J'ai vu fleurir le pêcher rose,
Le vieux pêcher noir et chenu.
Il rit sous le ciel ingénu,
Il rit de sa métamorphose.
Le mois d'avril est revenu :
J'ai vu fleurir le pêcher rose,
Le vieux pêcher noir et chenu.
Devant le toit de tuiles roses,
Un oiseau gris parfois se pose
Sur le bout d'un rameau ténu...
Le mois d'avril est revenu...
Repris dans Mes belles poésies, page 27
Dans la chambre du grand-père
Dans la chambre du grand-père
il y avait un coquillage
qui soupirait et chantait
comme le vent de la mer.
Dans la chambre du grand-père
il y avait un petit coffre
en bois luisant jaune clair,
qu'il rapporta de ses voyages
et que lui seul savait ouvrir.
Il y avait deux Japonais
en ivoire, sous un globe;
et tout au fond d'un tiroir,
dans son écrin de velours vert,
- bijou poli par les vagues -
la pipe en écume de mer !
Araignée grise,
Araignée d'argent,
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.
Toile d'araignée
— Émerveillement —
Lourde de rosée
Dans le matin blanc !
Ouvrage subtil
Qui frissonne et ploie,
Ô maison de fil,
Escalier de soie !
Araignée grise,
Araignée d'argent,
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.
Araignée grise
Araignée d'argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.
(" Petites voix")
Septembre, c'est la saison où les oiseaux ont cessé de chanter. Il y a partout dans l'air un silence mélancolique, une attente. Sur les pentes rousses de la montagne, je connaissais maintenant chaque sentier, et là-haut, près du ciel, toutes ces neiges rondes et lisses que le soleil peint chaque soir en rose avant de plonger derrière le bord du monde.
Ce soir…
Ce soir je suis nue dans mon petit fauteuil à capitons. C’est comme l’intérieur d’un coffret à bijoux, ou bien comme une corbeille qui me présente au feu. Je griffe le satin avec le bout de mes ongles. Je ferme les yeux, je les ouvre. Je me vois dans le miroir penché. C’est beau ! Je vois briller mes yeux et mes dents. Mes seins sont comme des fleurs. Je pense au jeune homme du Lion d’Or. Toutes elles se regardent nues dans les miroirs ! Mais elles n’osent pas le dire. A qui oserais-je le dire, moi ? À personne. Et pourtant... dans le monde de Chonchon, chacun parle librement... On devrait pouvoir tout dire, n’avoir rien de caché.
La chaleur est bonne. Mes genoux sont luisants. S’il pouvait entrer et me voir ainsi un instant, toute rose et vermeille comme une créature de l’enfer ! Mais je ne le supporterais pas, je bondirais, je m’enroulerais dans la courtepointe en appelant au secours.
Où est-il maintenant ? Faites qu’il rêve de moi pendant la nuit et qu’il s’éveille par la force de son rêve et qu’il me voie dans la lumière du feu, telle que je suis, exactement telle que je suis !
Si les anges n’existent pas…
Si les anges n’existent pas
qui donc fait ce doux bruit
par terre dans nos chambres
et là-haut sur le toit ?
J’entends leurs voix , j’entends leurs pas
à l’heure où la nuit va descendre...
Je me demande si Papa
les écoute aussi parfois ?
Si les anges n’existent pas,
qui nous expliquera
d’où viennent les cheveux de soie
qui flottent le soir dans les bois ?
Dans les villes, personne ne sait ce que c'est: être couché sur une roche, au bruit des torrents, quand on n'a rien à faire, et rien au-dessus de soi que le ciel bleu et le montagnes terribles. Parfois, effrayée de tant de solitude, je me demandais si j'étais bien vivante. (p.17)
Je voudrais une girafe
Aussi haute que la maison
Avec deux petites cornes
et des sabots bien cirés
Je voudrais une girafe
pour entrer sans escalier
par la lucarne du grenier
Je m'étais habituée à la montagne. Chaque matin de ma vie, j'ouvrais les yeux sur sa rayonnante splendeur. La pureté du ciel, l'éclat des neiges, les grandes ombres qui revêtaient encore les versants boisés, l'ardeur du soleil dans la fraîcheur de l'air, le son argentin des clochettes et celui plus grave des clarines, tout cela me pénétrait le cœur pour y laisser un souvenir impérissable. Durant des heures, je vivais dans l'éblouissement , les yeux fixés sur les neiges lointaines, sans pouvoir les détacher de ce blanc et bleu de rêve, de cette glaçure scintillante, de ces hauteurs de pureté. Maintenant encore, lorsque je rencontre ces deux mots;: neiges éternelles, ils ont gardé leur pouvoir. (p.29)