'injustice et le totalitarisme et qui aimait avant tout la poésie. Il disait d'ailleurs à propos d'Aragon : "La poésie d'Aragon, c'est simple, c'est direct, c'est beau, trois choses qui sont essentielles pour moi dans la chanson"

Ce sont d'ailleurs pas moins d'une vingtaine de portraits pleine page, magnifiques qu'a peints Ernest-Pignon-Ernest, son ami - ils partageaient une même conception de l'art, celle des idées au service de la poésie - des portraits de poètes ou d'artistes que Ferrat considérait comme des frères de poésie et d'engagement : Aragon, Brassens, Desnos, Éluard, Neruda, E. Triolet, V. Hugo, V. van Gogh, B. Vian et d'autres encore.

Quant à Lyonel Trouillot, il a su avec justesse et poésie, replacer les mots, les pensées et les paroles du chanteur dans la vie d'aujourd'hui.

Pour celles et ceux qui aiment Jean Ferrat, et j'en fais partie, c'est un album à se procurer de toute urgence. Il ne s'agit ni d'une biographie, ni d'un album photo, ni d'une anthologie mais bien d'une oeuvre originale, une véritable promenade poétique, artistique avec des paroles puisées dans certaines chansons de Jean Ferrat, auquel l'écrivain s'adresse accompagnée de forts beaux portraits au fusain.

Loin de nous plonger dans la nostalgie - un petit peu tout de même - il est impossible de ne pas fredonner quelques airs en le lisant -. cet ouvrage nous montre que ce qu'a mis Ferrat en musique colle toujours à l'actualité et qu'il a parfois eu des pensées prémonitoires :

"C'est fou ce que je m'acclimate

Au jardin d'acclimatation."

Lucidité plus que divination, tu as su voir venir toutes les régressions, l'affaissement éthique, la résignation et les stratégies d'acclimatation. C'est une France bien loin de la tienne qui triomphe aujourd'hui. Tu l'avais dit :

"Jésus-Marie"

Quelle décadence

Quelque chose est pourri

Dans mon royaume de France."

Mais ne nous laissons pas abattre et combattons toujours car n'oublions pas :

"Que c'est beau, c'est beau la vie !"

Un bel objet essentiel à mettre sous le sapin !

Je remercie les éditions Bruno Doucey et Babelio pour m'avoir offert ce superbe cadeau de Noël avant l'heure.

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Parabole du failli

Le plus beau livre de la rentrée littéraire 2013, le plus déchirant aussi, est signé Lyonel Trouillot. Un livre oublié de toutes les sélections de prix et qui ne semble pas taillé pour le succès commercial. La faute à cette foutue époque et un sujet trop éloigné des préoccupations littéraires des français. Et pourtant.... j'ai réécrit dix fois ce livre en notant ici et là des passages. J'aurai pu tout noter tant tout est sublime, de la langue de Trouillot jusqu'à cette réflexion sur le sens de la poésie dans le monde moderne et surtout, surtout, de l'amitié.

L'histoire, il faut commencer par cela, est celle d'un couple d'amis qui découvre, en regardant les journaux télévisés, la mort de Pedro, un des leurs. Pedro, un artiste de tout et de rien, récitant un jour de la poésie à qui veut bien l'entendre, distribuant des pages de recueils déchirés, saoul la plupart du temps et à terre toujours, avait quitté Haiti pour partir en tournée en Europe. Et c'est à Paris que Pedro se tue en sautant d'un immeuble. Accident ? Non, ses deux survivants d'amis savent bien que ses blessures à lui étaient tellement énormes qu'elles prendraient un jour le dessus. Mais pourquoi, Pedro, pourquoi être parti si loin ? "Ici, nous t'aurions rattrapé avant que ton corps touche le sol. Ici, on a appris à amortir les chutes. Et puis, où t'aurais trouvé un immeuble de douze étages! Même les banques et ces saletés de compagnies qui détiennent des monopoles n'en construisent pas de si hauts. Ici, on est déjà par terre et personne ne tombe dans le vide. Nous t'aurions rattrapé. Et puis, toi qui parlais tout le temps, tu aurais pu nous dire. Nous t'aurions suivi. Nous aurions monté la garde autour de toi. Comme ce soir où tu es parti en titubant. Nous savions que ce soir-là nous ne devions pas te laisser seul. Ton père t'avait encore traité de honte de la famille. Mais ce n'est pas la honte que tu portais en toi quand tu courais dans les rues en criant : "Le désespoir est une forme supérieure de la critique." Tout le roman est construit sous la forme d'une lettre à ce suicidé et, amis lecteurs, n'essayez donc pas de retenir vos larmes. Elles couleront comme elles ont coulé le long des joues du narrateur. Oh, pourtant, cet ami là, ce Pedro, n'était pas exemplaire. Malheureux pour un rien et le verbe haut, jamais il n'a, lui, prêté ses oreilles aux malheurs -d'autant plus douloureux que silencieux- de ses amis : "Le deuxième soir, nous t'avons écouté déblatérer sur les agents de commerce. L'Estropié n'a pas dit que son père à lui, ses enfants l'appelaient Méchant. Qu'il y avait des douleurs plus grandes que les tiennes. Ces choses là ne se disent pas. En tout cas, pas le premier soir. Ni le deuxième." Mais, je vous ai dit, il s'agit d'un roman, d'un roman immense sur l'amitié. "Tu y allais trop vite. Mais c'était ça, Pedro. Tu allais vers les autres plus vite que les autres. Et quand on choisit un ami, on choisit aussi ses faiblesses. L'Estropié et moi nous sommes adaptés à ton rythme. "Homme libre, toujours tu chériras la mer..." le deux-pièces, c'était notre bateau. Tu es monté dans le bateau et, le troisième soir, avant de vider la bouteille nous tanguions déjà tous les trois." Car il s'agit de cela, des liens étranges qui attachent les êtres et les destins. Ce qui relie ces trois êtres là, le narrateur ne pourra jamais mettre la main dessus, c'est quelque chose qui le dépasse et qui nous dépasse tous. Ni le narrateur ni l'Estropié, le troisième comparse, n'ont réussi à sauver Pedro. La poésie, elle non plus, n'a pas sauvé Pedro. Que reste-t-il au narrateur et à l'Estropié ? Rien. Une parabole dont il ne parviennent à déchiffrer le sens et le véritable destinataire. Un portrait sublime sur un artiste "autre" et un questionnement permanent sur l'amitié et le sens de la vie. Pas sûr que tant d'autres livres de la rentrée littéraire puissent vous faire tanguer autant que celui-ci.
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La belle amour humaine

Après le très réussi « Yanvalou pour Charlie », cette deuxième ballade dans l’univers de Lyonel Trouillot est de nouveau bien agréable.

Thomas vient récupérer Anaise à l’aéroport pour la conduire dans le village ou son père est mort. La jeune femme vient remplit d’interrogations, Thomas va lui servir de guide et amener Anaise sur des rivages insoupçonnés.

A travers trois chapitres, Trouillot nous enchante par son talent de conteur, nous séduit par une prose d’une grande richesse. Son regard est aiguisé, réaliste, il ne s’y trompe pas, ni sur ces compatriotes, ni sur cet Occident qui peut paraitre arrogant. Quelles traces restent de notre éphémère passage ? Trouillot oppose bonté et bêtise humaine avec un plaisir des mots et une langue chatoyante. Ces phrases envoutent par leur musicalité. Un voyage dans ce bassin caribéen qui se lit d’une traite pour en apprécier toute sa saveur.

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Kannjawou

Haïti, sous la seconde occupation. La ville de Port-au-Prince se découpe en deux parties : La partie basse abrite une population locale paupérisée par les guerres ; et plus on remonte la ville, plus on se dirige vers les beaux quartiers accueillant les dignitaires, diplomates, ONG. le narrateur appartient à une bande de cinq gamins de la rue de l'enterrement, partie basse de la ville. Grâce aux bourses, ils atteindrons pourtant les milieux universitaires intermédiaires, qui les aideront à subsister à leur besoins, et leur donnera envie d'aider les jeunes défavorisés du quartier.





Pour arrondir les fins de mois, l'une des cinq travaille au nouveau bar à la mode : le Kannjawou, lien entre ces deux mondes opposés. Kannjawou désigne les grandes fêtes de villages qui, autrefois, rythmaient la vie des populations locales. Situé à la croisée des chemins, ce bar attire autant les dignitaires étrangers à la recherche de pittoresque, que les populations plus pauvres fascinées par l'ennemi : « les bottes » ; l'occupant.

Le mercredi soir, le temps d'une trêve tacite, tous font la fête au même endroit - mais sans vraiment se mélanger. Les dignitaires aiment se faire valoir entre eux ; la bande des cinq aime les observer, cherchant un sens à ces futilités dans un monde dont ils ont été dépossédés. Si leur pays ne leur appartient plus, et qu'on ne leur permet pas de se l'approprier, leur avenir leur appartient-il encore ?





Le narrateur nous raconte alors la vie de son quartier et de ses habitants, enfant ou adultes, enfants devenant adultes, enfant avec des responsabilités et des préoccupations d'adultes… Un quartier qui, se relevant à peine du souvenir de la première occupation, subit la seconde comme une injustice. Quelques-uns se rebellent mollement contre elle, par quelques tours amusants joués à l'envahisseurs ; Quelques autres lutteront à l'échelle humaine, par la socialisation et l'éducation.





Un roman non-dénué d'intérêt mais surtout d'humanité, de celle que l'on côtoie dans la misère. Quelques moments et anecdotes truculents (mention spéciale au mort-vivant en ce qui me concerne, ou à la balade au coeur du vent, mais peut-être lui préfèrerez-vous le pipi de chat…) nous sont livrés, presque murmurés. Car ce n'est pas un livre qui fait grand bruit, vous n'y trouverez pas de grand héros ni de grands éclats. Vous ramasserez plutôt, avec l'auteur, les miettes d'un quotidien difficile dont on s'accommode pour avancer, parce qu'on n'a pas d'autre choix. Un récit fait de petits riens, dans lequel il ne faut pas chercher une grande épopée romanesque, sous peine d'être déçu, comme l'a été Célestine qui me l'a fait découvrir. Plutôt une sorte de poésie qui adoucit le quotidien, au risque de lire l'aventure en apesanteur, avec cette sensation de simplement survoler la dure réalité, comme dans un rêve. Une sensation ouateuse, comme une gueule de bois un lendemain de kannjawou, qui lui ôte peut-être un peu de réalisme, de profondeur.





« Une histoire sans fin et toujours changeante que j'intitule Kannjawou. (…) C'est une histoire de partout. On y voit des humains (…). Les cimetières, toujours, deviennent des jardins. (…) toutes les frontières sont ouvertes à qui les passe les mains ouvertes et le coeur sur la main. Et tout finit par une grande fête qui a beaucoup de noms. Ici, nous l'appelons Kannjawou. Et défilent les personnages. (…) Avec suffisamment de bonheur pour que chacun puisse dire à l'autre, du bonheur j'en ai suffisamment pour deux. Alors tiens. Si t'en veux, je t'en donne. »





Par son récit - et de manière paradoxale - le narrateur a simplement à coeur de faire exister ces personnages réels qui ont vécus avec lui, mais qui ne semblaient pas exister pour le reste du monde et, en particulier, pour l'occupant. Ce texte est sa résistance. Un hommage à son « petit professeur » avec qui il avait compris que « Nous sommes tous dans les livres, comme les preuves que les personnages qu'on y trouve existent vraiment. » Alors il a écrit un livre sur eux. Pour les faire exister. Pour leur prouver - et peut-être se prouver - qu'ils existent pour de vrai, qu'ils existent pour lui. Que leurs vies comptent. Car on ne peut pas bâtir un avenir sur du vent.





« Les mois ont passé. Les choses et les personnes ont continué à glisser, qui dans le vrai, qui dans le faux. Je reprends ce journal qui ne mène nulle part. Parfois la vie ne bouge qu'à l'intérieur des mots. »
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Antoine des Gommiers

Un petit voyage dans les Caraïbes, ça vous dit?

Bon, faut que je vous dise qu'on ne va pas aller se prélasser sous les cocotiers aux Bahamas ou aux Antilles, on ne va pas avoir le cigare du coté de la Havane ni siroter un rhum jamaïcain les pieds dans une eau turquoise. Non, nous allons aller juste en face de Kingston, à quelques 500 kilomètres plus à l'est dans la mer des Caraïbes, là où est né et où habite Lyonel Trouillot, poète, romancier, journaliste et professeur de littérature, auteur d' « Antoine des Gommiers ».

Si le voyage vous tente toujours alors embarquement immédiat pour l'un des pays les plus pauvres de la planète, un pays où la misère est accompagnée régulièrement de catastrophes naturelles. Bienvenue à Haïti et dans les bidonvilles de sa capitale, Port au Prince.



Dès votre arrivée vous serez accueillis par Franky et Ti Tony, deux frères habitant l'un des corridors (plus présentable que bidonville comme nom) d'un quartier de Port au Prince délaissé des dieux.

Ti Tony vous servira de guide avec de belles excursions au coeur de la débrouille ou au sein d'amitiés sincères avec des chefs de gang et autres bandits au coeur tendre.

Franky lui, vous mènera à travers les âges et les légendes familiales. Franky, c'est l'amoureux des mots, le littéraire de ce qui reste de la famille, c'est le rêveur, celui qui couche l'histoire de son ancêtre sur le papier.

Franky vous contera Antoine des Gommiers, grand devin d'Haïti, son arrière grand père, reconnu et respecté pour sa sagesse pendant que Ti Tony, plus terre à terre, s'occupera du tout venant.

Vous serez invités à réfléchir à la devise de l'aieul, l'important n'est pas ce que tu vois ou entends mais ce que tu en fais.



Lyonel Trouillot offre avec ce roman une escapade poétique des plus réussies en cale de galère battant pavillon Pauvreté. A l'odeur du dénuement, vient s'imposer le parfum du coeur et de l'amour, de l'amitié. Des effluves de derrière les masques.

C'est écrit juste, sans figures de style pour faire de l'esbroufe ou du volume, c'est écrit magnifiquement. du poétique, y en a malgré la dureté des situations, malgré le mépris de la vie pour ces gens de rien. Un contraste doux amer du plus bel effet aux frissons du ressenti.

Et que dur les moments doux ou que ne durent les moments d'où comme disait presque l'autre…



Pour une fois je vais citer les derniers mots de l'éditeur (Actes Sud) car je ne saurai en avoir de plus justes pour définir ce bouquin :

« Mais quelle est l'essence des récits d'une vie quand elle n'a pas d'avenir ? Avec quelle arme ou quelle faiblesse se construit-on une intériorité, dans les corridors comme ailleurs ? Et quelle est la couleur de la beauté , celle de l'amour, si ce n'est celle que les conteurs et autres rêveurs portent à l'infini ? »



Un coup de coeur ? Non. Un coup au coeur.

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Parabole du failli

S’il est un écrivain qui m’est devenu indispensable, c’est bien Lyonel Trouillot. J’enchaine ses titres les uns après les autres avec toujours un peu plus d’émotion à chaque fin de lecture, avec toujours un peu plus d’envie de traverser ses paysages. Le besoin de me laisser transpercer par ses mots, sa poésie, encore et encore, se fait un peu plus pressant page après page, révolte après révolte.



« Parabole du failli », quel beau livre.

La vie, l’amor. Et l’homme, funambule, fragile, si fragile. L’homme sur son fil, toujours à la limite, perdu à une frontière entre deux crépuscules, entre deux émotions. Il suffit de si peu pour que le jour s’éteigne ou que les ténèbres s’allument.

Et puis le temps assassin, sournois, le temps, là, mord à l’improviste. Le fourbe, avec la seule certitude qui soit, celle de la morsure des jours passés, des jours « très passés ». La seule égalité des Hommes est dans cette mort sure qui est au bout du chemin.



Une grande ville entre paillettes et néons, de celles qui usent d’artifices pour masquer les névroses de ses habitants. Un homme, acteur Haïtien aux portes de la reconnaissance, et sa rencontre avec un bout de macadam, un homme qui quelques secondes avant son rendez vous bitumé se trouvait douze étages et quelques dizaines de mètres plus haut.

Haïti, Port au Prince, la misère à l’état brut. Le chef de la rubrique nécro du canard local et le prof de maths, deux amis qui de leur duo avaient fait un trio avec Pedro l’acteur.

Souvenirs et questions, colère et manque, incompréhension et douleur sur fond de mémoire des jours heureux ou pas, mémoire qui garde vivant bien après un dernier souffle.



Pas de larmoiement dans ces pages, juste de l’émotion brute sachant garder sa pudeur. C’est écrit merveilleusement bien, tout sonne juste et quel que soit le sujet traité, la poésie coule de la plume de Lyonel Trouillot une fois encore.

Quelques empreintes du temps, un premier dialogue posthume, un livre rare.
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La belle amour humaine

Ce livre m'ayant été recommandé par un libraire enthousiaste, je n'ai pas hésité une seconde avant de me le procurer, puisque je voulais, moi aussi, découvrir la plume de Lyonel Trouillot.



Dans cette histoire, nous suivons Anaïse, une jeune femme qui se rend dans un village en Haïti, dans le but de partir sur les traces de son père. Son guide, Thomas, chauffeur de taxi haïtien, va lui parler de son pays, de la pauvreté, mais aussi du père et du grand-père d'Anaïse qui ont exercé leur pouvoir dans ce village haïtien, Anse-à-Fôleur.



C'est une sorte de long monologue (pas si long que cela puisque l'ouvrage fait moins de 200 pages) qui va nous permettre de mieux connaître Haïti et d'en apprendre plus sur l'histoire d'Anaïse, en même temps que celle-ci. La plume de Lyonel Trouillot est très belle, comme le relèvent les autres chroniques.



Cependant, même si j'ai apprécié cette lecture, force est de constater qu'elle ne marquera pas ma mémoire : lue il y a quelques mois déjà, mes souvenirs sont déjà assez flous... C'était cependant très chouette parce que l'écriture m'a plu et que j'ai lu un auteur haïtien, ce qui n'était jamais arrivé jusque-là.
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La belle amour humaine

♫ Une île

Une île au large de l'espoir

Où les hommes n'auraient pas peur

Et douce et calme comme ton miroir

Une île

Claire comme un matin de Pâques

Offrant l'océane langueur

D'une sirène à chaque vague♫



(Brel – bien sûr, qui d'autre ? – Une île)



Si le paradis existe, il est au bourg d'Anse-à-Fôleur, Haïti.

Là où « à vivre de mer et d'arc-en-ciel, les couleurs souvent [leur] suffisent.»



Là où « tu trouveras des sourires, une plage sauvage mais gentille, des fruits, du pain doux et beaucoup de chansons de mer, du poisson boucané, des paumes grandes ouvertes, des artistes de grand talent travaillant à la bonne humeur, les plus habiles constructeurs de tonnelles et de bois fouillé, des contes et des légendes pour donner du voyage à la vie quotidienne ».



Là où on vous accueille comme vous êtes, gai ou triste. Là où les peintres sont aveugles et atteints de la maladie de la mer. Là où l'instituteur, qui est aussi législateur bénévole, apprend plus des enfants que ceux-ci n'apprennent de lui. Là où chacun met un point d'honneur à être, au moins une fois dans sa vie, un aide-bonheur. Et où les mourants se voient gratifiés d'un cadeau de départ, le rire et le plaisir sexuel, soit les seuls états de grâce réservés aux humains.



Là où les jeunes femmes viennent trouver les traces de l'adolescence de leur père trop tôt disparu. Et s'en repartent avec la brûlante question, la seule qui compte, de savoir comment faire usage de sa présence au monde…



Pépite de lumière et de joie, dans cette série sans fin de dimanches d'automne. Un immense merci, Monsieur Trouillot.

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Parabole du failli

Un rédacteur de la rubrique nécrologique doit écrire un article sur son ami Pedro, Jacque Pedro Lavelanette, qui s'est suicidé en sautant du douzième étage de son hôtel alors qu'il était parti en tournée. En reconstituant les temps forts de sa vie avec cet ami et l'Estropié, avec lequel ils partageaient un petit appartement, c'est toute la vie du quartier Saint-Antoine, en haut de la colline, qui nous est décrite.



Dans Parabole du failli, Lyonel trouillot nous livre une oeuvre poétique et colorée qui laisse la part belle à l'humanité de cet homme suicidé tout en contradiction, le seul qui savait faire sourire Islande, si généreux en étant si égoïste, si aimant et mal aimé, qui portait la poésie à fleur de peau, comme une malédiction, et pour cela peut-être, en distribuait les plus belles pages aux passantes vieilles et jeunes, belles ou moins belles. J'ai particulièrement apprécié l'évocation de ces choses très justes sur ce que nous inspirent les morts, les plus classiques, comme la douleur, l'amour, la tristesse, et celles dont on parle moins, comme la déception ou la colère, car la mort peut être aussi une trahison. J'ai beaucoup aimé également le portrait de cet homme, issu d'une famille de nantis et venu s'immerger dans les quartiers populaires, sans doute pour tenter de s'y trouver. Fantasque et original, tour à tour cireur de chaussures et faux riche qui distribue le peu qu'il a en même temps que de la littérature aux gamins sans avenir du quartier, aimé de celle qui n'aime rien ni personne, toujours à la recherche de l'amour, celui avec un grand A, c'est un homme que l'on (ou moi, en tout cas) aimerait croiser. Parabole du failli ne manque pas non plus d'humour, avec une certaine critique acide de ces étrangers venus en Haïti porter les aides humanitaires en même temps que la bonne parole. C'est aussi, et surtout, une ode à cette île, à ses habitants, à ses couleurs et à l'exubérance de la vitalité de ses populations. Enfin, ce texte peu aéré, presque sans paragraphe, et que l'on a envie de lire d'une traite, tant il nous immerge dans le quotidien de Saint-Antoine, porte aussi un certain espoir, celui que des gamins des rues puissent déclamer du Baudelaire, Pessoa, Rimbaud, Llorca, Villon et bien d'autres... Un espoir aussi fragile qu'une larme prenant naissance dans les yeux d'une grosse femme qui ne sort plus de son appartement.

Un très beau livre.

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Kannjawou

Ca vous dirait un petit voyage au coeur des Caraïbes ? Son eau turquoise, son sable blanc, ses cartes postales… et puis ses perles littéraires, Parce que oui, chacune de mes lectures originaires d'un coin des Caraïbes qui me touche particulièrement, n'est que pure merveille pour le ressenti.

Bon, j'avoue que l'eau turquoise et le sable blanc n'y sont pour rien. Si c'est ce qui vous attire alors préférez La République Dominicaine qui se situe à l'est de l'île d'Hispaniola qu'elle partage avec Haïti parce que c'est un voyage à Haïti que je vous propose. Haïti et sa misère, cette moitié d'île paradisiaque oubliée par le taulier.



Entre dictature et séismes, la pauvreté n'a que l'embarras du choix pour prospérer.

Le meilleur des guides, en la personne de Lyonel Trouillot, vous mènera au coeur de Port-au-Prince.

Visite du musée des illusions perdues avec conférence salle des rêves oubliés.

Excursion au sein d'une amitié de deux filles et trois garçons devenant adultes. Risque d'intempéries quand au fil des années, les idéaux ne se vivent plus de la même manière entre chacun.

Atelier lecture, écriture et philosophie animé régulièrement par « le petit professeur ».

Randonnée rue de l'Enterrement et nuits chez l'habitant, Veillée au sein des pilleurs de tombes.

Soirée dansante au bar Kannjawou (fête en Haïtien) . Safari nocturne où vous découvrirez une fonctionnaire d'un pays développé venue pour résoudre la misère du monde, s'encanailler avec un étalon local, un gigolo quoi.

Découverte de la faune des ONG et autres militaires de l'ONU qui ici aujourd'hui, ailleurs demain, viennent ne pas résoudre des problèmes dont leurs dirigeants sont en partie responsables. Atelier schizophrénie (sans supplément).

Immersion totale dans la vie d'un quartier, d'une rue, de la rue.

Chaque sortie sera agrémentée de poussières d'étoiles et de paillettes d'amour.

Pour toute question, référez vous à la brochure parue sous forme de journal chez Actes Sud, sous le titre de Kannjawou.

Il se dit que l'auteur du prospectus est poète en plus d'être écrivain et professeur de littérature. Vous pouvez le croire car l'écriture est juste divine, enfin, on va dire très à mon goût.

Quand la violence systémique engendre une légitime colère et que cette colère est dite avec rage et sans haine, on peut dire que le ressenti du lecteur que je suis est au septième ciel (penser à dire au taulier qu'il y a deux trois trucs qui merdent en bas).



Vous ne connaissez pas Lyonel Trouillot, ne laissez pas passer le temps ni l'auteur, allez à sa rencontre à moins qu'un golf en République Dominicaine ait votre préférence.
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Le doux parfum des temps à venir

« Nous n’avons qu’une nuit pour en finir avec la fable » dit une mère à sa fille

Car cette mère va mourir à l’aube et avec une grande douceur et une profonde humanité elle tient à passer le relais à sa fille, lui dire la vérité car elle lui a menti pour lui faire aimer la vie, que cet amour la grandisse et demeure en elle malgré l’adversité.


Mais avant que sa fille puisse devenir « maîtresse de son parfum » il lui faut affronter cette vérité, qu’elle sache que si sa mère a été « marquée de la fleur de la honte », marquée par la colère des hommes », si elle a du affronter « la violence des hommes et celle des éléments, si elle a respiré l’odeur de la haine », elle en a aussi été préservée grâce à la naissance de sa fille, par le parfum qu’elle répandait :



« Tu es née avec une odeur de fruit pur, de rosée franche,

une odeur de route à prendre dans le matin clair.

Et j’ai chassé en moi toute idée de défaite. »



Que peut dire de plus beau une mère à sa fille et quelle plus belle preuve d’amour peut-elle lui donner ?



« N’oublie pas, mon amour.

Le paradoxe du parfum, c’est qu’il libère ce qu’il capture.

Capture la vie et libère-la.

Capture les odeurs de la vie et libère-les.

Qu’elles jaillissent de tes paumes, de tes hanches,

de tes yeux vifs à tout saisir,

mourants lorsque tu t’abandonnes. »



et tâches à ton tour d’offrir et de libérer et « répandre l’odeur du don » que « Pour l’instant nous (l’)appellerons le doux parfum des temps à venir. »



Ce texte est à apprendre par coeur pour se le dire et redire.

Il m’a procuré la même émotion que celui du poète espagnol José Agustin Goytisolo mis en musique et chanté par Paco Ibanez : Palabras para Julia (http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/10/jos_agustn_goyt.html)
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Veilleuse du Calvaire

Quel beau récit ! Son architecture, sa structure, est audacieuse, improbable et très originale. J’ai rarement vu un point de vue narratif aussi mouvant et instable, et c’est ce qui fait la force de ce roman. « La joie de raconter et la rage de dire » sont présentes d’un bout à l’autre du texte, la rage de dire «ce que le passé a fait au présent» ainsi que «ce que les hommes ont fait aux hommes» et surtout aux femmes. Je crois que c’est l’un des textes littéraires les plus forts que j’ai lu sur les violences patriarcales subies par les femmes, et sur la puissance des femmes que Veilleuse représente toutes. D’autant plus remarquable que l’auteur est un homme. Seul élément qui suit un schéma narratif presque classique et chronologique (avec quand même moult allusions aux événements futurs et rappels de faits passés) : l’histoire sur près d’un siècle de la colline du Calvaire, à Port-au-Prince et de ses habitants. Le tout dans un roman de moins de 200 pages ! C’est magistral, et la plume est belle, rythmée et poétique. C’est la poésie et le rythme d’un cri, celui de la Veilleuse, plein de colère et de courroux. Un texte très puissant. C’est ma deuxième lecture de cet auteur et à mon avis Lyonel Trouillot est un très grand auteur de la francophonie.
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Antoine des Gommiers

C'est sans doute le meilleur des romans de Lyonel Trouillot.

Le thème en est pourtant simple : deux frères, vivant à Haïti, inséparables et en même temps si différents.

Ti Tony, celui qui raconte, vit de petites magouilles dans un « corridor » - un lieu où on vit côte à côte avec ses voisins – à Port-au-Prince.

Franky, lui, est le plus lettré des deux. Passionné de poésie, il écrit. Il a suivi son frère dans l'une de ses petites combines, mais peu habitué à ce genre d'exercices, il s'est blessé et est resté lourdement handicapé. Son frère restera donc auprès de lui, pour lui servir de jambes, puisque Franky ne peut plus se servir des siennes.

Leur point commun : la mère, Antoinette. Pas de père, mais une mère qui a tenté de les élever malgré toute la difficulté de la vie dans les quartiers pauvres d'Haïti, et qui a réussi à leur insuffler quelques principes. Alors quand elle décède brusquement les deux frères aimeraient un grand enterrement. On se contentera de la venue d'un historien, pour qu'il dise les mots qu'il faut ce jour-là.

Mais elle leur a légué aussi un trésor : elle n'a cessé de leur parler de l'un de leur ancêtre, Antoine des Gommiers, un homme qu'elle leur a présenté comme extraordinaire : celui-ci vivait dans un coin retiré d'Haïti, mais il attirait des gens venus jusque de la capitale par ses pouvoirs surprenants de divination.

Dès lors Lyonel Trouillot va alterner son récit.

Ce sont les écrits de Franky, plongé dans le passé, reconstituant la vie de son ancêtre qui constituer la moitié du roman. Et ce sont les mots de Ti Tony racontant leur quotidien qui constitue l'autre moitié. Jusqu'à cette scène ubuesque où, Franky ayant terminé son récit, Ti Tony va embarquer les caïds avec lesquels il fraie pour tenter de faire pression sur un vieil historien des beaux quartiers pour faire éditer son frère.

Mais ce qui fait le grand plaisir de lecture de ce « Antoine des Gommiers », c'est un style. Poétique du côté du récit de l'ancêtre, direct et addictif pour le récit du présent. Avec beaucoup de tendresse pour ses deux personnages principaux, ainsi qu'à toute la galerie de portraits de personnages secondaires si bien campés. Romancier et poète, le grand auteur de « la belle amour humaine » ou « Yanvalou pour Charlie » a trouvé ici une forme qui fait de ce « Antoine des Gommiers » l'un de ses meilleurs récits, si ce n'est le meilleur.

Merci aux amis Babeliotes qui m'ont recommandé ce roman, ce fut pour moi un grand plaisir de lecture que je vous recommande à tous.


Lien : http://versionlibreorg.blogs..
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Antoine des Gommiers

« Antoinette, elle avait deux fils. Franky était le bien, et moi j’étais le contraire. Franky, c’était le dernier maillon de la chaîne qui la liait à son Antoine des Gommiers, et ça la rendait fière. »



Le narrateur, Ti Tony, partage avec son frère Franky une pièce étroite dans une rue d’un quartier pauvre de Port-au-Prince, appelé là-bas corridor. Leur mère, Antoinette, vivait de la vente de rue de menus objets de toilette. Et surtout d’espoir de gagner à la borlette, une loterie populaire.



Franky était son fils préféré car, depuis toujours, doué pour les études, les lettres en particulier. Ti Tony, plus sauvage, multipliait les coups de force pour leur procurer un revenu complémentaire, en compagnie de Danilo, son meilleur ami.



Antoinette se targuait d’un lien de parenté avec un devin célèbre dans les années 1930, Antoine des Gommiers. Chef spirituel d’un lieu de culte vaudou, son nom était passé dans l’imaginaire populaire mais n’avait jamais fait l’objet d’études savantes.



Ce sera Franky qui s’attellera à la tâche, alors qu’il est devenu paraplégique et entièrement dépendant de son frère, après la mort d’Antoinette.



Dans ce roman, Lyonel Trouillot alterne la narration de Ti Tony avec des chapitres consacrés à Antoine des Gommiers, que l’on comprend avoir été écrits par Franky.

Il est difficile de lâcher ce roman une fois commencé. Son auteur possède un style qui, à chaque fois puisque ce n’est pas un écrivain que je découvre, me permet de m’intégrer dans un monde pourtant si éloigné du mien. Une voix forte, singulière dans le bon sens du terme. La société qu’il nous décrit est violente et sans pitié, mais pour autant l’humain l’emporte souvent…

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Rue des pas-perdus

Quand on aime on ne compte pas donc après l’excellent Kannjawou, deuxième Lyonel Trouillot à la suite avec Rue des pas perdus, premier roman de l’auteur Haïtien

Autant le dire tout de suite, j’ai adoré.



Port au Prince, le dictateur vient de crever. Bonne nouvelle pour ce bout de terre oublié des dieux perdu au milieu de l’océan sauf que...

Sauf que cette crevure qui a entretenu la misère de son peuple durant trop longtemps, a laissé des instructions à ses partisans, tuez les tous.

Nuit de massacre à Port au Prince. Trois témoins racontent ce qu’ils ont vécu. Trois milieux différents avec des perceptions qui si elles sont opposées accouchent toutes de la même sensation, la peur.

La vieille pute (elle se définie comme ça), mère maquerelle qui tient un bordel. Observatrice et la plus enragée des trois. Elle en a vu de la misère alors elle raconte, se perd dans ses souvenirs. Elle protège « ses filles », du moins elle essaye.

Le chauffeur de taxi. Au mauvais endroit au mauvais moment.

L’intellectuel, militant, amoureux d’une bourgeoise acoquinée avec le pouvoir. A l’abri des coups de feu et de machettes derrière les hauts murs d’une villa.

Trois vécus pour une même nuit d’horreur. Massacre et vengeance, mêmes cons bas...





Si dans Kannjawou, la colère transpire, ici c’est la rage et la terreur qui teintent les pages. La poésie de l’auteur est toujours là ou plutôt déjà là mais rien ne nous est épargné. De la tripaille en veux tu en voila dans ce voyage dans les bas fonds de l’Homme.



Ames sensibles ne pas s’abstenir.



J’encourage vivement à aller lire les quatre billets déjà écrits sur ce titre.
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La belle amour humaine

En exergue, Guillaume Apollinaire:

"Mais en vérité je l’attends

Avec mon coeur avec mon âme

Et sur le pont des Reviens-t-en

Si jamais revient cette femme

je lui dirai je suis content"



Et bien sûr, celui qui explique le titre,celui à qui est dédié ce livre, Jacques Stephen Alexis, neurologue et écrivain haïtien, fervent opposant du régime de Duvalier, La Belle amour humaine est le titre d’un message de voeux publié par Jacques Stephen Alexis en janvier 1957 dans Les Lettres françaises, prônant" un humanisme renouvelé." Il est est mort probablement exécuté en Haïti en 1961.



Michel Séonnet a écrit et mis en accès libre une biographie de J S Alexis , Le voyage vers la lune de la belle amour humaine.



Il faut d’abord saluer l’écriture qui nous emporte , pleine de couleur , de sons , très musicale .

Deux monologues , car les deux personnages ne se parlent pas, pas encore.

Le premier est celui de Thomas, le chauffeur haïtien qui va conduire Anaïse, l’européenne à la recherche de ses origines. L’histoire de son grand-père et son père. En distillant, tout au long du chemin et de ses digressions diverses sur le pays, ses habitants, ceux qui n’y comprennent rien et se permettent d’avoir des jugements péremptoires, des élément de l’histoire elle-même. Celle qu’elle ne connait pas.



Il y a longtemps, dans le village de pêcheurs vers lequel ils se dirigent, ont brûlé deux maisons jumelles, celles d’un homme d’affaire et d’un militaire, deux grands amis , disparus en même temps. Et personne n’a jamais su l’origine de ce double incendie. Personne? Ou tout le monde? Est-ce important? Personne ne dira jamais rien en tout cas, et personne n’a jamais rien dit. Tels que décrits dans le récit de Thomas, de toute façon, on s’aperçoit que même le lecteur ne peut pas déplorer leur double disparition....



Le deuxième est bien sûr celui d’Anaïse, ce prénom étant finalement la seule chose que lui a légué son père. Qui voit et décrit les choses à l’européenne,de façon moins imagée, plus concrète. et c’est très bien ainsi. Autre culture, autre style d'écriture.

Et bien sûr, ces deux monologues introduisent une sorte d’épilogue qui reprend le titre du roman. Le récit d’une rencontre qui s’est faite entre deux univers, deux cultures,Ici et maintenant. Et c’est dans cet échange qu’elle trouvera sa place, et donc: " demain, sur la route, c'est moi qui parlerai."



Vraiment un beau roman.










Lien : http://petitspointscardinaux..
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Bicentenaire

Il était une fois une ile entre soleil et eau; une ile en proie aux folies meurtrières des hommes. Elle a pour nom Haïti. Il était une fois un homme qui fait l'écrivain. Né à Haïti, il a pour nom Lyonel Trouillot. De leurs relations passionnées et tragiques, naquit entre autres Bicentenaire.



En ce 1er janvier 2004, Haïti se prépare à fêter son indépendance. A l'issue de cette journée, on ne comptera pas les confettis mais dix blessés et un mort. L'étudiant de vingt-sept ans reçut une grenade lacrymogène à bout portant, au niveau du thorax. Il s'appelait Lionel. De ce sombre souvenir qui entacha du sang de la répression un jour de fête, Trouillot fit un roman.



Dans de longues phrases charnelles à l'incroyable beauté orale, la marche de l'étudiant, de son village à la ville, trébuche sur le petit frère encore endormi qui fera partie des contre-manifestants (son gang a été contacté. Il sait la violence à venir), effleure les incantations maternelles "Ecoute ce que te dit Ernestine Saint-Hilaire "Moi noire, je sais de quoi je parle", côtoie l'épicier, sa femme, Ayissa la belle, le médecin, son épouse, la police, l'étrangère, la foule… Il ignore que la mort l'attend là-bas. Le lecteur, lui, le sait.



C'est dans la tête de l'étudiant que résonnent toutes les voix, pressées de questions. C'est dans ses propres pas que l'étudiant interroge l'existence: "Et qu'est-ce que c'est qu'un pays où chaque individu se croit le coeur du monde, le seul être suprême, la fin et le commencement?"

C'est vers la fin du roman que le temps entre en scène. Personnage à part entière alors que la mort pénètre les rues.

Et c'est dans l'ensemble du roman que Trouillot convoque misère et fatalité, espoirs, idéalisme, brutalité du pouvoir politique et tente, par les mots, juste avec des mots, de conjurer le chaos qui menace.



A la colère du vieillard sans jambe pour fuir et hurlant "Mais c'est l'année du Bicentenaire, tonnerre! Il y a un pays à construire!", à l'aveuglement d'Ernestine Saint-Hilaire "Moi noire qui ait élevé mes fils dans la droiture", Trouillot oppose la poésie d'une agonie.

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Le doux parfum des temps à venir

Ce sublime chant au delà des cités délabrées raconte l'espoir des femmes..

Parfois il suffit d'un parfum, d'une odeur pour que la vision du monde change, une odeur de route peut-être, "une odeur de route à prendre dans le matin clair". Le livre de Lyonel Trouillot raconte l'essentiel, ce que François Cheng appelle la vie, la vie est rayon d'or malgré les ténèbres. Le langage déployé dans ce petit livret que Lyonel Trouillot a nommé, le "Doux parfum des temps à venir". Ce parfum est peut-être plus chatoyant et encore plus pur dans le ciel Haïtien que les mots de François Cheng.





La vie pour Lyonel Trouillot est plus charnelle et plus sensuelle que l'or. Le rayon d'or de la femme qui parle est un premier souffle, "le premier souffle que la maman a tenu dans ses bras et qu'elle a senti sur sa peau".

La narratrice, femme et mère, parle à sa fille d'une odeur de route à prendre, puis ajoute quand tu es née, j'ai vu "cette promesse, sortie de moi". Tout au long du récit, de ses révélations, coule l'amour d'une mère pour son enfant, lui prodiguant conseils et encouragements car ici commence ta vérité





Il lui faut revenir sur ce qu'une mère parfois embellit. "Je t'ai dit que les rois m'apportèrent de la myrrhe, que les hommes de ma vie étaient des princes, je t'ai menti". "Je t'ai encore menti car ils ont donné ma nudité en spectacle à la foule", je suis une femme marquée par la colère des hommes. Mais maintenant que tu as pris l'habitude d'aimer la vie, je peux te dire la vérité. Viens nous n'avons qu'une nuit pour en finir avec la fable.

"Demain tu mettras mes yeux face à la mer et suivras ton chemin vers ton parfum de femme. Demain tu partiras."





Cette femme raconte toutes ses désillusions et pourquoi cette fleur posée sur sa peau cette fleur de honte est l'odeur de la haine.

La h aine est partout présente, "son odeur je l'ai prise dans les alcôves des rois, à la forge de l'artisan et le taudis du miséreux". Il te faudra vaincre la haine.





L'Aube approche, j'ai fait mon temps. "Tu m'aideras à m’installer face à la mer", tu marcheras seule vers la conquête de ton essence. Il lui faut la mettre en garde, l'instruire car les mères ont cette sagesse là.

"Mon seul legs est que tu adviennes, et chasses où que tu ailles la haine dont tu m'as préservé". L'enfant est le plus beau cadeau du monde, car il porte la vie et jamais la haine. C'est une psalmodie vibrante et bouleversante au cœur de l'essence de la vie, une prière camusienne, puissante.





Viens la promesse imaginé par l’enfant à sa mère, puis tu iras au sommet de la plus haute montagne et tu ouvriras le coffret de parfum qui libère "le paradoxe du parfum c'est qu'il libère ce qu'il capture". "Tu ouvriras le coffret et tu déverseras sur le monde l'odeur de fruit pur et de rosée franche, cette odeur de route à prendre dans le matin clair avec laquelle tu es née. "





Oui semble-elle dire, je vais mourir, mais je vivrai en toi, ne me cherche pas, je suis déjà le parfum qui libère et que tu portes, le "Doux parfum des temps à venir".

Quand ce cadeau m'a été donné je n'imaginais pas toutes ses résonances, ce dialogue formulé et lu par le père. C'est à moi, Lyonel, de te dire ce que ta maman aurait voulu écrire en nous quittant, que toujours malgré les épreuves, la promesse de l'enfant à naître renverserait les montagnes.

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Parabole du failli

Après les excellentes critiques déjà rédigées...je ne me sens pas capable de rendre le choc ressenti à ce livre extraordinaire. un long moment que je souhaitais découvrir l'écriture de Lyonel trouillot, et j'ai débuté par "La Parabole du failli'....



Ce qui est le plus étrange, est que sous le choc incroyable provoqué par cette lecture sombre et flamboyante...je ne parviens toujours pas, au bout de plusieurs semaines depuis que j'ai fermé l'ouvrage...à rendre compte de ma lecture. C'est TROP d'émotions, de poésie, de questions essentielles bouleversantes...Comme l'écrit si bien Bibalice: , c'est le livre le plus beau et le plus déchirant de cette rentrée littéraire.... je suis totalement d'accord avec lui.



La répercussion immédiate, à défaut de prendre la plume pour partager mon enthousiasme, avec les babéliens... a été de me précipiter à ma médiathèque et d'emprunter "La belle amour humaine"... dans lequel je me suis aussitôt plongée. Cette "Belle amour humaine" qui submerge aussi "La parabole du failli", en dépit du sujet, cerné par des questions de désespoir , et de révolte. Il est aussi question de Vie, d'amour, et de fraternité entre les êtres....



L'autre prolongation de mon enthousiasme a été de lire avec beaucoup d'attention l'excellente revue littéraire, "Le Matricule des Anges" n° 46 /septembre 2013), qui consacrait son numéro de la rentrée, à Lyonel Trouillot.



Je me permettrais de citer un des propos de Thierry Guichard, ayant rédigé l' interview de l'écrivain, largement axé sur ses romans , sa terre haïtienne, et la "La Parabole du failli"



"Un homme meurt à Paris, loin de chez lui, après une chute de douze étages. En Haïti, d'où il était originaire, deux de ses amis, apprennent la nouvelle du suicide. L'un d'eux, alors déroule une longue lettre pour un court adieu. Parlant du défunt, il déploie une langue de douleur et de colère, dresse une galerie de portraits pris au vif du vivant et retrace le chemin de croix du disparu. (...) Mais sa chute, transformée ici en une parabole qui accueille aussi bien les grands poètes (dont les citations irriguent le roman)que les plus humbles....., rassemble par la grâce d'une langue aussi belle que cruelle toute une humanité tenue à l'écart..."



L'écrivain insiste sur le fait que la poésie est partie intégrante du quotidien de son pays : "En Haïti, la poésie est présente dans les rues, dans le parler quotidien, dans la construction de son rapport aux autres et à soi-même. (...) un rappel à l'ordre de l'humain : -Si nous le voulions, il n'y aurait que des merveilles. (Eluard)-



Un roman rare...que je relirai prochainement ... après avoir lu d'autres écrits de cet écrivain... pressentant aisément que ce texte, si dense, si foisonnant en humanité, ... je n'ai fait fait que l'effleurer, avec cette première lecture...



P.S: http://www.lmda.net/som/som146.html

[lien avec le "Matricule des Anges" ]
Lien : http://www.lmda.net/som/som1..
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